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La Scène Nationale Le Merlan à Marseille, est-elle au bord de la faillite ?

À quelques jours du Festival d’Avignon, le courrier s’amoncelle dans ma boîte aux lettres. Des plaquettes, des livrets, des dossiers de presse auquel s’ajoutent les programmes des saisons théâtrales.

Une enveloppe très légère m’intrigue. Elle provient du Théâtre du Merlan à Marseille. Depuis quelques années, je m’inquiète du projet de sa directrice, de ses dérives financières, délocalisant trop souvent sa programmation des quartiers nord vers le tranquille centre-ville. Ce courrier est une feuille A4 mal imprimée, pliée en trois parties, qui présente trois  spectacles pour seule proposition pour l’automne 2012 (danse, cirque, « balades » pour les journées du patrimoine).

Un texte non signé m’informe que rien ne sera dévoilé du reste de la saison 2013 (concept que le Merlan veut faire disparaitre de son vocabulaire). Plus de rencontres pour présenter la saison, mais ce feuillet comme tout lien avec une invitation «à joindre directement le service des relations avec le public».Un texte précise d’ailleurs ses missions comme s’il fallait combler en urgence le vide de contenu artistique.

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Ce flyer est très inquiétant, car il corrobore les rumeurs entendues ici ou là sur la situation financière de la Scène Nationale qui n’aurait plus les moyens de proposer une saison. Le spectateur ne sait rien du contexte. La presse locale ne fait toujours pas son travail d’investigation.

En tant que public qualifié de «partenaires» et de «complices», nous serons peut-être sollicités pour faire nous-mêmes le spectacle. Ce sera la nouvelle trouvaille marketing d’une direction à la dérive.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le Merlan sur le Tadorne:
Le Théâtre du Merlan vagabonde et se perd / A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.
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Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Je ne m’attendais pas à une telle perte du propos artistique et de la mise en scène. Que s’est-il donc passé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, pour qu’aucune oeuvre ne soit venue me chatouiller, me surprendre, m’émouvoir.  Après quelques hypothèses émises dans un précédent article, suite et fin avec ce deuxième compte-rendu.

Árpád Schilling est un metteur en scène hongrois. «À papn?» aurait pu être un événement théâtral: une immersion dans un village reculé de Hongrie où une enseignante envoyée par l’Union Européenne introduit le théâtre au collège mais doit affronter l’opposition d’un collègue à cheval sur le dogme catholique. Les enfants et leurs éducateurs sont sur le plateau tandis qu’un documentaire documente à partir de témoignages sur ce conflit entre art et religion, modernité et tradition. Les enfants jouent leur propre rôle à moins que ce ne soit une mise en abyme (un atelier théâtre porté à la scène) dans laquelle nous sommes mis à contribution (ce moment tombe totalement à plat).

Le théâtre est le grand perdant de cette forme hybride : on s’y ennuie souvent tandis que le documentaire nous captive dans ce dilemme qui divise la communauté. Árpád Schilling aurait pu convoquer un auteur pour créer le dialogue entre la scène et l’écran. Mon regard bienveillant s’est porté sur ces enfants forts et fragiles qui sont mes concitoyens d’Europe. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens du travail de Florence Lloret présenté à la première Biennale des Écritures du Réel à Marseille en mars 2012. Dans « L’alphabet des oubliés»,  le documentaire sur les enfants servait leur théâtre et le nôtre.

Autre ambiance. Rendez-vous au Kaaistudio’s pour «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser. Ce dernier incarne le narrateur, tout juste accompagné d’une malle aux trésors dont les différents tiroirs font office de décor d’un conte compliqué et ennuyeux. Ici aussi, le Kunsten joue avec les formes hybrides en invitant ce philosophe et metteur en scène à nous proposer ce «transformatador» («un genre performatif littéraire et visuel qui transforme l’énergie quotidienne en une créature mythique avec des pattes élégantes, des ailes grotesques, des ongles politiques et de grands yeux inquisiteurs. En bref, un être qui rendrait même les toréadors nerveux»). Vous ne saisissez pas l’intention artistique ? Moi, non plus. Pendant une heure trente, je m’accroche à Pieter de Buysser. Mais son jeu ne me dit rien, car son corps théâtral est absent. La malle est probablement l’objet le plus fascinant même si elle ne délivre pas tous ses secrets. Ce conte «postmoderne» se perd parce que la fiction qu’il déploie n’est pas «théâtre». Tout juste une «lecture» performative. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens des oeuvres de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Cet homme me ravit car nos chemins se croisent, à pas contés.

Cette fois-ci, cela commence plutôt bien. Ils sont quatre sur scène: un belge (Pieter Ampe), deux portugais (Guilherme Garrido et Nuno Lucas), un allemand (Herman Heisig). Chorégraphes et danseurs, leurs corps se comparent aisément : petit, grand, maigre, costaud, poilu, imberbe. Manque la couleur : ils sont blancs. Quatre mecs qui dès le début se disputent la vedette autour d’un micro qui ne tarde pas à devenir la béquille de leurs talents si fragiles! Pour sortir de cette escalade, ils convoquent le théâtre, la danse, l’installation performative: qui rira bien qui rira le dernier! Ainsi, l’un glisse sa tête dans un ballon qui gonfle à vu d’ici (d’où l’expression «avoir la grosse tête»), tandis qu’un autre, puis un autre, entrent dans ce même ballon (si, si, je vous assure !). Comment ne pas penser à Magritte, aux surréalistes? C’est drôle et touchant. Mais peu à peu, le malaise s’installe: la danse est moquée jusqu’à lâcher la belle entreprise. Ils convoquent le divertissement (qui, du coup, ne fait plus rire) et finissent par tout casser lors d’un concert rock au ralenti assez pathétique (n’est pas Pierre Rigal qui veut).

Me revient alors le spectacle de Sophie Perez et Xavier Boussiron, «Oncle Gourdin», présenté au dernier Festival d’Avignon. Même rythme et successions de numéros qui moquent l’art chorégraphique jusqu’au final apocalyptique. Dans les deux cas, le propos est réactionnaire: au-delà de leur génie (qui est bien sûr immense, d’où la scène avec le ballon), il n’y a plus d’avenir pour eux, donc pour nous. Cette vision romantique du statut de l’artiste m’effraie: elle prépare le fascisme. À mettre en lien avec mon précédent article où je démontre comme l’esthétique de la communication a contaminé les arts de la scène au cours du festival. Est-ce encore de l’hybridité ?

Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je convoquerai la plus jeune génération pour qu’elle dialogue avec la plus âgée, en attendant que les trentenaires dépressifs fassent leur thérapie en dehors des plateaux. Je pense alors à l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée en 2010 par la chorégraphe Anne Collod. La danse y était est un art total qui nous déshabillait pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.

“Matadouro” du chorégraphe brésilien Marcelo Evelin allait-il enfin me surprendre? Nu, il sonne l’alerte avec un tambour. Des aboiements accompagnent ces premiers pas. Il est rejoint par six hommes et une femme qui, après s’être déshabillés, tournent le dos au mur. Prêts à être exécutés et sauvés. Ils portent un masque et une machette collée dans le dos. Corps social et politique? Ils entreprennent alors une ronde infernale autour d’un micro sur le «Quintette à cordes en ut majeur» de Franz Schubert. C’est très éprouvant.  À la fois meute guerrière et pacifistes déterminés, je peine à les suivre dans leur recherche. Où vont-ils ? Peu à peu, ils me larguent même si je saisis la métaphore d’une «résistance» à toute épreuve. Mais je n’en suis pas. C’est en dehors de moi. Ici aussi, le final est sans appel. Tout ça pour ça?Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens de «Révolution» d’Olivier Dubois où douze femmes résistèrent en dansant le boléro de Ravel autour d’une rampe: «Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !».

En 2013, je n’irai pas à Bruxelles. À moins d’un Festival des Arts pour l’imaginaire.

Pascal Bély , Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

 «A papn?» de Árpád Schilling / «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser / « A coming community » de Pieter Ampe, Guilherme Garrido, Nuno Lucas et Herman Heisig / «Matadouro» de Marcelo Evelin au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 16 au 21 mai 2012.

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Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Un festival est une articulation complexe entre un projet artistique, une communication à partir des valeurs et un management respectueux. Grâce à sa fondatrice Frye Lysen, le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles promeut le dialogue entre Flamands et Wallons, encourage des esthétiques peu reconnues, ouvre le théâtre à la danse, invite des artistes du monde entier. Mais depuis deux années, cette dynamique s’essouffle et 2012 signe peut-être ma rupture. Dès le mois de mars, j’ai été particulièrement choqué par une annonce sur le site du festival («Le Kunstenfestivaldesarts cherche des bénévoles! Tu as du temps libre pendant le mois de mai? Tu as l’intention d’assister à beaucoup de spectacles au festival? Et bien sûr tu voudrais payer tes tickets moins chers? Nous avons une solution pour toi: contribuer au festival en intégrant notre équipe de bénévoles!”). Ainsi un langage publicitaire «sympa» fait la promotion d’un travail gratuit, en échange de billets soldés, signifiant qu’une relation à l’art se monnaye alors qu’elle est «censée nous faire réfléchir» (dixit le directeur Christophe Slagmuylder à la télévision belge). En avril, je m’étonne de lire la page Facebook du festival en anglais et non dans les deux langues (flamand et français) comme auparavant. La réponse ne se fait pas attendre : «Sur Facebook c’est en anglais et cela fait déjà un petit temps. C’est bien plus direct comme cela non? Et bien plus adapté à l’outil…». Ce n’est pas signé. Facebook n’est qu’un vulgaire tableau d’affichage alors qu’il est censé mettre du liant entre programmateurs, artistes et spectateurs. Et si la stratégie de communication et de management était liée au projet artistique du festival? Première démonstration à partir de mon périple festivalier du 16 au 20 mai inclus?

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La proposition du collectif Berlinois Rimini Protokoll confirme mon hypothèse. Au théâtre KVS-Bol, le staff divise les spectateurs en groupes. Je suis casé pour suivre le circuit bleu. On me parle en anglais. Je fais remarquer que je suis français. Aucune réaction. Le périple dans le théâtre commence par une série d’ateliers censés nous immerger au c?ur du Nigéria dont le PIB devrait dépasser celui de la France d’ici 50 ans. Un homme nous installe dans une salle de réunion pour évoquer l’économie du pays. En anglais. Je ne comprends pas. Je m’en inquiète auprès d’un membre du staff (probablement recruté comme “bénévole”) qui me tend un livret résumant la performance. L’oeuvre est ainsi réduite à un synopsis?dans lequel je lis qu’une salle des marchés est un théâtre avec un metteur en scène, des acteurs. Avec Rimini Protokoll, tout est une métaphore du théâtre. Soit. Au deuxième atelier, le scénario se reproduit et, fait rarissime, je quitte le KVS. Rimini Protokoll se représente l’économie en cases, exclusivement basée sur des échanges marchands. Faute d’artistes, il installe des acteurs (comme vous et moi) pour incarner leur propre jeu professionnel. L’art aurait pu nous immerger dans l’interdépendance, dans une articulation entre l’économique, le social et le culturel. Mais «Lagos Business Angels» est un dispositif inspiré par des communicants qui dénoncent, mais qui n’énoncent pas tout en excluant les spectateurs qui ne parlent pas la langue dominante. Un d’entre eux me faisait remarquer dans un mail : «j’ai eu l’impression d’être à un séminaire organisé par une ONG». Ainsi, l’esthétique de la communication d’entreprise a pris le pas sur l’art. Flippant.

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Mais je n’ai encore rien vu. Le lendemain Anna Rispoli et Edurne Rubio nous convoquent au pied de la tour de l’École Hôtelière du Campus Elishout à Anderlecht. Ici aussi, nous voici divisés en deux groupes de spectateurs, casques sur la tête pour y entendre des bruits de circulation, des champs d’oiseaux et une narratrice dans le rôle de?la tour (sic). Une des «actrices» nous accompagne. Je la sens?«habitée» dans son statut de «médiatrice» performeuse tandis qu’elle ralentit nos pas au c?ur du parc du campus. Ce périple nous guide au 13ème étage (je vous épargne les arrêts?) où «la voix» nous parle de son statut peu enviable de tour. Le texte est sans distance, collé au réel (jusqu’au passage digne d’une publicité pour site porno où d’une voix langoureuse, elle évoque les mains qui s’accrochent à sa rampe d’escalier et les corps qui frôlent ses murs). C’est vulgaire, sans recherche, à l’image des produits confectionnés par les Offices du Tourisme. C’est du «théâtre réalité» sans  poète, sans artiste en chair capable de nous extraire de cette écriture métaphorique sans relief. C’est de l’installation pour nous faire vagabonder. Mais qui suis-je au final ? Un spectateur  qui consomme de  la com’. «C’est sympa» me dit une spectatrice. Suffisamment sympathique pour empêcher tout regard critique au risque de passer pour un «emmerdeur».

Mais je n’ai encore rien vu. Cette fois-ci, ils sont quatre (Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille) pour «Hoog Gras». C’est une installation posée sur la scène du KVS. Ici encore, les spectateurs sont divisés en plusieurs groupes, entourés de différents écrans et de haut-parleurs. Il s’agit de nous immerger dans la psychologie d’un enfant soldat tout en proposant au public «un spectacle sensoriel». Sauf que je n’ai strictement rien ressenti de ce flot d’images si ce n’est une belle esthétique sur un sujet terrible. La sophistication de l’installation renforce ce sentiment d’un «art» qui nous prend de haut et nous éloigne durablement de la profondeur de la musique de Dominique Pauwels et des voix du ch?ur des enfants du Théâtre de la Monnaie. Ce «théâtre-là» est effrayant, car désincarné alors que son propos réclame la chair. À corps et à cris.

Mais je n’ai encore rien vu. Le chorégraphe Brice Leroux présente «Flocking-Quintet». S’inspirant des systèmes d’autoorganisation spatiale des groupes d’animaux, cinq danseurs (affublés d’une robe rigide pour princesse obsessionnelle) tournent sur eux-mêmes à côté d’un piano mécanique qui se déplace également accompagné d’une boule de lumière blanche. Pendant une heure, ça tourne entre chien et loup. Ça tourne. Dans le vide sidéral. J’ai encore en mémoire, la grâce mécanique d’Anne Teresa de Keersmaeker dans «Rosas Danst Rosas». On ne devrait jamais penser à elle. Cela coupe tout. Brice Leroux conceptualise, mais ne dit pas. Il cherche, mais ne trouve rien. Mais, comme me le soufflera une spectatrice, «c’était sympa à voir».

Ces quatre propositions ne créent pas les conditions d’un renouvellement de la pensée et du regard critique. Elles s’appuient sur l’illusion groupale comme vecteur de communication entre l’artiste et l’individu. Mais à aucun moment, celui-ci n’est considéré dans ses particularités. Il consomme de la performance et de l’esthétique sans qu’il lui soit possible d’interroger la pertinence de ce qu’il voit. La relation à l’art est si distendue qu’elle ne permet pas la rêverie, tout au plus l’éloignement. Le caractère «sympathique» de la proposition joue sur un lien affectif factice, prémice d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom.

L’art se déploie dans la pensée. Hors d’elle, il n’est que produit et finit sa trajectoire sur le page Facebook du Festival. Sans amis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

Brice Leroux –  «Flocking-Quintet » – du 19 au 23 mai 2012.

Rimini ProtoKoll « Lagos Business Angels » – du 17 au 19 mai 2012.

Anna Rispoli et Edurne Rubio , « Retroterra : audio tour / performance » du 12 au 18 mai 2012.

Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille – «Hoog Gras» – du 12 au 20 mai 2012.

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Frédéric Fisbach “dépressive” Juliette Binoche.

Juliette Binoche est à l’affiche du Théâtre de l’Odeon à Paris du 18 mai jusqu’au 24 juin 2012. Retour sur “Mademoiselle Julie”, vu au dernier Festival d’Avignon. A fuir…

J’hésite. J’ai mon billet  pour «Mademoiselle Julie»,  mise en scène par Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche. Je doute. L’agent d’accueil du Festival d’Avignon m’attend. J’hésite. Une professionnelle de la culture me repère et me lance : «n’y va pas, tu n’aimeras pas». J’admire ceux qui ont des certitudes à votre place. J’hésite. Fréderic Fisbach, c’est risqué. Je n’ai pas oublié «Les feuillets d’Hypnos» qu’il présenta en 2007 dans la Cour d’Honneur alors qu’il était l’artiste associé du Festival. Jamais la Cour n’avait subi un tel outrage. Je n’ai pas oublié la façon dont il a coupé un équipement culturel («le 104» à Paris) de son quartier, l’obligeant à rendre les clefs d’un établissement déficitaireJuliette Binoche, ce n’est pas rassurant. Elle véhicule un tel imaginaire autour du cinéma. Sans vouloir l’enfermer trop vite, Binoche c’est du cinoche. Nicolas Bouchaud, c’est ennuyeux. Son jeu appuyé ne m’a jamais traversé.

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Finalement, j’entre. Premier rang. Le décor m’est familier : murs  blancs, des néons, des vitres et des troncs d’arbres. Comme d’habitude avec Fréderic Fisbach, j’ai l’impression d’être dans une galerie d’art contemporain. Il sait aménager l’espace pour figer la communication.

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. La ligne a été franchie : ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

En 2011, quelle interprétation en fait Frédéric Fisbach ? Je ne doute pas du scandale qu’a pu provoquer cette pièce à sa création en 1906. Mais en 2011?Le jeu des acteurs peine à restituer un conflit de classe, tout un plus une divergence de projet. Dans quel environnement  vit Frédéric Fisbach ? Probablement celui qu’il singe lors de la fête entre « amis » où des comédiens amateurs se déhanchent en fond de scène: relations codées, aseptisées, où l’on fait semblant d’en être. Culturellement, Jean et Julie sont si proches que leurs corps adoptent les mêmes codes de comportement. Nicolas Bouchaud n’incarne qu’un employé de classe moyenne qui trouve en Mademoiselle Julie une opportunité de gagner plus en travaillant plus. C’est un peu court. Psychologiquement, leur relation ne véhicule aucun désir sauf lorsque Bouchaud surjoue la séduction.  Mais tout est factice comme si le théâtre devait cohabiter en permanence avec une caméra. Pour s’échapper de cet enfermement, je finis par n’observer que Juliette Binoche. La star va-t-elle faillir ?La portée politique de la pièce s’estompe très vite, même si je décèle les ressorts d’une classe moyenne qui s’ennuie et sommeille (à l’image d’une partie du public?). Fréderic Fisbach nous lasse : le jeu des acteurs est au service de l’espace, de l’esthétique, les métamorphosant peu à peu en figures désincarnées. Il peine à mettre en scène une tension sociale et psychologique : tout au plus, sait-il la réguler.
Le théâtre de Frédéric Fisbach orchestre le vide, agence les langages tel un puzzle, mais ne sait pas les relier. Quand les « amateurs »de la fête  dansent la ronde de «Nelken» par Pina Bausch, je fulmine : il recycle les gestes mythiques  pour masquer l’absence de propos.
Fréderic Fisbach fait un théâtre dans les pas des autres. Avec Juliette Binoche en tête d’affiche, cela se voit. C’est l’avantage de la lumière : on s’y brûle vite les ailes quand on ne sait pas où l’on va.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Mademoiselle Julie » d’August Strindberg mise en scène de Fréderic Fisbach du 8 au 26 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.
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«Baron Samedi» d’Alain Buffard divise.

Au sein des Tadornes, la dernière création d’Alain Buffard divise. Profondément.

 Par Pascal Bély.

À l’entrée du Théâtre de Nîmes, on me tend une jolie feuille de salle. Comme à mon habitude, je ne lis rien. Je fais confiance à la scène. Elle se suffit. Mais le lendemain de la représentation, je me surprends à faire des recherches sur Google à partir des intentions artistiques d’Alain Buffard. Pourquoi aller explorer ailleurs ce que «Baron Samedi» aurait dû me donner? Que de malentendus! C’est le cas de l’écrire. Ce chorégraphe iconoclaste m’a habitué à des propos forts et souvent lisibles. Mais ici, rien ne vient. Ou si peu?Je ne me sens pas dans le coup. J’ai ce ressenti quand, pour faire «décalé», des artistes proposent une forme «brouillée» qui perd le spectateur, mais permet d’affirmer un «propos tendance» destiné à nourrir la bonne moralité de la «communauté culturelle»…

À mon arrivée dans la salle, un plateau blanc en pente fait office de décor. Comment vont-ils réussir à créer une danse sur cette page blanche? Mon interrogation est-elle illégitime ? Je ressens la scénographie d’un plasticien. Autant dire que la question du mouvement ne se pose même pas. À peine le spectacle commencé, je sais que cela ne sera pas de la danse. Dans la lignée des «concepteurs» en vogue (c’est ainsi que se nomment François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), les mots de «chorégraphe», de «danseur» disparaissent de la feuille de salle. À la place, on y lit «conception et mise en scène», «fabrication et interprétation»…Je perds beaucoup de temps à entrer. Non que je veuille catégoriser. Mais j’ai besoin de savoir d’où l’on me parle. Par clarté. Par honnêteté envers le spectateur. Une fois baissées mes barrières de défense, je décide de faire confiance au propos. Mais de quoi me parle-t-on puisque l’on me parle ?! À certains moments, le texte est surtitré; à d’autres, il est brut. Sous-titrer serait donc signifiant. Soit. Que dois-je comprendre ? Peu à peu, je déteste la relation de pouvoir qu’Alain Buffard instaure avec le spectateur.

Je peine à saisir le contexte de cette oeuvre alors je cherche le mouvement. Mais les grosses fesses ne me suffisent pas ; comme les corps trimbalés sur cette scène en pente. Progressivement, je vois émerger un tableau. Oui, c’est ça, un tableau vivant sur notre humanité. Il y a des noirs, des blancs. Des acteurs et deux musiciens pour faire «hybride». Des symboles historiques avec sa dose de dénonciation du racisme. C’est donc un tableau, le même que l’on me montrait enfant afin que je comprenne. On m’emmenait au Musée pour que je saisisse le sens à défaut d’être ému. Ce soir, à Nîmes, Alain Buffard veut que je comprenne sa vision de l’humanité. Sauf que j’ai besoin de la ressentir et non de subir la linéarité du propos (on s’aime, on se sépare, on revient), l’interpellation culpabilisante du public, une scène «trash» de cul suggéré en fond de scène (au cas où?). C’est une vision de l’humanité tant rabachée sur les plateaux de théâtre, qui repose sur les mêmes clivages, où l’on empile des références à défaut d’assumer un propos complexe. Comment puis-je accepter de me ressentir aussi incompétent alors que dernièrement, je me suis effondré avec Pippo Delbono, émerveillé avec Thomas Ostermeier, passionné avec Joël Pommerat, projeté avec  Vincent Macaigne ? Désolé de faire la comparaison, mais elle s’impose. Comme une évidence.

Parce que l’humanité traverse ces quatre artistes de théâtre.

Pascal Bély.

 

Par Sylvie Lefrere.

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Du plateau sombre, une voix profonde monte, accompagnée du son d’une guitare qui lui fait écho. Est-ce un enregistrement? Qui chante donc ? Un homme ? Une femme ? Qu’importe. Seule, on distingue une forme, d’où découle une émotion vocale. Nous sommes au début de «Baron Samedi» d’Alain Buffard, projeté au coeur de notre civilisation. En soixante-quinze minutes, nous allons suivre l’intensité d’un voyage dans le monde des vivants et des morts, où nous invite un sculptural Baron Samedi, père spirituel. Dans cette période de repli sur soi national, on nous invite à suivre l’au-delà du pays Vaudou pour quitter notre pays matérialiste, prendre du recul, et chercher à mieux décoder nos systèmes. Depuis le premier tour électoral de la présidentielle, je ne sais plus dormir sereinement, je fais des cauchemars. Dans la journée, je suis épuisée, “au bout du rouleau”. Mais cette pièce va me donner une nouvelle énergie.

Chaque danseur se campe dans une personnalité forte, où la différence des genres se mélange dans un bouillonnement de richesses multiculturelles. Nous traversons le globe entre le Brésil, Haïti, les États-Unis, l’Espagne…Les langues d’origines claquent comme des fouets, les corps en chair, musclés ou fins, chaloupent en harmonie. Les volutes de la séduction, les secousses de la révolte ou de la transe s’expriment librement. La mémoire de l’esclavagisme et du colonialisme transpire. Les hommes, les femmes, mammifères, deviennent caméléons, tels des gallinacés ou des reptiles pour des parades de séduction, de pouvoir, de prise de territoire… Mes larmes coulent quand les danseurs se masquent d’un sac de tissu blanc, troué au niveau des yeux et de la bouche…Je pense au Ku Klux Klan, aux masques blancs, à nos propres visages, dans lesquels nous pouvons être figés dans nos valeurs identitaires sectaires. Je vois des hommes qui grimacent, “des monstrueux”. Certains partagent dans un même sac/masque. Mêmes pensées, même visage double, fossilisé. J’y vois des condamnés à mort, des humains perdus, aux abois. Les chants des danseurs, les cordes des instruments, pulsent d’une belle énergie ce voyage dans notre monde violent, étriqué alors que la liberté peut encore se saisir dans ce parcours Vaudou. Mais où sommes-nous? Dans quel monde? Là où les coeurs battent? Là où les corps sont glacés? Les chants de West Side Story émergent, les claquements de doigts rythment les étapes. Le travail, le désir des corps, mais aussi les violences et les abus qui lui sont infligés. Le voyage dans le temps continue dans un compte à rebours.

De retour de Berlin depuis peu, cette musique de Kurt Weil résonne d’autant plus dans ma mémoire. Lili Marlène et des chansons des années 40, pleines d’émotions, comme “Surabaya Johnny“, découvert il y a longtemps à travers l’expression sensible d’Anna Prucnal, “Alabama song“…L’amour, la disparition, accompagnent notre vie comme une quête de recherche de sentiments humains. Après toutes ces souffrances, les rencontres, les réflexions qui en découlent nous entrainent vers les chemins de la résilience. La pente douce et blanche qui barre le décor devient piste pour glisser, virevolter, grimper, jouer, se cacher. Les mouvements explorés nous renvoient un écran métaphorique. Tous nous appartiennent et nous donnent un socle commun, où nous nous rejoignons. Le personnage de la prostituée nous réunit dans des surenchères de désir de pouvoir. Toujours plus détenir. L’institution est représentée, étiquetée dans ses fonctions de juges, d’avocat, de témoins….Le musicien, lui ne compte pas. L’artiste est jugé : il a un rôle négligeable, pourtant sa musique nous reste gravée dans nos mémoires et chemine tout au long de notre parcours. Deux pas en avant et trois pas en arrière …Salut tremblé, pour le général De Gaule, d’une des danseuses. Et ce lundi, on entend des mots dans les médias, proches du maréchal Pétain, sur les valeurs du «Vrai travail»… Nos modes de fonctionnement restent encore et toujours très rigides. Où est la dynamique de la pensée?

«Baron Samedi» implore un changement de paradigme pour qu’ensemble nous bravions l’histoire vers le retour d’une véritable démocratie. À l’image de cette salle où, toutes générations confondues, nous étions citoyens côte à côte, tournés vers la vision de la richesse cosmopolite.

Sylvie Lefrere.

“Baron Samedi” d’Alain Buffard au Théâtre de Nîmes le 24 et 25 avril 2012.

Crédit photo: Marc Domage

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KLAP, MARSEILLE LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Nouvel Observateur insulte la danse.

A la lecture du dernier article du «journaliste» Raphaël de Gubernatis, j’ai la nausée. Il me l’avait déjà donnée en 2011 alors qu’il tenait des propos racistes en «critiquant» un spectacle de Faustin Linyekula (lire: l’article incacceptable de Raphaël de Gubernatis)

Lors d’une soirée en févier dernier à Klap, Maison pour la danse à Marseille, il fut l’envoyé spécial du Nouvel Observateur. Deux spectacles furent proposés au  public : «My way», une création de Michel Kelemenis (directeur de Klap) présentée à 19h et «Christoffa» de Davy Brun à 20h30.  L’analyse minutieuse de l’article ne m’a pas échappé tant je suis extrêmement vigilant sur cet homme sulfureux, craint et détesté, qui a sa carte de presse et tous les honneurs qui vont avec.

Dès le début de l’article, Raphaël de Gubernatis se retient de vomir. Mais il a le hoquet. «Quelques mois après son inauguration, la Maison pour la Danse, située à Marseille, vit à plein régime. Le vaste hall d’entrée qui dessert les deux salles de spectacles (l’une d’entre elles, possédant une magnifique scène, attend que l’on soit en fonds pour garnir de sièges les gradins) est plein de monde. On présente ces jours-ci, en avant-première, un ouvrage de Michel Kelemenis dont l’opiniâtreté et la présence à Marseille depuis des lustres sont à l’origine de l’établissement, mais aussi l’essai d’un ancien danseur du Ballet de Lyon qui se lance dans la création chorégraphique.». J’informe les lecteurs que ce journaliste paresseux n’a pas assisté à la représentation de Davy Brun (qu’il ne nomme même pas, le qualifiant par son ancien statut de danseur). Certes, la salle de création de Klap n’a pas encore de sièges et je m’en réjouis. Enfin un lieu qui n’aligne pas les spectateurs où rien n’est permis! A Klap, on peut s’étaler pour admirer la danse et se laisser aller. Mais Monsieur de Gubernatis est probablement habitué aux fauteuils moelleux qu’il confond avec des chaises à porteurs.

Son hoquet vagal se poursuit :

Ce sont là deux des fonctions assignées à cette Maison pour la Danse commanditée par la Ville de Marseille : abriter les spectacles de son instigateur, mais plus encore ceux produits par les nombreux artistes chorégraphiques que l’on qualifiera “d’intérêt local”, et qui se sont multipliés à Marseille comme dans le reste de la France. L’avenir dira si la Maison pour la Danse n’est pas plus belle que les productions de ceux qui vont en bénéficier.»

Je vous laisse apprécier l’appelation «intérêt local». C’est le propos réactionnaire d’un journaliste qui disqualifie les programmes de décentralisation culturelle. Ignore-t-il que les grands chorégraphes français ont souvent débuté en région ? Qu’aurait-il écrit en 1979 sur  Jean-Claude Gallotta qui fonda à Grenoble, le Groupe Émile Dubois pour s’insérer en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble? Comment peut-il qualifier Michel Kelemenis d’ »instigateur» de Klap alors qu’il en est l’inventeur, le bâtisseur (il le sait puisqu’il était présent à la conférence de presse d’octobre 2011 lors de l’inauguration de la Maison)? Cet homme maltraite les mots, car il ne peut écrire avec raison.

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Alors qu’il aborde «My way», Raphaël de Gubernatis commence à se vomir dessus :

«Visiblement ébloui par la grâce juvénile du jeune homme, Benjamin Duc, lequel a des atouts pour devenir plus tard un bon, voire un excellent danseur, Michel Kelemenis a l’imprudence de le précipiter dans un rôle qui n’est pas de son âge».

Je note d’emblée la mauvaise orthographe du danseur (il s’agit de Benjamin Dur). Lapsus révélateur qui le voit métamorphoser un danseur en duc (duc, du latin dux, ducis signifiant « meneur, chef », est le titulaire d’un titre de haute noblesse attribué par plusieurs monarchies européennes depuis le Moyen Âge). Premier éblouissement.

«On ne demande pas à un garçon sortant visiblement de l’adolescence d’assumer un rôle de séducteur avec le cynisme que cela induit. Benjamin Duc a la gaucherie, et sans doute l’innocence de son âge. Le jucher sur le haut tabouret d’où il joue brièvement un rôle de créature aguicheuse propre à l’univers du cabaret;  le faire se dévêtir sur scène et du coup porter le spectateur à une position de voyeur : voilà qui semble malsain. Ce jeune homme est bien trop vert, bien trop immature, comme danseur et comme acteur, pour assumer le rôle qui lui est dévolu. C’est le déflorer que de l’y pousser.»

Raphaël de Gubernatis a des pulsions qu’il ne contrôle plus. Entendons-nous bien. Cela m’arrive d’avoir d’étranges pensées lors d’un spectacle de danse. Mais cela relève de mon intimité, de ma relation à la scène, au corps. Il me faut en général quelques secondes pour revenir au propos. Or, dans le cas présent, Raphaël de Gubernatis est si ébloui par la beauté dure de ce garçon qu’il ne se contrôle plus jusqu’à perdre tout sens critique et accuser Michel Kelemenis de pédérastie. Mais qui donc avez-vous défloré, monsieur De Gubernatis, pour que ce souvenir vous aveugle ?

Ce n’est pas fini. Son délire se poursuit. Il s’imagine tête de réseau d’agents artistiques sulfureux :

«Et devant ces trois jeunes gens, trop frais, à la technique non encore maîtrisée totalement, on ressent le même malaise que devant ces petits garçons qu’on avait coutume, naguère, dans certains milieux populaires, de déguiser en petits adultes, ou devant ces fillettes que l’on laisse s’habiller en femmes et qui singent inconsciemment la vulgarité de leur mère.»

De mon expérience de spectateur de danse, je n’ai jamais lu un article aussi dégueu
lasse, mal écrit, à la rhétorique réactionnaire et obscène.

J’accuse formellement le Nouvel Observateur de détester la danse pour laisser ce journaliste de caniveau insulter artistes et spectateurs. J’informe ici programmateurs et chorégraphes « institutionnels » que je ne resterais pas inerte dans le cas où vous lui réserveriez, en ma présence, quelques privilèges qu’il vous réclame probablement à corps et à cris.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT

Deux programmateurs entrent en campagne. Raté.

À chaque édition, la Scène Nationale de Cavaillon accueille un des spectacles du festival des Hivernales d’Avignon. Mais cette année, d’après la page Facebook de la Scène Nationale, la donne change: «Demain, notre traditionnel RDV avec les Hivernales -> une soirée autour du chorégraphe Saburo Teshigawara. Pas de spectacle, mais 2 films documentaires et un débat sur les politiques culturelles en ces temps d’élections». 
Je m’étonne et répond : «Drôle de rendez-vous quand même! Vous n’avez pas trouvé d’autres chorégraphes pour jouer ce soir-là et pallier l’absence de Saburo Teshigawara (qui, nous dit-on, n’est pas là pour raison budgétaire)?»
La réponse ne se fait pas attendre : «Oui, Saburo Teshigawara n’est pas là pour raison budgétaire. Le spectacle a été annulé très tardivement, car nous avons essayé jusqu’au dernier moment de trouver une solution. Et plutôt que de proposer un “spectacle de remplacement” en urgence, nous avons choisi de présenter quand même le travail de Saburo, qui est aussi vidéaste, sous une autre forme. Et de partager avec nos publics respectifs, au travers de ce cas exemplaire, les difficultés qui sont les nôtres aujourd’hui et d’échanger autour des enjeux culturels pour le moment laissés de côté par la campagne présidentielle.»
Ma réponse: «J’ai l’impression que l’on mélange tout…Je sens le piège:-)(en effet, je m’amuse à faire référence à l’engagement public de Jean-Michel Gremillet, directeur de la Scène, auprès de Jean-Luc Mélenchon)“.

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Je décide de ne pas assister à cette soirée. Laurent Bourbousson s’y rend et témoigne :
«Après le très beau film de Saburo Teshigawara «A boy inside a boy», à l’image bien léchée avec un parti pris esthétique dans lequel je n’ai pas tout saisi, le reportage d’Élisabeth Coronel sur le travail de ce chorégraphe japonais, m’éclaire un peu plus sur ses recherches.
Puis, la lumière se fait.  Peu de retour sur ce que l’on vient de voir. Pas de questions de la part de la salle. Après tout, le reportage fait acte pour l’artiste. Une certaine torpeur a envahi le public d’autant plus que certaines respirations entendues durant la projection attestent que plus d’un a sombré?
Les deux programmateurs entament le «débat» sur la politique culturelle autour d’un axe bien connu (l’absence de moyens pour accueillir des artistes de renommées internationales). Que peuvent bien susciter de telles révélations qui prennent les allures d’un mur des lamentations ?
Quel est donc le but de cette soirée ? Est-ce de nous faire partager le travail du chorégraphe ? Si tel est le cas, pourquoi n’y a-t-il pas d’échanges entre spectateurs sur les deux films ? Est-ce réellement le moment et le lieu pour débattre d’une politique culturelle sachant la faible mobilisation des professionnels eux-mêmes le 24 février dernier, devant les Direction Régionales des Affaires Culturelles pour protester contre les coupes budgétaires?

Ce témoignage corrobore mes craintes du début. Il confirme ce que je pressens depuis si longtemps. Le spectateur n’existe que dans la relation asymétrique avec l’artiste. Vouloir la détourner sur un autre sujet est une prise de pouvoir sur le «sensible» difficilement justifiable. Que deux programmateurs n’aient pas trouvé les moyens de faire venir cet artiste est de leur responsabilité (je n’imagine pas un enseignant stopper son cours et changer la relation pédagogique pour se plaindre des ressources alloués par sa hiérarchie pour enseigner). Ne fallait-il pas alors entreprendre une autre programmation moins coûteuse? Mais je m’égare?
Croire qu’une plainte publique puisse avoir un quelconque effet sur le cours des choses est d’une naïveté désarmante. Leur exposé plaintif n’est que l’une des résultantes du processus de nomination peu démocratique et transparent de ces programmateurs qui ne permet pas d’y associer le citoyen (qui se trouve être parfois spectateur). Si la culture n’a plus les moyens de ses ambitions, c’est qu’elle est justement aux mains de quelques-uns chargés du bien de tous. Or, une vraie politique culturelle serait précisément de définir un contrat «social» entre artistes, publics et professionnels. Quel candidat à la présidentielle le propose aujourd’hui, en dehors des discours plaintifs et souvent corporatistes?
C’est à nous spectateurs et artistes de refuser tout cadre qui, sous prétexte de débattre, ne fait que renforcer des effets d’estrade vains, manipulateurs, et qui nous isolent un peu plus dans nos cases.
Pascal Bély, Le Tadorne.

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ETRE SPECTATEUR HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT

Solos de spectateurs.

Pourquoi s’engager à suivre un festival? Qu’allons-nous y puiser, bousculés, en empathie, si ce n’est de pouvoir jouir de notre ressenti? Le travail de l’artiste revient alors à nous inclure pour stimuler l’échange et déplacer la communication sur le terrain d’une esthétique du sens. Nous recherchons à être galvanisé. À être producteur d’imaginaire. Une fois posé ce postulat, les premières propositions du Festival des Hivernales d’Avignon nous ont laissés de côté, sans plaisir. Nous y avons perdu l’étonnement, jusqu’à disparaître comme spectateur. Une journée mortifère, immergée dans les créations  mutiques de trois chorégraphes prisonniers de la recherche autocentrée de leur plaisir (Gábor Halász, Sumako Koseki, William Petit) . Quant à Catherine Diverrès…
Le travail de Gábor HalászBurn in flames»), autour de la pensée bouddhiste peine à s’imposer. Ce merveilleux danseur a une technique éclatante sans l’ombre d’une émotion. Pourtant, son propos (son lien à la religion) aurait pu nous inclure vers une forme d’altérité (n’est-ce pas d’ailleurs un des fondements du bouddhisme?). Au final, de beaux gestes qui ne nous traversent pas.
Dans «E PUITS?et puis ?», Sumako Koseki se raconte. Et puis? L’émotion a du mal à passer malgré l’insistance à utiliser la musique de Gorecki. Elle danse pour elle-même. L’amateurisme dont elle fait preuve dès qu’il s’agit de prolonger un geste vers le mouvement est à pâlir (oser le flamenco dans le butô frôle la catastrophe). Sa scénographie très soignée (l’un des points forts du spectacle) lui procure manifestement du plaisir. Mais la faiblesse technique et le sens de la proposition finissent par déjouer ce qui aurait pu être une belle découverte.
William Petit et «Beware» nous ont égarés.  Laurent l’avait rencontré lors de son passage au studio des Hivernales le mois dernier. Le plaisir, l’esthétisme, le parti pris de son propos l’avaient touché. Ce soir, William Petit danse pour lui-même, dans une recherche personnelle toute à fait respectable. Mais où nous emmène-t-il ? Les trois musiciens qui l’entourent semblent peiner à s’engager avec lui, d’autant plus qu’ils accumulent les sons sans vraiment créer la partition d’accompagnement du geste. William Petit s’introspecte mais cela ne suffit pas à faire une oeuvre.
Catherine Diverrès est l’une des têtes d’affiche du Festival. Ces deux solos sont esthétiquement très beaux. Mais dans quelle perspective se situe sa recherche autour d’un passé-présent, notamment dans «Ô Sensei» où elle s’inspire de ses voyages au Japon et du temps passé auprès du maitre du butô, Kazuo Ohno. Dans «Stance II», l’interprète Carole Gomes impose par son charisme, mais sa danse ne nous rattrape pas.
Très honnêtement, Catherine Diverrès mérite un autre critique que celle de spectateurs épuisés par une programmation déséquilibrée qui a vu se succéder trop de solos solitaires en une seule journée.
Place à Sylvain Pack pour son beau regard sur un travail qui aurait du nous toucher.
Pascal Bély- Laurent Bourbousson, Des Tadornes.

Catherine Diverrès, Stance majeure.

Le visage de la personne qui va danser apparaît dans la pénombre, déjà ému, en mobilité. Lorsque la lumière s’élargit, les bras et les mains vont chercher dans l’espace, à l’horizontale, la manière d’ouvrir le cercle de notre vision, tout en l’incisant. C’est une longue danse, une épreuve à laquelle va se soumettre le corps fin et musclé de la danseuse, qui va sortir ruisselante, vide et radieuse. À l’aune de périodes éteintes, cette partition physique m’a bouleversé. L’émotion engendrée par la rigueur d’une marche dansée et saccadée, renouant avec le dialogue incompréhensible d’une pythie, frappe de plein fouet le spectateur qu’elle incante, avec qui elle entretient une distance radicale, comme interdite de lui transmettre une quelconque raison, un moindre code. C’est dans cette peine inconnue et universelle, étirant, tremblante, ses os, claquant ses pas sur notre sol commun, qu’elle me demande pourquoi ce sens, cet ordre vain, de mes pieds jusqu’à mon crâne. Un poème de Pasolini accompagne ce contre-courant de la danse moderne. Pièce, peut-être majeure, peut-être manifeste, réponse tardive à Phase d’Anne Teresa de Keersmaeker, j’y interprète un rappel au réel des violences et à l’absurde de notre déclin, avec pour cible une Europe que l’antique surnaturel a désertée, avec comme ressource lointaine le butô qui libère les âmes et enterre toute innocence. 

Ô Sensei”, qui fait suite à cette première pièce, remarquable, secouée par l’orage, ancrée dans les ténèbres. “Ô Sensei” nous présente enfin le magnifique port de Catherine Diverrès elle-même, 53 ans, costume noir, chemise blanche, cheveux courts plaqués, clown gris, Keaton, Beckett, Chaplin, Pina Bausch et surtout Kazuo Ohno, auprès de qui elle s’était rendue pour parfaire sa connaissance d’une nouvelle danse japonaise, née des traumatismes de la guerre. Si Catherine Diverrès cite sans ambiguïté ces références et rejoue quelques séquences phares de la danse postmoderne, elle en choisit les plus fragiles et les nourrit de son immense style. Comment ne le sait-on pas plus, nous qui avons la chance d’avoir cet artiste dans notre pays ? Une danseuse, qui semble, comme les plus grandes, vieillir toujours mieux, dans un véhicule transcendé par l’inventivité formelle, rythmique, symbolique. Les regards qu’elle nous porte, tout aussi variés que les registres chorégraphiques qu’elle explore, peuvent en un instant rompre cette incompréhension, ce chaos traqué puis révélé, nous donnant à retrouver l’humain, même étrange, même fantôme. Le voile tombe, la lumière revient, le poète revient nous voir sans costume, avec un sourire qui ne trahit maintenant plus rien de sa profonde douceur. Nous l’applaudissons, elle nous remercie puis choisit son départ en nous saluant. Je sors, transformé.
Sylvain Pack. http://sylvainpack.blogspot.com

 

Tous les spectacles chroniqués dans ces articles ont été présentés lors du Festival des Hivernales d’Avignon les 25 et 26 février 2012.

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L’Italie me botte!

“Que la prudence est triste.”
C’est la phrase emblématique choisie par les occupants du Théâtre Valle de Rome. Depuis la mi-juin 2011, ce théâtre est occupé; il devrait à plus ou moins long terme se transformer en restaurant de luxe et salles de jeux. Cela ne sera pas. Ce qui se passe au Valle Occupato est exemplaire; ce n’est ni une programmation, ni une saison, les intéressés eux-mêmes qualifient leur action. «Nous occupons un théâtre comme des ouvriers occuperaient une usine : coupant flux de production et mettant en place une grève permanente des intermittents, s’interrogeant sur les modalités du travail culturel et de son exploitation, questionnant le champ juridique des droits et des lois. Nous occupons comme des agriculteurs occuperaient leur terre : par la réappropriation des temps et des fruits de notre travail»
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Actuellement, une fondation se fabrique : le Valle Occupato essaie de mixer argent public et sociétaires. Leur site internet teatrovalleoccupato fournit tous les renseignements nécessaires à qui veut les soutenir. Ils revendiquent l’art comme un bien commun.
Cela écrit, le Valle n’est pas le seul exemple: à Catania, en Sicile, des artistes et des habitants de la ville reconstruisent le théâtre Coppola, abandonné depuis des années.  Ils y sont maçons, électriciens, plombiers et autres corps de métiers. À Naples, le musée Madre, musée d’art contemporain a fermé, mais fi de cette fatale série, les occupants du Valle avec des associations et habitants napolitains l’ont rouvert faisant sauter le verrou de l’entrée: ils furent accueillis chaleureusement par le directeur du Madre. Pour poursuivre avec ces belles initiatives les «Chantiers culturels de la Zisa» de Palerme sont réinvestis, il n’y a ni lumière, ni chauffage, des salles de travail totalement délaissées par la mairie, mais beaucoup reste à faire et inventer pour celles et ceux qui début janvier célébrèrent l’occupation symbolique des chantiers de la Zisa. À Milan, à Venise, des actions similaires ont eu lieu.
Mais que se passe-t-il au pays de Berlusconi, de la maffia, de la Dolce Vita, du Bel Canto, des Brigades Rouges, de Pasolini, Nanni Moretti, Pippo Delbono, Emma Dante, Roméo Castellucci, Sabrina Guzzanti. À la radio, l’Italie apparaît comme un laboratoire pour l’Europe : cela veut tout dire et ne rien dire. L’État italien a démissionné depuis une bonne dizaine d’années dans le domaine artistique, culturel, social, éducatif, bref là où les services publics remplissaient une mission qui aujourd’hui bat de l’aile en France. Il y a dix ans ce n’était pas la crise. En Italie c’était une volonté farouche d’en finir avec le progrès, lui qui adoucit la vie, la rend plus supportable malgré les inégalités de salaires et de traitement.
Pourquoi évoquer l’Italie? Aucune prétention d’explication économique ou plutôt comptable dans mes propos ne motive cet article. Alors? C’est le désir et le plaisir de rencontrer des «imprudents», qui n’ont pas honte de se fourvoyer, de se tromper, qui le disent, l’écrivent et le vivent. Ces imprudents ne voulant plus du consensus mou que les mots subventions et rentabilité engendrent; ils ne s’illusionnent plus sur la démocratie même participative, ils savent bien que les assemblées générales ne sont pas la potion miracle d’un fonctionnement collectif. Mais ces imprudents laissent la porte ouverte, squattent des lieux en essayant de ne pas cultiver l’entre-soi, le réseau, dernier avatar de notre système de relations sociales qui nie celles et ceux qui n’en font pas partie (Deleuze n’est plus là pour faire la critique de ce fameux régime rhizomatique).
Et après ? La boucle se refermera sur le regret de ces imprudents Romains : «nous n’avons qu’un regret. Nous ne saurons jamais ce que nous avons raté. En effet l’argent public investi par pure formalité, sans aucun projet précis, sans aucune perspective de développement : c’était bien la proposition artistique de l’administration de la capitale européenne ayant le plus grand patrimoine artistique de l’humanité. »
Élisabeth Ferracci, contributrice de la page Facebook du Tadorne.

Pour aller à la rencontre de ces imprudents, les vignettes d’Aude Lavigne de France Culture.

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Quel cirque (!)(?)

Je vois rarement du cirque : en l’absence de dramaturgie, je m’y ennuie. Le cirque contemporain que l’on me promet depuis tant d’années ne semble pas venir. Pourtant en 2004, au Festival d’Avignon, la rencontre avec  Johann Le Guillerm dans «Secret» fut un choc. Il m’aura fallu attendre 2010 et le collectif  “Petit travers” pour ressentir à nouveau la puissance d’un cirque révélé par un propos artistique.

C’est avec curiosité que je me rends à la Villette pour «The End» du metteur en scène David Bobée, spectacle de fin d’études de la 23ème promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. En dix épisodes, les douze étudiants évoquent leurs cinq dernières minutes avant la fin du monde. Joli propos pour un projet global, au croisement d’une discipline de cirque et d’un drame collectif. Sauf que…

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Le décor joue un rôle important : c’est un appartement avec son lot de canapés et de meubles sans fond (donc sans livres). Il tourne et fait l’objet de divers changements pour mettre en relief la mise en scène. Ou plutôt, pour faire place aux différents exploits de ces beaux circassiens illustrés par des textes de Christian Soto. À l’apparition du numéro projeté en vidéo (10, 9,…), je comprends vite que les exploits vont se succéder. Le travail de David Bobée devant probablement consister à relier les différentes esthétiques dans un tout. Pas si simple…

En effet, entre la jeune fille et sa corde qui doute et se fait peur dans le vide et trois jeunes jouant au trampoline (et à la devinette: «si j’étais la seule femme, me ferais-tu l’amour?»), comment générer une dramaturgie d’ensemble ? Peu à peu, je prends conscience que le corps performatif illustre, sidère, mais ne transcende jamais le texte. Le «moi je» véhicule un narcissisme assez pénible là où j’attends qu’à cinq minutes de la fin, un chaos intérieur vienne me percuter. À d’autres moments, on frôle la géopolitique “romantique” tandis qu’une jeune fille avec une voile, évoque le voile et la Palestine?Applaudissements garantis. Mais pour quel propos? Est-ce le portrait d’une jeunesse déboussolée? Est-ce une mise en jeu des corps pour expliciter l’implicite? Et si «les cinq dernières minutes» n’étaient qu’un procédé, pour masquer l’impossible théâtralité? David Bobée finit par se perdre, mais nous rattrape en amplifiant l’exploit physique teinté de bons sentiments à l’image de ce duo d’artistes cambodgiens (l’un d’eux est sourd), dont les différents sauts nous éloignent un peu plus du propos initial !

Finalement, tout est policé pour gommer la radicalité du contexte, réduite à des corps inanimés, et à une baignoire dont le sens m’a totalement échappé !

David Bobée connaissait probablement la difficulté de l’exercice. A-t-il conscience qu’il n’a pas réussi malgré ses tentatives pour créer un contexte dramaturgique (l’omniprésence de la musique, les changements de décor, les maniements de symboles)? La façon dont il impose le silence vers la fin en dit long sur l’impossibilité à théâtraliser ce cirque-là dans un cadre de fin d’études. 

Au-delà de l’artiste, c’est le projet de Centre National des Arts du Cirque que j’interroge: “qu’auriez-vous envie d’enseigner, cinq minutes avant la fin du monde?

Pascal Bély – Le Tadorne

“This is the end” de David Bobée à la Villette de Paris du 18 janvier au 12 février 2012.

David Bobée sur le Tadorne:

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Washington ? Paris ? Mens ? Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.