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Festival d’Avignon – Sacha « Waltz ».

La 6ème journée des Offinités du blog du Tadorne intitulée « Le grand écart du Off » nous a fait vivre un nouveau parcours sensible de spectateurs du OFF d’Avignon visant à articuler, par la pensée et par le corps, les relations entre théâtre et danse. Pour l’occasion, trois spectatrices (Franboise, Hélène, Estelle) ont inclus le groupe des Tadornes pensant, au départ, assister à une journée dédiée à la danse. Leur surprise fut totale lorsqu’elles comprirent que les Offinités plaçaient l’enjeu ailleurs. Précisément dans les mains, les pieds et les yeux de Sacha…

Sacha, 18 mois, nous a rejoints à 17h au Magic Mirror du village du Off, accompagné de ses parents et de ses grandes sœurs. Ses yeux reflètent l’émerveillement devant la piste centrale éclairée. Philippe Lafeuille, chorégraphe présent lors de chaque Offinité, l’invite comme spectateur de choix. En confiance, il évolue seul en tournoyant doucement. Le groupe des participants suit les consignes de Philippe et va peu à peu s’articuler autour du tout petit. Il tape dans ses mains – nous reprenons son geste. Le bal des spectateurs est ouvert. Il s’émerveille – nous également. Sa grâce va nous relier pendant 1h. Il sera omniprésent, fédérateur, liant, créatif et finira épuisé, couché sur le plancher.

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Quelque part, Sacha, sans le savoir, a joué le projet des Offinités. C’est une présence aléatoire qui invite les adultes à lâcher-prise et à travailler à partir de l’imprévisibilité. Il nous conduit à abandonner le langage, à porter l’attention sur les mouvements du corps et des gestes. Celui qui n’a pas encore la parole déjoue les classifications et les cloisonnements : théâtre ici, danse là. Avec Philippe, justement, chacun prononce un mot et lui associe un geste pour évoquer une expérience de spectateur. Il les relie en une farandole : « bonjour », « connard », « Shakespeare », « haine », « Utoya », « musique », « chaise », « noir », « peau », « confession », « liberté » ! C’est une chorégraphie de nos multiples ressentis : nous sommes captivés, amusés, ennuyés, exaspérés par le spectacle vivant, et nous lui tendons ce miroir. Les mots dévitalisés ne reprennent sens que lorsque le geste les accompagne.

Car la danse collective crée la relation, libère la créativité. Nous retrouvons une intuition sensorielle perdue depuis l’enfance, que la rencontre artistique fait éclater. Le plaisir collectif palpable nous positionne dans une énergie de groupe qui nous permet de réaliser, de fait, une sorte de danse-théâtre. D’unifier, à notre niveau, ces catégories.

Avant ce moment de grâce, nous avons vécu le parcours de la journée. Nous sommes partis de nos représentations : la farandole chez Pina Bausch, le cri chez Carolyn Carlson, le manque de grâce chez Juliette Binoche, Pietragala, sont tour à tour convoqués. Ces images vont nous suivre jusqu’à l’Espace Roseau, où nous assistons à «  Eileen Shakespeare » d’après Fabrice Melquiot, mis en scène par Laurent Rossini. La compagnie «  Cris pour habiter Exils » a fait un long voyage depuis la Nouvelle Calédonie. La comédienne Olivia Duchesne tour à tour frondeuse, militante, déterminée, nous fait osciller dans les époques. Elle questionne la condition féminine dans son intimité, sa place dans la famille ou dans la société. Le désir de création d’Eileen Shakespeare l’entrainera jusqu’à la folie. Le suivi de sa métamorphose est particulièrement émouvant. Quelque part, la mise en cause de son frère, William Shakespeare, nous apparaît comme une dénonciation du théâtre comme catégorie autonome. Même si des éléments méritent d’être travaillés dans la scénographie, nous sortons émus, les yeux cachés par nos lunettes de soleil pour réhabituer notre regard à la lumière.

Nous avons retrouvé le poids des cultures et des traditions dans «  Confessions » mis en scène par Sangbong Park, artiste coréen. Après le dépouillement nous découvrons la profusion. Technologies multiples, musique jouée en live par des musiciens, vidéo. Les reflets des deux comédiens cernent notre regard. Ils apparaissent comme corps dansants, exultant des mots crus. Leurs images nettes ou déformées métaphorisent leur état psychique. Ce sont des consciences perdues dans leurs désirs et leurs contraintes, qui mettent à nu leurs pulsions inavouables. Elles se fracassent, se disloquent, faisant apparaître la monstruosité en l’homme : «  Je hais donc je suis », «  Je suis né un Humain », « I am what I am ? ». Soudain la nouvelle Calédonie, l’Angleterre, se rejoignent et forment un nouveau territoire autour de la Corée : l’Asie semble confrontée à la même crise identitaire que celle qui frappe l’Occident. Elle pousse les individus oppressés par les cases à se réfugier dans des pulsions.

Nous touchons presque à la fin des Offinités et chaque journée nous met en mouvement sur la ville, dans les salles, dans les spectacles, dans la danse, ensemble, public connu ou inconnu.

Et si c’était cela, notre projet de société désirée pour demain ?

Recoller les morceaux dans une danse-théâtre qui apparaîtrait comme l’enfance de l’art…

Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre – Tadornes.

“Le grand écart du OFF” dans le cadre des Offinités du Tadorne le 22 juillet 2014.
«  Eileen Shakespeare » d’après Fabrice Melquiot, mis en scène par Laurent Rossini à l’Espace Roseau, Avignon, à 10h45.
«  Confessions » mis en scène par Sangbong Park,au Théâtre des Halles, Avignon, à 14h.