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EN COURS DE REFORMATAGE

Le bilan global de l’année 2006, vue par Le Tadorne.

Les onze oeuvres sublimes.


1- Michel Kelemenis,
« Aphorismes Géométriques ». Festival « Danse à Aix » 2005 ; « Danse en Avril ». Aubagne / Théâtre des Salins de Martigues.
2- Joseph Nadj, Miguel Barcelo,
« Paso Doble ».  Festival d’Avignon.
3- Angelin Preljocaj,
« Empty Moves ». Pavillon Noir, d’Aix en Provence.
4- Sidi Larbi Chercaoui,
"Zero Degrees". Théâtre de Chateauvallon.
5- Alain Platel,
« VSPRS ». KustenFestivaldesArts de Bruxelles.
6- Russell Maliphant,
« Pusch ». Scène Nationale de Cavaillon.
7- Claude Brumachon,
« Icare ». Festival Les Hivernales. Avignon.
8- Patricia Allio, «
sx.rx.Rx». KustenFestivaldesArts de Bruxelles.
9- Heiner Goebbels,
« Eraritjaritjaka – Musée des Phares » au Festival de Marseille.
10- Pina Bausch,
« Kontakthof ». Théâtre du Merlan de Marseille.
11- Maguy Marin,
« Ha ! Ha!». Festival Montpellier Danse.

Faire le bilan d’une année de spectateur nomade est émouvant. Des images défilent, des sensations renaissent et je m’étonne encore d’avoir pu écrire sur ces œuvres sublimes. Ce premier article évoque ces spectacles qui ont profondément déconstruit mon regard, cassé mes schémas pour les ouvrir et me permettre d’élaborer une représentation différente du corps, de l’espace et du jeu. Onze œuvres majeures, fondamentales, celles qui vous communiquent la force de tracer votre voie vers le sens.

En tout premier, Michel Kelemenis m’a offert le plus beau spectacle de danse de l’année avec « Les aphorismes géométriques ». Cette « ode à la femme » m’a donné ce socle capable d’appréhender la danse à partir du sens.  Il a su mettre en mouvement ce que je sublimais encore ( !). Je n’en suis toujours pas revenu.

Le chorégraphe Joseph Nadj et le peintre Miquel Barcelo ont sidéré les spectateurs  du Festival d’Avignon avec « Paso Doble ». À l’issue d’une heure tout à la fois tragique et splendide, le tableau devenait charnel, le danseur pinceau. Inoubliable.

Le chorégraphe  Angelin Preljocaj, avec « Empty Moves » a osé une ode au mouvement. Je ne pensais pas qu’un geste dansé pouvait être aussi pur, qu’il pouvait donner du sens au sens ! « Empty Moves » a peut-être inspiré l’architecte Rudy Ricciotti pour la construction du magnifique « Pavillon Noir », propriété des Balles Preljocaj à Aix en Provence, inauguré en octobre 2006.
Toujours sur le registre du sublime, deux chorégraphes ont inscrit la danse dans le champ de la relation circulaire, de « l’écologie du lien » si chère à Edgar Morin : Russel Maliphant avec « Pusch » et Claude Brumachon avec « Icare ». Je fus bouleversé par la force émotionnelle de ces deux œuvres: j’ai lâché – prise.


C’était un soir de juillet dans le magnifique site de Chateauvallon. Deux chorégraphes, l’Anglo – Bengali Akram Khan et le Belgo – Marocain Sidi Larbi Cherkaoui articulaient avec « Zero Degrees », différentes cultures pour créer le patchwork de l’humanité. La danse se faisait colombe, le spectateur devenait son messager. Sidérant.

En 2006, la danse a fait preuve d’une modernité saisissante. Elle fut révolutionnaire! Au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, Alain Platel présentait « Vsprs » pour substituer au religieux la folie comme voie d’accès au sublime. En écho à cette beauté, la metteuse en scène et philosophe Patricia Allio  avec « Sx.rx.rx » transformait la parole d’un fou en fresque théâtrale. Présentée à Bruxelles, cette œuvre magistrale n’a pas trouvé d’écho chez les programmateurs de salle en France. Pourquoi ?

Platel et Allio m’avaient donc préparé pour comprendre « Eraritjaritjaka – Musée des Phares »du metteur en scène et musicien Heiner Goebbels vu au Festival de Marseille. Le déconstructivisme fut à son apogée et la posture du dedans – dehors dans laquelle je fus projeté restera un moment inoubliable : le théâtre venait d’abattre mes cloisons.
Deux œuvres ont fait résonance, comme  un
e séance chez l’analyste : « Kontakthof » de Pina Bausch et « Ah ! Ah ! » de Maguy Marin. Elles ont touché le désir, celui d’aimer autrement, de voir ailleurs, de penser différemment.

Les dix plus belles métamorphoses théâtrales.


1- « Combat de nègre et de chiens », par Arthur Nauziciel. Festival d’Avignon.
2- «Guerre et Paix» par Piotr Fomenko. La Criée. Marseille.
3- « Face au Mur » d’Hubert Colas. Théâtre du Gymnase. Marseille

4- « Psychiatrie/Déconniatrie » par Christian Mazzuchini. Théâtre du Merlan, Marseille.
5- « Au monde » de Joël Pommerat. Festival d’Avignon.
6- « Rouge décanté » par Guy Cassiers. Festival d’Avignon.
7- « Long life » par Alvis Hermanis. Théâtre des Salins. Martigues.
8- « Le révizor » par Christophe Rauck . Théâtre des Salins. Martigues.
9- « Gente di Plastica » par Pippo Delbono. Théâtre des Salins. Martigues.

10- « Les poulets n’ont pas de chaises » par Marcial Di Fonzo Bo. Festival d’Avignon.


En 2006, la danse a métamorphosé mon regard, ma place de spectateur. Elle a dérangé mes certitudes et effacé mes approximations. Le théâtre m’est apparu plus en retrait dans ce mouvement d’émergence d’une culture transversale et pluridisciplinaire. Dix pièces ont tout de même jalonné mon parcours de spectateur en quête de nouveaux textes, de jeux d’acteurs improbables et de résonances personnelles révélées.
L’année 2006 aura vu l’articulation entre le langage « cinématographique » et théâtral. Elle a mis du lien entre les corps, les mots et le contexte de l’histoire mais elle a surtout permis de structurer l’inconscient comme un langage.
Les rythmes linéaires dans la mise en scène ont ainsi laissé la place à des mouvements plus complexes. « Combat de nègres et de chiens » d’Arthur Nauziciel a été le plus novateur dans ce changement de temps et d’espace en donnant au spectateur la bonne distance émotionnelle pour l’inviter à réfléchir autrement sur le racisme.
« Au monde » de Joël Pomerat est allé plus loin pour comprendre la complexité d’un système familial en osant une mise en scène entre théâtre et cinéma à l’image d’un « entre-deux » entre l’art et la psyché.
Guy Cassié
, avec « Rouge décanté » (cf.photo) utilisa la vidéo comme support au langage de l’inconscient en nous offrant des effets visuels et de lumières saisissants capables de décanter la mémoire du personnage principal.
Cette déconstruction du temps et de l’espace fut largement utilisée par l’acteur et metteur en scène marseillais Christian Mazzuchini dans « Psychiatrie / déconniatrie » pour faire apparaître l’inconscient par un procédé créateur. Ici aussi, la vidéo était au service d’un nouveau langage loin de l’esthétique vide de sens.
Cette « déconstruction » de la mise en scène fut le moyen de nous parler de notre société mondialisée. Hubert Colas, avec « Face au mur », a conféré aux textes de Grimp une actualité brûlante par un jeu d’acteurs emprunté aux idéologies comportementalistes si chères à une certaine classe politique.
Pipo Delbono, avec « Gente di Plastica » fut peut-être le metteur en scène le plus radical : peu de texte, tout était suggéré pour nous inviter à faire notre chemin dans la réflexion sur la conduite actuelle et passée du monde.
Dans ce bilan, comment ne pas évoquer l’apport des Pays de l’Est ? Avec eux, le regard du spectateur, loin de se centrer sur un point de la scène, devenait horizontal. Piotr Fomenko avec « Guerre et Paix » nous a proposé une mise en scène si « globale » qu’elle nous obligeait à nous mettre en mouvement et le théâtre, par magie, se transformait en fresque animée !
Même vision avec « Long Life » du letton d’Alvis Hermanis où le jeu des acteurs, tel un film d’animation, nous propulsait à regarder la scène comme un écran large capable de suivre au plus près le processus de vieillissement d’habitants d’un immeuble.
Ces mêmes mouvements saccadés et quasi chorégraphiés du corps animèrent la mise en scène décomplexée de Christophe Rauck avec son « Révizor » haut en couleur ! Dans la même veine, «Les poulets n’ont pas de chaises» de Copi mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo m’aura permis de traverser le dessin ! De statique, il devenait animé. Cette belle et touchante mise en mouvement a donné un sens presque universel aux dessins de Copi publiés dans le Nouvel Observateur dans les années 60-80.

2007 promet un théâtre encore plus ouvert. C’est inéluctable.

Les dix plus beaux nouveaux espaces.


«Human» de Christophe Huysman. Festival d’Avignon.

"Lugares Comunes" de Benoît Lachambre. KustenFestivaldesArts de Bruxelles.
« L’homme de février » de Gildas Milin . Festival de Marseille.
« 2008 Vallée » de Mathilde Monnier et Philippe Katerine. Festival Montpellier Danse.
"Gyrations of barbarous tribes" par
La Compagnie Kubilaï Khan Investigations. Festival Les Hivernales. Avignon.

« Obstrucsong » de Palle GranhØj . Festival Les Hivernales. Avignon.
 « Sizwe Banzi est mort » par Peter Brook. Festival d’Avignon

« Letters from Tentland Return to sender » par Helena Waldmann . Festival Montpellier Danse.
Concert de Camille.  Festival « Les Botaniques ». Bruxelles.
Concert de Dominique A. Théâtre des Salins. Martigues.



Soufflerait-il dans le spectacle vivant, un vent nouveau qui nous apporterait des formes artistiques inédites où se croiseraient la danse, le théâtre, le cirque, les arts numériques, le nord, le sud, l’est et l’ouest ? Ces croisements s’inscrivent dans un contexte de précarisation générale des artistes qui semble les avoir conduits vers des expressions créatives pour le moins surprenantes.
Cette transdisciplinarité a souvent dénoncé une société individualiste et communautariste. Les créateurs ont recherché des espaces de communication capable d’inventer des liens sociaux moins verticaux.
C’est le poète et metteur en scène Christophe Huysman qui a le plus étonné avec « Human ». À partir d’articulations complexes entre le vertical et le transversal, Huysman propose une poésie de corps entremêlés. Des liens sociaux inédits émergent alors. Le chorégraphe Benoît Lachambre avec "Lugares comunes » a également ouvert  notre regard sur le collectif transversal, au moment où les sociétés se communautarisent. Lachambre leur préfère le lien créatif qui complexifie au détriment de l’interaction qui clive, du langage médiatique et marketing enfermant.
Le metteur en scène Gildas Milin, avec « L’homme de février » a mis l’accent sur les théories comportementalistes qui semblent structurer patiemment notre société fascisante. À trop vouloir contrôler la psyché pour faire face à la complexité, nos politiques finiront par tout « normaliser », même la folie.  En reliant le théâtre, la danse et un concert rock,  Gildas Milin nous a offert l’un des spectacles les plus détonants de l’année.
Cette « folie créative » est à rapprocher de l’œuvre chorégraphique et musicale proposée par Mathilde Monnier et Philippe Katerine. « 2008 Vallée » est une drôle de création, porteuse d’une énergie contagieuse avec un regard féroce sur notre société vide de sens jusqu’à l’absurde. Les six danseurs, compagnons de fortune de Katerine, trouvent des stratégies pour réinventer de nouveaux modes de communication dans des espaces encore improbables aujourd’hui.
Sans aller jusqu’au chaos créatif prôné par Monnier et Katerine, ne conviendrait-il pas de retrouver notre imagination perdue même à partir de nos cadres les plus enfermants. C’est  ce défi qu’a relevé la chorégraphe Danoise Palle GranhØj avec «Obstrucsong », pièce réjouissante où chaque mouvement en rencontre un autre qui l’entrave ! Cette contrainte (d’où l’obstruction) devient une force créative pour les danseurs. À l’heure où certains voudraient renforcer la coercition pour empêcher la créativité, « Obstrcsong » est un magnifique message d’ouverture dans ce monde globalisé.
Le chorégraphe Franck Micheletti nous a proposé d’autres espaces avec "Gyrations of barbarous tribes" à partir d’un collectif métissé de plusieurs rythmes dans la chorégraphie (vibrante jusqu’au paroxysme, organisée, déstructurée, organique toujours)symbole d’une mondialisation inventive. Mais cette recherche butte sur la peur des sociétés industrialisées comme l’a témoigné Peter Brook avec son dernier spectacle, sensible et intelligent, « Sizwe Banzi est mort ».  Mais même les pouvoirs les plus tyranniques ne résisteront pas longtemps à ce mouvement d’ouverture qu’offre  la mondialisation comme l’a magnifiquement démontré la chorégraphe
Helena Waldmann
avec « Letters from Tentland Return to sender », puissant message d’espoir pour les femmes iraniennes.
En 2006, les concerts ont également ouvert leurs espaces trop souvent réduits à un tour de chant bien huilé pour laisser la place à l’inattendu. La chanteuse Camille m’a épaté dans sa recherche pour créer entre elle et le public, entre la chanson et l’art, de nouvelles articulations. Elle a dépoussiéré le concept de concert pour le transformer en fresque théâtrale !
Dans un autre registre, le chanteur Dominique A a donné à son dernier concert des airs symphoniques, en concevant un territoire quasi hypnotique.
2007, année des possibles ?


Les rencontres du Tadorne.


Eric Boudet, photographe de danse.
« Le chemin se fait en marchant » de Claire Heggen. Festival Les Hivernales. Avignon.
« Soli » par La Compagnie de Susan Buirge. Festival Les Hivernales. Avignon.
« Eventail Onze » par
Wilfride Piollet et Jean Guizerix. Festival Les Hivernales. Avignon.
« Jeux d’intention » par Raphaëlle Delaunay. Théâtre des Salins. Martigues.
« Mi non sabir » par Karine Ponties . Festival Les Hivernales. Avignon
« Wasla » d’Héla Fattoumi et Eric Lamoureux . Théâtre d’Arles.
« Tourlourou » par Carlotta Sagna. Théâtre d’Arles.
« ¾ face », Geneviève Sorin. Marseille Objectif Danse.
 « K 626 » par Emanuel Gat. Festival de Marseille.
« Erection » de Pierre Rigal. Théâtre d’Arles / Festival de Marseille.

Tout au long de ce blog, mes écrits sont parsemés de ressentis et de résonances liées à des chorégraphes rencontrés pour la première fois.  Ces spectacles furent marquants, sidérants et enrichissants. À l’issue des représentations, je me sentais prêt à renouveler la rencontre comme un rendez-vous intemporel mémorisé.

Les transmetteurs du mouvement.

C’était en mars dernier. À la recherche d’un cliché de danse, je tombais sur le site d’Éric Boudet. Je visionnais ses photos, ébloui par leur justesse et sa façon de les mettre en mouvement. Deux articles lui seront consacrés avec une volonté farouche de faire connaître son travail et de m’engager auprès de lui pour articuler la photo et le texte par le blog. Cette rencontre est le signe qu’internet est un média de relliance capable de tracer de nouveaux chemins.
La conteuse, chorégraphe et mime Claire Heggen avec « Le chemin se fait en marchant » fut une autre rencontre très émouvante. Une heure trente d’une autobiographie surprenante sur l’univers du mime. J’aurais aimé qu’Eric Boudet la photographie avec Susan Buirge, autre artiste invitée du Festival « Les Hivernales » d’Avignon, qui avec « Soli » m’a appris à regarder une danse minimaliste et généreuse, métaphore d’un lien constructiviste.
Comment pourrais-je oublier la rencontre avec Wilfride Piollet et Jean Guizerix, deux chorégraphes qui marquèrent de leurs empreintes la danse française, loin de la branchitude parfois de mise dans ce milieu ? Avec « Éventail Onze, je fus touché par l’énergie de leur transmission à d’autres danseurs et heureux d’avoir été leurs invités, le temps d’une soirée inoubliable des« Hivernales » !

Des femmes qui dansent (pour) les hommes

C’était en avril dernier. Je me souviens encore de sa robe blanche. Raphaëlle Delaunay, danseuse et chorégraphe, m’avait invité pour ses « Jeux d’intention » au Théâtre des Salins de Martigues. Son spectacle réparait les fragmentations provoquées par la vision masculine du pouvoir. Éblouissant.
La BelgeKarine Ponties avec « Mi non sabir » (notre photo) s’attaqua avec humour aux petits jeux des hommes. À dénoncer leurs faiblesses, elle leur donna une nouvelle force. Sur un autre registre, Héla Fattoumi avec « Wasla » dansa le courage féminin face à l’intégrisme religieux, dicté par le pouvoir masculin. Carlotta Sagna avec« Tourlourou » nous donna  les clefs d’un mystère que les hommes ne comprennent pas toujours : d’où vient la force féminine ? C’est Geneviève Sorin avec « ¾ face » qui a réussi la plus belle alchimie entre hommes et femmes à partir d’un quatuor d’équilibres et d’articulations pour le moins complexes !

Trois hommes lumineux.

Dix danseuses ont offert au Festival de Marseille un moment unique. Le chorégraphe Emmanuel Gat avec &
laquo; K 626 » a su faire danser ces dix« petits soldats d’Israël » sur le requiem inachevé de Mozart. Quand la danse rencontre l’incertitude et le chaos, elle résonne chez chacun d’entre nous.
La résonance était a priori facile : « comment l’homme passe-t-il de la position couchée à la position debout ? ». Nous vivons ce processus depuis la naissance. Le chorégraphe Pierre RigalÉrection » et le metteur en scène Aurélien Bory en ont fait un mouvement complexe pour mieux interroger nos postures couchées, métaphore de nos positionnements dans la vie. Trente minutes époustouflantes. À suivre.