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Raimund Hoghe et Faustin Linyekula jettent leurs cailloux sur Montpellier Danse.

Dans le hall du Théâtre Universitaire Paul Valéry, une spectatrice attend. Elle semble avoir rendez-vous avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe qui, chaque année ici, renverse, bouleverse le public. Je m’approche d’elle ; nous échangeons quelques informations sur la météo locale, et l’environnement du théâtre. Nous abordons la vie culturelle à Montpellier. À ce moment précis, la danse nous sépare : elle la découvre au cours de ce festival. Les mots trébuchent, et l’intimidation la submerge. « Je n’ai pas les mots pour parler de danse » me dit-elle. À quoi lui répondis-je : « Vos mots sont vos ressentis ». Trente années de festival n’y ont rien fait : le discours autour de la danse reste excluant, presque anti démocratique. Mais qui cela intéresse-t-il ? Raimund Hoghe assurément. Nous entrons côte à côte. Nos langages se croisent déjà.
La scène est immense, totalement dépouillée à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé. Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé qu’une vision du monde éloigne. Les feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund  évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. Surtout ne pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ? Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre (ndlr: et si les Centres Chorégraphiques se transformaient pour s’ouvrir?)

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Elle me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Martine, traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse!  Il y a urgence. Un certain Président de Région (Monsieur Frêche), cofinanceur du Festival, a une tout autre idée de la danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

"Sans titre" de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse.
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A Montpellier Danse, Israel Galván : nous surmonterons…

C’est un triomphe. Un tonnerre d’applaudissements. Le public de Montpellier Danse, après s’être lâché dans les plis et replis orgiaques de Blanca Li quelques jours auparavant, reprend ses esprits pour admirer la tête haute et le regard fier, l’immense Israel Galván. On en oublie vite le titre : « El final de este estado de cosas, redux ». Incompréhensible. La feuille de salle précise un peu mieux l’intention: c’est une lecture très personnelle sur le texte biblique de l’Apocalypse, « unique manière de comprendre un texte comme celui-là ». Et puis, une promesse : que la patá, en atteignant des « dimensions stratosphériques », « abattra le monde » et nous aidera à faire face à n’importe quelle catastrophe, n’importe quel chagrin. Cela tombe plutôt bien, notre président est si petit.

Alors, il fait face. À lui-même. À son art. Masqué, il nous offre dès les premières minutes une mise en scène époustouflante. Dans un petit carré de sable, il danse l’essence, les sens. Pureté absolue. Le masque tombe. Tout peut commencer. Soudain, sur un écran vidéo, un extrait de NON, pièce musicale et chorégraphique conçue par le compositeur Zad Moultaka, créée le 2 juin 2006 à Beyrouth à l’occasion du premier anniversaire de l’assassinat de Samir Kassir. Yalda Younes, disciple d’Israel Galván, danse cette résistance à la guerre et à la violence sur la bande son faite à partir du bruit des tirs d’une nuit de guerre.  Le combat est là : la danse coûte que coûte. C’est de nouveau époustouflant. Et qu’importe la qualité de l’image : sur scène, le flou nous éclaire. Alors que le rideau se lève, il poursuit. La scène, montée sur ressorts, fait échapper la poussière. Sous ses pieds, il terrasse. Le pacifisme a sa danse de guerre. Exceptionnel.

J’en tremble.

Vous avez dit danse contemporaine ?

Non, c’est au-delà.

Il ose se travestir. En rouge et noir. Avec de gros seins. Le masculin dans le féminin ; le genre au-delà du sexué. La patá terrasse les clichés. Exceptionnel.

Ines Bacan s’assoit. Une voix, au milieu de tous ces hommes. Sur sa gauche, un ensemble traditionnel andalou ; sur sa droite, un groupe rock, Orthodox, dont les musiciens portent une capuche grise, genre Ku Klux Klan. “Il va falloir y aller” pense-t-il peut-être. Le rock, musique du diable, embarque la voix d’Ines Bacan dans des profondeurs inouïes, puis incarnées dans le corps d’Israel. À ce moment précis, le flamenco électrise. C’est un Nouveau Monde, celui où le rock enrôle. Exceptionnel.

Mais où va-t-il ? Ce n’est pas fini ?

Ma voisine de gauche pleure.

Mon voisin de droite serre la main de son amie.

Et le Corum applaudit. C’est plus fort que tout. C’est notre patá.

Il continue d’affronter les démons, les diables, les Satan. Il s’approche de sa destinée. Dans trente minutes, Angelin Preljocaj prend la relève à l’Opéra de Montpellier avec « le funambule » de Jean Genet. Il tremble aussi. Qui est le funambule de l’un, l’aimant de l’autre ?

C’est alors que le corps d’Israel Galván devient une caisse de résonance, une antichambre de la mort. Il danse et joue avec elle.  Son corps tambourine et se fracasse. L’orchestre est alors une symphonie mortuaire qui finit par l’aspirer. Rideau. Du jamais vu. Dans une heure, Angelin Preljocaj nous fera entendre lui aussi le corps brisé. Entre eux, une onde se propage: le corps est le bruit de l’ambivalence du danseur. Sur un fil.

Mais l’onde de choc est à venir. La dernière scène est un séisme. Nous retenons notre souffle. Des gravats de Beyrouth, Israel bâtit sa cathédrale pour y mourir.

« El final de este estado de cosas, redux » est une oeuvre sacrée

Pascal Bély – Le Tadorne

« El final de este estado de cosas, redux » d'Israel Galván a été joué les 23 et 24 juin 2009 dans le cadre de Montpellier Danse.

photos : Luis Castilla

 

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES FESTIVAL MONTPELLIER DANSE Vidéos

A l’origine, Bouchra Ouizguen.

C’est un choc esthétique et émotionnel. Quatre femmes, assises là, face à vous, viennent subtilement vous chercher pour revisiter la danse contemporaine. Vous voilà presque nu, sans aucune référence sauf celle où tout aurait commencé. Une heure a suffi pour retrouver le lien originel avec l’art le plus fragile qui soit. C’est la renaissance du spectateur tout comme celle de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui ose écrire : « je refais l’apprentissage de la danse : je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre alors qu’à côté de moi d’autres femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté ».  Ces trois femmes qui l’entourent sur scène sont des Aïta, écoutées auprès des hommes de pouvoir, pour leur  poésie, il y a plus d’un siècle. Elles sont aujourd’hui des courtisanes dont les chants et la danse font d’elles des artistes du peuple. Fatima Aït Ben Hmad, Fatima El Hanna et Naïma Sahmoud nous ont littéralement nourries. Le temps d’un festival et bien au delà, elles sont les artistes du peuple de Montpellier Danse.

Avec trois matelas, elles refont le chemin. Du lit où l’on naît, où l’on se cache, au banc où l’on contemple avec sagesse, où l’on se serre les uns contre les autres, car  à plusieurs on est toujours plus fort. Du mur où l’on est cloîtré à celui que l’on abat pour se libérer.

Trois matelas pour accueillir le corps statufié par les codes moraux, religieux et sociaux.

Trois matelas pour éponger la sueur de l’effort que réclame la libéralisation du corps.

Trois matelas pour amortir le choc. Car tout vibre. À commencer par nos barrières de défense qui font un vacarme intérieur parce qu’on a plus l’habitude d’être « touché » ainsi. Tout vibre parce que le don est une danse. Tout vibre parce que leur chant est une caisse de résonance où l’on se lâche avec confiance.

Dans leur jardin des délices, le chant est un corps qui danse.  Dans leur regard, il y a le sein que l’on cherchait, le cri que l’on poussait, le pli dans la peau où l’on se perdait. C’est ainsi que la danse d’aujourd’hui renaît. Une danse où l’on n’a plus peur de l’humain pour lui faire la fête, où l’on puise dans la force de l’art pour se libérer des contraintes morales et esthétiques et non pour en rajouter. Où l’on apprivoise le corps différent pour voir le monde autrement.

« Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen est une danse qui accueille l’homme maladroit. Avec empathie.

La fraternité a dorénavant sa danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

A écouter sur le site de la  Revue Radiophonique A Bout de Souffle , un entretien avec Bouchra Ouizguen.

 "Madame Plaza" de Bouchra Ouizguen a été présenté les 19 et 20 juin 2009 dans le cadre du Festival Montpellier Danse. A voir au Théâtre d'Arles le 20 novembre 2009.

 

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Marie-José Malis: une hirondelle en réponse aux « faucons ».

Il nous reste le théâtre, quoiqu’il arrive.

En quittant le Théâtre Universitaire Antoine Vitez d’Aix en Provence, nous sommes sereins, sûrs d’avoir été respectés, considérés comme des sujets échappés d’une société médiatique et politique qui ne sait plus nous parler sauf à nous abreuvoir de considérations stratégiques et d’incantations à consommer toujours plus. La metteuse en scène Marie-José Malis et sa compagnie « La Llevantina » ont présenté « Le prince de Hombourg » de Heinrich von Kleist dans ce petit théâtre au coeur d’une université en grève. La représentation fera date.

Pourtant, dans la file d’attente, nous sommes quelques-uns à nous inquiéter : « Trois heures ? Allons-nous résister ? ». La durée de l’oeuvre se confronte déjà avec le temps de la société de l’information et de la consommation. Derrière cette inquiétude, s’en cachent d’autres : « Serais-je compétent?», « Suis-je encore en capacité de penser après une journée de travail? », « Le théâtre de texte peut-il encore m’émouvoir dans une société de l’image? ». Je choisis le premier rang.

Les lumières éclairent le plateau, mais aussi les gradins. La sensation d’être dans un « dedans dehors », espace du sujet autonome, est immédiate. Le décor est celui d’une salle des fêtes des années soixante incluant une petite scène de théâtre d’où je distingue sur le fronton les initiales : « RF ». Le théâtre dans le théâtre : cette mise en abyme fait le pari de la complexité. La fête, le divertissement, la patrie, s’incluent dans le  débat philosophique : Marie-José Malis relie ce que notre société clive. Mon inquiétude disparaît.

C’est alors qu’il apparaît, éclairé par une lumière hypnotique. Ce prince (stupéfiant Victor Ponomarev) est un doux rêveur. Il est juste assez rond pour vous envelopper de ses mots d’amour destinés autant au théâtre qu’à sa fiancée Nathalie (troublante Sylvia Etcheto). La couleur de ses yeux cernés propage la tension du poète. Nous sommes en guerre (les Suédois approchent) mais il est ailleurs. Le temps s’étire, les voix caressent et le spectateur poétise. La mise en scène pose un principe : les acteurs n’ont nullement besoin d’hurler pour se faire entendre. Ils incarnent avec brio le corps « institué » pour affirmer le sens (intimidant Didier Sauvegrain dans le rôle du Grand Électeur, impressionnant Claude Lévèque dans la peau du colonel Kottwitz). Le corps « biologique » personnifie l’émotion et sa fragilité diffuse une énergie vitale communicative (inoubliable Hélène Delavault). La guerre est là et notre Prince poète est rappelé à cette réalité. Il doit partir au front, quitter la petite scène de sa vie pour celle de l’Histoire. Alors que le Prince désobéit et provoque l’assaut contre l’ennemi suédois, il gagne la guerre. L’Électeur de Brandebourg le condamne alors à mort pour désobéissance à la loi.

Par un jeu subtil de lumières, Marie-José Malis nous positionne au coeur du débat. Alors que les néons symbolisent le principe absolu de respect des règles qui protège la démocratie, les lumières orangées rappellent la décision intuitive du Prince.

La mise en scène enchevêtre l’ordre et le chaos par une utilisation recherchée de l’espace de la salle des fêtes et de sa petite scène de théâtre. Car il en est ainsi des questions complexes : loin de cliver, Marie-José Malis met en abyme (la force de la loi avec en arrière plan la tragédie du Prince). A l’écart du totalitarisme ambiant de notre société, la fragilité a toute sa place ici. Elle s’entend même alors que résonne la voix d’Anthony and the Johnsons dans “Hope”. Pour affronter ce débat, Marie-José Malis s’appuie sur la force du collectif et donne au jeu des acteurs l’espace pour que le sens ne soit jamais étouffé. Elle offre au spectateur les ressources pour qu’il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l’empêcherait de réfléchir aux enjeux politiques et sociétaux d’un tel dilemme.

Cette troupe nous fait aimer passionnément le théâtre : les comédiens, en incarnant l’humilité, nous libèrent du poids de leur statut et nous permettent d’élaborer notre pensée.  Et l’on s’interroge sur la confusion du dernier acte alors qu’Heinrich von Kleist permet une issue heureuse et où viennent s’immiscer des textes du philosophe Alain Badiou.

On ne résiste décidément pas au chaos sublime de Marie-José Malis. « Yes, we can ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le Prince de Hombourg” par Marie-José Malis a été joué les 3 et 4 avril 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.

A Arles les 7 et 8 avril puis au Forum de Blanc-Ménil les 14, 15 et 16 mai 2009.

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AUTOUR DE MONTPELLIER Vidéos

« Pierre Rigal m’a presser ».

J’ai donc fait l’aller-retour express entre Aix en Provence et Montpellier pour ne rater sous aucun prétexte, la chorégraphie claustrophobe de Pierre Rigal, «Press» . Alors que la crise nous met chaque jour la “pression”, comment la danse peut-elle explorer ce ressenti ? Cet artiste hors du commun, nous a déjà habitués à prospecter des territoires réduits par nos systèmes de représentation.  Avec «Arrêts de jeu», il fit du football une pratique chorégraphique particulièrement étonnante. Avec «Érection», il transforma le passage de la position couchée à la posture debout en un beau mouvement complexe. Ce soir, son espace est celui d’une pièce de quelques mètres carrés, d’une chaise, et d’un bras articulé censé l’éclairer. Il m’évoque les minuscules caméras vidéo qui quadrillent nos villes. Son terrain de jeu ne cesse de se resserrer alors que le plafond descend et remonte, accompagné d’un grondement, tel un «plafond de verre» assommant les bonnes volontés dans les entreprises, les organisations syndicales et politiques.

Les quarante-cinq premières minutes sont de toute beauté. Notre homme tente d’ignorer cet espace qui veut le réduire. Il le transforme en caverne où il semble dessiner des figures rupestres. Son corps se prolonge par ses mains ; il se fond dans la matière. Sa silhouette est une apparition, une image furtive. Il est le danseur qui s’extirpe du corps. Je suis le spectateur qui se projette à travers ses mains. Moment d’autant plus sublime que mon regard pousse les cloisons. Pierre Rigal dépasse la pression matérielle en puisant dans l’immatérialité de l’art. Le propos pourrait paraître évident et pourtant. Il réussit là où tant de chorégraphes échouent : nous inclure pour nous dégager de la pression qui pèse sur le spectateur de danse.

Mais pourquoi ces quinze dernières minutes? Pierre Rigal quitte les parois pour interagir et jouer avec le bras articulé qu’il dévisse du mur. L’homme des cavernes devient l’homme-machine qui finit par se faire engloutir et disparaître. La danse colle à la proposition : la machine prend le pouvoir, s’introduit dans le corps, joue avec les affects. Pierre Rigal semble subir sa démonstration : il ne résiste pas à la pression d’avoir un propos explicatif, presque rationnel pour justifier la pertinence de sa danse.

Je me sens alors dans une posture d’évaluer sa performance physique et d’adhérer à ce consensus mou.

Retour express à la case départ.

Pascal Bély – Le Tadorne.

" Press" de Pierre Rigal a été joué le 24 mars 2009 dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.
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Vertigineuse Nacera Belaza.

 « Un jour, je parlerais moins / jusqu’au jour où je ne parlerais plus »

Alain Bashung n’est plus.

« Le cri », chorégraphie de Nacera Belaza accueille ma profonde tristesse en ce dimanche ensoleillé sur Marseille. Elles sont deux s?urs à danser, à me tendre les bras, pour aller me chercher, là où je suis. Regard embrumé, je fixe leur toute première apparition. La lumière est douce et leurs corps émergent à peine. Elles semblent venir de loin. La Callas chante tandis que la voix sensuelle de Larbi Bestam se fait entendre comme un cantique. Elles sont deux à faire le même geste avec leurs bras et les pieds joints, telle une prière, comme pour forer l’insondable.

Leur danse vient peu à peu et m’approche.

Elles sont deux, l’une pour rassurer, l’autre pour tendre la main.

Elles sont deux, image du double, de forces antagonistes prélude au chaos, de l’art qui surpasse l’artiste.

Elles sont deux pour décupler l’imaginaire du spectateur avec leurs bras, armes du poète.

Elles sont deux tandis qu’une partie de moi est partie avec Bashung.  Il m’a laissé là, en rade : « Gaby, je sens comme un vide ».

Alors, elles s’approchent du bord de scène et la Callas chante la Traviata de Verdi. La voix d’Amy Winehouse s’en mêle. Je ressens le « vertige de l’amour » alors qu’elles s’éloignent en fond de scène, comme si le rock enchevêtré à l’opéra faisait v?u d’éternité.

Avec leurs bras, elles malaxent, « l’argile prend forme / l’homme de demain sera hors norme/ un peu de glaise avant la fournaise/ qui me durcira ».

Avec leurs bras et leurs pieds joints, elles transforment la scène en cathédrale pour la transcender.

Me voilà avec elles, pris de tourbillons, comme si à force de me faire tourner la tête, elles avaient puisé l’inépuisable : je n’en finirais donc jamais d’aimer les artistes.

« Madame rêve ad libitum
Comme si c’était tout comme
Dans les prières
Qui emprisonnent et vous libèrent
 »

Pascal Bély – Le Tadorne

” Le cri” de Nacera Belaza a été joué le 15 mars 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

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Mathilde Monnier et Philippe Katerine remettent le son.

Qui n’a jamais rêvé d’un concert pop – rock, scénarisé comme une pièce de théâtre, avec des danseurs pour décupler la puissance émotionnelle de la musique? La transdisciplinarité en vogue chez certains chorégraphes et metteurs en scène semble laisser de marbre pour l’instant les chanteurs (à l’exception notable de Florent Marchet et Camille). Et pourtant, ce rêve, Mathilde Monnier et le chanteur Philippe Katerine le réalisent d’abord pour Montpellier Danse en 2006 puis pour le Festival d’Avignon en 2008. Ils clôturent ainsi leur tournée et mon périple de festivalier.
« 2008 Vallée » est donc la rencontre de l’univers burlesque, provocateur et politiquement incorrect de Katerine avec la danse exigeante de Mathilde Monnier. En se liant, leur art respectif gagne en hauteur, en créativité. La Cour d’Honneur amplifie la dimension poétique et politique. Le groupe semble pousser les murs, entraînant avec eux des spectateurs peu habitués à être ainsi guidés dans cet espace où le chant danse, où la danse chante. Si l’on rit beaucoup, tous deux portent un regard féroce sur notre société vide de sens jusqu’à l’absurde, mais qui donne à Marine Le Pen une place de choix et au coiffeur Jean-Marie le soin de nous mettre la raie du bon côté.
C’est dans cette terrible alternative que les six danseurs compagnons de fortune de Katerine trouvent des stratégies pour réinventer de nouveaux modes de communication à partir de processus si créatifs que l’on en perd le langage de la rationalité. Mathilde Monnier réussit à contenir les paroles et musiques de Katerine en permettant à ses danseurs les gestes les plus absurdes, tout en étant toujours en phase avec le groupe. Tout le corps est dansant (les cheveux qui traînent à terre, la voix qui déraille, les jambes qui s’emmêlent,…) et métaphorise qu’avec l’univers de Katerine tout est possible, pourvu que le sens ne soit jamais bien loin.

C’est ainsi que ce spectacle véhicule de l’espoir, une énergie contagieuse malgré le chaos et le vide qui engloutissent petit à petit les protagonistes de “2008 Vallée“. C’est une ode à la diversité, à la différence. C’est l’espoir de voir notre époque laisser la place à tant d’autres créations dont nous ne soupçonnons pas encore la portée. « 2008 vallée » finit sur le nouveau monde, celui qu’il nous reste à construire, une fois abandonnés nos «patati et patata » et nos plaintes égocentrées.

À voir le sourire des spectateurs, en observant le visage radieux de Mathilde Monnier, la surprise de Katerine face au triomphe que lui réserve le public d’Avignon, il n’y a pas de doute sur la fonction rassurante et caressante de « 2008 Vallée ».
Beau cadeau pour finir ce festival qui….
Et patati, et patata…


Pascal Bély – www.festivalier.net

 ” 2008 Vallée” de Mathilde Monnier et Philippe Katerine a été joué le 25 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

 

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Avec Philippe Quesne, autant être cool comme un dragon.

Inutile de s’énerver.
Inutile.
Cela ne sert à rien.
Autant rester cool et zen après le naufrage de ce week-end où le Tadorne a perdu sa plume après tant de propositions frôlant l’imposture (Superamas), l’inutile (Emio Greco) et l’enfermement (Benjamin Verdonck, le Théâtre du Radeau).
Cool, zen.
On en remercierait presque Philippe Quesne et sa «Mélancolie des dragons» de nous proposer un spectacle aussi inutile, vain, mais tellement cool.
Alors que le mistral se déchaîne dans le Cloître des Célestins provoquant un bruit infernal (l’enfer est très tendance cette année à Avignon), ils sont sept hommes des cavernes à s’extraire d’une Ax Citroën en panne, au beau milieu d’un paysage enneigé. Le chien, Hermès, sort tranquillement tandis que l’autoradio passe subitement d’AC/DC à la musique du moyen-âge. Isabelle, arrive sur son vélo et propose de les aider. Elle finit dans le moteur et diagnostique un changement de delco. Vive les femmes…
Alors qu’il faut attendre une semaine pour réparer la voiture, nos compagnons d’infortune vont présenter à Isabelle leur prochain spectacle, embryon d’exposition d’art contemporain itinérant, inclut dans un parc d’attraction (dont ils n’ont pas encore trouvé le nom…) où l’air, l’eau, le feu, les bulles de savon et la nature forment une oeuvre globale. Isabelle en a donc la primeur : une générale individuelle en quelque sorte.
Cool, zen.
C’est incroyablement ridicule. Je souris, car c’est poétique («on est finalement tous des artistes en devenir »). Je m’inquiète souvent (« ils n’ont trouvé que cette idée pour démontrer l’absence de propos et de créativité des artistes français en ces temps troublés … »). Je m’endors parfois («respire, détends-toi, tu es au 62e festival d’Avignon»).
Cool, zen.

Et puis…cela commence à bien faire. Où sont Jan Fabre (édition 2005), Olivier DuboisChristophe Haleb ? Que le mistral emporte ces ballons de pacotilles et qu’on dépêche illico le régisseur pour acheter en urgence un delco pour Ax année 90 chez un concessionnaire d’Avignon. Qu’ils libèrent enfin le plateau!
Cool, zen.
J’ai presque envie de pleurer. Je pense à Pippo Delbono. Je me sens mélancolique
Cool, zen.
Mais ils sont si fragiles sur ce plateau. Ils parlent si doucement. Ils ont l’air si improductif dans un pays où le slogan «travailler plus pour gagner plus » va finir par orner les façades des écoles, des théâtres et des entreprises. Ils sont incroyables dans leur processus de création à s’appuyer sur tant d’immatérialité pour nous offrir, là, rien que pour nous, une oeuvre d’art contemporain . Et je comprends qu’il faut se laisser porter, sans chercher le sens caché si ce n’est celui d’une émotion tant contenue depuis deux jours. Ces ballons gonflés emportés par le mistral dans ce paysage enneigé ne sont-ils pas une réponse construite à l’envahissement des jolies formes dans le spectacle vivant (Roméo Castellucci serait-il un peu visé ?)
Cool, zen.
J’applaudis à peine presque plus intéressé par les réactions du public : enthousiasme, circonspection, indifférence polie….
A la sortie, j’entame le débat avec quelques spectateurs. Un jeune homme accompagne Laura (il était peut-être caché dans la malle de l’AX). Il me regarde attentivement, tout en souriant, me dépatouiller avec mes explications un peu fumeuses.
Il me regarde.
Cool, zen.
En les quittant, je chante dans la rue.
Prêt à m’envoler comme un ballon dégonflé.Pascal Bély

"La mélancolie des dragons" de Philippe Quesne a été joué le 20juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon.
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A Chaillot, la réévolution de Wajdi Mouawad.

Harwan se lève du lit, téléphone, se couche, puis écoute de la musique sur son ordinateur. Nous sommes invités dans la chambre d’un étudiant libanais au Canada, plus proche de la cellule que de la cabane. Il tente de finir sa thèse, mais il bute sur la conclusion. Prisonnier d’un savoir qui lui échappe, dépendant d’un directeur qui avance la date de sa soutenance suite au décès d’un étudiant (l’échafaud approche), loyal à l’égard d’un père qui mise tant sur lui, obéissant aux caprices de Robert Lepage (auteur de théâtre canadien, sujet de la thèse), le voilà pris dans un étau : réussir, mourir, changer.

L’acteur et metteur en scène Wajdi Mouawad joue «Seuls » pendant deux heures, en slip avec ses petits bourrelets, et fait exploser son art dans un chaos indescriptible. Ce soir, au Festival d’Avignon, nous assistons à la métamorphose d’un étudiant immigré libanais, d’un metteur en scène montréalais d’adoption, du théâtre français. Rien que ça.

Quoi de plus banal que la vie d’un thésard ou du moins ce que nous en savons ? Mais derrière les apparences, il y a dans le lien entre l’étudiant et la thèse (objet perdu de l’enfance?) un enchevêtrement de signifiants que Wajdi Mouawad restitue avec intelligence et beauté. La tension lors de la première heure est tangible entre Harwan prisonnier de ses loyautés et la vidéo qui le projette contre le mur (au sens propre comme au figuré). Plus souvent allongé que debout, la dynamite du changement se prépare et le public semble plus en arrière de la scène (tel un psychanalyste) que face. Effervescence d’autant plus palpable que la technologie rationaliste montre ses défaillances à l’image de ce téléphone, à terre, omniprésent, tel un cordon ombilical dont on perd le fil à force de s’y enrouler.

Comme les peintres de la Renaissance qui parcouraient l’Europe pour voir le monde autrement, notre étudiant se rend en Russie à la poursuite de Robert Lepage. Mais il déjà reparti aux États-Unis. Enfermé durant une nuit dans une des salles du Musée de l’Hermitage à Saint-Pétersbourg, tout bascule et nous ne l’entendrons plus. La scène se transforme en atelier du peintre, les murs deviennent des parois transparentes où comme l’homme des cavernes, Harwan redessine avec ses mains son identité, se réapproprie sa langue, se débarrasse de l’accessoire pour retrouver le sens en créant l’espace freudien de l’introspection. Pour renaître.
Le public est alors projetté dans l’impensable : Harwan déchire une reproduction du Retour du fils prodigue de Rembrandt, pour s’y engouffrer et réapparaître avec une nouvelle peau (son corps est immaculé de peinture). Il est « ?uvre d’art ». Encore la Renaissance…
À quelques mois d’intervales, le théâtre m’a inclut dans l’obscurité féroce de Pippo Delbono et dans la fresque lumineuse de Wajdi Mouawad. Ces deux artistes créent l’espace de l’imaginaire où le spectateur est propulsé dans un chaos qui sépare et répare.
Sublime.
« Seuls » de Wadji Mouawad est au pluriel.

Pascal Bély – Tadorne

 "Seuls" de Wajdi Mouawad a été joué au Théâtre d'Arles le 15 mars 2008 et au Festival d'Avignon du 19 au 22 juillet 2008.
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Au Festival d’Avignon, la parole d’Ingrid dans « Ordet » par Arthur Nauzyciel.

Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la religion a fait une entrée fracassante dans la sphère publique, politique et géopolitique. Ingrid Bétancourt alimente, sans le vouloir, la fragilité de notre société laïque en faisant l’apologie, à chaque interview, de son catholicisme. Dans ce contexte, « Ordet » (la parole) écrit par le pasteur Kaj Munk, mise en scène par Arthur Nauzyciel et traduite par Marie Darrieussecq, résonne tout particulièrement. Une ?uvre sur les croyants et leur rapport à Dieu qui tombe décidément mal. À moins que le théâtre fasse des miracles alors que je me sens saturé de religiosité. Je peux compter sur Arthur Nauzyciel qui déclare dans le document distribué à l’entrée du Cloître des Carmes : « Il serait réducteur de ne voir là qu’une pièce sur la religion. Elle ne nous interroge pas uniquement dans notre rapport à Dieu. Mais sur le doute, sur le désir ou la nécessité de croire. C’est intéressant aujourd’hui, alors qu’on amalgame « laïcité » et « athéisme », ou « religieux » et « intégriste ». Dire « je suis croyant » suffit pour être soupçonné de fondamentalisme. On confond la spiritualité et le dogme. On a peur d’aborder ces questions. Ce qui m’intéresse, c’est comment vivre ». Avec ces quelques mots, Arthur Nauzyciel aide à ne pas réduire. Homme éclaireur, sa mise en scène est éclairante, éblouissante.
Le décor frappe d’entrée : planches noires brillantes (on dirait le sol d’un duplex chic), structure métallique tranchante (est-ce un morceau de glace, un abri, une église?), immense tenture représentant un paysage de Fjords. Cette modernité contraste avec le contexte de l’époque (la pièce a été écrite en 1925 puis reprise au cinéma en 1954 par Carl Theodor Dreye). L’espace quasiment dépouillé m’évoque que nous ne sommes ni dans « un ici et maintenant », encore moins dans une linéarité historique (1925, 1954, 2008) à l’image des costumes, stylisés, entre science-fiction et peau de bête. Assis au premier rang, le décor surplombe.
Huit comédiens, deux familles, dont un pasteur, un médecin, un fou, un père joué par Pascal Gregory, l’un des meneurs les plus magnifiques du jeu. Deux visions du lien à Dieu que ne cesse d’interroger l’un des fils, devenu fou (c’est d’ailleurs mon «garde fou»). Entre dogme affiché par l’une des familles et approche singulière de la religion défendue avec engagement par l’autre (où celle-ci sert l’homme à s’émanciper), la mise en scène d’«Ordet » me donne ma place de spectateur athée, dans un intervalle, où je me glisse en toute liberté. Darrieussecq et Nauzyciel, à l’écoute de leur époque, font sonner les mots d’aujourd’hui et bouger nos corps emprunts de religiosité (quoique l’on en dise !). Il flotte alors une atmosphère de légèreté dans les gradins des spectateurs, comme si nous assistions à une ?uvre populaire, au sens noble du terme.
Finalement, Nauzyciel a fait une pièce «laïque», où chacun est libre de ressentir la douleur des Borgen et des Skraedder. Il nous aide à porter un regard profondément empathique sur ces deux familles traversées par la douleur, le doute ; le mouvement des acteurs sur scène (toujours circulaire) n’est pas sans rappeler celui d’une parole fluide, d’une écoute contenue. Ce théâtre contraste avec une société moderne saturée par la communication, mais dont on entend de moins en moins la parole singulière.

Nauzyciel interroge nos croyances quand il expose face au public un cercueil en plexiglas transparent d’où l’on voit le corps de la morte. Dans le rôle du fou (impressionnant Xavier Gallais qui à force de jouer le devient), il nous interpelle dans notre rapport à l’autre différent et si proche de nous. Au-delà du religieux, comment vivons-nous avec la complexité?
« Ordet » peut-être vu comme l’antichambre de nos angoisses qui ne trouve plus d’écho dans l’espace du sociétal. C’est probablement pour cette raison que le public semblait profondément heureux en quittant le Cloître (étrange coïncidence !).

À la sortie, une question m’effleure : six années, prisonnier dans la jungle. Comment fait-on?

Pascal Bély, www.festivalier.net

Ordet”  de Kaj Munk, mise en scène d’Arthur Nauzyciel a été joué le 6 juillet 2008 au Festival d’Avignon.