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Mai 2005-Mai 2010, «www.festivalier.net» a cinq ans : qui sont les artistes « Tadorne » ?

Depuis cinq ans, avec plus de 700 oeuvres vues, le spectateur Tadorne  a eu le temps de nouer des liens avec les créateurs, formant la toile qui soutient cette démarche particulière d’un spectateur en « travail». Certains en comprennent le sens, observant avec bienveillance cette émergence qui les positionne dans un rapport différent à la critique. Comment créer une relation ouverte avec un spectateur qui n’est pas un « acteur culturel », dont la parole est « reportée » par les moteurs de recherches de l’internet, et dont le lien à la culture va au-delà de ce qu’il voit sur scène ? Pour le Tadorne, écrire bouleverse ses représentations du lien à l’artiste : d’une position haute ou basse, il apprend la relation horizontale, fraternelle pour s’inclure dans un processus.

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Avec le chorégraphe Michel Kelemenis , ce lien est en dynamique depuis les «Aphorismes géométriques », oeuvre qui a changé son approche du mouvement dansé. En écrivant à partir de son ressenti, le Tadorne est entré dans la danse! En 2008, Michel Kelemenis prend l’initiative de l’inviter pour être membre du jury d’un concours organisé par l’ADAMI à Marseille. Pour la première fois, le Tadorne communique à égalité avec des « spécialistes ». Michel Kelemenis poursuit ce travail de mise en « mouvement » avec ce spectateur « atypique » : trois mois plus tard, il accepte sa demande d’assister aux répétitions. Au-delà d’une médiation classique qui consiste à présenter une étape de travail, cette ouverture dans le temps (elle a duré une dizaine de jours)  permet au spectateur Tadorne d’élargir son regard sur l’oeuvre, de relier le travail du chorégraphe à d’autres métiers de l’humain (professionnels du lien social, formateur, thérapeutes, animateur d’équipe,…),  et d’imaginer toutes les articulations possibles entre son travail et celui d’un artiste ! Le spectateur Tadorne finit donc par s’interroger : pourquoi n’intègre-t-on pas dans la formation initiale et continue des acteurs qui travaillent dans le champ de la complexité, d’assister à un processus de création artistique, et qui les aiderait à faire face aux défis des crises systémiques, où tout est lié ? Comment rendre visibles ces processus au moment où l’État baisse ses financements sur le “résultat” ? Comment accompagner les artistes à ouvrir ce qu’ils protègent (parfois à juste titre) ?

Ces questionnements trouvent un prolongement avec Pierre-Jérôme Adjedj. Ce jeune metteur en scène, rencontré grâce au réseau social Facebook, m’invite en novembre 2009 à suivre sa résidence de création d’« Initial Sarah Stadt » à la Ferme du Buisson près de Paris. L’expérience est troublante, car la présence du Tadorne interagit avec le processus sans que l’on puisse encore savoir exactement où. De retour à Aix en Provence, le Tadorne n’en dort quasiment plus ! Il a observé ce qu’il n’aurait pas dû voir, « la chose » comme lui renverrait sûrement la psychanalyse. Quelques semaines plus tard, cette ouverture permet au Tadorne d’écrire sur « le blogueur hybride  tandis que Pierre-Jérôme Adjedj lui envoie un article troublant : « Le chemin de la création est-il condamné à être un temps préalable au temps des spectateurs ?…En d’autres termes, formulons une proposition : supposons que le temps de la création devienne un temps partagé… Au paradigme du chemin parcouru jusqu’au public se substituerait la possibilité d’un temps immédiat, correspondant à un espace ouvert. Un espace public? D’entrée, balayons le soupçon démagogique : il ne s’agit pas de (faire) croire que le spectateur entre dans le rôle du comédien, du metteur en scène, ou de tout autre membre de l’équipe. Ce à quoi j’aimerais l’inviter, c’est à entrer en lui-même, entrer dans son rôle étymologique d’observateur, à donner à ce rôle de spectateur un poids, une importance, une noblesse à même de peser sourdement sur la création en cours. On ne demande pas au spectateur de voter pour décider de la fin ; on ne lui demande d’ailleurs rien ; on intègre simplement sa présence. La présence : on en parle volontiers pour louer le charisme d’un acteur. Et si l’on louait la présence des spectateurs (ça changerait des stratégies fourbes pour l’acheter, aux seules fins de faire briller le sacro-saint taux de remplissage) ?… Un spectacle vivant, dans la mesure où il cherche à échapper aux formats et recettes en vigueur, donne à voir tout au long d’un processus de création lui-même composé de multiples processus enchevêtrés. C’est au coeur même de la fragilité de ces processus que le spectateur peut tout à la fois puiser une matière inédite, intime, et apporter en retour la participation de son regard. Inévitablement, la forme de l’objet fini portera les traces de ces regards successifs… ». À ce jour, un homme de théâtre et de danse sont artistes « Tadorne », liés « comme si » nos projets étaient interdépendants.

Christiane Véricel ne tardera pas à les rejoindre. Auteuse et metteuse en scène, elle travaille avec des enfants acteurs et des comédiens adultes sur tout le continent européen. Toujours grâce à Facebook, nous nous sommes rencontrés à Lyon, pour faire connaissance. Puis sa dernière création, « « Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable », a dévoré le Tadorne. Notre rencontre est inévitable. Son projet européen s’appuie sur le collectif, le maillage et promeut des valeurs universelles. Le spectateur Tadorne a beaucoup à apprendre de cette compagnie qui incarne un modèle de développement de la culture à partir du lien social.

Il y a bien sûr d’autres artistes qui sont fortement liés au Tadorne. Le metteur en scène David Bobée est toujours fidèle à la démarche et commente les articles critiques que nous écrivons sur lui. Des liens de confiance se sont noués avec d’autres et le Tadorne suit leur projet : la Vouivre, Robin Decourcy, Sofia Fitas, Renaud Cojo, Patrick Servius, Patricia Allio, Gilles Groppo, Anne Lopez, Nicolas Mathis, Christian Ubl. Mention toute spéciale au chorégraphe Philippe Lafeuille qui encourage et affectionne. On n’oublie pas Pascal Rambert à qui le Tadorne doit sa plus grande colère de spectateur tout en s’intéressant à la façon dont il ouvre le Théâtre de Gennevilliers au public.

Le Tadorne croise souvent le regard bienveillant d’Hubert Colas et cela fait du bien. Tout comme le merci chaleureux d’Olivier Dubois pour l’avoir soutenu dans sa création en Avignon. Il y aura toujours Jérôme Bel pour l’étincelle.

Et puis, Maguy Marin, qui nous offre un théâtre n é de la danse. Sa détermination n’a pas fini de faire voler le Tadorne.

Pascal Bély– www.festivalier.net