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EN COURS DE REFORMATAGE

D’Aix à Montpellier Danse, le souffle glacial de l’eldorado des Ballets Preljocaj.

Les Ballets Preljocaj ne manquent pas de courage : à vouloir présenter trois créations d'époques différentes la même soirée (1995, 1998 et 2007, pour “Eldorado”), le spectateur risque de chercher la cohérence, de repérer les évolutions. D'autant plus que ces trois ?uvres clôturent leur première année au c?ur du Centre Chorégraphique National, «Le Pavillon Noir ». Cette soirée sonne le bilan d'un Ballet enfermé dans sa tour d'ivoire, acquis à son public aixois qui lui pardonne tout (même la piètre qualité de la saison).

 

Tout débute avec « Annonciation », duo de vingt minutes crée en 1995. L'épisode de l'annonce faite à Marie, célèbre thème sacré de l'iconographie catholique, trouve ici une traduction osée par la confrontation de deux danseuses, de deux mondes, de deux approches du lien. L'une quasiment statufiée rencontre l'autre, ange provocant. Entre elles, l'amour côtoie la haine et ce paradoxe chorégraphie leurs interactions. La rencontre s'avère esthétiquement magnifique, mais la complexité des sentiments humains se perd dans ce contraste et finit par donner une sensation étrange d'enfermement. Dansée comme un rêve tel un ange, cette annonciation m'apparaît trop ancrée dans un réel un peu daté.

C'est un duo masculin qui s'avance pour « Centaures », crée en 1998. Ils sont torses nus et crânes glabres, à mi-chemin du cheval et de l'homme pour quinze minutes de lutte pour le pouvoir. Les formes sont inédites et le regard se perd à vouloir chercher l'homme ou l'animal. Mais les deux danseurs paraissent à côté comme s'ils empruntaient leurs gestes sans les habiter : leurs corps sont parfaits, mais l'émotion est contenue. Belle performance, mais la danse m'habitue généralement à plus d'engagements.

5E.JPG Il faut donc attendre la dernière création d'Angelin Preljocaj (« Eldorado – Sonntags Abschied-) pour donner à cette soirée une cohérence que je ne vais pas tarder à trouver. Ils sont douze danseurs, pris chacun dans la scénographie de l'artiste plasticienne Nicole Tran Ba Vang. La musique de Karlheinz Stockhausen confère à la scène un aspect « sectaire » effroyable alors qu'Angelin Preljocaj y voit la quête « d'un paradis perdu ». Cette scène fermée est l'objet d'agitations, de mouvements vides de sens, d'allers – retours pour l'occuper coûte que coûte. La danse est cruellement pauvre en l'absence de tout lien humain. Tout est symétrique, rationalisé, froid comme une mécanique où rien n'est en lien. Cette danse clive à la fois l'espace et les corps. Elle ne crée jamais le lieu de la rencontre, mais préfère les formes groupales vide de contenu. Les bras brassent pendant que les jambes enjambent. À ces corps désarticulés, s'ajoutent un décor et des costumes d'une telle laideur qu'il doit y avoir un sens caché. Mes voisins semblent pétrifiés devant ce spectacle glacial, prétentieux, qui nous exclut de toute réflexion. On se sent mal à l'aise pour ces danseurs manipulés comme des marionnettes, dans une absence de coordination entre la scénographe et le chorégraphe comme s’ils étaient pris dans une lutte de pouvoir pour s’arroger la paternité de la pièce.
Cet « eldorado » est le Pavillon Noir lui-même : à côté du sens, vide de tout projet artistique, métaphore de tout ce que l'on a pu voir lors de cette saison. Un lieu fermé à la controverse, à la danse qui questionne, à la nouvelle Europe. C'est un « eldorado » soutenu par un public peu regardant, car rarement guidé vers autre chose que son désir d'une danse divertissante.

C'est ainsi que deux ?uvres majeures d'Angelin Preljocaj sont ce soir coulées dans le moule d'un Pavillon, pris en otage par un artiste « institutionnalisé » qui n'a peut-être plus grand-chose à nous dire et qui cherche son « paradis perdu » alors qu'il a déjà tout.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Annonciation” d’Angelin Preljocaj (1995)
?????? “Centaures” d’Angelin Preljocaj (1998)
?????? “Eldorado (Sonntags Abschied)” (création 2007).

Ces trois pièces ont été jouées au Pavillon Noir d’Aix en Provence le 26 mai 2007 et le 23 juin 2007 lors du Festival Montpellier Danse.

Crédit photo: J. C. Carbonne


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A lire mes regards sur les oeuvres proposées au Pavillon Noir au cours de la saison 2006-2007:

?????? “Empty Moves” Angelin Preljocaj
?????? « First Draft / Opus 8 » – Richard Siegal-
?????? “N” – Angelin Preljocaj.
?????? “Les 4 saisons’ – Angelin Preljocaj.Pavillon Noir.
??????Des gens qui dansentJean – Christophe Gallotta – Pavillon Noir.
?????? (« Est-ce que je peux me permettre d'attirer votre attention sur la brièveté de la vie ? » – Philippe Saire.
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« ErsatZtrip »- Christian Ub
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“Noces” – Angelin Preljocaj –
?????? “One more time / Un rêve” – Ballet d’Europe.
?????? “Metapolis II” – Fréderic Flamand.
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Et maintenant il colle son oreille au sol – Thierry Baë
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L’histoire des enfants des voisins d’à côté – Pascal Montrouge
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“Duplex – Josette Baïz