Cela ne peut continuer ainsi. Il est temps pour le Festival de Marseille d’arrêter la gabegie et de passer à autre chose. Chronique d’une mort annoncée pour renaître autrement…« Zeitung », chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker, est au programme de ce dimanche soir. Cette année, le festival nous donne rendez-vous au Hangard J 15 du Port Autonome, inaccessible en voiture! Deux possibilités pour s’y rendre : le bus ou le bateau. Métaphore d’une divagation possible entre terre et mer, je me prête à l’exercice, comptant sur cet espace pour lâcher-prise et découvrir peut-être un nouveau champ artistique.
19h30. Le bateau amarré au Vieux-Port embarque les passagers – spectateurs. Quarante minutes d’une traversée qui symbolise l’intention de ce festival, son rapport à la ville et son projet politique. À peine avons-nous quitté notre port d’attache, qu’un homme au micro évoque le passé du Vieux-Port, le présent et le futur du Port Autonome de Marseille, inscrit dans l’ensemble « Euroméditérannée ». Il n’en faudrait pas beaucoup pour que l’on salue le bilan de Jean-Claude Gaudin.
Arrivé à quai, je m’étonne : des transats, des tapis posés à terre et des barrières pour délimiter l’espace, vigile en embuscade. Avec des amis, nous prenons notre pique-nique. Je suis stupéfait d’être parqué ainsi. J’y vois une métaphore : une fois de plus, le public est déconnecté de la ville. Je suis dans une réserve d’Indiens et le projet culturel de Sarkozy trouve ici sa traduction : marginaliser, isoler les amateurs d’art, réduire leur possibilité d’interactions pour progressivement réserver le spectacle vivant à une élite de « bobos ».
Mais ce n’est rien à côté de ce qui nous attend à l’intérieur du hangar : c’est un déluge de communication à la gloire du Port Autonome de Marseille (qui doit bien avoir besoin de redorer son blason alors qu’il perd chaque année sa place dans le palmarès des ports européens). L’aménagement a coûté manifestement de l’argent pour au final donner des conditions d’accueil inacceptables pour les artistes et le public. Plus de 35° à l’intérieur, bruits métalliques incessants, public indiscipliné. L’espace est inapproprié : doit-on une fois encore rappeler à Apolline Quintrand, directrice du Festival, que la danse est un art fragile. Qu’importe. Chaque année, elle reproduit le même schéma : c’est la communication d’entreprise qui impose la relation entre l’oeuvre, son environnement et le public. Celui-ci de plus en plus indiscipliné consomme de la culture (après tout, c’est le seul positionnement qui lui est proposé). L’art n’est qu’un faire-valoir pour promouvoir un micro territoire et des intérêts exclusivement économiques. Je n’ai quasiment rien vu de « Zeitung », écrasé par la chaleur, dérangé constamment par le bruit, démoralisé par tant d’irrespect. Quelques jours plus tard, le même scénario se répète : le public est convoqué à l’autre bout de la ville au Théâtre Nono (à une heure du centre). Le spectacle prévu à 22h, commence avec 30 minutes de retard pour attendre le public pris dans les bouchons !
Mais je devine la suite pour 2009: Apoline Quintrand nous baladera à nouveau pour en rajouter sur le « sens » caché de ces vagabondages et regretter les espaces passés qu’elle a elle-même imposés. Sauf que cette fois-ci, cela se fera sans moi. À moins qu’une nouvelle direction soit donnée à ce festival.
Treize années après sa création, il n’a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d’une approche bourgeoise de l’art, il suit le mouvement plus qu’il ne le précède.
Le Festival pourrait être un outil de maillage entre toutes les structures culturelles de la ville : créer de nouvelles reliances entre les acteurs professionnels et le public (faciliter des liens plus transversaux), promouvoir de jeunes talents locaux, diminuer les charges de fonctionnement (en diffusant les spectacles dans les salles déjà existantes) et accompagner des formes artistiques pour investir dans l’économie de l’intelligence. Faire en sorte que la programmation ne soit plus aux mains d’une seule équipe monolithique dans ses origines sociales, mais une co-construction entre plusieurs partenaires issus des quartiers de la ville. L’idée est de doter Marseille d’un Festival qui relie les territoires plutôt que de les isoler à partir d’oeuvres artistiques qui travaillent le lien entre couches sociales. Cela préparerait Marseille à affronter les défis majeurs de la globalisation. Tout un programme pour être à la hauteur en 2013 dans le cas où Marseille serait capitale européenne de la culture.
Si rien n’est fait, le Festival disparaîtra de lui-même, faute d’un projet global. Les valeurs marchandes qu’il promeut l’isoleront dans la sphère de la communication d’entreprise qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais produit du sens et éclairé la société.
La parole est maintenant aux artistes qui, pour reprendre les propos du philosophe Bernard Stiegler dans la revue Mouvement, doivent « participer à l’avenir du pays» :
«Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au coeur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. »
Pascal Bély – www.festivalier.net