Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Le percutant festival de Sasha Waltz.

Les hangars (toujours aussi hideux) du parc des expositions d'Avignon accueillent « Insideout » de la chorégraphe berlinoise Sacha Waltz. Perdu au sud de l'agglomération, cet endroit (vestige du pire de l'architecture française) sied parfaitement à l'une des propositions inoubliables de cette 61e édition : l'écrasement du laid par vingt danseurs, dix musiciens, une nouvelle ville à l'intérieur du bâtiment avec ses escaliers, ses guichets, ses annonces sonores (il est interdit de penser, de…), ses pièces, ses jardins suspendus, ses prisons, ses places publiques, ses plages, ses chambres froides. Une ville nouvelle dans un édifice construit dans les années soixante. La création dans du moderne vieillisant. Le festival de Sacha Waltz dans le Festival d'Avignon. Les spectateurs dans l'acteur, l'acteur dans le spectateur. Vous l'aurez deviné, point de gradin, ni de haut vers le bas et inversement, mais vive la circularité, le mouvement, la construction de son propre spectacle.
insideout-02-A.Rival.jpgEn arrivant, un homme me confie en anglais une lorgnette ; je ne comprends strictement rien. Mais à quoi sert-elle ? Pour voir quoi ? Scruter qui ? Je m'avance ; un bruit du tonnerre. Des pièces partout, danseurs à terre. Je suis immédiatement happé par un jeune homme, enfermé, assis, qui parle à travers la vitre. Son corps se plie, se déplie. Je l'observe, ému : il est beau même enfermé. Voyeur, j'aimerais changer la donne, casser la vitre, le libérer de cet espace. Tout est posé : Sacha Waltz, à partir des différents tableaux auxquels je vais assister, travaille mon positionnement, mon lien à la culture, à la danse, à l'autre, à l'Autre. De l'observateur passif, je deviens le spectateur actif. C'est ainsi que l'on s'étonne d'observer aussi le public se déplaçant de pièce en pièce comme il le fait au musée ou dans un grand magasin. Waltz a donc quatre-vingt-dix minutes pour transformer la donne, métamorphoser le lien, pour que spectateurs et artistes créent, par la rencontre, l'?uvre collective. Elle nous donne les ouvertures, les fentes ( !), les passerelles et le stress pour pouvoir nous ouvrir, circuler, bouger, changer, renaître, abandonner, imaginer, revenir, perdre la tête, pleurer, rire, passer son chemin ! Elle nous propose d'entrer en résonance avec l'histoire des artistes par une proximité quasi corporelle, par l'émotion que procurent ordinairement de vieilles photos d'album de famille. Certains portent leur histoire (familiale) comme un fardeau, d'autres s'enferment dans leurs névroses. Il faut parler, relier pour ne pas se laisser emmurer. Osons nous revoir dans l'intergénérationnel, réinterrogeons notre passé commun !  
05.jpgEt c'est toujours une question de regard : là où je ris, d'autres ont peur. Là où je pleure (j'ai vu le train partant vers Autchvicht où des yeux, des bras, par des tous carrés dans le mur font danser une jeune fille dont les jambes sont prolongées par des bas remplis de sable. Voudrait-elle disparaître avec eux ?), d'autres ne s'arrêtent même plus. Car Waltz joue aussi avec notre corps : il peut s'immiscer partout (ne mettre que la tête pour apercevoir, insérer la main dans des fentes, s'appuyer contre un mur coulissant, s'asseoir comme nous le faisions petit pour voir le théâtre de guignol). Et je marche, je marche. J'ai mal à force de rencontrer ces artistes qui me renvoient toujours une émotion, une image. Je rêve eveillé, je cauchemardise à force de violence, de sirène : Waltz nous montre aussi la société que nous produisons à force de contrôle, de consommation (que de vitrines où manequins vivants et objets insignifiants captent notre regard !). Elle arrive avec le groupe « Musikfabrik » à rendre l'ambiance sonore de nos sociétés ivres de pouvoir, de possession et de concurrence. Par ce parcours chaotique, Waltz nous invite à nous libérer de nos aliénations pour reconstruire une histoire, nous remettre dans une posture de coconstruction. Elle nous prépare, à sa façon, à repenser notre lien à l'art (qui ne peut plus être une marchandise au risque de produire de nouveaux totalitarismes), à nous interroger sur nos comportements de consommateur de tout (que laissons-nous au désir, à la frustration de ne pas avoir ?). Waltz nous met en posture de créer le mouvement là où nous avons figé névrotiquement.
« Insideout » , dedans-dehors, pascal ? pascal fils de?,  parler ? s'entendre parler, faire ? penser le faire, passé ? présent ? futur, « insideout » – festival d'Avignon ? l'art européen, ???.Tout est ouvert??.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « insideout » a été joué le 13 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: André Rival.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

La fille collante de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon.

Je m'obstine à vouloir comprendre l'univers de Roméo Castellucci. Découvert en 2005 lors du festival d'Avignon avec «Berlin »et « Bruxelles », revu au KunstenFestivalDesArts en 2006 avec « Marseille », je me sens à côté, rarement enthousiaste, mais toujours curieux. Cette obstination est une quête d'un absolu, de l'objet perdu comme si mon inconscient poursuivait l'aventure d'année en année.
file-5499W.jpgEn 2007, Avignon nous propose « Hey Girl ! » à l'Église des Celestins vers une heure du matin. Le choix du site et du moment n'a rien du hasard : Roméo Castellucci a une haute idée de son travail pour que la fatigue des spectateurs et l'aura du lieu produisent leurs effets. A deux heures trente du matin, les rues désertes d'Avignon sont à l'image de ma vision : je ne vois rien et ne ressens plus grand-chose. « Hey Girl ! » est une injonction paradoxale : pour en parler, ne rien dire ; pour voir, écouter ; pour écrire, projeter le film de cette soirée.

Deux jours après, rien ne sort, tout est dedans comme un processus où je crée un rapport à l'art, où se construisent de nouveaux liens entre la scène et ma place de spectateur. Roméo Castellucci interroge ma perception de l'art, du symbole. Il déconstruit (à l'image du premier tableau où le corps émerge d'un chaos gluant, telle une naissance) pour que je puisse relier à ma guise les différentes scènes. Il y a donc un décalage entre la réactivité du blog (qui impose d'écrire rapidement de peur de perdre le processus) et l'?uvre de Castellucci qui demande du temps. Il y a d'ailleurs un élément étrange : tout au long de la représentation, je n'ai cessé de revenir au point de départ à savoir scruter la glu rose qui dégoulinait lentement de la table comme si tous les autres symboles proposés (et Dieu sait qu'il n'en manquait pas !) s'inscrivaient dans la temporalité de cette glu. Je peux donc écrire sur cette table?mais pour le reste ?
Trois jours après, « Hey Girl ! » semble devenir une ?uvre mineure où des images «flash » ressurgissent comme un diaporama où plus grand-chose ne se relie. Le sort de cette jeune fille, blonde et au look ado, dépend de beaucoup trop de symboles pour que je puisse y trouver ma part de vérité. Plongé dans une esthétique qui le dépasse, Castellucci a peut-être oublié qu'à trop jouer avec les formes, le sens se dilue. La glu continue de s'étaler dans mon cerveau comme si cette renaissance poursuivait son travail.
Je crois malgré tout à la force des symboles  (une église, une heure du matin) pour accepter de n'avoir pour l'instant plus rien à écrire, mais tout encore à relier.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « Hey Girl ! » de Roméo Castellucci a été joué le 12 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

 
Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre


Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Eléonore Weber rend le théâtre vivable.

C'est la jolie surprise du début du Festival ! À la Chapelle de Pénitents Blancs, Éléonore Weber, cinéaste, auteure et metteuse en scène, nous propose « Rendre une vie vivable n'a rien d'une question vaine ». Ils sont quatre, la trentaine, filmés par un vidéaste, invités à se mettre à nu, entre confidences intimistes et chroniques sociales. Je les imagine facilement se retrouver en fin de journée ou un samedi matin au café du coin dissertant sur leur questionnement du moment, centré sur le « moi je » à la recherche d'un « nous » porteur de sens.
file-9997W.jpgIls sont perdus : cela se voit, se ressens. Ils cherchent leur identité (sexuelle, mais aussi politique) en phase avec une époque où l'incertitude construit le chemin (c'est peut-être pour cette raison qu'ils se révèlent profondément attachants). Ils sont drôles dans leurs recherches, touchants dans leur fragilité, beaux quand ils s'effleurent avec l'air de ne pas y toucher. Au delà des mots et des gestes, Éléonore Weber évoque cette génération sacrifiée sur l'autel de l'idéologie prônée par le Medef (l'amour selon Laurence Parisot est répété comme un slogan publicitaire) pour assurer la pérennité du capital des « baby-boomers ».
file-9977W.jpgCertes, ce n'est pas un cri de révolte, mais juste un regard posé avec délicatesse et fermeté sur des femmes et des hommes fermés dehors mais ouverts dedans (à moins que cela ne soit l'inverse). La vidéo apporte (enfin) une belle touche artistique : elle accentue leur fragilité, leurs corps presque lisses, leurs regards fuyant le groupe tout en s'appuyant sur un détail du corps de l'autre. Sur scène, ils cherchent la communication, tombent ou mettent le masque, jouent leurs désillusions et leur soif d'amour qui les maintient debout. On pourrait s'étonner de la vacuité de leur propos, mais je suis touché par cette mise en espace des sentiments individuels et collectifs. Éléonore Weber révèle ses comédiens (tous exceptionnels avec une mention toute particulière pour Joano Preiss, magnifique) par un jeu de déplacements subtils où le pas de l'un entraîne celui de l'autre, où s'habiller pour se déshabiller est un geste chorégraphique. La dernière scène où chacun tente de s'en sortir quand tout est en concurrence, est le point d'orgue de cette pièce étonnante telle une performance, fragile comme une danse.
On quitte ce quatuor avec regret (comment oublier Mathieu Montanier, grand corps presque malade), soulagé d'avoir fait une belle rencontre dans ce festival, curieux sur leur avenir, intéressé sur les prochaines propositions d'Éléonore Weber.
Ce n'est pas vain d'aimer les artistes.

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? « Rendre une vie vivable n'a rien d'une question vaine » d’Eléonore Weber a été joué le 9 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre


Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

La marche funèbre de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon.

Je suis impatient de cette rencontre avec Faustin Linyekula. Je ne suis pas le seul, car comme me le fait remarquer ma voisine en attendant l'ouverture des portes, « l'Afrique, la danse, Mozart, un chanteur lyrique, la vidéo, cela donne envie ». Je suis plus mesuré, dans la mesure où l'addition des pratiques artistiques ne donne pas toujours une ?uvre. Et puis, Christophe Fiat est passé par là?
Pour ma part, je pense à toute autre chose en arrivant au gymnase du lycée Mistral pour « Dinozord : the dialogue series III » de Faustin Linyekula.  Je revois Raimund Hoghe, chorégraphe allemand, lors de son passage à Montpellier Danse. Pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, « Meinwärts » reliait l'histoire de l'Allemangne nazie aux morts du sida. Une recherche sur le deuil pour le deuil que Raimund Hoghe restitua avec distance et émotion. Le chorégraphe et auteur congolais Faustin Lynyekula n'est pas encore prêt, mais son travail de deuil est sur les traces de Raimund Hoghe. Pour l'instant, il crée dans un fouillis où tout est posé, où la danse côtoie le texte, la vidéo, Mozart et un chanteur lyrique haute-contre. Tout se vaut pour exprimer la douleur, la colère, l'inquiétude face à l'avenir de son pays. Mais le spectateur peut-il seulement tout recevoir, en vrac, sans un minimum d'articulations ?
Faustin est triste, tel son visage blanc de clown sans nez rouge. Kabako, son ami, disparu pendant la dictature (l'ex-Zaïre), fut enterré avec des inconnus (« Mozart le fut aussi », lui rétorqua le metteur en scène Peter Sellars). Quelques années plus tard, il retourne à Kizangani pour lui donner une digne sépulture . C'est à ce rituel auquel nous sommes conviés avec quatre danseurs, un comédien et un contre-ténor. Telle une procession, les corps traduisent cette marche où, sortis de terre, alignés les uns à côté des autres, ils vont se métamorphoser pour se déployer le temps de réhabiliter les morts, de permettre le devoir de mémoire. Il s'agit de penser le présent pour imaginer le futur. Les rituels  du deuil saccadent la chorégraphie (des lettres cachées que l'on sort d'une malle, la musique de Mozart pour transcender le réel), tandis que le comédien joue brusquement la comédie pour se plaindre du spectacle auprès du public (salutaire mise à distance). Un reportage sur le rêve des Congolais, l'enregistrement audio d'un ami toujours emprisonné, la danse hip-hop de Dinozord s'ajoutent comme autant de pièces d'un puzzle que l'on peine à rassembler.
Tel un patchwork vivant du souvenir, « Dinozord : the dialogue series III » crée un lien trop distant avec le public. Il ne hiérarchise pas assez: Mozart est au même niveau qu’un reportage vidéo (où les paroles des habitants ont été entendues maintes fois ailleurs). Les séquences se suivent comme des petits cailloux qui seraient semés sur le chemin du deuil et nous sommes derrière, en queue de cette procession. Je veux bien me laisser guider, car ces acteurs sont beaux, que Faustin est profondément engagé (il est à la fois aux commandes de son ordinateur dans l'ombre et sur scène pour ne pas qu'il s'oublie) mais je me sens observateur d'une ?uvre politique alors que les occidentaux sont directement concernés par l’avenir de ce pays. Tout se bouscule comme si l'art ne pouvait nous aider : il est lui aussi pris en otage d'un dispositif scénique trop sophistiqué pour exprimer une histoire à fleur de peau.
Le théâtre aurait pu être une belle sépulture pour Kabako.

Pascal Bély.
www.festivalier.net


?????? « Dinozord : the dialogue series III » a été joué le 8 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Le beau manifeste de Novarina au Festival d’Avignon.

file-2069W.jpgValère Novarina investit la Cour d'Honneur. Le décor surgit des catacombes du Palais des Papes (pyramides ouvertes, presque taguées, et brèches béantes). En m'installant, je suis intimidé, comme si cette cour m'imposait son mythe. Elle m'assagit et m'enlève les mots de la bouche. Justement, avec « L'acte inconnu » de Valère Novarina, les mots sont sur scène et forcent mon écoute, requiert ma totale disponibilité. Je le suis, car la première heure est un enchantement, un hommage à l'écriture, au théâtre, aux acteurs, au spectacle vivant, au public, au Festival d'Avignon, à la Cour. Douze comédiens, vingt-deux accordéonistes, un « ouvrier du drame » content les mots surgis de notre imaginaire d'enfant, de notre folie d'adulte, de nos inconscients collectifs. Il n'y a rien à comprendre (quelques spectateurs, décidément très impatients cette année, s'en vont) mais tout à ressentir, à voir. Valère Novarina nous invite à lâcher prise, à perdre le contrôle de la situation pour se laisser guider par ces artistes hors pair (mention spéciale à Dominique Pinon, exceptionnel). J'écoute sans relâche l'histoire des mots, la naissance du comédien. Je ressens comment le théâtre a participé à la survie de l'humanité. Ce soir, il est une évidence. Avignon fait résonner le théâtre comme jamais, au moment où la France s'est donné un Président peu porté sur la chose. Car « L'acte inconnu » est une ?uvre politique qui fait du spectacle vivant le vecteur du sens. Il est incontournable. Il s'impose.
file-3369W.jpg Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point Novarina fait du bien, libère le rire, permet aux corps de se dégager des contingences sociales. Il réhabilite le spectateur, tenté par d'autres formes artistiques, qu'il retient par la main !  Entre théâtre de rue, cirque (pour l'ambiance !), ballet (pour les envolées), opéra (pour dix minutes hilarantes, à en pleurer), mime, performance (pour clamer à ce point un texte aussi décomposé), il réussit à relier tout ce qu'il nous a été proposé précédemment par les trois artistes associés du Festival (Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Joseph Nadj). Il leur rend hommage en déconstruisant les mots, en poétisant le théâtre, en le modernisant par cette mise en scène décomplexée (mot tant à la mode, mais sincère ici). Novarina est à l'écoute de ce qui se dit, se joue en Avignon et ailleurs. Il remet tout en perspectives là où d'année en année, le spectateur se perdait dans le foisonnement des formes. Les mots sont de retour, mais autrement. C'est l'une des plus belles réponses au désarroi de juillet 2005, où certains journalistes proclamaient la mort du théâtre.
Malgré tout, cette reconstruction du langage peut parfois lasser le public notamment lorsque Novarina introduit la philosophie ( les mots retrouvent leur agencement classique dans un français quelque peu ampoulé). La pièce flotte et l'ensemble se désarticule comme si la magie n'opérait plus.
Il est alors le philosophe qui abuse la scène. En profite-t-il trop ? L'ennui est perceptible dans la Cour d'Honneur et la pièce s'étire en longueur. Entre déconstruction et reconstruction, Novarina se perd à l'image d'un final plus chaotique qu'autre chose. N'est-ce pas le signe que tout reste ouvert, possible ?
« L'acte inconnu » est un acte de résistance au nivellement par le bas de notre société médiatique. C'est un pied de nez à cette société du divertissement qui envahit toujours plus le « Off »  et polluent nos antennes.
Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point « L'acte inconnu » fait du bien?

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? L’acte inconnude Valère Novarina a été joué le 8 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
LECTURE

Christophe Fiat, performeur très fuck au Festival d’Avignon.

file-2429W.jpg

L'écrivain Christophe Fiat se cherche. À la question « êtes-vous un écrivain ou d'abord un performeur ? », il répond : « Je suis un écrivain et je fais des performances? Performance est le seul terme que j'ai trouvé pour dire comment je lis mes textes sur scène en les accompagnant de sons venus d'une guitare électrique ». La confusion conduit-elle au talent ?  Pas si sûr…
Afin d'aider Christophe Fiat dans sa recherche, voici quelques pistes :
Dominique A est un chanteur. Ses textes « littéraires » sont accompagnés de guitares électriques majestueuses. Il lui arrive de danser sur scène. C'est prodigieux. Il ne se proclame pas performeur et pourtant…
Les correspondances de Manosque se déroulent à la fin de l'été et nous proposent des concerts littéraires de toute beauté (animés depuis deux ans par l'écrivain Arnaud Cathrine). J'ai pu assister à de vraies performances de chanteurs rock (Florent Marchet, Armand Méliès, Claire Diterzi) où l'engagement dans une approche pluridisciplinaire de la littérature est visible.
En 2005, le Fesitval d'Avignon nous permettait aux spectateurs d’approcher la performance comme forme artistique à part entière. Marina Abramovic, Jean-Lambert Wild et d'autres ont réussis à capter l'attention d'un public curieux et déboussolé. Nous savons ce que le terme « performeur » veut dire.
En 2007, Christophe Fiat est sur la scène de la salle Benoît XII pour sa lecture qui se donne en performance« la jeune fille à la bombe ». Sa guitare n'est pas loin pour assurer le fond sonore d'un roman paranoïaque sur notre société de surveillance. Deux danseurs l'accompagnent comme faire-valoir pour lire ce roman délirant sur le terrorisme et les femmes. Une soprano fait frissonner le public dès qu'elle chante, mais doit lire la plupart du temps les chapitres de ce roman de science-fiction que refuserait même de filmer David Lynch.
file-2419W.jpg (ai-je juste ?), Le tout dure deux heures (dont une où l’on nous parle de dos…). La scène finale où le groupe quitte la scène pour nous laisser écouter une chanson très “fuck attitude” est à l'image de cette performance : vide.
Une vidéaste filme pendant deux heures la chose. J’espère qu’elle n'oubliera pas de la diffuser sur « Daylimotion »  pour que l'on se marre un peu.
Dominique A n'a jamais été invité au Festival d'Avignon.

Pascal Bély.
www.festivalier.net

?????? « La jeune fille à la bombe » de Chistophe Fiat a été joué le 8 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

« Nord » de Frank Castorf s’explose au Festival d’Avignon.

Après le naïf « Tendre jeudi » de Mathieu Bauer adapté du roman de John Steinbeck, le Festival d’Avignon propose quelques heures plus tard au spectateur marathonien, un virage à 180° : « Nord », « une grand-guignolade de Louis-Ferdinand Céline » (en français dans le texte !) revisité par Frank Castorf, metteur en scène berlinois. Nous sommes prévenus dès l’entrée dans la cour du Lycée Saint-Joseph : les bruits de pistolets et autres pétarades peuvent abîmer les oreilles fragiles (avec Le Pen au second tour de l’élection en 2002, je me suis habitué aux vociférations). Des bouchons nous sont aimablement offerts : c’est la première provocation de Castorf pour stigmatiser une époque obsédée par le principe de précaution. Soit.
Le décor : longue barre transversale où s’étalent des sigles monétaires (euro, dollar, yen) ; en arrière-plan, rideaux de plastiques gris avec slogan germanique. La société marchande s’affiche pour mieux dégueuler son passé pas si lointain. Les premières minutes de la pièce ne tardent pas à nous jeter à la figure le contexte nauséabond d’une Allemagne dévastée, ruinée, que l’écrivain français Louis-Ferdinand Céline traversait pour fuir la France et dont le roman « Nord » retrace l’épopée.
file-2310W.jpg
Nous voilà donc embarqués pour trois heures dans ce wagon gris placé au coeur de la scène, théâtre du chaos, de l’horreur, sur les voies qui mènent de l’Allemagne à Copenhague. Treize comédiens, tour à tour Céline, officier SS, artiste habité par le rôle de Jésus-Christ (l’acteur Robert Le Vigan !), bourgeois décadents, prostitués, nous accompagnent dans ce voyage où l’argot allemand (souvent intraduisible) et la complexité de la langue de Céline provoquent une traduction française aléatoire et périlleuse. Est-ce si important ?
Le jeu des acteurs est époustouflant : ils donnent tout. Tout. Jusqu’à la nausée. Est-ce si grave au regard de ce champ de ruine intellectuel et moral? La farce et le drame s’enchevêtrent dans le récit de Celine, mais conduisent Castorf à ne privilégier qu’un processus : l’autodestruction. À mesure que la pièce avance, les acteurs s’enferment progressivement dans un jeu qui vise à tout casser, à caricaturer à outrance. Mais cette escalade dans le bruit, la fureur et la comédie suffit-elle à nous faire ressentir l’horreur de la guerre ?  Le tiers du public ne tient plus et s’en va, parfois accompagné par les comédiens eux-mêmes, comme un dernier geste de compassion d’Allemands envers des Français qui n’ont pas totalement fait l’introspection de leur histoire.
Je reste, car je n’y suis plus. L’autodestruction me met à distance et la mise en scène de Castorf devient le spectacle pour écrabouiller la misanthropie de Céline.
file-0308W.jpg
Mais pour quoi cette pièce ? Qu’en faire pour comprendre l’histoire et notre futur ? Qui suis-je face à cette scène dévastée, à ce wagon de la mort, aux compagnons de route de Céline ? Je ne sais plus. Je n’arrive même plus à applaudir.
Castorf, par Céline, veut-il seulement que je ressente une quelconque empathie ou colère ? Pas si sûr. Céline, à l’image de tous ces livres jetés, écrasés, est à terre. Les Français n’ont plus qu’à tourner la page pour oublier cette farce morbide. Ils en ont l’habitude.

Pascal Bély – Le Tadorne

 «Norden» de Frank Castorf a été joué le 7 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

« Tendre Jeudi » par Mathieu Bauer au Festival d’Avignon : “tournez manège !”

Premier spectacle, première canicule, premier bide du Festival d’Avignon. L'équation est imparable. Et pourtant, « Tendre jeudi » d'après le roman de John Steinbeck et interprété par le sympathique « Sentimental Bourreau » de Mathieu Bauer a de quoi séduire. La scène est à l'articulation d'un concert rock, d'une projection cinématographique et du théâtre de rue : tout est en place pour positionner le spectateur au c?ur d'un enchevêtrement. Au final, il reste collé au ras du sol.

 

Nous sommes en Amérique, après la seconde guerre mondiale, dans une petite rue d'un port de pêche, « la rue de la sardine ». C'est une communauté qui vit à la marge où solidarité, combines en tout genre, prostitution et recherche scientifique se côtoient pour former une belle fresque humaine. Doc, le personnage principal, est en proie au démon de la solitude affective que ses travaux sur les poulpes, serpents et autre animaux gluants ne peuvent combler. La rue se mobilise pour que Suzy, jolie fille fraîchement débarquée et prostituée débutante, succombe au charme de ce scientifique hors norme pendant que le groupe lance une tombola douteuse pour lui offrir un nouveau microscope. Pour nous restituer l'atmosphère de cette Amérique, Mathieu Bauer ponctue l'histoire de morceaux musicaux bien choisis, mais peine à trouver les articulations qui permettraient à « Tendre jeudi » d'être une pièce décalée et innovante. Je me surprends à attendre patiemment qu'il se passe quelque chose.

file-3260W.jpgLa mise en scène est lourde : elle ne parvient pas à reconstituer le groupe, ni la complexité des individus. Elle flotte, tâtonne, balade le spectateur d'un bout à l'autre de la scène à la recherche du sens. Tout est joué au premier degré (la rencontre amoureuse) et l'atmosphère devient pesante, niaise et nous fait oublier le contexte social et politique de l'époque. C'est lisse, aseptisé à l'image du jeu des comédiens qui endosse difficilement leur rôle d'acteur ? chanteur.  Il faut attendre la dernière partie où Mathieu Bauer transcende le roman de Steinbeck pour en faire une ?uvre théâtrale. Ironie du sort, c'est le cinéma qui l'aide à donner du relief à ses personnages où, projeté sur l'écran, chacun expose sa stratégie pour rapprocher les deux tourtereaux. C'est le comique de situation (où deux comparses se lavent à la bière dans une minuscule cuvette) qui procure la mesure du potentiel de Mathieu Bauer à faire du théâtre, appuyé par des dialogues qui font mouche.
On est finalement troublé d'être gagné par l'ennui alors que tout est en place pour relier deux époques : celle de Steinbeck, celle d'aujourd'hui, paupérisée par la politique de Bush.
Tendre jeudi” est une pièce sentimentale et pas tout à fait bourreau?

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? «Tendre jeudi» par Mathieu Bauer / Sentimental Bourreau a été joué lle 7 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo:

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

L’apocalypse d’Heiner Goebbels emporte le Festival de Marseille.

7h20. France Inter. Le journaliste Jean-Marc Sylvestre assène sa science économique : « pour baisser le déficit de la sécurité sociale, les Français devront payer une partie de leurs frais médicaux au même titre qu'ils achètent leur télévision écran plat ou un billet de TGV ». Raisonnement rationaliste réducteur manipulatoire, mais efficace.
19h30. Journal de France 3. La ministre de la Justice, Rachida Dati, parle avec une mécanique implacable : « à la deuxième récidive, une peine plancher. Si vous êtes contre cette mesure, c'est que vous soutenez les criminels». Robert Badinter, droit dans les yeux, lui déclare au Sénat: « nous ne voterons pas votre texte car il est mauvais ». Sarkosy, Dati : cause, effet.
21h. Festival de Marseille. Petit théâtre du Ballet National de Marseille. « Max Black » d'Heiner Goebbels va commencer. Quatre rangées réservées pour le personnel et les clients d'une boutique de fringue. «Sans ce mécénat (sic), votre place serait encore plus chère » me rétorque-t-on avec aplomb alors que je m'en étonne. Publicité + théâtre = rentabilité pour tout le monde. Oh secours Jean Vilar?
max-black1.jpgC'est le récit d'une journée ordinaire où notre cerveau est soumis à la rationalité d'un raisonnement scientifique qui s'applique partout, quels que soient les contextes. Envahi par toutes ces pensées réductrices qui nous isolent et nous conduisent dans l'impasse, je regarde « Max Black » avec enchantement. L'an dernier, lors du même festival, « Eraritjaritjaka ? Musée des Phares » de Goebbels avait créé la divine surprise en déconstruisant les règles classiques du théâtre pour nous guider dans l'univers créatif du dedans ? dehors. Cette année, un philosophe pyromane enfermé dans son laboratoire tente de nous expliquer la complexité du monde à partir de raisonnements rationalistes où se perd sa pensée et explose sa vision mécanique ! Le feu, omniprésent sur scène, est le pont entre la science et la vie : il brûle (les modèles dépassés ?), éclaire, délimite (pour ouvrir ?), transforme. Dans ce laboratoire, métaphore de notre folie linéaire, tout est prévu pour qu'un élément entraîne l'autre (quand la manivelle pour allumer la scène engendre la mécanique d'un objet qui joue avec les touches du piano) mais la main de l'homme et sa folie ne peuvent suivre un tel enchevêtrement. Les textes de Paul Valery, les sons, la scénographie, les lumières participent au chaos que porte admirablement André Wilms, comédien exceptionnel. Mais « Max Black » rivalise difficilement avec la puissance de « Eraritjaritjaka ? Musée des Phares ». J’ai l'étrange sensation que le dispositif scénique « diabolique » guide la mise en scène de Goebbels comme s'il en était prisonnier, le spectateur avec. Le texte se retire progressivement pour laisser la pyrotechnique faire son effet. L'?uvre s'enferme et la folie de cet homme réduit ses affects à ses raisonnements. Je décroche et mon cerveau cherche autre chose que ces folles mécaniques pour échapper aux oiseaux de mauvaises augures qui polluent nos visions. Un, empaillé, surplombe  la scène. Je ne vois plus que lui?


Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? «Max Black» de Heiner Goebbels a été joué le 5 juillet 2007 dans le cadre du Festival de Marseille.

Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre


 

 

Catégories
OEUVRES MAJEURES Vidéos

Pierre Rigal et Aurélien Bory au coeur de la surface de réparation.

En quittant Montpellier Danse en fin d’après-midi pour rejoindre le Festival de Marseille, je ne me doute pas encore à quel point la danse est un art de l’emboîtement des contextes ! Il est 17h50 et Fréderic Bonnaud sur France Inter, la gorge nouée, prononce ses dernières paroles au micro alors que son émission culturelle passe à la trappe dès la rentrée. Il évoque la télévision publique de son enfance, parle de son refus de se travestir et de se compromettre face à une Direction obsédée par l’audience et la communication de façade. Il prévient que la radio connaîtra le sort de France 2. Nous avons le même age et je ressens intensément sa colère : sans le Service Public, je n’aurais jamais pu accéder à la culture. Des applaudissements ponctuent son intervention. Salut l’artiste?

dp5.jpg
J’entre quasiment essoufflé au Grand Studio du Ballet National de Marseille pour la dernière création de Pierre Rigal et Aurélien Bory, «Arrêts de jeu». Les spectateurs arrivent au compte-gouttes, suite aux bouchons qui paralysent le trafic. En pénétrant dans la salle, je constate que les deux premières rangées sont encore vides, mais réservées pour une « agence-conseil en communication et image de marque » qui sponsorise la soirée. C’est une insulte faite au public et je repense à Fréderic Bonnaud : la loi de la com s’infiltre partout même dans ce petit théâtre?Je rêve que le Festival de Marseille soit une manifestation gérée par le Service Public?Je rêve.
«Arrêts de jeu» s’inscrit dans la culture de Service Public. C’est une oeuvre qui relie pour créer du lien social entre les Français. Elle permet, à son modeste niveau, d’interroger notre histoire commune et individuelle. C’était en 1982, lors de la demie-finale de la Coupe du Monde de football entre l’Allemagne et la France. Alors que notre pays mène par 3 buts à 1, tout bascule quand Battiston est agressé par le gardien de but. La France perdit aux tirs aux buts et j’entends encore les paroles de mes parents (j’avais dix-sept ans) : «salops de boches !». Ils sont donc quatre sur scène (une femme, trois hommes) pour nous rejouer ce moment historique. Pierre Rigal avait neuf ans ce soir-là et incapable de changer le cours du jeu, il dû faire un pas de géant dans le monde des adultes. C’est ce passage qu’il nous restitue avec force, poésie et humour. Il fait danser les rites du football (jubilatoire !), joue avec l’histoire (il métamorphose les joueurs en poupées de tissus, tels nos gros doudous de mômes). Même le panneau lumineux affichant le score devient pluie d’étoiles filantes ou météorites d’une victoire pourtant inéluctable.

«Arrêts de jeu» répare cette blessure narcissique et collective en transformant le terrain en partie de cache-cache entre la toute-puissance de l’imaginaire de l’enfance, la technique du sportif et la réalité de la loi du plus fort. C’est le corps chorégraphié par Pierre Rigal, mis en relief par les effets vidéo et de lumière d’Aurélien Bory, qui est cette surface de réparation, de passage de l’enfance à l’adulte. C’est aussi ce moment privilégié où le football est revisité par la danse, cet art du vivant, si éphémère et fragile, où les commentateurs sportifs omniprésents et tout puissants dans les médias sont métamorphosés en dialoguistes d’une ?uvre chorégraphique qui leur échappe. C’est ainsi que me reviennent les paroles de Michel Hidalgo, entraîneur à l’époque, évoquant la semaine dernière à la radio cette minute où il est entré dans l’histoire. C’était le 26 juin 2007, sur France Inter, dans «La bande à Bonnaud».
Les agences de com peuvent investir les gradins des théâtres. On sait qu’elles veulent aussi contrôler l’image de marque de nos souvenirs collectifs. Penalty.
Pascal Bély – Le Tadorne.