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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Decouflé et ses volatiles se mouillent dans tous les genres.

C’est un «bon» Decouflé à la piscine Saint George (monument aquatique art déco du centre-ville de Rennes). Ce soir, la coiffe (bretonne) est de mise au bord du bassin..

Du clin d’oeil des années Esther Williams, aux fantasmes éveillés par les piscines municipales, des cabines au bassin, d’un bord à l’autre, les genres se troublent et les délires explosent.

De l’accueil au final, un spectacle tiré au cordeau est offert aux heureux spectateurs du festival «Mettre en scène». L’impromptu est annoncé comme un «event», à l’américaine, qui pourra être différent d’un soir à l’autre…En fait, c’est cinquante minutes de “plaisir(s)” qui nous sont proposées. Les poules surnagent autant qu’elles nagent et les coqs volent à vue (ajustez vos lunettes de plongée). Mais, qui est qui? L’impromptu secoue les questions de genre, même s’il ne se glisse pas au-delà d’un «conventionnel». 

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Une jolie longue scène de naïades saphiques mais qui ne trouve guère son pendant,

…bien que Christophe Salengro entame un demi «duel au soleil avec lui»,

…bien qu’un très beau black man trouble le genre, «empérruqué» de rouge ou revêtu/dévêtu des habits de noce rêvés par Barbie girl.

Aucune scène de vestiaire ne se joue au masculin, qu’il soit singulier ou pluriel; quelques mélanges peuvent paraître un peu troubles, mais restent dans tout ce qu’il y a de plus «acceptable» et «convenu», divertissement familial oblige.

Ce spectacle est un déluge d’idées et d’effets visuels. Les images poétiques côtoient les dérapages “loufoques”. Nosfell avec Pierre Le Bourgeois accompagnent le tout de leurs très belles mélodies jouées en live.

Ne boudons pas le plaisir, Phillipe Decoufflé et sa bande ont crées cinquante minutes étoilées, et je vous invite à les vivre. Surveiller vos bassins de proximité.

“Swimming poules et flying coqs”, inversement et réciproquement ?

Piscine pour tout le monde !

Bernard Gaurier, Le Tadorne

«Swiming poules et flying coqs» Un tragique ballet nautique par des plongeurs inexpérimentés de Philippe Decouflé et collectif ? Festival Mettre en Scène à Rennes du 8 au 12 octobre

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES Vidéos

Philippe Lafeuille plastique “Cendrillon” et détone.

Le final est saisissant. Plus aucun corps sur scène…et notre imagination prend corps. Le commencement est inattendu. Un homme remballe une poubelle qui déborde. Le public rit puis applaudit: le temps est-il venu de jeter aux ordures les vieilles idées, les représentations usées jusqu’à la corde? Le chorégraphe Philippe Lafeuille nous y invite, avec délicatesse et humour.

Entre ces deux moments, «Cendrillon, ballet recyclable» pour sept danseurs masculins est une proposition politique: danser, c’est résister; résister c’est faire danser le corps créatif pour mettre en mouvement nos systèmes de pensée épuisés par la crise et les injonctions paradoxales. Ce soir, le mythe de Cendrillon se métamorphose pour nous embarquer dans un univers onirique, violent, sensuel, poétique, plastique et…caustique. À la Maison de la Danse de Lyon, le public ne s’y trompe pas: l’écoute ne faiblit jamais et chacun semble hésiter entre rires et gravité.

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Car Cendrillon est abimée. Nous l’avons maltraitée. Elle habite dans les bidons villes, dans les décharges à ciel ouvert. Après le passage du tsunami à Sendai en mars dernier, elle nous a même interpellés,questionnés («mais qu’avons-nous fait là»?).  Elle est aujourd’hui à Athènes, réduite à une serpillère où les grands de ce monde s’essuient les pieds. Elle vit dans un environnement où, à la terre des champs, s’est substitué des plaines de bouteilles et de sacs plastiques (futurs gisements dans cinquante ans ?). Son corps est  marchandisé à l’image d’une des scènes éblouissantes du début où nos princesses se débattent dans de l’emballage de produits formatés. Si le corps est marchand, alors il est aussi déchet. Avouez que le conte célébré par Disney en prend un sacré coup…

Philippe Lafeuille le fait entrer dans la postmodernité en convoquant un univers sublime et délirant : des sacs noirs emballent une danse de bal(les); des pluies de bouteilles fracassent l’émancipation du mouvement; un film plastique empêche de relier le corps et l’esprit (métaphore du désir démocratique); des costumes (magnifique travail de Corinne Petitpierre) transforment nos sacs Lidl en robe de soirée pour faire la fête (populaire); des masques composés de coupes de champagne créent du pétillant dans les têtes;  un carrosse fait de fontaines plastiques déboule sur scène et nous plonge dans la féérie d’une histoire d’amour.

C’est donc une société du déchet, du recyclable (à se demander si ce ne sont pas les vieilles idées que l’on recycle) qu’il faut remettre en mouvement  pour rêver à nouveau. Philippe Lafeuille la prend en scène et nous accompagne dans sa métamorphose tandis que le sublime travail de lumières de Dominique Mabileau  élargit les frontières du plateau jusqu’aux limites du rêve éveillé, au coeur de l’art visuel.

La danse est théâtralisée, assez éloignée des attentes d’un public qui a vu tant de Cendrillons chorégraphiées dans du formol. Ici, la musique jadis toute puissante de Prokofiev doit composer avec d’autres (dont l’énigmatique Ran Slavin et le mélancolique Arvo Part). C’est aussi cela le changement d’époque! L’énergie de Cendrillon est à chercher dans les situations où le corps est mis en jeu, où son rapport au plastique le métamorphose (matière symbole du consumérisme triomphant), où ses gestes plastiquent l’espace et ouvrent la voie des arts florissants.

 Le statut de l’artiste (incarné par un personnage habillé de blanc, oiseau bienveillant) et le rôle de la danse contemporaine sont ici interrogés : à force de convoquer la vidéo et les concepts, celle-ci nous éloigne, là où elle devrait stimuler nos imaginaires fatigués par une société où tout déborde. Avec Philippe Lafeuille, le beau n’est plus une question de moyens spectaculaires, de tours et de cathédrales. Le beau, c’est recycler,  c’est mettre en lien pour tresser des niveaux de sens, seuls capables de nous redonner notre puissance imaginative. Recycler, c’est résister contre un pouvoir qui rêve à notre place.

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Les sept danseurs, touchant dans leur diversité, sont pris dans le tourbillon de la métamorphose des arts de la scène proposé par Philippe Lafeuille. Leur fluidité dépend de notre capacité à lâcher. Comme si eux, c’était nous. Comme si  peu à peu enrôlés dans leur chrysalide, nous étions tous une Cendrillon parée pour s’envoler, tel un papillon aux ailes du désir.

Ce soir, j’ai une conviction. Notre plastique, prêt à  fondre, formera nos rêves affluents.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Cendrillon, Ballet Recyclable » de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon du 3 au 12 novembre 2011.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE THEATRE MODERNE

Le théâtre de Christiane Véricel donne faim.

Ce n’est pour l’instant qu’un chantier de création. Ce ne sont que quarante minutes. Le temps paraît si court avec Christiane Véricel et sa compagnie Image Aigüe. Pourtant, avec «La morale du ventre», elle signe l’une des réjouissances de la rentrée théâtrale. Ils sont sept sur scène : des adultes, des adolescents, des jeunes enfants. Amateurs et professionnels. Ils sont noirs et blancs. De France, de Sicile, de Turquie. Tout un théâtre de couleurs, de sons, de corps et de mots qui me percute comme autant de balles siffleuses, métaphore d’une famine qui fauche une personne dans le monde toute les quarante secondes. Au sol, une frontière signalée par un trait blanc et quelques morceaux de pain, que l’on donne aux oiseaux après avoir vidé nos ramasse miettes. A moins que ce ne soit celles que nous voulons bien laisser aux pays pauvres. Ainsi, se succèdent des situations qui voient s’affronter les possédants et ceux qui n’ont rien. Le tout ou rien. Le tout pour le tout où chacun joue son va-tout. Ils ne sont pas meilleurs que nous : malins, tricheurs, menteurs…Mais ils ont faim à l’image des immigrés sur les bateaux de fortune qui déjouent tant de pièges pour prendre leur part du gâteau.

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Christiane Véricel s’affranchit donc des frontières pour proposer un théâtre chorégraphié profondément drôle pour que la question ne tombe pas dans la dérision, la déraison. La mise en scène nous tend le miroir de nos lâchetés quotidiennes : elles en disent long sur le rapport dominant-dominé, instauré en toute situation et qui façonne un système de pensée incapable de résoudre ce fléau mondial.

Son théâtre est un dessin animé pour personnages anémiés espiègles et créatifs qui calme ma faim de spectateur. Pour cela, tout y est détourné : les contes où l’on se meurt, les murs où la parole se fracasse, sous les jupes des garçons où l’on se cache, des chaises d’enfants pour adultes infantilisants. Tel un vieil ascenseur social, l’échelle se dérobe même sous leurs pieds. Plus rien ne fonctionne à l’image de ces corps qui désarticulent le vertical et l’horizontal.

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Mais ces héros des temps modernes cherchent. Sans fin. Leur créativité vient à bout des stratégies des Etats tout-puissants. Ils vont au-delà de la frontière pour entrer dans notre espace démocratique et y interroger nos valeurs et nos principes moraux. Ils sont là avec leur pince pour piquer nos chairs et réveiller nos consciences : notre dette est ailleurs qu’en Grèce.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« La morale du ventre » – Etape de création présentée aux Subsistances à Lyon les 14 et 15 octobre 2011.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE

Klap, Maison pour la danse d’Henriette et Matisse.

À quelques jours de l’ouverture officielle de «Klap, Maison pour la Danse» à Marseille, son directeur, Michel Kelemenis, présente «Henriette et Matisse» créée pour la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. À voir du 11 au 13 octobre, dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia.  Puis en tournée dans toute la France.

De la Biennale de la Danse de Lyonau Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe! Michel Kelemenis nous offre, avec « Henriette et Matisse » une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.

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 À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que « le clair de lune » de Debussy éclaire « les Nus bleus » de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?

« Henriette et Matisse », sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette oeuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l’italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.

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La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé.

Ainsi, « Henriette et Matisse » n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une ?uvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le très bel article de Denis Bonneville dans La Marseillaise.

“Henriette et Matisse” de Michel Kelemenis àKlap du 11 au 13 octobre 2011.

Crédit photo: Manon Milley.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Tadornes en Turakie : être ou pas du voyage.

Je retrouve ce soir Laurent Bourbousson, contributeur pour le Tadorne, à la Scène Nationale de Cavaillon autour de Michel Laubu et son «Turak Théâtre». Deux escapades dont la première («Les fenêtres éclairées») nous laisse à quai tandis que la deuxième «nouvelles et courtes pierres» voit Laurent s’exiler poétiquement.

La Turakie de Sarkozy ?
Ce plateau est en soi un cadeau pour échapper au discours préalable qui assomme. Composé de briques et de brocs, le décor nous installe dans une atmosphère calfeutrée. Le noir se fait enfin. Ils sont quatre à entrer sur scène pour animer objets, marionnettes et instruments de musique.
Les premières mélopées nous embarquent en «Sarkozie», au coeur de Pôle emploi, projet emblématique d’un pouvoir qui mécanise le lien entre le citoyen et le Service Public. La marionnette est notre peur de chômage, de solitude, et de recherche d’amour. Mais rien n’est figé : le bruit des flots nous arrache à cette folie suicidaire pour nous guider vers son île. La nôtre.

 
La poésie s’y installe pour prendre son autonomie tandis que le rock de Rodolphe Burger et Laurent Vichard nous guitarise.  Cette île est notre part de créativité qui réenchante le monde. La dérive imaginaire nous embarque peu à peu sur cette terre peuplée de pingouins avec des becs en forme de robinet, d’un chat malin et profiteur, de chaises emboîtées et empruntées au «Café Müller» de Pina Bausch. Elles forment une île insubmersible où viennent se poser des mouches membres d’un groupe de rock (petites pépites d’humour assez irrésistibles).
Et puis, vient cet avion qui largue un dictateur (au croisement de la FranceAfrique) pour envahir la Turakie, déjà menacée par la montée des eaux. Progressivement, le jeu s’hystérise au détriment de la poésie comme si Michel Turak avait à prouver que son théâtre est aussi politique. Nous sommes au coeur d’un jeu de rôles où l’on cherche le discours. Notre sensibilité est instrumentalisée pour valider ces métaphores un  peu trop explicites. Michel Laubu crée un univers d’enfant avec des raisonnements d’adulte. Un sentiment de perdition nous gagne alors. Les chemins tracés entraînent confusion et hésitation. Les marionnettes finissent par nous caricaturer.
A ce petit jeu, nous sommes déjà ailleurs. En « Uccellini » avec Isabelle Hervouët; en «Ramodalie» avec la compagnie Ramodal, tous deux rencontré lors d’un festival pour la petite enfance à Nantes en avril dernier…
 
La Turakie des mouettes, crapougnettes et trompettes!
 
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Deuxième voyage. Laurent y va seul. Il y retrouve le grenier de sa grand-mère, qui recèle des milliers de trésors en tout genre. Un Nouveau Monde, un Eldorado. Rien qu’à lui. La Turakie est son imaginaire peuplé de Protoks qui détournent les objets pour leur donner une seconde vie.
Trois  courtes histoires, trois rêves éveillés, trois personnages qui l’embarquent au coeur de cette Turakie composée d’îles où sa sensibilité délimite les frontières, les ponts et les passerelles.
Michel Laubu mariomagnétise tandis que  Frédéric Roudet et Laurent Vichard musicalisent. À trois, ils dégagent l’horizon pour que mouette et crapougnette (un cheval digne de Zorro, mais blanc celui-ci) l’invitent, d’île en île, à découvrir le sensible qui sommeille en lui.
De retour de Turakie, Laurent n’a plus qu’une seule obsession : demander l’asile poétique !
Pascal Bély – Laurent Bourbousson. Les Tadornes de www.festivalier.net
 
« Les fenêtres éclairées » de Michel Laubu du Turak Théâtre à la Scène Nationale de Cavaillon le 3 mai 2011.
Le spectacle « Nouvelles et courtes pierres (Triple solo Périlleux) »  Turak Théâtre a été présenté dans le cadre des Nomades de la Scène Nationale de Cavaillon du 4 au 7 mai 2011.
 
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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Au prochain Festival d’Avignon, Roméo Castellucci dévoilera ses/nos enfers.

En préambule : Il est dommageable que certaines lectures critiques dévoilent «trop» les images qu’a construites Romeo Castellucci et qui forment «l’essentiel de son théâtre». Le processus de réception de cette création en sera, je crois, inévitablement modifié. Je reconnais qu’en décrivant les tableaux, cet article aurait été plus facile à écrire et peut-être plus simple à «comprendre». Mais…A chacun ses «d/Dévoilements»…

C’est à une ébauche que nous avons assisté, le spectacle ne semblant, d’évidence, pas encore totalement «calé» ; qu’importe. Roméo Castellucci a quelques mois pour  présenter «Le voile du pasteur» cet été au Festival d’Avignon.

J’ai retrouvé ici le faiseur d’images somptueuses (bien que, parfois, manipulatrices) plein du talent d’ouvreur de paysages intérieurs que je n’avais pas croisé avec «Inferno», joué dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes en 2008. La nouvelle qui donne son titre au spectacle lui a offert de quoi nous ouvrir/offrir son aujourd’hui en nous laissant ce qu’il faut de place pour interroger le nôtre. De la parabole de Nathaniel Hawthorne dans «Le voile du pasteur», Roméo Castellucci crée la sienne.

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Ce spectacle est un gouffre ascensionnel?  Chaque tableau est de violence beauté fulgurante. Ballade âpre entre ce que l’on voit et ce que l’on croit voir, entre un réel et un imaginé. Cruelle épopée mentale et intellectuelle. Déroulé de traces, effraction dans l’univers des images, des «H/histoires», collectives et individuelles?.
Nous ne sommes pas ménagés dans cet étrange voyage qui nous transporte pour interroger nos regards, nos visions, nos anticipations? nos places de spectateurs? Nous sommes presque bombardés?, l’environnement sonore complétant le travail de l’image.

L’histoire est construite autour d’un élément emblématique : le voile noir dont le Révérend Hooper couvre son visage pour le dissimuler aux yeux du monde. Le récit se déroule dans la Nouvelle-Angleterre, dans la communauté puritaine de Milford. Un dimanche matin, les paroissiens qui assistent au service religieux sont stupéfaits de voir apparaître leur pasteur le visage couvert d’un voile noir descendant jusqu’à la bouche. Tout au long de sa vie, pas un seul instant le pasteur ne renonce à ce voile, même lorsque sa fiancée Elizabeth l’y exhorte.”

Extraits du texte de Piersandra Di Matteo

D’un chao infernal (vision de notre monde, de celui d’avant?) on glisse vers l’émergence du texte pour être ensuite invité, dans un intérieur austère aux accents bergmaniens, à la rencontre du pasteur. Un train fumant envoie ce dernier dans les limbes et ouvre un présent version Castellucci.
De crêpe noir, le voile se fait lourde plaque de verre que l’on traîne; on se dévoile, s’expose entier aux regards, mais?, protégé/inaccessible. L’écran transparent se fait coupure du corps et de l’espace, il tranche entre soi et l’autre. On ne voile plus le regard pour se soustraire. Mais, un rempart cristallin/limpide (incassable ?) nous sépare/protège de l’autre, des autres, nous empêche à lui/eux, quand bien même il laisserait? Tout voir.

«Toc, toc, toc, Qui êtes-vous ?… Nous sommes les monstres!». De quel côté de la vitre, du rideau, de l’écran ?
Qui/Que sont les spectateurs, les acteurs?? Où sont-ils?? Quel corps ont-ils pour celui qui crée/les crée?? De quel  fantasme(s)/désir(s) participent-ils ? Ont-ils/prennent-ils une place dans ce qui se joue, là, sous les yeux de caméras «Catafalques»  et  «Fétiches cataboliques»?
Rien n’appelle l’émotionnel  brut, nous sommes presque dans les mathématiques/sciences  appliquées.  Ça bouscule! Mais, c’est davantage à une démarche intellectuelle  que semble nous inviter Castellucci. Pourtant, le tout touche à l’existentiel et à l’intime, sans détour aucun. Mais, avec le dernier «Chapitre», soin nous est offert/enjoint d’emporter nos dévoilements.
Question toutefois : ce spectacle tient-il une deuxième vision quand l’effet de saisissement n’est plus? Les questions qu’il ouvre là seront-elles encore? Ou, la facilité de certains tableaux envahira-t-elle alors l’espace à en ouvrir de l’agacement? Je reste méfiant avec Castellucci !  

Cette ébauche peut se bonifier ou se détériorer, à voir/revoir quoi qu’il en soit.
Bernard Gaurier – Le Tadorne.
« Le voile noir du pasteur » par Roméo Castellucci au TNB de Rennes du 15 au 19 mars 2011. Au Festival d’Avignon du 20 au 26 juillet 2011. A Berlin du 13 au 15 octobre 2011. Au Théâtre de la Ville de Paris du 20 octobre au 4 novembre 2011. A  Rome du 9 au 19 novembre 2011. A Strasbourg du 1er au 4 décembre 2011. A Poitiers les 9 et 10 décembre 2011. A Toulouse les 15 et 16 décembre 2011.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

La belle odyssée du théâtre des idées.

Le bonheur au théâtre est chose rare. Il existe quand il nous embarque dans une histoire commune, où se joue ce qui nous rassemble, où se constitue dans la salle une assemblée de spectateurs prête à écrire une constitution pour un nouveau contrat culturel et social! « La Petite Odyssée », mise en scène par Grégoire Callies du Théâtre Jeune Public de Strasbourg, épopée en trois tableaux d’une heure chacun, est l’acte politique et artistique que nous attendions en ces temps de perte totale des valeurs et des repères.

Imaginez, un théâtre de marionnettes, qui convoque petits et grands pour nous entraîner dans la folle histoire des idées (du Moyen-Age à la fin de la deuxième guerre mondiale) où les innovations, l’art et les  conflits s’enchevêtrent tandis que la mise en scène et les décors font la fête pour que l’intelligence du spectateur mobilise tout “le sensible disponible”!

Tout commence avec Odyssée, une jeune fille qui vient de perdre son père. Nous sommes au Moyen-âge. Alors que son petit monde s’apitoie sur elle, elle va parcourir le Monde, le traverser de siècle en siècle, comme un remède au  malheur, à l’isolement, à l’analphabétisme. Son émancipation est à ce prix. Sur sa route, elle rencontre Bernie, jeune castra à la voix d’or. Enfant de la balle, il occupera bien des emplois, croisera tant de penseurs et de chercheurs qu’il finira par incarner l’évolution de notre condition sociale. Ces deux personnages mettront bien du temps à se déclarer, car leur relation complexe est un alliage subtil entre le coeur et de la raison, la culture et l’intuition, l’engagement politique et la lutte sociale. Le spectateur peut imaginer toutes les alchimies.

Nous voilà donc embarqués pour trois tableaux, où la mise en scène épouse les siècles et les courants. Incontestablement, Grégoire Callies est l’homme de son temps, prêt à révéler dans le deuxième tableau  ce qu’il cachait dans le premier (du Siècle des Lumières à l’époque des mécaniques, mais chut!). En convoquant Leonard de Vinci, Diderot, Rousseau, Delacroix, il nous émerveille à partir de dialogues et de décors foisonnants. Le cinéma s’incruste dans le jeu d’acteurs pour mobiliser notre regard d’enfant, notre créativité comme si nous étions toujours propulsés au croisement du « moi » (mon théâtre d’enfant) et du « nous » (ce qui nous relie quand nous allons au spectacle). C’est si beau que tout semble possible parce que tout se croise, s’enchevêtre, se débat et s’ébat. On croirait les marionnettes danser tandis que le corps se libére peu à peu au fil des siècles.

Les décors se succèdent les uns après les autres et je suis submergé par le souvenir des images des “Éphémères, épopée familiale de plus de six heures d‘Ariane Mnouchkine. Grégoire Callies a trouvé son “théâtre du soleil”. Les dialogues sont merveilleux parce qu’ils sont habités par une utopie qui se diffuse dans toute la salle! Nous voilà embarqués avec Harriet Tubman qui sauve les esclaves noirs pour les emmener au Canada. Nous sommes estomaqués par le courage de Flora Tristan qui soustrait Odyssée de la prostitution alors qu’elle se trouve à Londres. Heureux spectateurs que nous sommes d’entrer en résonance avec ces héros dont on parle si peu et qui pourtant incarnent nos valeurs d’aujourd’hui!

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En même temps que nous traversons ces trois tableaux, notre regard de spectateur évolue à l’image de la composition de la salle. Les enfants présents dans le public au premier épisode se font plus rares quand est abordée la Deuxième Guerre mondiale qui voit débarquer un groupe de jeunes scouts! Les enjeux se complexifient, le théâtre est alors moins visuel et plus cérébral. La vision est plus pessimiste à mesure que l’on plonge dans les horreurs de l’humanité. La mise en scène finit par s’alourdir pour ensommeiller l’enfant qui en nous. Comment raconter l’inimaginable aux enfants? Il semble alors évident que Grégoire Callies fait un théâtre pour adultes destinés aux enfants. Il convoque tant de personnages (Albert Einstein, Sigmund Freud, Hitler, Germaine Tillion, Milena Jesenská et Margaret Buber, ..) que cela devient étourdissant! L’emballement de l’Histoire jusqu’à nos jours est un appel presque désespéré du théâtre à nous ressaisir alors que le monde peine à trouver une voie, un combat commun contre un oppresseur invisible (le marché financier).

C’est alors que l’on quitte notre “petite Odyssée” sonné. Mais plus courageux qu’en y entrant pour sauver Odyssée et Bernie de leur triste condition, oppressés par les logiques de la dictature des médias et de leurs financeurs.

Oubliés par le politique qui pense que les idées ne sont plus un théâtre.

Pascal Bély– www.festivalier.net

“La petite Odyssée”, trilogie, mise en scène par Grégoire Calliés; Théâtre Jeune Public de Strasbourg: le 12 juin 2010 au Théâtre Massalia (Marseille).

Crédit photo: Anémone De Blicquy.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Camille poétise ma “scène d’amour’.

C’est Félix le chat qui chipe la flûte du charmeur de serpents pour réconcilier les amoureux.

C’est un vieux clown anglais qui joue avec des bulles de savon.

C’est un scarabée qui fait du vélo dans une assiette.

C’est un gospel interprété par des chiens avec une dresseuse de caniches en justaucorps.

C’est un concert de verres en cristal avec à l’écran une mouche qui fait l’acrobate.

C’est trois boulons et une capsule de Heineken qui font le spectacle sur une boîte à musique.

C’est Camille enceinte qui fait du hula hoop sur scène.

C’était hier, dans un Paris désert pour cause de foot : la cinquième et dernière carte blanche de la chanteuse Camille  à l’auditorium du Louvre avec toujours pour consigne : associer pour le temps d’un ciné-concert, cinéma muet et musiques actuelles. Cette fois le thème choisi était le cirque, et le partenaire Clément Ducol (son acolyte sur la tournée de Music Hole) La soirée fut sans doute moins hilarante qu’en mars où l’on traita de fantômes, mais atteint ?en témoignent mes frissons sur la peau- des sommets de poésie. Car le plaisir ne fut pas cérébral, mais émotionnel. De l’ordre de la première gorgée de bière, de la broutille qui attendrit, du futile qui rend sens à nos vies.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=bOOn9n6jja4&w=410&h=218]
Pour en être convaincu, il suffit d’écouter Edgar Morin qui déclare dans une récente interview au Monde: « Dans la résistance à la cruauté du monde et à la barbarie humaine, il y a toujours un oui qui anime le non, un oui à la liberté, un oui à la poésie du vivre ».

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À des années lumière de la fragilité des ailes de mouches, des bulles savons et du cristal des verres de Camille ; la puissance et la force d’être soi de Juha Pekka Marsala qui présenta « Scène d’Amour (in cut) » dans le cadre de June Events , le festival de la chorégraphe Carolyn Carlson. Le spectacle est accompagné pour la première fois en live par le groupe de pop The Dø dont Olivia Merilahti, la chanteuse, est d’origine finlandaise tout comme Juha Pekka Marsalo.

Il débute avec la ronde de trois danseurs. Avec rage et brutalité, ils n’ont de cesse de projeter leurs corps sur le sol. Pourtant dès qu’ils le touchent, comme victimes d’électrochocs, ils se raidissent et repartent dans la ronde. Je repense alors à une autre chorégraphe, Julie Nioche pour qui « Toutes ces activités qui ne produisent que de la perte représentent et transpirent tout ce qu’il y a de plus humain en chacun de nous : courir à sa perte*».

En effet, plus tard, en pleine discussion, ils seront atteints d’un syndrome similaire : alors qu’ils échangent avec les autres, l’un d’eux est soudain pris d’une douleur aiguë au niveau du c?ur. Ils s’effondrent puis reprennent tout naturellement part à la discussion. Le coup de foudre ? Ils l’ont pour les trois danseuses qui les accompagnent et revêtent pour un temps leurs chemises trempées de sueur. Parmi elles, la petite fée Sara Orselli, danseuse prodigieuse par son énergie et sa capacité à interpréter. Quand elle entre dans le carré de lumière qui définit la « scène d’amour », on lit dans son visage la gourmandise d’être courtisée et quand elle traverse avec majesté le rideau de perles qui sépare les danseurs des musiciens de The Dø, Sara paraît ne plus toucher le sol, elle glisse littéralement jusqu’à nous.

Le spectacle fini, nous participons à une improvisation collective, buvons du champagne pour fêter les 10 ans du festival et regardons se consumer dans la nuit de fines bougies qui crépitent.

À mille lieux de ceux qui font le monde, de ceux qui perdent et de ceux qui gagnent, je trace un lien invisible entre la fragilité des bulles de savon de Camille et la puissance des danseurs de Juha.

S’éblouir devant presque rien ou ressentir la brutalité d’être soi, tout semble avoir le même but, juste se sentir vivants. Si les danseurs s’effondrent de tout leur poids, ils se relèvent pour reprendre leur place dans la ronde. Dans « Scène d’amour » comme dans la vie, il semble qu’il faille lâcher prise pour éprouver le bonheur d’être soi.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

 « En piste ! » de Camille était la 5e et dernière soirée de sa Carte Blanche à l’Auditorium du Louvre le vendredi 11 juin 2010 et « Scène d’amour (in cut) » Juha Pekka Marsalo avec The Dø, était présenté le samedi 5 juin 2010 dans le cadre du festival June Events à La Cartoucherie de Vincennes.

Crédit photo: Maxime Ruiz.

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*Citation extraite du DVD La Sisyphe, Les Sisyphes.

 

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KLAP, MARSEILLE L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Les baisers chics de Michel Kelemenis.

C’est à Lambesc, petite ville du pays d’Aix en Provence, où le chorégraphe Michel Kelemenis nous invite pour voir, revoir, « Besame Mucho ». Comme au bon vieux temps des tournées en caravane, je l’imagine transporter sa danse pour y déposer un mouvement poétique, ressource inépuisable d’un imaginaire partagé. Alors que nous vivons une crise profonde de civilisation, la danse doit quitter nos théâtres « dorés » pour s’engager dans les terres. Parce qu’elle est l’art de la régénérescence, elle se doit de labourer.

Créée en 2004, cette oeuvre régénère et prend le chemin de la chanson qu’elle honore : celle d’une danse intemporelle, au-delà des courants. « Besame mucho » est une danse où les mouvements chantent. Tout commence avec cette bouche grande ouverte de la toujours troublante Caroline Blanc. Ce cri de la naissance, de la solitude, de l’effroi, la danse va peu à peu l’apprivoiser, guider ses pas vers ses lèvres pour un baiser à « l’origine du monde »…

Michel Kelemenis invente alors une danse de l’âme amoureuse et c’est prodigieusement magnifique. Profondément habité. Joliment habillé par les vêtements dessinés par Agatha Ruiz de la Prada aux couleurs verte et rose d’une sucette à l’anis. L’envie d’y goûter est immédiate. L’habit fait alors le moine. Ils ne les quittent jamais, juste les soulèvent-ils parfois, oui mais pas tout de suite, pas trop vite. Car il faut du temps pour que ce « besame mucho » réveille nos peurs, nos joies, nos angoisses de ce baiser fatal. Que n’avons-nous pas essayé, tenté, arraché, malmené, pour lui ? Car ce baiser, loin des clichés gnangnan véhiculés par la publicité et la bonne morale, est un corps à corps où s’écrit ma plus belle histoire d’amour.

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Mais comment ne pas ressentir la relation que nous entretenons avec la danse : attraction, répulsion, et intranquillité. Elle créée le lien entre le mouvement, espace de divagation, et ce baiser, souffle vital. Tout se rejoint d’autant plus que la bande sonore composée par Jean-Jacques Palix à partir de douze versions est un beau fil d’Ariane qui amplifie l’élégance et vient chercher ce que nous avons enfoui, perdu, par habitude, parce qu’il est peut-être trop tard ou trop tôt. Michel Kelemenis convoque l’humour pour continuer d’en rire comme lorsque nous étions adolescent. Cette chorégraphie est une quête de violence et de douceur ; on y danse ce qu’on effleure pour donner de la profondeur. Elle joue avec les apparitions et disparitions et l’éphémère fait soudainement moins peur.
L’émotion me submerge : ces danseurs, tous virtuoses, font défiler mon Histoire d’amour. Leur jeu de cache-cache, de baisers volés, de ruptures et de coups de foudre, rouvre la plaie, comme une pudeur des sentiments maquillés outrageusement rouge sang.
Ce soir, j’ai de la danse sur les lèvres.
Pascal Bély – www.festivalier.net

« Besame mucho » par Michel Kelemenis a été joué le 27 février 2010 à Lambesc (13).
Crédit photo: Laurent Lafolie.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

Le festival « Tanz im August » à Berlin avait-il prévu un tel buzz en programmant Cecilia Bengolea et François Chaignaud avec « Pâquerette », danse pénétrante munie d’un godemichet ou d’un sex toy (à chacun d’apprécier) ? Toujours est-il que la presse berlinoise a largement relayé « l’événement », augmentant la frustration du public qui n’a pu trouver de place (deux représentations et une toute petite jauge à Tanzfabrik).
Est-ce un événement, une nouvelle approche du corps dansé, une révolution ? J’attends de ces deux explorateurs d’être bousculé et étonné. À l’issue des trente minutes, je quitte le lieu circonspect alors que des rires bien gras résonnent dans les allées. Je ne suis pas plus avancé : s’introduire un objet dans l’anus ne fait pas (encore) une danse.
Pourtant, le premier quart d’heure est prometteur. Habillés de longues robes aux motifs orientaux, nos deux danseurs, telles des statues religieuses, ne tardent pas à fissurer le ciment de nos représentations puritaines. Leurs corps s’étirent puis éructent : on les imagine pénétrés et toute l’intensité dramatique est là. La danse est à ce moment précis l’espace où nous projetons nos fantasmes, où notre imaginaire se nourrit de cette part de mystère (mais qu’il y a-t-il donc sous leurs robes ? Que suis-je finalement venu voir ?), où la relation entre les deux danseurs s’interpénètre.
Alors qu’ils quittent leurs habits, nous découvrons leur corps d’où surgit un sex toy transparent, telle une torche prête à s’enflammer. L’objet, dans l’anus, semble les bloquer dans une équation insoluble : comment danser le plaisir anal tout en prolongeant le mouvement ? La réponse ne vient pas malgré les efforts du couple à danser ce qui les unit. Le corps n’est qu’une matière manipulée, où l’objet est incapable de s’immiscer ailleurs que dans un orifice. Alors qu’ils finissent pas se séparer de cet objet finalement très encombrant, ils tentent à nouveau la performance d’une danse « doigtée » qui n’apporte rien de plus.
Pour faire oeuvre, « Pâquerette » devait transgresser certains codes de la danse. En introduisant le sex toy par des mouvements « classiques » de la danse contemporaine, François Chaignaud et Cecilia Bengolea ne change pas la forme (qui aurait pu véhiculer des valeurs différentes que la seule transgression).
L’anus introduit bien d’autres éléments (sociologiques, culturels, psychologiques) qu’un simple objet ne peut transcender.
La voie est donc ouverte pour créer le mouvement d’un dedans vers un dehors, pour qu’une muqueuse rendre poreuse les frontières. Alors que certains artistes s’intéressent à l’interaction homme – machine, rendons hommage à ces deux danseurs d’explorer les possibles de l’humain.
Avec le temps, cette pâquerette mérite de s’introduire dans un joli bouquet.

Pascal Bély
www.festivalier.net

« Pâquerette» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 24 août 2008 dans le cadre du Festival “Tanz im August” à Berlin.