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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Peut-on révéler l’esprit critique et créatif du spectateur au Festival Off d’Avignon 2013?

Pour la troisième année consécutive, le Festival Off d’Avignon nous confie la mission d’animer les jours pairs, un espace critique et participatif avec les spectateurs. Sylvie Lefrère, Sylvain Saint-Pierre, Bernard Gaurier, Laurent Bourbousson et moi-même vous accueilleront au Village de 11h30 à 13h.

«Les Offinités publiques du Tadorne» seront hors des logiques promotionnelles : nous désirons créer la relation interactive entre publics, artistes et animateurs. La parole des spectateurs sera au centre des débats. Chaque Offinité dessinera des portraits pour révéler l’histoire de chacun avec le festival.

Ces Offinités auront  lieu au chapiteau en bois du village du OFF. C’est un lieu ouvert, circulaire, qui permet une parole libre et fluide. Des banquettes sur les côtés, ou une chaise au milieu, à chacun de choisir sa place et d’en bouger quand il le souhaite.

Tout au long de ces trois semaines de festival, vous pourrez suivre ces rendez-vous à partir de la page Facebook du Off, du blog du Tadorne et du groupe «les Offinités des spectateurs».

©Colombe Clier 2013, Exposition Nuage Arles

Deux Offinités auront une démarche particulière :

– Le 11 juillet à 16h : des professionnels de la toute petite enfance feront un retour de leur journée au Off pour révéler, «le grand Off du tout-petit».

Le 12 juillet, nous animerons une Offinité, «La performance des spectateurs». Nous proposerons à un groupe de spectateurs de suivre avec nous un parcours théâtral de 5 à 6 spectacles de midi à minuit. Nous échangerons entre les spectacles, n’hésiterons pas à faire part de nos ressentis aux spectateurs de passage puis relaterons cette journée le 14 juillet à 11h30 au Village du Off.

Le programme :

10 juillet, «Notre ciel d’Avignon» ou comment l’exposition «Nuage» au Musée Réattu d’Arles évoque le spectateur d’Avignon.

11 juillet, 16h, « Le grand off du tout-petit ».

12 juillet de midi à minuit, «Une performance de spectateurs».

14 juillet à 11h30, le retour sur notre performance de spectateurs du 12 juillet

18 juillet,  «Le Off, théâtre monde?», avec la participation d’Amnesty International et des metteurs en scène Catherine Graziani et Julien Bouffier.

20 juillet, «Quelles écritures du réel au Off ? »

22 juillet,«Danse, Théâtre : tous dans le même mouvement !»

24 juillet, «Être spectateur co-producteur : pour quels projets ? » avec les spectateurs et compagnie adeptes du crowdfunding.

26 juillet,  “Merveilleux festival Off ?” avec le chorégraphe Philippe Lafeuille.

28 juillet, «Spectateur, quel programmateur êtes-vous ?» avec la participation de deux spectateurs (Marie-José Mas et Daniel Le-Beuan).

Les Offinités: un rendez-vous à co-construire, à s’approprier pour révéler l’esprit critique et créatif du spectateur.

«Les Offinités du Tadorne» par Pascal Bély et Sylvie Lefrère.
Contact : pascal.bely@free.fr / 06 82 83 94 19
Crédit photo: C. Clier.
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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS FESTIVAL D'AVIGNON LES EXPOSITIONS Marseille Provence 2013 Vidéos

Au Musée Réattu d’Arles, l’exposition «Nuage» dévoile notre ciel d’Avignon.

Arles – Sylvie Lefrère et Pascal Bély

En cette fin de printemps, les nuages sont une fois de plus de sortie, mais qu’importe…nous avons rendez-vous au Musée Réattu d’Arles pour  «Nuage», l’une des expositions phares de Marseille Provence 2013. Elle est notre point de ralliement pour finaliser notre projet d’Offinités Publiques, où spectateurs, lecteurs et contributeurs du blog «Le Tadorne» créeront les jours pairs au Festival Off d’Avignon, un espace critique ouvert et vivant. En entrant dans le Musée, nous ignorons encore que nous y resterons la journée…

Au commencement, nous contemplons longuement l’œuvre de Jaume Plensa installée dans la cour du Musée où un amalgame de signes construit de la matière d’où la poésie émerge. L’universalité prend corps dans la transparence. L’écriture d’Asie, les chiffres d’Égypte, la calligraphie arabe se mêlent et nous donne le canevas de la communication ouverte. Notre regard se met en dynamique: d’une vue globale, il s’affine dans des trouées.

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De ces puits de lumière, il éclaire notre vision et les points cardinaux changent de repères. «Nuage» nous projettera donc dans un univers de langages qui traversera nos corps et nous donnera l’assise qui autorise toutes les pensées, pourvu qu’elles ouvrent, relient les mots et poétisent nos liens. « Nuage IV » de Jaume Plensa est l’œuvre qui métaphorise notre projet pour Avignon.

Nous avons finalement investi le lieu pendant plus de cinq heures : debout pour arpenter les 26 salles ; assis sur la moquette nuageuse pour réfléchir et écrire entourés des corps célestes d’Inigo Manglano-Ocalle (deux «peintures» reproduisant l’ADN d’un couple); couchés dans des coussins en forme de galets de l’installation de Céleste Boursier-Mougenot pour regarder autrement le rivage du Rhône, projeté sur les murs, comme une ouverture vers de nouvelles perspectives.

En nous installant dans le musée, nous avons osé sortir du cadre (celui où le visiteur passe de salle en salle sans se (re)poser pour élaborer) à l’image de la troublante œuvre de Corinne Mercadier (“Black Screen Drawing”). Notre cheminement dans ce lieu nous a donné la vision des liens que nous souhaitons instaurer avec les spectateurs d’Avignon. N’est-ce pas là, une des fonctions de l’art ?

Aujourd’hui, nos systèmes déconnectent le sens de l’action. En nous invitant à donner un grand coup de masse dans les deux  gongs de Matter/Spirit de Jaume Plensa, celui de l’esprit et l’autre de la matière, nous ressentons les vibrations de la co-construction qui les rapprochent, en transversalité, du bas vers le haut, de la terre vers le ciel.  Fatigués par la lourdeur d’une profonde crise de la pensée, nous aspirons à la légèreté des Tranches de nuage de Jean Arp où le poids se confronte à l’air, où le minéral solide s’oppose au gaz pour créer une nouvelle matière vivante à l’image du Nuage prenant racine de Christian Rothacher

Telle sera notre finalité à Avignon: nous ferons sonner les gongs au commencement de chaque offinité pour relier l’esprit du spectateur à la matière foisonnante du Festival Off (plus de 1200 spectacles !).

En se laissant porter par les vents, la condensation des gouttelettes d’eau se réunit et fabrique les nuages . Le ciel se dessine grâce à leurs  fragments qui se forment, se deforment. Des vents nouveaux réorganisent la composition du ciel. Le temps se métamorphose, du singulier au collectif. L’évaporation des plus petits bâtit de nouveaux horizons. Éphémère phénomène météo qui façonne le paysage, dégage de la vision où les ombres sur la terre laissent passer les rayons du soleil à l’image des photographies envoutantes d’Edward Weston (Dunes). Lors des Offinités, nous créerons les nuages à partir des paroles parsemées qui, par l’effet du collectif réuni, formeront un paysage d’ombres et de lumières.

Le cheminement proposé par la commissaire Michèle Moutashar nous emmène à notre insu vers de nouveaux territoires à l’image de la  La machine à Poèmes de Marcel Broodthaers où l’ imaginaire spirituel se relie avec le réel et lui donne une force clairvoyante. Le promenoir à nuages de Françoise Coutant nous propulse encore plus loin dans ce désir de s’affranchir de la mécanique pour la poétiser. Pour nos offinités, nous aspirons à introduire le regard poétique dans un espace public et ouvert : les spectateurs critiques disposeront de promenoirs…Ainsi, le ciel et la terre se reflètent comme dans un miroir. Du figé apparaît le mouvement et nos échelles de valeurs nous élève vers l’utopie symbolisée par Le Cloud Cleaner de Robert et Shana ParkeHarrison. Nos offinités nourriront l’utopie de Jean Vilar pour qui « le public est l’artisan de son théâtre ».

Au fur et à  mesure,  l’exposition nous donne de l’énergie, et de notre projet apparait l’œuvre de Michael Sailstorfer, «Cumulus». Nous contemplons  la rotation de la matière actionnée par la machine qui, peu à peu, dévoile sa poésie, entre mère et ciel, liens et formes, projet et sens. Notre ciel d’Avignon se dévoile, parsemés de spectateurs-nuages, fruit de la condensation de nos sensibilités croisées, pour des écrits-paysages qui seront publiés quotidiennement sur le blog.

La journée s’achève sous le soleil. Ce musée est un lieu d’art où se relient les projets…un lieu de rencontres, sans éducation, où l’on se nourrit d’interactions et de convivialité. Nos offinités publiques seront nuage, car l’art est brume.

Sylvie Lefrère et Pascal BélyTadornes.

Crédit photo: Gazull.
" Nuage" au musée Reattu à Arles du 16 mai au 31 octobre 2013
"Les offinités publiques du Tadorne" au Village du Off du Festival d'Avignon, de 11h30 à 13h, les jours pairs du 8 au 30 juillet 2013.
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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES L'IMAGINAIRE AU POUVOIR Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

J’me fais mon cinéma.

Est-il possible que le cinéma puisse émerger du théâtre ? Depuis trop longtemps, j’ai subi l’image sur un plateau où la vidéo est venue se plaquer pour remplir le vide d’un propos égaré. Trop souvent, le numérique s’est imposé pour que je lâche le théâtre au profit d’effets spéciaux très spécieux. La liste serait trop longue à dérouler de tous ces spectacles dits hybrides qui ont noyé le sens dans la forme. Il est d’ailleurs troublant de constater que ce mouvement «moderne» se prolonge aujourd’hui à Marseille où une Scène Nationale nous propose des ballades sonores, de dormir au théâtre (si, si), où le « Off » de Marseille Provence 2013, installe un campement…Dans un article pour le Monde, le philosophe Alain Badiou écrivait: «Les modernes eux-mêmes ont énoncé que tout art authentique devait en finir avec la représentation, se tenir au plus près du dynamisme vital dont les corps sont porteurs et abolir la funeste distance entre acteurs et public, scène et salle, afin de fonder un collectif festif où tous auront indistinctement leur place active. L’idée fait ainsi son chemin d’un “théâtre” sans aucune théâtralité, d’un théâtre qui abolit le théâtre. Religion contemporaine, peut-être, que ce désir éperdu de se confondre avec le réel nu de corps que rien ne représente, et qui ne représentent rien.»


Mais fort heureusement, des artistes pensent le théâtre comme un art global. Il me revient en mémoire le spectacle éblouissant de l’Allemande Katie Mitchell au Festival d’Avignon en 2011 où «Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg fut d’une telle virtuosité qu’elle m’avait permis d’être l’auteur de mon cinéma théâtral ! Le film s’élaborait en direct, sans montage, car le théâtre ordonnait tout ! Toute la machinerie n’était qu’au service de la poésie pour entendre et comprendre la douleur de Christine.


L’an dernier, toujours au Festival d’Avignon,  Markus Öhrn  dans «Conte d’amour» avait osé la vidéo pour projeter l’horreur qui se déroulait dans la cave où Joseph Fritzl séquestra pendant vingt-quatre ans sa fille Élisabeth et trois des enfants nés des différents viols incestueux. Comment transposer une telle horreur au théâtre si ce n’est en «déréglant» le système de la représentation? Pour que cela soit suffisamment mis à distance pour nous toucher, Markus Öhrn n’avait pas le choix: la cave, floutée par une bâche de plastique, était la scène où le cinéma se fondait dans le théâtre pour rendre compte de la violence de cet amour (et de la créativité qu’il génère pour le bourreau et les victimes). Sans ce cinéma d’art et d’essai, point de théâtre de corps, d’objets, de marionnettes et de refrains musicaux.

Récemment, l’image a surgi du théâtre sans aucun artifice technologie particulier (si ce n’est un ordinateur qui explose à la fin, un congélateur qui se déplace en fonction des vibrations de son moteur déréglé !).  C’était au dernier Festival des Arts de Bruxelles. Le metteur en scène Belge Claude Schmitz y présentait «Mélanie Daniels», protagoniste du film d’Alfred Hitchcock, «Les oiseaux», incarnée à l’époque par Tippi Hedren. Ici, il ne s’agit pas de transposer au théâtre ce chef d’œuvre cinématographique, mais de vivre le processus de création d’une improbable suite où émerge, à la fin du spectacle, l’Image, celle produite par le théâtre et co réalisée par l’inconscient groupal d’une salle de spectateurs attentive, rieuse et sidérée.

Il faut imaginer une équipe de tournage à l’œuvre, mais désœuvrée, parce que rien ne va: le metteur en scène est en panne d’inspiration, l’attachée de production se détache trop, le technicien du son subit le goutte à goutte d’une fuite d’eau. Pendant de longues minutes, j’erre avec eux, ne sachant plus très bien à qui et à quoi me raccrocher. Tous régressent, à l’image de leur goût immodéré du freeze que l’on puise dans un congélateur, métaphore d’une malle à jouets pour adolescents dépressifs. À cet instant, la création théâtrale est embourbée dans une vision mélancolique du monde (autocentrée et infantile) prisonnière de ses pulsions de contrôle: comment ne pas penser à cette génération d’artistes qui, n’ayant rien à dire, occupe le théâtre plutôt que de s’occuper du théâtre…Ainsi, Claude Schmitz ose décrire le processus par lequel la création s’enlise (lire à ce sujet, un article écrit lors du dernier Festival d’Avignon: l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français). Mais parce que tout est complexe, il ne lâche rien, nous propose une autre image, celle qui s’élabore, presque à notre insu: le premier niveau narratif peut bien s’effondrer (au sens propre!), le second, celui où l’art émerge, apparaît peu à peu: les corps lâchent, l’esprit vagabonde pour se perdre dans la vision burlesque de Chaplin, le bruit du vol des oiseaux nous surprend par derrière (comme un rêve éveillé), la figure mythique de l’actrice Tippi Hedren erre, rode…

Le théâtre se fond lentement dans l’univers d’Hitchcock, de la profondeur horizontale du plateau vers ces fenêtres en fond de scène où je projette mes désirs. C’est drôle et grave comme si le sens n’était pas seulement dans l’histoire d’un collectif qui peine à filmer, mais ailleurs, dans ce cheminement où le théâtre nous guide vers le cinéma, où il est l’art de l’art. Peu à peu, l’œuvre d’Hitchcock se prolonge: Claude Schmitz ne propose aucune suite, mais la relie dans un nouvel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se “fabrique pas”, mais où l’Image est une émergence d’un traveling théâtral.  La dernière scène me plonge dans une mise en abime, dans un océan de beauté, où je m’émancipe de la narration, où l’art de Claude Schmitz m’aide à ressentir ce lien si particulier à la scène.

À cet instant précis, alors que le public lui fait un triomphe, cet homme me réconcilie avec la modernité où n’est image, que théâtre.

Pascal Bély – Le Tadorne

Mais encore…

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Toujours au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ; toujours au sujet du cinéma. L’œuvre théâtrale de Mariano Pensotti, «Cineastas», sera présentée au prochain Festival d’Automne à Paris. Ici, le théâtre et le cinéma cohabitent dans un même espace vertical. Au premier étage, le tournage…au rez-de-chaussée, la dramaturgie de la vie de l’auteur. Il faut imaginer quatre cinéastes argentins, qui ne se croisent jamais, où le spectateur est positionné comme témoin de la genèse de leur film…où leur intimité se joue au rez-de-chaussée tandis que le film s’élabore au premier étage. Ainsi, chaque acteur passe du rôle de cinéaste à celui d’acteur d’un autre film sans aucune rupture de temps!

Le scénario cinématographique de chacun se métamorphose à mesure que le théâtre met en scène la complexité du rapport entre leur visée d’artiste et l’intimité de leur vision. Le cinéma est alors objet d’analyse (ou objet de l’Analyse…) et nous permet de nous projeter à deux niveaux en même temps : la narration et l’écriture de l’histoire entre le cinéma et le théâtre. Ainsi, le spectateur est en permanence sollicité pour faire les liens entre ces quatre «mises en scène», le contexte historique (celui de l’Argentine, de la Russie, …) et le processus par lequel l’image nait du théâtre. C’est palpitant, enivrant et enthousiasmant de constater que la scène est décidément l’un des rares espaces où se pense et s’élabore la complexité.

Crédit photo: © Jorge Macchi

Plus loin encore…

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C’est à Marseille. Dans le cadre des propositions de la capitale culturelle. Je suis pris dans les embouteillages. Soudain, le quartier de la Belle de Mai se révèle. À l’approche d’une école, sur les murs, deux pans photographiques se dévoilent. Un groupe d’enfants entre dans le même mouvement à soixante années d’écart. C’est subjuguant. Mais je n’ai encore rien vu. Sur le toit panorama de la Friche Belle de Mai, je découvre le travail du photographe JR en plusieurs dimensions. Il a séjourné dans le quartier pour révéler sa mémoire, à partir de groupes d’enfants photographiés à des époques différentes. Les murs opèrent le dialogue. La mémoire du dedans des appartements semble surgir vers l’extérieur, vers nous. L’histoire dessine une nouvelle architecture du quartier pour une modernité qui relie les générations. C’est fascinant. JR  photographie le peuple et le propulse sur la scène pour une urbanité poétique. L’Image surgit à l’articulation de la photographie d’art, de la mémoire collective et de notre destin commun. Chapeau l’artiste.

 Crédit photo: © wonder brunette