Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Avignon OFF – Cour d’Honneur.

Des adultes accroupis, repliés sur eux-mêmes, éloignés les uns des autres, mains fermées sur le visage. Debout, des enfants les observent. Ils s’avancent vers chacun d’eux, les prennent par la main et les mettent délicatement en relation. Ces adultes aveugles sont guidés par des enfants-lucioles. Ils forment à présent un cercle autour des petits qui, par ses mouvements de va-et-vient, miment une bouche souriante ou une respiration. C’est une danse. Une procession célébrant la joie retrouvée, sous forme de recherche d’eau. Elle devient frénétique, des cris retentissent. On entend la voix du chorégraphe Philippe Lafeuille : « Le groupe du bonheur regarde le soleil ! ». Le soleil, c’est l’autre groupe. Une enfant-ours avance à genoux, grognant, geignant, et entrainant avec elle une véritable meute qui figure la force du collectif.

“- C’est fou, s’exclame une participante… ! 

– Comment tu fais le fou-fou ? »

En réponse à cette réplique de Philippe, elle prend alors un voile qu’elle fixe sur sa taille, entame une danse traditionnelle, libérant une charge émotionnelle qui semble contenue depuis très longtemps. Cette libération tant attendue contamine l’ensemble : femme enceinte, personne âgée, bébé, enfants. Les mots de Philippe Lafeuille donnent à chacun des acteurs la force d’exister, là, sous ce chapiteau, au milieu des regards d’inconnus. La vulnérabilité, les blessures, visibles par endroits, s’inscrivent dans cette dynamique, comme chez cet enfant hyperactif devenu « petit poids sauteur » joyeux, ou chez cette femme, que la fatigue due à la chaleur et au ramadan n’empêche pas de danser, encore et encore. Dans les yeux, dans les gestes, avec force et intensité : « Nous existons ! »

IMG_3594

Nous sommes au Magic Miror, village du Festival Off d’Avignon, pour l’Offinité n°2. Cette nouvelle journée accueille des parents-enfants de la ville de Vitrolles, principalement des femmes avec leurs enfants de 2 à 10 ans. Elles sont accompagnées pour l’occasion des travailleurs sociaux, professionnels de la parentalité, qui les suivent au quotidien, réunis dans le réseau Vitrolles Réseau Familles. Des professionnels donc, mais aussi des bénévoles, tous immergés pour l’occasion dans le processus de la journée, qui consiste à vivre avec ces familles deux spectacles du Off ponctués de moments d’échanges. Avec l’équipe des Tadorne (Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Sylvain Saint-Pierre), ils articulent leurs ressentis esthétiques et ce qu’ils vivent au quotidien.

Dès le matin, elles sont arrivées en Avignon chargées de soucis du quotidien et de sourires timides, mais aussi de sacs à dos remplis pour la journée. Elles, pour qui c’est le premier Festival et peut-être les premiers spectacles. Leurs yeux brillent déjà à l’idée de vivre cette journée, même si certains à cause du ramadan avaient eu une nuit courte.

IMG_3590

Sur le chemin conduisant au premier théâtre, les enfants ont les yeux grands ouverts et les mains tendues pour effleurer joyeusement les affiches ou saisir les tracts. Ils récoltent pour se souvenir, garder une trace. Deux petites filles portent le lourd catalogue du Off pour choisir à la maison avec leur grand mère et revenir ; déjà l’envie d’un retour…

montagne-uwbf

La montagne écrit par Aurélie Namur, mis en scène par Florence Bernad, va nous entrainer dans un voyage initiatique. Comment deux êtres différents, un ours et une biche, vont cheminer sur un territoire, en se fédérant par la confiance. La danse de Mickaël Frappat oscille sur la scène couvrant les moindres espaces. Notre imaginaire scrute à travers les branchages et monte sur le mur d’escalade. La douceur du plateau enveloppe les spectateurs adultes et enfants dont les corps, tendus, droits, sont à l’écoute. Alors que la pièce évoque un monde séparé en deux par l’autoroute A7, comment ne pas faire de lien avec ces spectateurs venus de Vitrolles, ville elle-même coupée en deux par cette voie rapide et longtemps clivée politiquement ?

splach1

L’après midi, “Splatch” de la compagnie « Les déménageurs associés », va agir comme un rafraichissement. Les jeux aquatiques, tout en lâcher prise, conduisent les spectateurs sur une petite embarcation imaginaire, les faisant naviguer face à ces deux femmes clowns.

Tout au long de la journée jusqu’au moment avec Philippe Lafeuille, Tadornes, familles, professionnels de la parentalité, nous avons travaillé le geste comme sens et comme «soin» : prendre soin de l’autre, lui accorder de l’attention, s’associer à son mouvement propre, adoucir ses peines, lui faire éprouver de la joie.

Nous nous quittons les yeux brillants, en ayant le sentiment que cette journée est passée trop vite. Après la qualité intense de ce vécu, comme des enfants, nous voulons déjà recommencer, encore et encore.

Toutes les villes devraient créer des dynamiques comme celle ci pour sa population.

L’art vivant nous offre la possibilité de vivre ensemble, en créateurs.

L’art politique et intime dans un même mouvement.

Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre  – Tadornes

Parents, enfants, que voyons-nous ensemble?” a été présenté dans le cadre des Offinités du Tadorne le 12 juillet 2014. Prochains rendez-vous:

Le 14 juillet, « le OFF des spectateurs passionnés »: ils sont infatigables, engagés, explorateurs, curieux et le feront savoir. Rendez-vous à 9h à Utopia.
Le 16 juillet, « le vrai OFF des manageurs et des chercheurs »: ils animent des équipes, bâtissent des projets, cherchent dans des univers complexes et s’inspirent des esthétiques théâtrales. Rendez-vous à 9h au Village du Off.
Le 18 juillet, « Le bel OFF du lien social »: enseignants, travailleurs sociaux, éducateurs, créateurs ….L’Humain est leur quotidien, l’art est leur outil pour donner voir de prés et de loin. Rendez-vous à 9h au Village du Off.
Le 20 juillet, « Spectateurs étrangers, spectateurs français: croisons nos regards ». Le OFF, premier festival de théâtre au monde, fera entendre une vision croisée de la création contemporaine française et étrangère. Rendez-vous à 9h au Village du Off.
Le 22 juillet, « Le grand écart du OFF »: les uns ne voient que du théâtre; les autres que de la danse. Et si on inversait? Rendez-vous à 9h au Village du Off.
Le 24 juillet, « Le OFF est-il IN? »: les uns vont au In et au Off, les autres vont au Off et au In. Écoutons nos curiosités. Les cloisons sont étanches! Rendez-vous à 9h au Village du Off.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG PETITE ENFANCE

Avignon OFF- Etre professionnel de la toute petite enfance est un art.

« Etre dans la virgule »

En ce matin gris et froid du 10 juillet 2014, date de la 1ère Offinité du Festival Off d’Avignon, elles sont toutes à l’heure. Elles, ce sont les 30 professionnelles de la petite enfance qui arrivent de Martigues, Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Vitrolles, Montpellier et Pont-de-Claix. Elles ont fait le choix de s’engager dans un même processus temps, accompagnées en cela par le groupe des Tadornes – Pascal Bély, Sylvie Lefrère et Sylvain Saint-Pierre.

Au départ, dans la cour de la Maison du Théâtre pour enfants de Monclar, nous leur demandons un geste pour poser le socle de la journée, celui du mouvement de la rencontre entre l’art et la petite enfance.

offinités

Très vite, ces femmes, qui ne se connaissent pas, se mettent en lien. Un groupe déhiérarchisé et décomplexé. Les mots suivent la dynamique et donnent de la visibilité aux projets. Leurs danses commencent, mine de rien, dans un pas, une rotation, un regard. Ainsi, tout a débuté par une, trois, six d’entre elles, pour finir ensemble dans les mains de Philippe Lafeuille, danseur chorégraphe, au Majic Circus du Village du Off.

lunatic

Mais avant d’en arriver là, deux spectacles les ont aidées à créer leur danse. « Marche ou rêve» de la Compagnie Lunatik a offert une vision tournée vers le grandir. Deux comédiennes jouent avec les mots, en lien avec leurs chants rythmés. Elles sont l’enfant explorateur d’entrailles de bambous, chercheurs de trésor. Elles vont lutter contre vents et marées, en équilibre permanent entre réalité et rêve.

Us-Band++Bords+scene+a+4

Dans « Us-band», 4 hommes nous attendent sur le plateau. Ils ont chacun leur singularité et sont réunis dans une élégance complice. Ils ressemblent à ces enfants qui évoluent en crèche : ils jouent à se pousser, à se jauger, à courir, à se rencontrer dans ce qu’ils sont dans un espace donné. Ils sont eux, ils sont nous. Adultes, enfants. Samuel Mathieu a dû finement observer l’enfance pour une restitution de cette qualité. Le corps des enfants est omniprésent dans ses touchers, ses déplacements, ses regards. Les jeux déploient le plaisir et la dynamique. Une claque sur la cuisse engage cette énergie, le mouvement.

Ces mises en scène réunissent pleinement les spectatrices de la petite enfance, inspirent leurs restitutions chorégraphiées qui ponctuent à de nombreuses reprises la journée. C’est la construction d’un projet, d’une utopie, en cherchant, en marchant. Patiemment…

Car, au-fur-et-à-mesure des spectacles vus et joués par ces femmes, émergent ces questions : comment relier le monde de l’art et celui de la petite enfance ? Qu’est-ce que le geste révèle comme mouvement de fond ? Durant leur travail chorégraphique mené la journée, elles ont établi des liens entre des ressentis communs à ces deux univers : l’enthousiasme, le retour sur soi, la vision de l’autre dans le groupe, la vision globale au sein du groupe, la vision esthétique, l’ouverture vers l’Autre, au-delà du groupe, et enfin le lâcher prise. Sans que cela ait été prévu initialement, ces chorégraphies, mises bout à bout, procèdent du même éveil progressif que celui qui conduit l’enfant à prendre conscience de son humanité. Leur mouvement d’ensemble mène au lâcher-prise…qui amorce en retour une circularité créatrice, puisqu’il nourrit l’enthousiasme, le retour sur soi, et ainsi de suite : le point d’arrivée devient point de départ. L’adulte professionnel, par l’art, retrouve l’enfance, le corps-sujet, le décloisonnement, l’impulsion immédiate et la relation. Il faut ré-enchanter, ré-enfanter les structures d’accueil de la jeunesse, de la même manière que le philosophe Bernard Stiegler considère qu’il faut « amateuriser » les pratiques professionnelles (amateur venant d’ « amor », ce qui veut dire « aimer »), qu’elles soient critiques, artistiques ou autres.

A plusieurs reprises, notre cordon de spectatrices s’est étiré à travers la ville. Les pas se sont emboités avec ceux des tracteurs. Des relations, des questionnements, des idées ont jailli. Le temps a été notre censeur, en mouvement à toujours nous courir après ou nous rattraper.

IMG_3564

Au village du Off, ces femmes vont se saisir de tous ces ingrédients respirés dans la journée et les mettre en émulsion grâce à Philippe Lafeuille, notre monsieur loyal créatif. Le public ne va pas en croire ses yeux : des rires et des mouvements fusent en tous sens, tout en étant recentrés sur l’essence même de leur projet commun. Le centre du chapiteau Majic Mirror laisse résonner le bruit de leurs pas engagés et de leur soif de liberté qu’elles libèrent pleinement dans leur élan collectif de lâcher prise.

Le processus temps de la journée a permis à ces femmes de révéler le potentiel qu’elles portent en elles. Elles ont contribué à façonner une nouvelle relation critique, au cœur même du village du Off. Une pensée critique en acte, en mouvement, joyeuse, libérée. En un mot : incarnée.

Le 10 juillet, l’émerveillement du spectacle était dedans, dehors, partout, dans une vision globale de spectateurs-acteurs passionnés.

Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre – Le Tadorne

« Le Grand Off du Tout-Petit » dans le cadre des Offinités du Tadorne, le 10 juillet 2014.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Communiqué de presse: Le OFF d’Avignon propose aux spectateurs 8 parcours de festivaliers. 

Greg Germain, Président du OFF, a confié à Pascal Bély, animateur du blog de spectateursle Tadorne (www.festivalier.net), le soin de proposer plusieurs parcours où se croiseront spectacles et regards critiques. Les « Offinités du Tadorne »  se dérouleront les jours pairs entre le 10 et le 24 juillet 2014 de 9h à 18h. Chaque groupe, composé d’une vingtaine de spectateurs, sera accueilli dès 9h puis il assistera à deux représentations (entrecoupées de séquences d’écoute des ressentis) pour rejoindre à 17h, le Magic Mirror où le chorégraphe Philippe Lafeuille lui proposera une performance dansée publique à partir de ses retours critiques.

L’objectif de cette expérience unique dans l’histoire du festival est de donner une meilleure visibilité de l’engagement des festivaliers et de la diversité de leurs regards sur les différentes programmations qui le composent.

Le calendrier:

Le 10 juillet, « le Grand OFF du tout-petit »:  des professionnels de la toute petite enfance portent une regard sur la création pour les touts petits (complet)

Le 12 juillet, « Parents, enfants, que voyons-nous ensemble? »: des professionnels de la parentalité de la ville de Vitrolles accompagneront un groupe de parents et d’enfants venant pour la première fois au Festival (complet).

Le 14 juillet, « le OFF des spectateurs passionnés »: ils sont infatigables, engagés, explorateurs, curieux et le feront savoir.

Le 16 juillet, « le vrai OFF des manageurs et des chercheurs »: ils animent des équipes, bâtissent des projets, cherchent dans des univers complexes et s’inspirent des esthétiques théâtrales.

Le 18 juillet, « Le bel OFF du lien social »: enseignants, travailleurs sociaux, éducateurs, créateurs ….L’Humain est leur quotidien, l’art est leur outil pour donner voir de prés et de loin.

Le 20 juillet,  « Spectateurs étrangers, spectateurs français: croisons nos regards ». Le OFF, premier festival de théâtre au monde, fera entendre une vision croisée de la création contemporaine française et étrangère.

Le 22 juillet, « Le grand écart du OFF »: les uns ne voient que du théâtre; les autres que de la danse. Et si on inversait?

Le 24 juillet, « Le OFF est-il IN? »: les uns vont au In et au Off, les autres vont au Off et au In. Écoutons nos curiosités. Les cloisons sont étanches!

Inscription sur le blog officiel du OFF: http://blog.avignonleoff.com/journee-particuliere-festival-off-avignon-tadorne/

Portrait de Pascal Bély:

Pascal Bély est consultant auprès du secteur public et associatif. Depuis 20 ans, Il accompagne les équipes pour révéler leurs visions créatives d’un projet global. En dialogue avec son positionnement de consultant, il a crée en 2005, “Le Tadorne » (www.festivalier.net), un blog de critiques sur l’art animé avec un collectif de spectateurs.: “Si l’art crée du lien, Le Tadorne pense que tout se relie à l’art…Aux regards binaires sur les oeuvres, le spectateur-critique du Tadorne préfère les approches engagées, sensibles, où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté, et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent”.

Portait de Philippe Lafeuille:

À travers son travail de chorégraphe, Philippe Lafeuille engage le corps en mouvement dans une grande liberté, loin de toute étiquette ou chapelle. Il propose une écriture chorégraphique qui emmène le corps vers le théâtre. Peut-être la volonté de créer un “théâtre de la danse”. L’espace scénique devient alors un terrain de jeux de tous les possibles, où l’art chorégraphique tisse avec le théâtre, mais aussi les arts plastiK, l’humour et la poésie la toile de tous les possibles.

Contact Presse, OFF Avignon: Jphirigaud@aol.com

Contact Pascal Bély: 06 82 83 94 19 – pascal.bely@free.fr

Catégories
ETRE SPECTATEUR

À cet endroit.

Depuis que la culture et la communication ne font qu’un ministère, femmes et hommes de pouvoir ont pris la fâcheuse habitude de définir des éléments de langage, pour imposer leur culture de l’entre soi. Avec Nicolas Sarkozy, ministres et militants recevaient chaque jour leur lot de mots à respecter pour peser dans la conscience du citoyen. Avec Manuel Valls, cette pratique revient en force visant à nous infliger un vocabulaire basé sur la testostérone, car le combat est masculin.

L’élément de langage n’est pas redéfini tous les jours. Il s’adapte au gré de la saison qui n’a plus rien à voir avec celles de Vivaldi, encore moins avec la période scolaire. La saison se prépare en secret, s’imprime, se présente lors de grandes messes de communication. Le vocabulaire se choisit pour en imposer. L’élément de langage traine parfois dans l’éditorial de la  saison,  mais il s’expérimente surtout dans les conversations de l’entre-soi. Il y a quelques années, on entendait fréquemment employer l’expression «embarquer le public» pour signifier qu’il y avait une destination et que l’on n’y échapperait pas ! Plus tard, «traversée» ou «traverser» furent deux mots fétiches (et valises) pour nous imposer l’idée qu’il y avait un lien entre les différentes propositions et qu’il était de notre devoir de le trouver. Si «embarquer» supposait l’achat d’un seul programme, «traverser» nécessitait de débourser pour plusieurs embarcations. L’élément de langage est aussi très malin.

Mais «traversée» n’a duré qu’un temps, car l’horizontalité n’aime pas être enfermée dans un discours vertical. L’élément de langage sait aussi se révolter…

C’est alors qu’un autre mot s’est glissé…mieux élevé… «Résonance»…Cette fois-ci, nous voilà piégés…«En résonance avec l’actualité»…«En résonance avec un tel nous proposons une telle»… «Parce que ça résonne»…N’en jetez plus, cet élément-là, c’était du lourd. Il ne s’agissait  plus de célébrer les liens que nous pourrions faire, mais de ressentir au plus profond de nous-mêmes le lien que nous devions faire. Avec fracas ! Car la résonance sait faire du bruit. C’est au-delà du «j’aime», «je n’aime pas». Résonner n’est pas aimer. Résonner, c’est être sens dessus dessous…Entrer en résonance avec différentes œuvres, c’est célébrer le réseau qui a été patiemment tissé. Car si vous avez aimé un tel, vous résonnerez avec un autre…Ici, l’élément de langage est puissant : il prend en otage vos ressentis pour légitimer le  réseau…

Mais «résonance» en a eu assez d’être mise à toutes les sauces d’autant plus qu’issue du langage psychanalytique, elle n’est pas prête à résonner avec n’importe quoi, ni avec n’importe qui…

C’est alors qu’arriva… «À cet endroit» ! À ce jour, c’est l’élément de langage le plus puissant…C’est un rouleau compresseur…il emporte tout sur son passage. «À cet endroit, ça résonne»… «À cet endroit, ça traverse»… «À cet endroit, ça embarque»…. «À cet endroit» est multi tâches, multi pensée…multiple TOUT COURT. L’expression signe son  appartenance au milieu et l’attachement à la pluralité des opinions, à la liberté de la parole, à l’expression de la démocratie. Car «A cet endroit» est sans équivoque: c’est ici qu’il faut voir, penser, raisonner et nulle part ailleurs. «À cet endroit» évite que l’on se perde dans les chemins de la pensée complexe, permet de réduire le propos, de la caricaturer. «À cet endroit» fait «corps» entre celui qui profère et celui qui écoute. «À cet endroit» évite soigneusement que l’inattendu nous détourne de leur direction, que l’humain et ses fragilités déplacent l’objet du débat…à un autre endroit.

Décidément, «à cet endroit» a un bel avenir.

Mais il y a un risque…

Qu’un spectateur- blogueur bien intentionné communique sur l’élément de langage. Là, il en sera fini de sa monarchie de tabouret: il n’aime pas que l’on fouille dans ses affaires, que l’on dénonce son abus de langage et de pouvoir, que l’on alerte tous les autres mots privés de rhétorique, que l’on pointe son autoritarisme, que l’on défende la poésie. Car la poésie est du côté du sensible ; elle relie les mots sans pouvoir…elle met en puissance notre sensibilité. La poésie ne peut rien contre l’élément de langage, car il a le pouvoir. Celui que lui confère le réseau, le milieu, l’entre soi. Celui de maltraiter le mot qui ne pense pas comme lui…Celui de mettre à l’index le langage de l’insoumission là où il préfère des éléments suffisants et prétentieux.

Mais soyons des optimistes créatifs! «À cet endroit» va bientôt s’éteindre. Il va partir avec ses bagages et perdre sa couleur rose bonbon.

On ne peut rien contre le sens des mots : celui qui vous écrit sait qu’il n’est rien sans eux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Nous préparons vos journées particulières au Festival d’Avignon.

Pour préparer les Offinités du blog du Tadorne au prochain Off d’Avignon, Sylvie Lefrere de Montpellier, Sylvain Saint-Pierre de Paris, Bernard Gaurier de Bretagne et Pascal Bély d’Aix en Provence se sont dernièrement réunis à Marseille pour ressentir ce qu’ils allaient partager avec les spectateurs d’Avignon dans quelques semaines.

Cap sur deux expositions à la Friche Belle de Mai autour de l’architecte du MUCEM Rudy Ricciotti, des photos du collectif chicanos ASCO et de «Visages» à la Vieille Charité. Trois rencontres qui nous ont rassemblés autour du projet des Offinités, car nous y avons trouvé des appuis créatifs pour enrichir nos réflexions.

mucem

Nous nous sommes reconnus dans les paroles de Rudy Ricciotti, architecte du Mucem de Marseille, pour qui l’innovation repose sur le lien respectueux avec les différents acteurs (du maçon au maitre d’œuvre), socle de toute créativité. Nous nous sommes identifiés à son «combat» quand il décrit les chemins de traverse par lesquels il a contourné les rigidités institutionnelles. Nous considérons nos huit prochains rendez-vous avec les spectateurs comme une œuvre commune où nous déjouerons les voies rectilignes de la rencontre pour évoquer autrement nos ressentis sur les 3 spectacles que nous verrons chaque jour.

10174933_10203603693193373_5808249790112464336_n

La vision critique du groupe Asco, collectif d’artistes mexicains des années 70, nous a sidéré. Leur propos engagé s’appuyait sur la mise en jeu de leur corps. Nous souhaitons que l’engagement des spectateurs inscrits aux Offinités soit mis en mouvement avec la complicité du chorégraphe Philippe Lafeuille.  En fin de parcours à 17h, il leur proposera au Village du Off, de se projeter dans un imaginaire où les images de la journée formeront une chorégraphie qui englobera le public venu assister à son travail.

Le-Visage-du-genie-de-Rene-Magritte

À la Vieille Charité, l’exposition « Visages » nous a offert différentes perceptions, à l’image des parcours où vous serez invité. Il existe même une salle où sont proposés des liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur ! Au centre de la cour, il y a une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art : comment ne pas penser au Village du Off ? En quittant «Visages», nous ressentons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !

Ainsi, avons-nous relié ces trois expositions avec un plaisir jubilatoire. Comme si l’art nous permettait tous les liens possibles. Nous imaginons nos Offinités à l’image de ce week-end : explorer le théâtre à travers la dentelle de béton du Mucem ; s’engager comme ASCO dans la critique pour y dévoiler nos multiples visages.

Pascal Bély – Sylvie Lefrère – Bernard Gaurier – Sylvain Saint-Pierre.

Le programme des Offinités:

fleche-noire 10 juillet – « Le Grand OFF du tout-petit »
Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

fleche-noire 12 juillet – « Le Grand OFF des petits et grands »
Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent : « Qu’avons-nous vu ensemble ? ».

fleche-noire 14 juillet – « La critique en OFF des spectateurs Tadornes »
Les animateurs du blog « le Tadorne » et d’autres spectateurs vont au spectacle et s’interrogent : « C’est quoi être un spectateur Tadorne ? ».

fleche-noire 16 juillet – « Le vrai OFF des managers-chercheurs »
Chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent : « et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre ? ».

fleche-noire 18 juillet – « Le bel OFF du lien social »
Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent : « Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien ? ».

fleche-noire 20 juillet – « L’étrange OFF vu d’ailleurs »
Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent : « Le langage du théâtre est-il universel ? ».

fleche-noire 22 juillet – « Le grand écart du OFF »
Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : « Danse – Théâtre : un même mouvement ? ».

fleche-noire 24 juillet – « Le OFF est-il IN ? »
Un groupe de spectateurs IN-OFF fait le bilan du festival.

S’inscrire ici.

A très bientôt.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG LES EXPOSITIONS

Droit de réponse : « Au fond, c’est à quel sujet? »

Dans quelques semaines, Bernard de Bretagne, Sylvain de Paris, Sylvie de Montpellier et moi-même, animerons «Les Offinités du Tadorne» au Festival Off d’Avignon. Au total, huit rendez-vous avec des groupes de spectateurs reliés par une thématique, un enjeu. Nous débuterons avec des professionnels de la toute petite enfance le 10 juillet pour clôturer le cycle avec des spectateurs du « in » et du « off » qui croiseront leurs regards le 24 juillet 2014 (les inscriptions se font ici).

Pour préparer ce projet estival, nous nous sommes réunis à Marseille les 12 et 13 avril pour ressentir ce que nous allions vivre avec les spectateurs Tadornes d’Avignon : comment un parcours artistique peut-il questionner notre place dans un environnement où l’on enferme la culture dans ce qu’elle rapporte, où l’on réduit le public à une somme de consommateurs qu’il faut séduire à tout pris via un marketing abrutissant ?

Trois expositions ont jalonné notre rencontre : «Ricciotti architecte» et «ASCO and friends : Exiled Portraits» à la Friche Belle de Mai puis « Visages » à la Vieille Charité. À l’issue de ce cheminement, face au MUCEM, nous avons écrit ce texte, tel un manifeste, tel un droit de réponse à ceux qui font de la culture un espace de chasse gardée.

Dans une société française moulée dans le béton désarmé, nous sommes des spectateurs Tadornes, éléments d’un puzzle qui donnent une vision à l’art sous toutes ses formes. Nous sommes des explorateurs, banc de poissons pris dans la dentelle d’un filet de pêcheurs. En toute liberté, notre parole critique oscille dans les mailles et les flots du MUCEM de Rudy Ricciotti.

10174933_10203603693193373_5808249790112464336_n

À l’image du collectif d’artistes Chicanos de 1972 à 1987 ASCO, les spectateurs Tadornes sont reliés dans une même démarche, en mouvement. Nos singularités dialoguent dans un même engagement critique. Soudés tel un corps vivant, réceptacle d’émotions et de rébellions, nous passons par les quatre coins cardinaux où nous traversons des chutes et des ascensions. Nous ouvrons une porte sur l’art, y créons des passerelles qui offrent de la transparence, de la porosité, de l’esthétisme et de la chaleur humaine.

Les spectateurs Tadornes sont des artisans compagnons de l’art, ouverts sur de nouveaux horizons à imaginer ensemble.

Quand on s’adresse à eux, ils offrent leur écoute et tissent en reliant le monde proposé à la construction du leur. L’être là d’un spectateur est un mouvement, une respiration vitalisée ; l’art se construit et devient œuvre quand la rencontre des différences se fait écho d’histoire de vie.

Le-Visage-du-genie-de-Rene-Magritte

De notre week-end marseillais, nous retiendrons ceci…le retour à l’enjeu du visage. Celui d’une amitié, celui d’un face à face avec des œuvres, celui du projet des Offinités d’Avignon. Le visage comme porte d’entrée à des enjeux humains, au croisement du champ artistique.

Le visage d’un collectif, le groupe ASCO, qui nous regarde comme nous le regardons. Le visage de la volonté et du lâcher-prise, celui de Riciotti.

Le visage encore indéterminé du spectateur des Offinités 2014, que nous accueillerons cet été.

« Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » (Paul Valéry) : ce qui est le plus hostile au cloisonnement, c’est le visage.

Au Off, plus de 1000 spectacles, près de 200.000 spectateurs, et des visages que nous tenterons de révéler; auxquels nous donnerons corps et voix avec l’aide du chorégraphe Philippe Lafeuille.

mucem

Il nous reste à explorer toute la matière de nos liens dont nous ignorons, à l’image du béton du MUCEM de Rudy Ricciotti, ce qu’il deviendra. Nous savons qu’il nous faudra entrer dans le difficile, le rugueux, le nauséabond, pour y trouver les ressorts de notre aimable rébellion.

À la Vieille Charité, il existe une salle où l’on ose les liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur.

À la Vieille Charité, il existe au centre de la cour, une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art.

À l’image de l’exposition «Visages», nous pensons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !

C’est à cette complexité du vivant que nous osons parier quand d’autres rêveraient de réduire notre parole: notre détermination est sans faille, notre vision est dentelle.

Sylvie Lefrère, Bernard Gaurier, Sylvain Saint-Pierre, Pascal Bély – Tadorne

« Les offinités du Blog du Tadorne » au Festival Off d’Avignon du 10 au 24 juillet 2014.

« Visages » à la Vieille Charité à Marseille jusqu’au 22 juin 2014.

« Ricciotti architecte » jusqu’au 18 mai 2014 et  et « ASCO and friends : Exiled Portraits » jusqu’au 6 juillet 2014 à la Friche Belle de Mai.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Avignon 2014 : notre réponse à la lettre de Marie-José Malis.

Il est rarissime qu’une nouvelle direction d’un théâtre prenne le temps d’écrire au public. Dans la majorité des cas, les promus se pressent devant les caméras et les micros pour expliquer, éléments de langage à l’appui, qu’ils veilleront à «s’adresser à tous les publics» à partir d’une «programmation qui inclura des actions culturelles à destination des quartiers défavorisés».

Marie-José Malis, metteuse en scène, a été nommée à la direction du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers le 1er janvier 2014. Quelques semaines plus tard, elle publia une lettre à l’attention du public qui nous a particulièrement touchés. Il nous est impossible d’en faire une synthèse ici, au risque de réduire le sens profond d’une lettre où la politique se mêle de poésie, où l’écriture théâtrale se fait manifeste.

Comme vous le savez peut-être, nous préparons avec le Festival Off d’Avignon une série de rencontres, «Les Offinités du Tadorne». Il nous est apparu évident que notre projet était une réponse à la lettre de Marie-José Malis. C’est à ce dialogue imaginaire que nous vous invitons.

Mesdames, Messieurs,
Public du Théâtre de La Commune,

Depuis le 1er janvier 2014, je suis la nouvelle directrice de ce théâtre très aimé et très considéré qu’est le Théâtre de la Commune.
Je prends cette charge avec un sentiment de gratitude et avec la certitude que c’est un honneur.
Ainsi, dans ma vie, m’aura-t-il été donné de rejoindre la troupe de ceux qui ont servi l’attente qui a été déposée ici ; qui ont servi Aubervilliers et son théâtre.

Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de théâtres comme celui-là, non, je ne le crois pas.
Le Théâtre de la Commune, c’est un théâtre-Idée parce qu’en lui fleurit la vision d’un théâtre au plus haut, à savoir un théâtre qui a toujours cherché, avec une rigueur et – comment appeler cela autrement – une bonté, oui, à incarner le « pour tous » du théâtre.

Ce « pour tous », chacun sait que ce n’est pas l’abaissement à une petite chose, l’abaissement à une perte de confiance ou à un statu quo. Le « pour tous » c’est une déclaration, et un appel à l’invention.
Aujourd’hui, c’est avec une intensité poignante, parce que la vie des gens est devenue étrangement dure, étrangement désorientée, que l’Idée réapparaît, qu’elle nous appelle et nous oblige.
Le « pour tous » du théâtre, nous ne pouvons le trouver dans rien de disponible à petits frais dans le monde : nous n’avons plus de « nous » constitués et souverains, nous n’avons plus de sites stables et avérés. Mais nous avons peut-être autre chose : nous avons le « nous » dans le besoin d’autre chose, dans le deuil et l’attente des heures vraies, dans la vérité des aspirations, dans ce que dit le cœur à l’heure de penser ce qu’est vivre en homme, et nous avons une idée de la beauté.

Je crois à l’égalité de tous devant la beauté. Je crois, comme le dit Hölderlin, qu’elle est en nous comme un trou, un désir, un appel qui nous fait vivre dans la vie. Je crois aussi à l’égalité de tous devant le vide de notre époque : il nous faut repartir vers un travail nouveau, dont personne n’a la clé, mais tous la capacité.
Ainsi, aujourd’hui, (mais les hommes de théâtre que j’admire l’ont toujours pensé, à chaque séquence historique véritable), je ne crois pas que le théâtre existe, qu’il est installé une fois pour toutes.
Je crois que le théâtre doit apparaître à chaque nouvelle création, à chaque nouvelle représentation, comme forme et comme lieu. C’est dans l’intensité de cette pensée que je veux essayer de conduire mon mandat. Maintenant, le monde a besoin de nouvelles formules, de nouveaux lieux véridiques. Et nous, c’est à ça que nous devons travailler.

Je ferai du Théâtre de la Commune ce que je crois qu’il est en pensée : un théâtre comme
seul lieu public constituant qu’il nous reste.
Nous essaierons d’y constituer notre pensée pour un monde nouveau. Il est possible de penser, de recommencer à construire des lignes dans le monde, de nouvelles courbures, qui seront consistantes et vivables ; il faut pour cela les lieux de confiance, de paix, de fraternité joyeuse et, pourquoi pas, « musclée », il faut pour cela déclarer pour ces lieux une nouvelle devise qui est que nous pouvons tout nous dire, que nous pouvons recommencer à parler, qu’il est juste et légitime de ne pas savoir, de ne pas être heureux dans ce monde, et qu’au fond, ce qu’il y a à savoir, avec quoi va le bonheur, n’est jamais en arrière mais n’est, toujours, qu’une création de notre désir.

Nous constituerons donc la démonstration qu’il y a des lieux publics vrais, où l’hospitalité est garantie et les moyens d’un vrai travail, un travail aux termes et aux conditions dignes, pour apprendre à désirer. Car il faut aussi dire cela, il nous faut des lieux où se réinvente la discipline du désir, des lieux où se reformule et se réorganise le travail de la pensée.
Et ainsi, nous y constituerons, comme le disait Meyerhold, l’intuition d’une nouvelle joie de vivre.

Nous y constituerons aussi l’idée qu’un lieu de théâtre est la chance qu’une parole puisse être adressée et inspirée. Je crois aux murs des théâtres parce qu’ils rêvent la ville qui les environne, je crois que ce sont des cœurs du cœur d’une ville, qu’ils la prennent sous la lumière de leur lustre pour l’arracher aux choses mortes et lui rendre la jeunesse, celle du désir, celle des formules éclaircies, celle des intuitions que la pensée livrée aux soucis quotidiens laisse mourir hors de soi, mais qu’il nous faut rendre, comme on rend justice.
Nous y constituerons l’idée que ce temps est le nôtre, notre temps, dans lequel nous aurons vécu, et que ce temps, dans une ville qui s’appelle Aubervilliers, un lieu, qui s’appelle La Commune, et qui est donc à nous, ce temps pouvait redevenir l’objet de notre désir et de notre amour.
Nous y constituerons donc l’idée que l’art nouveau que nous souhaitons ne va pas sans une population à qui il s’adresse, sans une population dont la vie même sera matière à une nouvelle beauté.

Dans les prochaines semaines, je lancerai un appel public à venir réfléchir avec nous à ce que doit être un théâtre. Ainsi, mon rêve est-il que nous vivions ensemble le sentiment de joie qui va avec l’aventure d’une refondation. Je souhaite que nous ayons les rires et la fièvre des « bâtisseurs ». On ne peut vouloir refonder que ce qui a été donné une fois pour toutes comme lieu véridique : je rends ici hommage à mes prédécesseurs, à Gabriel Garran le fondateur, que je ne peux penser que comme un homme jeune, fou de théâtre, d’où nous viendra toujours l’idée d’audace et de bonté qui va avec ce théâtre ; à Alfredo Arias, à Brigitte Jaques et François Regnault, à Didier Bezace, ses successeurs.

En attendant nos prochains rendez-vous, je souhaite présenter mon directeur adjoint, mon ami et ma ressource, sans qui je n’aurais pas pensé que diriger ce théâtre était possible : Frédéric Sacard, qui a élaboré avec moi le projet de direction artistique. Nul doute que dans les prochains temps, notre direction vous apparaîtra pour ce qu’elle est : partagée. Je souhaite aussi présenter la nouvelle administratrice du Théâtre de la Commune : Anne Pollock, qui quitte la direction déléguée du Vieux Colombier pour Aubervilliers ; c’est un signe très beau qui dit qu’il y a des lieux que l’on désire.

Je souhaite rendre hommage aux acteurs et aux techniciens de ma compagnie. C’est avec eux que je viens. Autrement, ce serait impossible. Un jour, je dirai ce que je crois être l’héroïsme des acteurs et la loyauté absolue, qui est comme une boussole, l’amour du réel, sans mensonge ni rhétorique, des techniciens de théâtre. Mais pour l’heure, je voudrais qu’ils entendent ma piété pour ce que nous avons construit. Enfin, je dois saluer l’équipe du Théâtre de la Commune. Peu de gens ont eu comme moi la chance d’arriver dans un lieu où les attendaient la cordialité, l’humour et le sens profond du travail. C’est encore un don, et non des moindres, que j’ai reçu avec eux.

Je finirai en présentant les futurs artistes et auteur associés du Théâtre de la Commune : Alain Badiou, Laurent Chétouane, Catherine Umbdenstock et Françoise Lepoix. Qu’avec eux, soit de nouveau neuve cette idée qu’un centre dramatique national est un foyer de productions, un lieu qui rassemble dans l’inquiétude commune du théâtre des artistes différents, un lieu qui montrant ces différences et s’en expliquant publiquement, permet de comprendre comment le temps présent se cherche, un lieu qui permet une orientation, dans l’art, dans les questions du temps ; un lieu qui enfin se donne les moyens d’une action directe, où chaque point de l’adresse aux habitants est désiré et vécu avec la joie d’une cohérence vraie.

Marie-José Malis
janvier 2014

Venez vivre une journée particulière au OFF.

Du 7 au 27 juillet 2014, nous, publics d’Avignon, reconduirons dans le Village du Off nos rencontres de spectateurs, “les Offinités”. Elles prolongeront le travail d’écriture du Blog « Le Tadorne », actif tout au long de l’année. En 2014, les Offinités présenteront un nouveau visage, signe de la confiance du Président Greg Germain et de Christophe Galent, chargé des actions culturelles.

On dit souvent que la ville d’Avignon constitue une utopie, le temps du mois de juillet. Laboratoire à ciel ouvert, lieu de rencontres et d’imprévus, cette ville et ce Festival nous imprègnent comme nul autre. Il nous donne à vivre et à respirer. En cette période de crise, de radicalisation et de repli, nous avons besoin du festival pour rêver, pour penser, et pour créer.

Depuis 2005, date de la création du blog, notre projet vise à mettre en mouvement la place du  spectateur, en reliant son esprit, ses sensibilités et son corps pour prendre à rebours le rapport statique et consumériste, généralement proposé au public des arts vivants.

Situés à Paris, Montpellier, Marseille, Rennes, Nantes, nous, Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Philippe Lafeuille, Bernard Gaurrier et Sylvain Saint-Pierre, sommes regroupés autour d’une  aspiration : un grand, un beau spectacle, place le spectateur dans une posture créative qu’il s’agit de recueillir, de faire vivre, de préserver. Loin d’une logique institutionnelle ou académique, cette parole recueillie vise à interroger le sujet et sa place dans le monde. C’est le sens de nos rendez-vous de l’été prochain: écouter ce qui fait écho en nous, ce qui nous interroge et conduit notre pensée à cheminer, à opérer des liens, à donner envie aux autres de vivre pareille expérience.

Spectateurs actifs, nous sommes Tadorne lorsque nous œuvrons dans nos activités professionnelles respectives (la petite enfance, l’éducation, le handicap, la chorégraphie du corps social) pour essayer de les faire déborder et de les mettre en relation avec les enjeux artistiques qui nous touchent. Sensibles aux idées, nous cherchons à interroger le propos d’un artiste pour le relier avec un moment vécu. Ainsi, nous espérons décloisonner les espaces et les esprits, ouvrir de nouveaux champs à la perception, instituer de nouveaux rapports entre les acteurs sociaux et artistiques. Car si la société actuelle nous apparaît comme figée, compartimentée, il nous appartient de réfléchir à un nouveau modèle de relation au spectacle vivant.

Nous sommes Tadorne lorsque nous vivons un spectacle et lorsque nous l’écrivons. Mais aussi et surtout, lorsque nous rencontrons d’autres spectateurs, désireux de s’affranchir des postures et des rôles préétablis. Nous sommes donc Tadorne dans notre façon de travailler le collectif, de le mettre en jeu et en mouvement, afin de rendre vivants les arts qui ne le sont parfois plus. Nous croyons, avec la chorégraphe Pina Bausch, que la scène donne à vivre quelque chose d’indéfinissablement doux et profond, qu’on pourrait appeler «tendresse». C’est cette tendresse artistique, non dénuée de virulence parfois, que nous voulons vivre, et que nous voulons partager. Pour ce faire, nous serons des accompagnateurs désireux de faire émerger une nouvelle relation au Off.

Aussi, dès le 10 juillet, nous proposerons au public d’Avignon d’intégrer un ou plusieurs de nos groupes de spectateurs. Nous irons voir ensemble trois spectacles (entrecoupés de séquences d’écoute créative de nos ressentis) pour rejoindre à 17h, au Magic Miror, espace central du OFF, le chorégraphe Philippe Lafeuille. Il nous aidera à mettre en scène nos ressentis, notre parole critique et créer un dilaogue public avec les autres spectateurs présents.

L’agenda est le suivant :

10 juillet – «Le Grand Off du tout-petit» – Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

12 juillet – «Le Grand Off des petits et grands»- Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent: «Qu’avons-nous vu ensemble? »

14 juillet– «La critique en Off des spectateurs Tadornes» – Les animateurs du blog «le Tadorne» et d’autres spectateurs vont au spectacle et s’interrogent: «C’est quoi être un spectateur Tadorne?»

16 juillet – «Le vrai Off des managers-chercheurs» – chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent: «et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre? »

18 juillet – «Le bel Off du lien social » – Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent: «Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien? »

20 juillet – «L’étrange Off vu d’ailleurs» – Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent: «Le langage du théâtre est-il universel? »

22 juillet – «Le grand écart du Off» – Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : «Danse – Théâtre: un même mouvement? »

24 juillet – « Le Off est-il in?» – Un groupe de spectateurs  in-off fait le bilan du festival.

Sylvain Saint-Pierre. Tadorne.

 

 

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Préparez-vous pour des journées particulières au Festival Off d’Avignon 2014…

Tout au long de l’année, les contributeurs du Tadorne alimentent leur appétit de découvertes artistiques, dans les différentes salles de spectacles du territoire pour déposer leurs regards sensibles sur le blog «Le Tadorne». Le Festival d’Avignon est leur point incontournable de ralliement avec les spectateurs.

Pendant le Festival Off d’Avignon, Les Offinités du Tadorne (document à télécharger: Offinités 2014 PDF) sont un rendez-vous régulier où s’entend la parole critique des spectateurs dans l’espace circulaire du chapiteau du Off. Dès le mois de juin, nous publions sur le Tadorne notre sélection de 100 spectacles, fil rouge des Offinités qui s’alimente des choix des festivaliers tout au long du Off.

En 2014, pour la troisième année consécutive, l’équipe des Tadornes sera au village du Off lors de 8 rendez-vous à 17h. La parole des spectateurs y sera mise en lumière, croisée avec les artistes, accompagnée par le regard averti des Tadornes passionnés. Ensemble, nous serons engagés dans un processus de parcours de spectateurs.

8 rendez-vous pour 8 groupes accompagnés par Pascal Bély, Sylvie LefrèreSylvain Saint-Pierre et Bernard Gaurier. Nous irons voir trois spectacles (entrecoupés de séquences d’écoute créative de nos ressentis) pour rejoindre à 17h,   le Magic Mirror, espace central du Off. Là, nous créerons notre retour critique avec la complicité du chorégraphe Philippe Lafeuille. Ce sera une porte d’entrée pour échanger avec le public présent.

Pour la première fois en France, nous allons vibrer, danser, rêver, jubiler, exprimer par tous les moyens, les paroles vivantes de spectateurs.  Pour enrichir nos perceptions, en lien avec les artistes, en  marche pour coconstruire cet espace interactif !

L’agenda des Offinités

10 juillet – «Le Grand Off du tout-petit» – Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

12 juillet – «Le Grand Off des petits et grands»– Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent: «Qu’avons-nous vu ensemble? »

14 juillet– «La critique en Off des spectateurs Tadornes» – Les animateurs du blog «le Tadorne» et leurs amis Facebook vont au spectacle et s’interrogent: «C’est quoi être un spectateur Tadorne?»

16 juillet – «Le vrai Off des managers-chercheurs» – chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent: «et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre? »

18 juillet – «Le bel Off du lien social » – Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent: «Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien? »

20 juillet – «Le grand écart du Off» – Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : «Danse – Théâtre: un même mouvement? »

22 juillet – «L’étrange Off vu d’ailleurs» – Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent: «Le langage du théâtre est-il universel? »

24 juillet – « Le Off est-il in?» – Un groupe de spectateurs  in-off fait le bilan du festival.

 

Philippe Lafeuille, artiste associé

philippe torero

A travers son travail de chorégraphe, Philippe Lafeuille engage le corps en mouvement dans une grande liberté, loin de toute étiquette ou chapelle. Il propose une écriture chorégraphique qui emmène le corps vers le théâtre.
Peut-être la volonté de créer un “théâtre de la danse”. L’espace scénique devient alors un terrain de jeux de tous les possibles, où l’art chorégraphique tisse avec le théâtre, mais aussi les arts plastiK, l’humour et la poésie la toile de tous les possibles.

Comment participer aux Offinités?

– Vous êtes un spectateur et vous souhaitez vivre une journée particulière au Festival d’Avignon: écrivez-nous (pascal.bely@free.fr). La participation à la journée est gratuite. Seule les places à tarif préférentiel sont à votre charge.

– Vous êtes un professionnel de la petite enfance, du social, de l’éducation, de la recherche et vous souhaitez vous inscrire à une des journées (à titre individuel) ou inclure votre équipe dans une démarche interactive de réflexion sur son projet: écrivez-nous (cabinet@trigone.pro) ou inscrivez-vous sur le site www.trigone.pro

Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Sylvain Saint-Pierre, Bernard Gaurier – Les Tadornes.

"Les Offinités du Tadorne" du 10 au 26 juillet 2014, au village du Off.
Catégories
ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS ETRE SPECTATEUR PAS CONTENT

La rupture entre l’art et la culture: jubilation du sujet, consentement de l’objet.

Par Sylvain Pack.

Antonin Artaud expliquait dans un discours véhément et justifié la rupture entre l’art et la culture. Il m’est donné de vérifier au fur et à mesure le bien-fondé de ce constat. La majorité des organismes culturels et de ses agents occultent constamment les questions de la création, qui représentent, pour leur système de programmation, de sérieuses menaces intellectuelles. On pourrait arguer, à mon encontre, que leur réseau et leur moyen grandissant indiquent une curiosité accrue pour les contenus, envie plus manifeste de participer à cette aventure totale et inconsciente qu’est l’art, mais cet effort de compréhension semble du moins contrarié par la rançon du résultat, du chiffre et des sondages. Le culturel est un métier du tertiaire florissant. Sans lui, moins de bruit, de buzz, de parade, de prix, de cocktails, du coup comprenez bien : moins de raisons honorables pour investir, déplacer des capitaux et finalement masquer les jeux du pouvoir en place. Ce que je me propose de critiquer est le tissage du voile à travers lequel nous pouvons observer pourquoi la relation de l’art à l’autorité a été forcée. Ceci dans une régression suspecte qu’on présente sous maints boniments et travestissements du langage raisonné : jubilation du sujet et consentement de l’objet.
mccarthy
Cette formule nous ramènera à ce qui nourrit, consciemment ou non, l’activité et les motifs  de la programmation culturelle, ceci dans les espaces consacrés, dans la cité, dans la rue, dans l’école, et jusqu’au domicile par le “triumédia” : tv/radio/net. Le sujet star, la figure thématique concentre et permet aux responsables d’exprimer leurs références, leurs goûts, au pire d’inviter quelques faire-valoirs. De fait, certains tenants de la culture ont spécifiquement un goût prononcé pour l’idée de carrière et de reconnaissance au sein de leur milieu social, ce qui a pour conséquence protection et placement d’intérêts personnels là, où, au contraire, l’expérience artistique met en avant curiosité, don, vacuité. Dans une époque où l’appât du gain atomise la société et y conçoit ségrégations et minorités, l’artiste ne peut rester indifférent aux flux financiers souterrains qui gouvernent notre monde, qu’il les méprise souverainement ou qu’il s’en mêle en plein. L’investissement dans l’art même n’a aucun sens. Duchamp, Klein, Manzoni ou plus récemment des artistes comme Hirschorn l’ont intégré ou mesuré à leur production. Or la question de la valeur monétaire de l’art est en fait toujours subsidiaire, ou corrélative à un sujet bien plus vaste qu’est la sélection esthétique faite par le temps qui passe. L’artiste peut, lui aussi, être un spéculateur, inquiet pour sa réputation, stratégique pour sa diffusion, mais il y a peu de chance que ces comportements influent directement sur le nerf de son activité. Et si cet amalgame se révèle dans son oeuvre, « la faucheuse de l’histoire de l’art » ternit bien vite la valeur usurpée de l’imposteur. Cependant je prendrai parti, malgré la présence massive de ces faiseurs, pour l’artiste contre son soit-disant bienfaiteur, comme l’ont fait Giacommetti ou Rothko à leur époque, recommandant la plus ferme attitude vis à vis de leurs commanditaires et de leurs commissaires.
Pour éviter tout éducation du citoyen, de son conditionnement, l’artiste devrait s’affranchir complètement du professeur ou du parent qui lui soumet un sujet, afin qu’il devienne le filtre de son propre suc, raréfiant ses potions ou multipliant ses accidents, à l’envers de la réussite, de l’obéissance, de l’intégration, du socialisme. Il faut pouvoir accepter cela, il faut être prêt à l’entendre pour comprendre le pacte indéfectible qu’entretient l’art avec la liberté.
img-1
Ce qui s’est mis en place, et ce qu’avait sans doute déjà observé Artaud, est la dangereuse proximité entre l’institutionnalisation, la muséographie de l’art et les fondements créatifs. Les agents de production, de programmation et de communication interfèrent régulièrement dans les processus de création, désireux de regards attentifs, puis d’aimables conseils, enfin de préventions, de craintes et finalement de compromis. Cet accompagnement malhabile aboutit souvent à du consensus ou à de la méprise. Depuis cette infiltration, l’aspect quantitatif, hétéroclite et structurel des expositions ou des festivals a amplement gagné du terrain. De gentils organisateurs défendent la culture pour tous, la sensibilisation en des termes empruntés, conciliants ou provocants (selon l’occasion et la clientèle) qui cachent difficilement la manipulation et la hiérarchie du savoir. Si la connaissance est une chance pour qui sait s’en servir, si tout un chacun a le droit d’y accéder, l’art n’a plus pour mission de servir ou de soigner la société et c’est un pas en arrière que de le penser ainsi. C’est oublier son progrès intellectuel et spirituel, ainsi que tout le travail de sape des avant-gardes. Beaucoup d’artistes savent qu’ils collaborent dangereusement à cette trahison, qu’ils jouent à entretenir les systèmes de commande et d’artisanat contre lesquels se sont battus leurs aînés qui les précèdent et qu’ils admirent. Jouer avec l’institution publique, privée ou y résister est une des grandes affaires de l’artiste, aujourd’hui plus qu’avant, car, à son niveau ministériel ou entrepreneurial, la culture, qui fait appel à l’art, au patrimoine, à l’architecture, est devenu le levier économique de l’urbanisme, de l’afflux des capitaux et du tourisme d’affaires. Autrement dit, l’intérêt caché de ses mouvements n’est nullement expérimental. Il n’y a pas de gratuité, de recherche, de beauté du geste. Ce qui occupe le temps de ces transactions est le calcul le plus strict d’un résultat et de son bénéfice. Ceci va à l’inverse de l’indépendance de l’art et de ses pratiques. Il y a donc un hiatus, un jeu de dupe grossier, dans lequel s’illustre de manière évidente un nouveau venue sous le nom plus direct de mécénat d’entreprise. Si vous suivez mon raisonnement, la soumission de l’objet artistique y est comme prévu, « programmé »… Or le rapport entre la jubilation du sujet et la soumission de l’objet pourrait évoquer une forme plus subtile et indéfinie du viol consenti. Processus individuel et communautaire, en œuvre par exemple dans les réseaux sociaux, résultat des lobbys et de la publicité sur notre humanité confronté à un demi-siècle de violences ultra-libérales.
Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avignon Off 2013 – Mes rencontres.

Le Festival d’Avignon est le lieu de toutes les circulations. Le spectateur chemine dans les rues de façon dynamique. Il explore le programme du Off, se crée un emploi du temps à son image. Il tient  du randonneur dans le cadre des longues heures de marche, et d’attention dans les salles. Mon plaisir commence dés que je file au vent sur mon vélo. Je suis en libres mouvements vers de nouvelles sensations. Une fois  assise dans le noir, le cumul de fatigue peut me plonger dans un état de veille, mais la qualité artistique agit comme une infusion. Cette semaine certains spectacles m’ont troublé et des rencontres passionnantes s’en sont suivies avec les comédiens.

Tout d’abord avec Ludor Citrik. Après «Qui sommes je ?», je suis sortie dans un intense état de mélancolie et le chapiteau était comme une source pour déposer mes sédiments. Après le spectacle, le clown est réapparu sous son habit de Cédric. J’ai reconnu la profondeur de son regard qui m’a tant  transpercé. Des yeux implorants qui ne vous quittent plus. Nous avons échangé sur le trouble suscité par son travail, les questionnements, les prises de conscience et l’énergie déployée dans sa mise à nu. Une volonté de ne rien lâcher, d’avancer et sans cesse de recommencer.

Ludor réveille notre mémoire de tout petit et délimite les cadres des espaces de mouvement de notre quotidien. Nous sommes enfant, miettes grignotées du gâteau sablé. Le miroir nous renvoie à notre propre image et fait tressaillir. Ce regard, maintenant, je le porte; cette main tendue est devenue le prolongement de la mienne, et le désir d’être sauvée pour sortir de soi m’éblouit…

Dans ma mémoire, face à moi, les yeux d’Ascanio Celestino. Un homme qui a compté tout au long de ce festival, depuis le «Nightshot» à la Manufacture où j’ai découvert son travail. Comment une ritournelle, l’air de rien, peut vous questionner sur le monde et l’Humanité ? Son écriture vive, rythmée, acide a été le vernis de mon cortex pendant ces trois semaines. Je n’ai cessé de m’y référer et garde l’image de son humilité, de sa main sur le cœur quand il vous parle. Je n’ai pas besoin de capter son image avec un écran. Il est tatoué dans mes lobes. Dans un de ses derniers textes, «Discours à la Nation», David Murgia aura été son merveilleux passeur d’histoires.

L’émerveillement  a été déclenché par la gente féminine. Introduit dés le 5 juillet par Angelica Liddell au Festival IN ou comment l’énergie donnée sur le plateau peut être une ressource vitale. La création m’atteint quand l’artiste me donne quelque chose de lui, sans faux semblant. Comme un rapport humain, qui ne nous enferme pas dans une seule représentation. Angelica reste mon ange noir. Angelica éructe tous mes démons et m’ouvre une liberté d’être et de penser sur moi-même et sur mon contexte global. Elle me positionne en matière brute et me malaxe, me pétrie, mais sans jamais me lâcher et me trahir. Je ressors de ses spectacles avec la sensation d’être passée sous les chutes du Niagara, par l’estuaire du Tage, et d’être poupée de chiffon transformée en statuette de bronze.

Anne Lefevre, cheveux roux, grosses lunettes, est une autre personnalité lumineuse rencontrée. Elle a la faculté de créer une relation instantanée avec le public. Elle offre généreusement sa pensée, ses recherches. Dans «J’ai apporté mes gravats à la déchetterie», nous suivons la confection de son repas. A travers les carottes qu’elle râpe, je redeviens le lapin gourmand d’Alice. La cuisson est une métaphore du temps octroyé à la réflexion, puis survient le plaisir de l’échange. On ne peut pas se nourrir seul. Sans l’autre, on n’est rien…Anne nous met en marche. Le chaos joyeux du plateau nous ramène à la construction de la vraie vie, celle de la pensée. Les images sur écran animent, englobent le jeu qu’elle nous livre. «Je cherche, je recommence…je cherche…j’avance». Elle me donne de la force dans les doutes que je traverse.

Je me souviens de belles personnes comme Karine Grenier, jeune artiste de «Reveil»qui dégage une nature fragile et volontaire. Spectatrice, je suis  touchée par la qualité de l’adresse que nous offre l’acteur. Nous tissons un lien de confiance pour nous rejoindre  au point de la rencontre, émerveillés

 

Comme spectatrice, toutes ces rencontres sont des rêves éveillés et me réveillent tandis que le contexte ambiant évoque une somnolence qui ne dit pas son nom.

Sylvie Lefrère –Tadorne.