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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

A Montpellier Danse, Akram Khan fait l’éloge de la mixité.

Regards croisés sur la dernière création d’Akram Khan, “Bahok”, jouée à Montpellier Danse 2008. Par Diane Fonsegrive et Laurent Bourbousson.
Qui n’a pas rêvé un jour d’exotisme et d’ailleurs lointains, où l’imagination porte à croire au merveilleux. Et si cette dimension nous était proche, tellement proche que nous la croisons tous les jours. C’est ce que semble nous dire Akram Khan, dans son dernier spectacle, “Bahok“, où huit danseurs vont se rencontrer dans un aéroport, lieu le plus neutre au monde. L’attente s’allonge comme par magie ; le temps se suspend pour mieux ôter le rythme de vie. On se parle longuement sur le plateau. On théâtralise l’échange. D’où viens-tu ? Là bas mes racines déterminent ce que je suis ici. Et le mouvement opère. Précis. Dansé. Ancré par une puissance des êtres, et une impulsion au sol. Une communion jaillit de l’ensemble. J’étais pourtant assise au premier balcon et j’ai vu cette étonnante chorégraphie avec tout mon corps, toute mon identité. Et la poésie des gestes s’unit à la parole, en une réalité simple. Ensemble. On assiste à une valse de communication humaine, où tous les Goffman et autres trouveraient une pratique appliquée à leur théorie avancée dans les années 60. Mixité.
Une fois de plus Akram Khan m’aura enchantée par la qualité du travail, la logique du propos, un lyrisme conté soulignant le moral et l’espoir. Un nouveau pari réussi.
Diane Fonsegrive

L’air est à peine respirable dans la salle de l’opéra-comédie. La fumée épaisse a envahi l’espace. Nous distinguons un panneau d’affichage et prenons place dans ce qui va être notre salle d’embarquement. Partir, cela nous fera du bien.
Pour sa dernière création, Akram Khan, virtuose de la danse Katak et de la danse contemporaine, pose au coeur de son propos la question du métissage, de nos racines.
En convoquant huit danseurs de nationalités différentes, dans une salle d’embarquement pour aller vers, Akram Khan illustre judicieusement son intention.
De la danse à l’unisson, où ils vont apprendre à découvrir l’autre, aux merveilleux duos durant lesquels la mixité éclate au grand jour avec force, “vivre avec l’autre” n’est plus reléguer dans les limbes de notre être, mais retrouve toute sa place dans notre langage.
Le thème universel des racines et de la mixité selon Akram Khan nous offre de belles images, nous amuse. Cependant, je ne cesse de penser au dernier spectacle de Sidi Larbi Cherkaoui
Origine ») lorsque je lis sur le panneau d’affichage : “Earth, Fire, Water, Air“. Cette pensée devient obsession au fil des actions entreprises par les danseurs et me détourne finalement de cette belle histoire humaine.
Néanmoins, Akram Khan réussit là où Sidi Larbi Cherkaoui avait échoué. Il nous offre une vision non égoïste de notre civilisation et nous laisse partir avec l’espoir que nous portons en chacun de nous.
Laurent Bourbousson
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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

A Montpellier Danse, Emmanuel Gat voit (trop) grand.

À la fin de la représentation, le chorégraphe israélien Emanuel Gat, court vers ses danseurs. Ils occupent la moitié de la scène du Corum de Montpellier, avec pour fond, un mur lointain peint en noir. L’immensité du théâtre procure un sentiment étrange : le dépouillement du décor, la jeunesse de ce groupe, confère à l’ensemble un aspect fragile et touchant. D’un autre côté, cet espace a fortement réduit la portée artistique des deux propositions. Erreur de lieu ou soutien du Festival à ce jeune artiste? Découvert en 2006 à Marseille avec «K 626», je savais qu’Emmanuel Gat pouvait étonner. Ce soir, je suis circonspect face à deux créations qui frôlent un certain académisme.

La première semble engourdir le public du Corum plus habitué dans ce lieu à une danse moins conceptuelle. «Silent Ballet » réunit neuf danseurs, sans musique, à peine troublé par une bande-son qui traduit les bruits captés lors des répétitions. Soucieux de nous restituer le processus de création à partir d’une mécanique qui se déroulerait tel un ADN, l’ensemble s’il est plaisant à regarder, est un exercice finalement un peu vain. Le processus se rationalise peu à peu et l’on se questionne sur l’intention: à quoi bon jouer un processus qui revient au final à nous présenter une jolie forme? À mesure que les danseurs occupent l’espace, leurs bruits n’évoquent en rien celui d’un processus qui est par nature chaotique et imprédictible. Or, pas à pas, tout semble prévisible. Même la fin.

À moins qu’elle ne soit le point de départ de la deuxième proposition, «Sixty Four». On y retrouve des mouvements du premier dans un cadre plus restreint où la scène est divisée par une rampe de lumières (métaphore d’une ligne de démarcation ?) mais avec « l’art de la fugue » de Jean-Sébastien Bach comme accompagnement musical. De chaque côté de ce « mur » symbolique, une jeune fille danse pendant que quatre hommes endimanchés l’observent. Si l’ensemble à des difficultés à se déployer dans l’espace, on est parfois touché par cette danse qui s’appuie sur le sol pour s’élever, où quelques mouvements « religieux » s’incrustent pour former une dynamique groupale émouvante. Mais peu à peu, je recherche une métaphore pour transcender cette architecture stylisée et je m’étonne d’être happé par l’immense mur noir en fond de scène. Trop loin, trop à distance, je cherche dans « Sixty Four » ce que j’avais trouvé dans « K 226 », une danse affranchie des formes chorégraphiques européennes. Mais entre temps, notre homme s’est installé à la maison de la danse d’Istres, près de Marseille. Serait-ce l’influence d’un climat où la danse s’institutionnalise quelque peu?

Rendez-vous en avril 2009 où Emmanuel Gat créera une pièce pour le Ballet de l’Opéra National de Paris. Le processus de création de « Silent Ballet » paraît donc inéluctable.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 «Silent Ballet»  et ” Sixty Four” d’Emmanuel Gat ont été joué le 1er juillet 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES

À Montpellier Danse, «Heterotopia» de William Forsythe: le choc.

Comment vous l’écrire? Comment, avec quelques mots, vous rendre compte de ce que William Forsythe nous a fait? Le sait-il? Comment vous expliquer mes douleurs abdominales, mes larmes contenues, mon épuisement physique à l’issue d’«Heterotopia»? Qui peut se douter qu’à l’intérieur du Corum de Montpellier, sur le grand plateau, deux cents spectateurs vivent peut-être l’un des moments les plus exceptionnels de leur vie? Qui sommes-nous à déambuler, à passer d’un espace à l’autre, à nous coucher à terre, à nous asseoir en fond de scène pour observer un, deux ou la totalité de ces seize danseurs d’exception? Que recherchons-nous dans ce premier espace composé de tables métalliques, rassemblées ou disjointes d’où émergent des corps coupés, entiers, tandis que d’autres s’entrelacent en dessous? À quoi pensons-nous lorsque nous changeons d’espace pour découvrir derrière le rideau, un cadre plus habituel, celui d’une scène de théâtre, où les sons d’à côté guident la danse jusqu’à se fondre dans les corps? Avec William Forsythe, l’humanité dans toute sa complexité reprend ses droits : l’homme ne se tient plus droit sur ses pattes, il retrouve sa part d’animalité (ici un mouton, là un cri de corbeau ou le sifflet du moineau). Il crie, éructe, menace, pleure, aime. Il apprend, répète, essaie, recommence. Il joue avec les mots, les vrais, ceux que l’on ne comprend pas rationnellement, mais qu’on entend dans leur aperception primaire. Avec Forsythe, le déconditionnement linguistique, la communication du sens ont une danse.

Je n’ai jamais approché la danse d’aussi près parce qu’«Heterotopia» est un espace résonant, où une partie de notre réalité psychique (mais laquelle ?) aurait trouvé sa traduction corporelle. Tous ces bruits sont notre vacarme intérieur; tous ces mouvements, sont nos articulations disjointes, celles-là mêmes qui nous font souffrir. «Heterotopia» est un espace où notre place habituelle de spectateur disparaît: pour voir, bouger ; pour comprendre un mouvement, l’inclure dans plusieurs systèmes de représentation ; pour éprouver la danse, se désarticuler ; pour en être conscient, laisser l’inconscient submerger ses perceptions.

Il y a un avant et un après «Heterotopia». J’ai fait tout ce chemin de spectateur pour en arriver là, sur la scène du Corum, à me coucher à terre pour les approcher, les ressentir, pour les regarder en face sans jamais baisser les yeux. Peut-on continuer à parler de danse contemporaine après cela ? «Heterotopia» sonne comme le nouveau territoire de la danse post-moderne.

Il faut tout le panache d’un grand festival, toute la vision de son directeur pour avoir osé nous faire vivre un tel déconditionnement. À l’heure où selon le philosophe Bernard Stiegler, les artistes « participent de moins en moins à l’avenir de ce pays » qu’il sache qu’un homme a tenté le tout pour le tout : celui de « réenchanter » la danse.

Pascal Bély- www.festivalier.net

« Heterotopia» de William Forsythe a été joué le 28 juin 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.