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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR THEATRE MODERNE

La compagnie de Christiane Véricel a 30 ans!

La compagnie “Image Aiguë” de Christiane Véricel fête ses 30 années d’existence. Sa dernière création “La morale du ventre” sera programmée au  TGP à Saint-Denis du 20 au 23 mars 2013. Fêtons avec elle et sa troupe ce bel anniversaire!

En cadeau, un article d’amour pour cette femme remarquable.

L’espace Tonkin? Où est-ce? En Asie? Non, c’est à Villeurbanne. C’est un quartier à l’architecture des années 70. Une cité comme on ne les pense plus pour les habitants: un lieu de vie qui réunit tout ce dont on peut avoir besoin. On s’y sent bien. Un espace à l’image du théâtre de Christiane Véricel, directrice de la compagnie “Image Aigue“, où elle y joue ce soir sa dernière création, “La morale du ventre“. Ses propositions ont l’art de rassembler sur scène et dans la salle, les enfants, les adultes de toutes origines et de tout niveau sociologique. Nous, spectateurs Tadorne, la suivons depuis «Les ogres» en 2009. C’est-à-dire depuis peu malgré le fait qu’elle irrigue le  paysage culturel avec sa compagnie depuis 1983.

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D’une poigne forte, elle donne les indications à des artistes choisies pour leur personnalité et leur potentiel créatif. D’où qu’ils viennent, elle a l’intuition qu’ils iront loin. Avec elle, la fragilité et la force se confrontent avec des enfants, des adolescents et des adultes rencontrés lors d’ateliers menés en France et en Europe. Des jeunes  catalogués «différents», à cause de leur étrangeté (nés ailleurs ou porteur de handicaps). Dans la compagnie, ils trouvent un véritable espace d’expression, respectueux, esthétique, joyeux, dans une liberté contenue.

Armand est sourd et muet. Dans «La morale du ventre», il développe son art autour de sa puissance musculaire. Dans le silence, il déploie ses forces dans une chorégraphie au croisement du Hip-hop et du cirque et nous ouvre son monde à l’image de cette scène majestueuse où sa danse en tutu fait voler en éclat le masculin dans le féminin.

Avec Christiane Véricel, la mondialisation s’incarne sur le plateau. A l’hyper globalisation qui dilue tout, elle joue de sa focale pour que nous ressentions dans le regard joyeux des enfants, la gravité du propos: en 2012, la faim est toujours un fléau. La libéralisation du commerce n’y a rien fait. Alors, elle dénonce en énonçant son art théâtral global: la musique borde les corps dans les pas de danse, le silence ourle leurs ombres, les mouvements virevoltent nourris par la grâce, tandis que la fluidité de la mise en scène crée des espaces de liberté, tout en étant pensée au millimètre prés.

Dans son théâtre, elle convoque des objets dont la portée symbolique traverse nos imaginaires et se transforme en métaphores dérouillant notre boite crânienne. L’échelle devient le chemin le plus court vers la nourriture vitale et l’utopie d’une richesse partagée. Les petites chaises invitent la poésie avant que ne s’installent les rapports de force. La corde de nos cours de gymnastique se fait frontière au sol à moins qu’elle ne soit là pour la sauter. Quant aux poulies, elles font descendre du ciel ce que la terre des hommes ne répartit plus. Avec Christiane Véricel, la petite valise contient les trésors des migrations tandis que le masque de l’humanité nous observe, dépité. Avec elle, rien n’est donné au premier degré : tout s’échange au second pour que le désespoir ne s’invite jamais au profit d’une vision réaliste et burlesque, à la Charlie Chaplin. Du vide créatif surgit le désir de vie, le collectif, l’utopie. Comment ne pas englober Christiane Véricel dans la famille de ceux qui ont su bâtir un parcours courageux et volontaire, où la vitalité du regard n’a plus d’âge ? Juste est-il en phase avec les questions qui traverse le devenir de l’Humanité. Ainsi, Edgar MorinStéphane HesselClaude Régy,  trouveraient dans ce théâtre de capes et de fées le prolongement de leur pensée lumineuse.

Christiane Véricel est dans “la Battaglia”. Son travail est magistral. On l’aime autant qu’elle aime les autres. Sa douce exigence auprès de son équipe révèle les engagements de sa vie. De sa silhouette frêle se dégage la force de toute sa beauté et de son travail. C’est une inépuisable artiste, battante silencieuse.

Nous restons convaincus que son théâtre nous offre la possibilité de nous questionner sur l’avenir de l’humanité à partir de l’exploration du sensible. Nous ressentons au plus profond de nous que Christiane Véricel est l’une des artistes les plus en phase avec notre désir d’être un spectateur émancipé et humanisé.

Sylvie Lefrere – Pascal Bély – Tadornes.

Christiane Véricel sur le Tadorne:

Le théâtre de Christiane Véricel donne faim.

Infatigable spectateur.

À Palerme, le serment du jeu de pommes de Christiane Véricel.

 

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Spectateurs naufragés par Claude Régy.

«Chut» nous dit-on…Entrer dans l’univers de Claude Régy réclame le calme?avant la tempête? Nous attendons, à peine éclairés, concentrés et respectueux. C’est presque un luxe alors que le bruit du dehors est si proche. Nous savons qu’il va nous téléporter au loin, sur l’autre rive. Il y a dans cette injonction du silence, la même exigence d’un psychanalyste qui vous demande de creuser un puits sans fond en ne regardant que le plafond ou les murs tout autour…

Nous partons du noir, dans une obscurité qui se prolonge. Un autre temps se pose, car «La barque le soir» de Tarjei Vesaas est un poème. Le noir comme un entre-deux entre notre parole journalière qui se tue et les mots du poète embarqués dans la mise en scène de Claude Régy. Tout doucement, la lumière nous dévoile Yann Boudaud. Il est grand, immense, tout près de nous. De légers jeux de lumière provoquent des mouvements imaginaires sur ses épaules qui roulent, sur ses paupières qui clignent. Comme un lever du soleil, son visage sort de la pénombre. Un beau visage, avec des dents saillantes. Ses bras s’étirent, au risque de nous toucher. Il est fleuve. Nous sommes ses affluents. Son élocution est lente, à la vitesse de sa descente vers la profondeur du fond marin, jusqu’à s’enfoncer dans la vase.

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En manque d’oxygène, il économise son souffle, puis l’eau l’enveloppe et la terre le rattrape. Ses pieds sont lourds, pris au piège dans les plantes et leurs racines. Est-ce un danseur qui tangue? Est-ce nous, avec nos liens et notre passé devenus lianes, qui luttons pour être singuliers? La tension monte dans nos têtes, comme si nous étions deux plongeurs en apnée. Inconsciemment, Sylvie coupe sa respiration tandis que Pascal bouge de tout son corps, comme s’il voulait remonter. Mais des paliers nous permettent de continuer à suivre ses flots de paroles.

Son grand corps se tord, se débat lentement; sa figure humaine devient anémone maritime. Il laisse flotter ses longues tentacules dans les eaux noires qui l’entraîne et entame une magnifique chorégraphie, qui passe de l’origine du bébé vers la grâce de l’adolescent, et atteindre la pesanteur de la maturité. Nous avons envie de lui venir en aide; de le détacher du poids de ses chaussures…Mais sa  chute, contre laquelle il lutte, l’attire vers le bas, inexorablement?Nous portons tous ces bottes de plomb qui nous tirent vers le fond?Puis soudain, l’impulsion de survie nous fait remonter à la surface, à l’image de l’enfant résiliant qui métamorphose son désespoir en énergie du vivant. Il y a dans cette mise en scène, les ressorts de la résilience qui nous poussent à puiser dans les flots d’images de nos imaginaires, l’énergie d’être auteur du spectacle?C’est impressionnant de vivre une telle expérience: nos corps sont liés à celui de l’acteur. Il coule, nous coulons.

Une fois à l’air libre, le désir d’atteindre la rive s’impose à lui. Il se débat pour se maintenir hors de l’eau. Mais les chiens le guettent. Notre grand navigateur exprime un chant profond de sirène qui fait tressaillir l’animal dressé sur le rocher. Il cherche un langage en résonance. Il tend son visage de loup-garou et exhale des sons gutturaux. Le blanc de son sourire carnassier éclaire notre nuit. Le noir du décor qui nous oppressait les premières minutes s’éclaircit. En fond de scène, un voile opaque devient transparent et nous laisse imaginer un ailleurs. Deux personnages se profilent, se déplacent sans jamais vraiment se rencontrer. Revenants discrets, ils apparaîtront pour soutenir et emporter dans la barque notre explorateur.

Cet au-delà nous englobe. À aucun moment l’embarcation n’est figurée, mais elle est bien là, au plus profond de notre imaginaire, en dialogue continu avec le corps de l’acteur qui danse. La scène finale est un cadeau: du chaos de la scène vers la sérénité du tableau. C’est un émerveillement parce qu’il est l’espace où se rencontre le poète, l’acteur et le spectateur. Avec Claude Régy, nous sommes liés, dans la même embarcation, celle qui nous guide vers un au-delà. Si nous ne démissionnons pas, chaque journée est un apprentissage d’une autre rive. Parce que tout commence dans ce bain par la naissance. Tout nous conduit vers la mort, tel un animal éphémère. Entre les deux rives, notre unique bien-être: l’art comme embarcadère.

Sylvie Lefrere, Pascal Bély, dans la barque des Tadornes.

” La barque le soir” de Tarjei Vesaas mis en scène par Claude Régy.Aux Ateliers Berthier dans le cadre du festival d’automne de Paris, du 27.09 au 3.11.12. En tournée à Orléans, Toulouse et Reims.

Claude Régy sur le Tadorne: 

Claude Régy, spectateur associé à la Biennale de la Danse de Lyon.

Claude Régy largue mes amarres.

“Ode maritime” de Claude Régy : d’Avignon, les bateaux à voiles soulèvent les âmes.

 

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LA MUSIQUE EST DANSE Vidéos

Sens dessus dessous…

Mon cheminement de spectateur est jalonné de rencontres. «Question de Danse», festival proposé par le chorégraphe Michel Kelemenis à Marseille, est un rendez-vous annuel où des artistes présentent une étape de création et acceptent de la mettre en dialogue avec le public. C’est probablement l’une des rares manifestations à poser la rencontre comme un enjeu dans une programmation.

Alexandre de la Caffinière présente «Sens fiction». Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Ce soir, toute son équipe est là pour signifier une création en co-construction. Cela se voit et s’entend dans un propos qui m’embarque dans une aventure audacieuse et fragile, comme toute prise de risque. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d’une relation duelle.

Dès le premier tableau, des pixels multicolores se projettent sur des corps en position fœtale: l’imaginaire numérique les sculpte et évite de les transformer en concept futile et terrifiant! Cet instant offert est beau, sensible, mais trop vite disparu. Chacun se relève et ouvre la perspective pour entrer dans une profondeur de mouvements. C’est ainsi que se déploie sous nos yeux un paysage sensoriel en plusieurs dimensions pour qu’une relation sensuelle englobe le spectateur, auteur de son désir! Chaque danseur creuse le sol à la recherche des racines pour s’élever et s’inscrire dans des liens rhizomiques. Tout un environnement minéral accompagne cette transformation d’autant plus que chaque tableau est ponctué d’un étrange jeu de lumières qui amplifie l’apparition et la disparition.Ces mouvements parfois néo-classiques s’ouvrent pour relier les visions créatives de ce collectif d’artistes dans un tout, une terre du vivant qu’il me tarde de contempler, une fois l’œuvre achevée (en février 2013). La danse permet aux corps d’être de chair et de sens et célèbre le vivant, emporté par une musique et des images vidéos qui ne prennent jamais le pouvoir. “Sens fiction” est une chorégraphie de la puissance qui multiplie l’espace scénique pour y accueillir l’imaginaire du spectateur!

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Pour février 2013, je perçois déjà une fresque, où des faunes se perdraient lors d’une après-midi nocturne pour s’éveiller dans une nuit éclairée par nos imaginaires pixélisés…

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Sens fiction » d’Alexandre de la Caffinière ; étape de création présentée à « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille, le 26 octobre 2012. A voir les 16 et 17 février 2013 à la Maison des Pratiques Amateurs à Paris.

Crédit photo : (c) C. Bailly / Cosmos

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

La danse peut-elle faire la conversation?

À l’attention des spectateurs parisiens.

Je publie à nouveau la critique du spectacle de Xavier Leroy « Low Pieces » vue au Festival d’Avignon en 2011 et actuellement programmée au Festival d’Automne de Paris. D’après les retours que j’en ai, il semblerait que le dialogue entre danseurs et spectateurs ne se soit pas bien déroulé. Preuve il en est que cette ?uvre est sensible au contexte dans lequel elle se joue. A moins que vous ne formuliez d’autres hypothèses en commentaire de cet article.

«La danse, je n’y comprends rien».  C’est une condamnation. De soi.

Que répondre ?

«La danse se ressent». C’est une injonction. Vers vous.

Que proposer pour fluidifier l’échange entre un art considéré comme abstrait et des spectateurs en quête de mouvement?

Il y a le festival «Questions de Danse» à Marseille où le chorégraphe Michel Kelemenis crée un dialogue subtil  et respectueux entre artistes et public.

Il y a des tribunes critiques lors du Festival Montpellier Danse où des journalistes engagés  analysent la programmation face à une assemblée silencieuse et très attentive.

Il y a le Musée de la Danse à Rennes où Boris Charmatz invente un lieu original pour un dialogue ouvert.

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Et puis au Festival d’Avignon, il y a Xavier Le Roy dans «Low Pieces» qui inclut dans sa dramaturgie le lien entre spectateurs et danseurs. Si bien qu’à la sortie, le public adopte la posture calme et déterminée du philosophe marcheur. Les échanges s’éloignent des anathèmes pour interroger ce qui vient de se jouer.  

C’est ainsi que la danse se mêle de ce qui ne la regarde pas : questionner l’espace théâtral, remettre en cause la linéarité de la représentation (attente dans la lumière, spectacle dans le noir, applaudissements). Mais ce soir, tout est différent.

«Dansez !», nous ordonnons. «Conversons !» répondent-ils !

L’intention de Xavier Le Roy n’est pas de débattre sur la danse, mais de l’inscrire dans un dispositif qui nous permette de dialoguer avec elle. Un cadre où, tout en nous interrogeant sur la communication, nous créons l’interaction avec les danseurs. Une relation pour un contenu complexe, loin des simplifications dont fait l’objet la danse quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements?

C’est ainsi que Xavier Le Roy et ses dix danseurs proposent un espace contraignant d’où surgit, tel un geste, notre créativité.  Ensemble, nous jouons  sur  différentes temporalités : le premier temps de la surprise et du créatif; le deuxième celui où nous contemplons cinq tableaux chorégraphiques d’une précision exceptionnelle; le troisième celui du flou et de l’incertitude. Ainsi, en différenciant les temps, nous appréhendons la profondeur des mouvements. Ils nous permettent d’accueillir la danse par un dialogue permanent avec notre système de représentation. À la nudité des danseurs dans la deuxième partie, répond ma nudité dans la troisième. À leur prise de risque dans la première, réplique mon écoute dans la deuxième.

 C’est ainsi que leurs cinq tableaux forment une oeuvre d’une étrange musicalité : le mouvement se niche dans la dynamique d’un groupe statufié; la danse prend forme dans les déplacements aléatoires et calculés d’un collectif métamorphosé en troupeau de lions; le sens émerge d’une partie de jambes en l’air d’où surgit subitement un champ de blé soumis au vent; le souffle vital se fait mouvement alors qu’ils ne bougent plus. Pour entendre le tout, il y a une séquence de cris de mouettes dans le noir, où les sons forment un ballet enivrant dans lequel je suis emporté.

Ce soir, Xavier Le Roy, ose désacraliser son art en nous légitimant comme être dansant. En mobilisant notre sensibilité pour communiquer, il nous permet d’entrer dans la danse à partir de notre corps de spectateur.  Cet acte artistique innovant est dans la lignée du théâtre de Jean Vilar.

Et c’est de la danse?

Pascal Bély, Le Tadorne

« Low Pieces » de Xavier Le Roy au Festival d’Avignon du 19 au 25 juillet 2011.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PAS CONTENT Vidéos

Robyn Orlin a decouflé la Biennale de la Danse de Lyon !

Dans un festival, il y a un petit plaisir que je ne me refuse jamais: faire dialoguer les oeuvres. En ce dimanche après-midi, la Biennale de la Danse de Lyon a l’excellente idée de programmer deux spectacles qui, en apparence, non aucun lien entre eux. En apparence?

Philippe Decouflé revient avec «Panorama», un best off de son parcours de plus de trente années de création. L’amphithéâtre de la Cité Internationale est une salle imposante avec ses 3000 places. Le rapport scène-salle est totalement détestable, mais amusant: le plateau parait si petit face à l’immensité de ce mur de spectateurs. Nous sommes accueillis par des majorettes siglées aux insignes de la compagnie: l’ambiance est bon enfant et le restera tout au long du spectacle. En trente ans, le style Decouflé s’est fondu dans le langage publicitaire et les différentes esthétiques de la société du spectacle. La transmission vers ces jeunes danseurs semble très opérationnelle: s’il y a vingt ans, Decouflé transgressait, sa danse parait aujourd’hui un brin décalé avec l’époque, sans énergie subversive. C’est d’autant plus vrai avec certaines scènes où le «noir» fait le show, où la femme potiche et hystérique fait marrer. En sommes-nous encore là? Ces ressorts humoristiques, tant répandus dans la sphère médiatique, me lassent très vite. Les quelques moments de virtuosité sont si empruntés que l’ennui ne tarde pas à s’inviter. Ce «best off» ne tisse aucun lien entre les différentes époques. Troublant. C’est un voyage dans le temps sans résonance particulière, à l’image d’un parc d’attractions posé là. 

Deux heures plus tard, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin débarque avec la compagnie Moving Into Danse Mophatong pour «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?». Le début du spectacle est dans la continuité de «Panorama»!  On danse pour créer de l’image, de l’effet. Mais «où est la beauté ?» s’exclame une des danseuses. Le microbe aguicheur de chez Decouflé revient sous la forme d’un serpent très laid. Nous sommes invités à le chasser de la scène pour que la beauté puisse occuper le plateau! Robyn Orlin pense à juste titre que nous avons une vision misérabiliste de l’Afrique qu’il convient de changer. Mais n’avons-nous pas aussi une approche esthétique de la beauté qu’il faut «humaniser» pour la replacer dans l’interaction? Elle s’y emploie avec l’humour qu’on lui connait, avec cette troupe de sept danseurs qui prennent plaisir à être là, à venir nous chatouiller sous les orteils, à nous déplumer pour remplumer leur danse, à convoquer Dieu pour le rendre témoin de notre triste destin à chercher ce qu’il nous avait pourtant donné contre quelques concessions! Il y a dans cette pièce une énergie incontestable, dans la lignée du travail de  Philippe Decouflé, le désir d’en découdre en plus (ah, la scène de l’orgasme collectif! Inoubliable!). Le plastique joue ici un rôle majeur: matière à rêves, il recycle notre société du déchet pour créer de nouveaux territoires, celui de nos imaginaires enfin reliés, protégés par une déesse de la beauté bienveillante. Je suis troublé de reconnaître à plusieurs reprises des éléments du spectacle de Philippe LafeuilleCendrillon, ballet recyclable»), présenté l’an dernier à la Maison de la Danse de Lyon et qui avait si joliment célébré la puissance d’imagination du spectateur. La beauté plastique se transmet donc entre chorégraphes pour faire voler nos dernières certitudes sur un lien présupposé entre le beau et le neuf (voir aussi le spectacle de Phia Menard, programmé cette année à la Biennale).

Mais Robyn Orlin peine à totalement m’embarquer. Elle met en scène la recherche de la beauté sans pour autant inclure les danseurs dans un processus qui ferait une ?uvre. Le spectacle se fait avec nous, devant nous, sans que je n’aie eu la sensation d’assister à une proposition chorégraphique. Il faut attendre le générique de fin pour visionner une vidéo où l’une des interprètes danse la, sa beauté. À peine l’image se fige-t-elle qu’elle nous interpelle pour évoquer sa fierté de se voir aussi belle. Interloqué, je m’interroge: et si nous étions passés à côté de l’essentiel, à savoir que la beauté est dans l’art? A moins qu’elle ne soit dans le regard qu’on lui porte…

Pascal Bély , Le Tadorne

« Panorama » de Philippe Decouflé et «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?» de Robyn Orlin à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

“Tragique Liban, vital Facebook.”

À mon arrivée dans la salle du Lycée Saint-Joseph, je comprends très rapidement qu’il n’y aura aucun acteur sur scène pour le spectacle des Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué, «33 tours et quelques secondes». Le décor est en soi un objet «plastique» qui créé immédiatement la distance: un tourne-disque, une télé à terre, un bureau, des chaises, un mac, des téléphones. Je pense à tous ces espaces abandonnés en catastrophe, à ces lieux dans lequel il(elle) n’est jamais revenu(e).

Nous voici immergés dans l’appartement de Diyaa Yamout, 28 ans, militant des droits de l’homme libanais, qui décida de mettre fin à ses jours en octobre 2011. Dans une lettre, il confiait vouloir se libérer non pour des raisons psychologiques, mais politiques. Reste que les objets continuent de fonctionner, qu’ils lui survivent. Les deux téléphones (fixes et portables) ne cessent de sonner. On y entend la voix de Lina Saneh qui cherche Diyaa et s’empare de la bande du répondeur pour évoquer leur aventure d’un soir. À cet instant, on ne sait pas si elle sait. Ses paroles résonnent dans un ailleurs entre la mort d’une relation et celle qu’elle tente désespérément de ranimer.

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À peine raccroche-t-elle que le portable sonne intempestivement et vibre à l’arrivée de plusieurs SMS d’une amie palestinienne qui, longuement bloquée à l’aéroport de Londres pour avarie, finira par atterrir à Beyrouth sans pouvoir débarquer. Ses messages de colère, d’impatience semblent vains au regard de la disparition de Diyaa Yamout. Et pourtant; ses textes courts ont une intensité dramatique, car politique: être palestinien, n’est-ce pas ne jamais pouvoir décoller et atterrir ?

Pour occuper l’espace entre les SMS, deux écrans entrent directement en concurrence: la télévision et ses pratiques de racolage; la page Facebook du disparu et ses messages au caractère parfois douteux. Les deux médias mènent alors une guerre sans merci autour du suicide de cette personnalité publique connue pour son activisme face à une société libanaise morcelée, corrompue,  paralysée. Nous sommes clairement pris à partie. D’un côté Facebook  poursuit sa fonction: celle de relier des individus qui profitent de cet espace totalement démocratique pour poster des messages empreints d’émotions et de poésie dans les heures qui suivent la disparition de Diyaa, puis deviennent peu à peu plus politiques et conflictuels. Religieux et laïcs s’affrontent; partisans de sa cause et  opposants à sa «secte» s’invectivent. La page est une stèle funéraire où chacun appose son objet quand ce n’est pas un graffiti. La vie reprend ses droits, car Facebook libère la parole empêchée, d’où qu’elle vienne, sans filtre. Il ranime les passions, construit sa toile. Il est politique. À côté, la télévision parait bien ringarde avec ses codes de communication marketing. Elle est mortifère dans la façon dont elle contrôle le vivant. Objet de convoitise du capitalisme et du politique, elle porte les gênes d’une manipulation de l’humain au profit d’un système de pensée totalitaire.

Dans cette guerre médiatique, après une chanson de Jacques Brel, un objet s’est définitivement  arrêté: le tourne-disque. Lui seul fonctionne dans une relation intime avec son utilisateur. Il n’y aura plus jamais personne pour y poser délicatement le saphir sur l’objet noir du désir.

À la sortie, nous sommes plusieurs à nous interroger sur la finalité du spectacle. Certains y voient une dénonciation de Facebook tandis que d’autres s’inquiètent de l’absence d’acteurs dans un festival de théâtre. J’ai pour ma part ressenti la portée politique et psychologique du deuil de Lina Saneh et Rabih Mroué qui prend au Liban des dimensions qui nous sont étrangères. C’est le geste grave de deux artistes qui, modestement et courageusement, laisse l’espace virtuel occuper un espace théâtral. C’est en soi un «suicide» artistique, commentés par les spectateurs avec le même engagement vital que les réactions des amis et opposants de Diyaa Yamout.

À mon retour chez moi, j’ai cherché sa page Facebook. Elle semble ne plus exister. Pour remettre  le tourne-disque en marche, j’avais l’intention d’y laisser un message en réaction à la proposition d’aujourd’hui. Mais le diamant a disparu. J’ai cherché son visage sur Google. Aucun résutat.

Mais le théâtre est toujours là. Un saphir.

Pascal Bély, Le Tadorne

Lina Saneh et Rabih Mroué sur le Tadorne:

Le théâtre carbonisera-t-il Lina Saneh ?

« 33 tours et quelques secondes » de Lina Saneh et Rabih Mroué au Festival d’Avignon du 8 au 14 juillet 2012.

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AUTOUR DE MONTPELLIER L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

François Rascalou: un corps qui transmet la mémoire vive des hommes.

Ce matin, c’est dimanche. Mon réveil sonne. Je me rendors. Trente minutes avant la performance annoncée de François Rascalou, je saute vite dans le tramway où un soleil écrasant sur Montpellier m’accueille à la station Saint Paul. Je traverse le parking à la recherche du spectacle, quand tout à coup, j’aperçois un homme, vêtu d’un tee-shirt jaune, poussant bruyamment un cube de bois rouge. Les couleurs ont toutes leur importance, car elles se révèleront plus tard comme un rubis cube, dans ce décor de galerie marchande à ciel ouvert. Pas de doute, nous sommes dans le sud, presque déjà en Algérie. Un groupe de personnes est assis à une terrasse, à l’ombre d’un pin. Autour, les habitants circulent, affairés avec leurs achats de pain, de viandes et autres denrées. D’autres flânent devant un thé à la menthe, mêlés aux spectateurs.

Le danseur commence à déclamer son texte. Il nous parle de la guerre d’Algérie. De questionnements d’un fils sur le rôle de son père pendant cette période. Je repense au film “Méditerranées” d’Olivier Py. Nous le suivons dans ses déambulations, à l’ombre des coursives qui distribuent les commerces. François Rascalou danse et croise des habitants de tous âges. L’écoute vient surtout des hommes et des enfants, filles ou garçons. Nous sommes non seulement spectateur d’une oeuvre vivante, mais également observateur d’une vraie rencontre entre l’artiste, son texte, son corps, avec le public de l’instant, spontané. Des moments uniques se révèlent: un homme passe avec son fils apeuré qu’il rassure en évoquant une grande fontaine d’eau fraiche sur une des places de Constantine. La poésie spontanée de cet homme est un écho qui s’inscrit dans le jeu, en côte à côte avec l’artiste. Il venait acheter son pain quand, happé par un texte qui a réveillé sa mémoire, il a transmis ses souvenirs à cet enfant. J’aimerai connaître l’après, quand ils sont rentrés chez eux….Que se sont-ils dit?

En voyant le danseur rentrer dans la boucherie,  bouger ses bras, son corps et passer derrière le comptoir avec les bouchers, un autre homme dit :”Mais qu’est ce que c’est que ce délire?“. J’ose lui répondre: «Oui, c’est un délire.  Regardez et ensuite vous aurez votre propre lecture; vous verrez“. Ce spectateur réactif est resté dans le parcours, silencieux, le regard attentif tandis que d’autres rient, amusés, évoquant de ce qu’ils voient.  Tout à coup, ce petit centre commercial devient un lieu de convivialité et de co-création.

La chorégraphie s’harmonise spontanément avec ces promeneurs du dimanche. Des hommes adossés contre le mur entre le danseur, se distancent au même moment, à gauche et à droite. J’ai l’impression que le texte les fait réagir et que l’éloignement leur est nécessaire. François  Rascalou exprime le souvenir des cauchemars d’enfants, qui durent depuis trente ans; cela leur est-il insupportable?…La puissance de son texte, bâti sur des témoignages qu’il a collectés, donne à cette performance un caractère unique. En fusion totale  avec ce public impromptu, l’interaction rayonne lors de ce rendez-vous où l’écoute, le souvenir, la curiosité, l’émotion jusqu’aux larmes jalonnent son parcours. Le danseur puise dans ce partenariat avec le public, le levier des mots d’une mémoire collective ainsi que son rôle d’acteur.

Je me suis prise à rêver de manifestations de cette qualité, un dimanche par mois, dans tous les quartiers, pour créer un bien vivre ensemble dans la cité.

Une manifestation comme celle-ci devrait sortir de l’événementiel et alimenter des réflexions sur ce que procure ce plaisir partagé, qui suscite les questionnements et provoque de vraies rencontres.

Sylvie Lefrere- De Vendart vers le Tadorne. 

“Les fils des hommes” de François Rascalou, dans le cadre de Motifs d’évasion à Montpellier dans le quartier St Paul. Le 25 juin 2012

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LES EXPOSITIONS Vidéos

A la dOCUMENTA de Kassel, ma vie reforestée.

Je n’ai qu’une journée pour parcourir la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne. À 10h, les principales salles sont fermées. Le Président allemand Joachim Gauck fait sa visite. La ville est quasiment quadrillée par la police. Nous sommes loin d’une conception «normale» de la Présidence de la République! Il me faut donc trouver un point de chute. Ce sera le grand parc Karlsaue. Pour la précédente édition en 2007, la dOCUMENTA y avait installé un gigantesque hall d’exposition provisoire. En 2012, les oeuvres sont réparties dans cet immense poumon vert. C’est peut-être la marque la plus visible de la commissaire américaine Carolyn Christov-Bakargiev: l’art se niche au coeur des interactions de l’homme avec la nature.

«Ma documenta» commence donc au vert tandis que je m’approche de l’oeuvre de Massimo Bartolini. A l’image d’un battement d’ailes de papillon, l’eau est une vague potentiellement submersible prête à dévaster le petit champ de blé qui l’encercle. Je divague…et j’ai peur.

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Mais ce n’est rien à côté de ce qui pourrait nous tomber sur la tête: un énorme caillou git sur un arbre sans feuille. Ici, pierre qui roule n’amasse plus mousse. Les enfants s’amusent autour de l’oeuvre de Giuseppe Penone, inconscient du danger qui nous menace. Cette météorite serait-elle une «élaboration» artistique de l’industrie nucléaire comme le laisserait penser quelques heures plus tard le film de Mika Taanila, projetté à l’Orangerie. On y voit sur trois grands écrans, trois films qui s’enchevêtrent (construction d’une centrale, les paysages de Finlande, la vie des habitants). La force de cette proposition est l’absence de visibilité démocratique sur ces chantiers dont la vision accélérée finit par faire un film d’animation tout à fait charmant.

Pendant ce temps, la pierre se prépare à nous rouler dessus pour tout dévaster sur son passage, à l’image du terrain défoncé du français Pierre Huyghe. Des barres de béton posées à terre, des arbres déracinés, un chien errant squelettique à la patte rose chair forment un étrange paysage d’après-guerre écologique. Alors que l’on répète à l’envi que l’homme n’est pas un animal, ici l’animal est humain: notre survie passe par celle des abeilles dont la ruche recouvre le visage de l’humanité. Percutant. Cette statue est emblématique de la dOCUMENTA 2012.

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L’ignorance des enjeux complexes, la difficulté à articuler une pensée «écologique» avec nos systèmes politiques et démocratiques trouvent sa traduction dans la bibliothèque de Mark Dion: les livres sont en bois. Il va nous falloir protéger nos arbres comme nos livres. La force de la dOCUMENTA est de nous inclure dans cette interaction art-nature pour penser autrement notre «sensibilité» politique.

Rien de surprenant qu’au hasard d’un chemin, je sois invité par Janet Cardiff et Georges  Bures Miller (découverts au Printemps de Septembre à Toulouse) à m’asseoir sur un tronc d’arbre pour écouter des chants et des cris qui émergent de la profondeur de la forêt. Cette installation renoue avec la tribalité. J’aurais pu y rester des heures tant le chant des oiseaux et le bruit du vent donnaient le tempo à cette symphonie en bois majeur.

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Plus loin dans le parc, je tombe sur l’édifice en bois de Sam Durant. Entre camp de concentration et nouvel habitat écologique…Un seul escalier pour monter et bien d’autres pour descendre. Mais leurs marches ne touchent plus le sol. La vue est magnifique comme si le paysage se dévoilait différemment : ces escaliers vers le vide m’invitent à repenser le rapport terre-ciel à partir de mon corps, centre de gravité. Puissant.

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Au Fridericianum, les oeuvres de Charlotte Salomon m’ont bouleversé. Cette artiste peintre vécut dans l’Allemagne Nazie avant de fuir pour le sud de la France où elle sera déportée à Auschwitz. Elle laissa nombre  d’oeuvres troublantes où le texte côtoie le pictural, à l’image d’un documentaire d’aujourd’hui. À partir de trois couleurs (rouge, bleu, jaune), elle «dépeint» le contexte de l’époque. Une oeuvre me sidère : celle d’un rassemblement nazi. Ils semblent marcher vers moi. C’est inéluctable. L’art n’y peut rien. En me retournant, git à terre un arbre sans feuille. Il ne renaîtra jamais. Il pleuvra toujours sur nos forêts les cendres de l’innommable.

Que penser du choix de dépouiller l’entrée du Fridericianum? Vous serez surpris de ressentir le vent s’y engouffrer (nouvelle référence à la nature?) et de terminer votre errance dans une pièce où une voix douce chante un refrain à l’infini. Ceal Floyer me propose de lâcher bien des repères: il n’y a rien à voir. Juste à écouter cette boucle et plonger dans une spirale ascendante où je m’élève peu à peu. La répétition fait son oeuvre pour y puiser le plaisir du familier et l’angoisse d’un jeu sans fin. À l’image d’un questionnement permanent: que viens-je faire ici ?

Pascal Bély, Le Tadorne

dOCUMENTA à Kassel (Allemagne) jusqu’au 16 septembre 2012.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE Vidéos

«Vortex» de Phia Ménard : Sous le vent d’être.

Je l’avais laissée sur un «P.P.P.» arctique de bon souvenir et c’est le vent qui là, la ramène. Seule encore, mais cette fois sur une piste comme une Agora où le souffle des ventilateurs porte les mots silencieusement donnés. Un «Vortex» qui nous conduit vers l’enfant de nous. On se souvient d’un objet «banal» dont on faisait «tout». Avec du vent et du plastique, Phia Ménard va nous conduire à ré-ouvrir nos contes. Mais seront-ils, comme on les voudrait, toujours «pimpants» et sans défaut  apparent?
Ça commence «trash»; nous découvrons en entrant un «gros Boudoume» occupé à la découpe d’un sac de course rose comme on en croisait partout avant un sursaut des supermarchés vers une «responsabilité écologique citoyenne». À l’aide de gros ciseaux et de scotch, un petit personnage, tout à plat se construit. Bientôt, mais il ne le sait pas, le souffle du vent lui donnera l’épaisseur pour accomplir sa danse et il sera même rejoint par un aréopage arc-en-ciel de «camarades» pour un ballet pensé en liberté. Mais, Cut/Raccord. le bal n’est pas à l’heure de notre hôte «encostumé», un parapluie «troubleur» ne tardant pas à indiquer le chemin de la benne. Pourtant, qui sait si sous le «Boudoume» se «cachait» quelque chose, quelqu’un, «May be peut-être». Un prince, une princesse d’un étrange ailleurs où la seule raison serait d’Être? Alors il serait peut-être une fois un pays où les garçons et les filles ne se tenaient pas toujours obligatoirement la main. Il serait peut-être une fois un monde où les enveloppes n’étaient pas toujours sans contrefaçon bien adressées. Il serait peut-être une fois un chemin, même tortueux, qui conduirait, un, deux, trois peut-être, à Soi.

Sous l’égide du vent, Phia Ménard nous emporte vers un quelque part où, quand bien même nos histoires seraient différentes, les couches à «gratter» pour tenter d’advenir, ne nous seraient pas si étrangères à nos «étrangetés». Ce spectacle/performance est un moment «rare» ; il nous invite, cinquante minutes durant, à nous pencher vers sensations de peau et émotions de corps. Il nous chatouille à l’identité plurielle de nos êtres et nous questionne sur les «oripeaux» que nous arborons en oriflammes.

Pour l’heure, laissez vous conduire au coeur du souffle; Phia Ménard, en femme de choix, sait guider nos pas au creux des «simples» poésies humaines; et, quand bien même elles sont tourmentées, il y aura bien un nid où se poser.

Le plastique n’est pas fantastique. Sauf qu’enfants, «tout» nous semblait possible ; serions-nous devenus trop grands?

Le vent en vortex m’a soufflé que non !

Mais, à vous de voir maintenant.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Vortex » de Phia Ménard au TU du 24 Avril au 5 mai 2012. Du 9 au 11 mai , Le Manège – Reins

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je suis onzième dessous.

Il est 22h50. «Onzième», théâtre surréaliste de François Tanguy est terminé. À peine rentré chez moi, je poste un message sur la page Facebook du Tadorne. Martine Silber, auteure du blog Marsupilamima, compréhensive et enthousiaste sur «Onzième», répond qu’écrire sur la pièce «n’est pas obligatoire, non plus :-)». Je suis rassuré.
Il est 7h du matin. Il me faut jeter sur le papier mes premières impressions. Mais «Onzième»attendra. Il me faut chroniquer sur «Grimmless» de Ricci et Forte vu à Milan le week-end dernier. Le texte en italien m’oblige à me déplacer. J’écris à partir d’images, de ressentis. Après sa publication, l’article fait un carton en Italie et en France. Je suis donc confiant pour «Onzième».

Il est 6h30 du matin. On m’attend à 9h. J’anime un séminaire. Il me faut écrire. C’est un devoir (sic). Mais rien ne vient.

Il est 7h30. C’est toujours aussi confus. Ce théâtre-là ne me donne pas facilement la parole. Mais où m’a-t-il embarqué ? L’oeuvre a bel et bien duré deux heures et vingt minutes, pendant lesquelles je n’ai rien compris à ce que l’on m’a dit. C’est du théâtre, mais les mots sont des gestes, sont une matière que les corps façonnent. François Tanguy avec «Onzième» a désarçonné le public. Quelques spectateurs sont partis. Si peu. La salle s’est accrochée. Manifestement.

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J’ai littéralement plongé dans cet univers à la frontière de la clairière, d’un grenier, d’une place de village, d’un musée de nuit, où apparaissent et disparaissent des personnages d’un temps ancien qui s’interrogent sur la mort, l’amour, l’existence. Des parois entières de décor circulent et créent la profondeur du champ de vision pour un changement permanent de focale afin que rien ne soit à jamais figé. L’humanité est ici en jeu : ces femmes et ses hommes dépassent leur personnage. Ils sont autres. Ils sont l’Opéra. Oui, l’Opéra comme on serait oiseau, paysage, une idée. Ils personnifient l’Opéra, un art qui ne m’a jamais rencontré. Ce soir, il s’adresse et se dresse. L’Opéra, c’est une musique et des mots qui viennent du fond de l’âme. Oui, c’est bien cela, «Onzième» surgit du fond de l’âme. Mais ce n’est pas tout.

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Ce soir, à déplacer tables, chaises, planches et panneaux, William Forsythe s’est invité pour fracturer les mouvements afin que le désir de vie reprenne ses droits.

Ce soir, Maguy Marin convoque l’humanité amputée des valeurs de son histoire, parce que l’homme produit plus qu’il ne pense.

Ce soir, Pina Bausch surgit avec «Café Müller» et nos blessures sont fantômes à force d’avoir été mal p(e)ansées.

«Onzième» n’est rien d’autre qu’un poème chorégraphique au coeur du théâtre. Il vous déplace dans un vide créatif vertigineux.  Il n’y a quasiment plus de mots pour l’évoquer comme si, en dehors de l’expérience, on ne pouvait rien en dire. Il défie les savants du théâtre, provoque les spectateurs sûrs de leur bon droit, mais ravit le cerveau droit, celui qui perçoit les faisceaux d’harmonie.
Chers lectrices et lecteurs, vous n’en saurez pas plus. Plus rien ne vient. Tout est en moi, en jeu.

Cette danse est un rêve.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Onzième» de François Tanguy au Théâtre du Bois de L’Aune à Aix-en-Provence du 20 au 23 février 2012.