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ETRE SPECTATEUR

Chronique d’une spectatrice ordinaire.

Au lendemain du sacro Saint Valentin, deux histoires d’amour, mais hélas, pas deux histoires de l’art.
« Je t’ai épousée par allégresse »
, une pièce de Natalia Ginzburg mise en scène par Marie-Louise Bischof Berger avec Valéria Bruni-Tedeschi et Stéphane Freiss puis, en début de soirée, « Elle et lui », un film réalisé en 1957 par Leo Mac Carey avec Gary Grant et Deborah Kerr.

Se retrouver d’abord avec des amis au Théâtre de la Madeleine. Pour un rendez-vous avec la vacuité. Au point de ne savoir qu’écrire. Car comment décrire le vide ? Ce n’est ni drôle, ni intelligent, ni engagé, ni percutant, ni triste, ni rien.

C’est le théâtre du consensus mou, de la légitimation par la scène des acteurs de cinéma. Cela ne suffit pas pour donner du sens à une démarche artistique. Et c’est dommage pour Valéria Bruni-Tedeschi qui m’avait pourtant beaucoup touchée dans ses réalisations et tout particulièrement dans son premier film : « Il est plus facile pour un chameau… ».

Aujourd’hui il est plus facile de rester dans sa case sociale. Valéria a sans doute souhaité en sortir. C’est déjà louable, même si cela ne nous a pas permis de passer un bon moment.

Avant la séance de cinéma, une visite imprévue chez une amie. Elle vient de terminer un contrat de six mois à la Croix-Rouge, au sein de la permanence  d’accueil de demandeurs d’asile à l’aéroport de Roissy, la première par le nombre de demandeurs, soit presque 95% des demandes d’asile à la frontière.

Elle n’a tenu que six mois, mais elle en est fière, car au royaume de l’injustice humaine quotidienne, six mois c’est une éternité.

Elle a besoin de parler. De parler pour exorciser.

Alors, elle parle de son impuissance à accueillir dans des conditions dignes des gens venus chercher en France l’eldorado de la Liberté, de l’Égalité et surtout, de la Fraternité.

Absence de moyens, mais surtout, absence de c?ur, d’humanité. Besoin de rappeler les valeurs pour retrouver le sens de tout ça. Et en tête, les grands principes fondateurs du mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : « Humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité ».

Au sein d’eux, et avec le vécu du terrain : d’accord pour la neutralité, pas d’accord pour l’humanité.

Quelle humanité quand sa responsable lui fait une crise d’autoritarisme alors qu’elle prend l’initiative d’accompagner un réfugié malade chez le médecin ? Quelle humanité quand il est malade d’avoir passé une nuit de décembre dans la rue, devant la Préfecture de la République française à tenter d’obtenir un titre de séjour ? Quelle humanité, après tous ces reproches, de lui demander en plus et avant tout s’il était contagieux ?

Des exemples plein la tête de journées comme celle-ci où la Croix-Rouge fait du zèle avec la neutralité pour jouer la complaisance avec les objectifs de reconduite du Gouvernement.

Besoin de témoigner. Besoin de dire qu’être un humain dans un monde où seule la rationalité du nombre de reconduites à la frontière compte, souvent, ce n’est rien. Besoin de ne pas avoir à se faire de carapace pour regarder la réalité en face.

Et s’interroger sur la place pour l’humanité dans tout ça. Que ressentent les policiers chargés des reconduites quand ils lient et insonorisent les sans-papiers. Que se passe-t-il au fond de leur c?ur ? Quelle est la place de l’amour dans tout ça ?

Et puis la quitter pour aller au Festival du film romantique pour voir « Elle et lui ».Une histoire d’amour. Une histoire qui débute par une comédie, par un chassé-croisé amoureux, sous fond de croisière le long de la Côte d’Azur. Et puis la croisière ne s’amuse plus. Et après la légèreté, survient le drame. Subtilité du jeu des acteurs. Jolis jeux de regards. Dénouement subtil et happy end non souligné. Nous passons un délicieux moment au Studio 28. Un cinéma indépendant de la butte Montmartre entièrement refait, mais qui respire l’histoire du cinéma : il y a des traces des passages de Jean Marais, de Woody Allen et d’Agnès Varda notamment. L’équipe du cinéma est accueillante, investie, sympathique. Nous repartons conquises.

Alors quoi?

Relisons ensemble le Discours de Suède prononcé par Albert Camus lors de la cérémonie de remise de son prix Nobel de littérature. Cette même année 1957.

Je peux bien sûr indiquer par un lien l’intégralité de ce texte : http://pppculture.free.fr/camus.html. Mais je préfère au surplus vous en délivrer quelques morceaux choisis, comme pour mieux bâtir des passerelles avec les réalités de 2009.

Pour remercier le jury du Nobel, Albert Camus évoque sa condition d’écrivain : « riche de ses seuls doutes ». Ce pied-noir (et non, ils ne sont pas tous des suppôts en puissance de Jean-Marie), évoque d’abord sa condition d’écrivain : « L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes ».

Puis il ajoute que le seul parti qu’auraient à prend
re les artistes en ce monde serait «celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. »

Conscient de l’ampleur de la tâche à accomplir, il ajoute « Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté ».

Ensuite, avec des mots d’une actualité intacte : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire, mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir ».

On pourra avancer que la démarche est pédante.

Facile. Oui, car faire appel à un grand auteur devenu une référence de la littérature mondiale est sans doute facile.

Mais ce blog n’a plus à prouver son soutien à la culturelle actuelle.

Et puis quoi de plus vivant que ces paroles prononcées il y a 50 ans? A l’heure où se signait le traité de Rome?

Que nous demandent-elles?

Elles nous rappellent que nous, tous, spectateurs, artistes, acteurs culturels, blogueurs, pas blogueurs, journalistes, aspirants journalistes, repousseurs de journalistes, lecteurs, nous tous là, les gens de ce petit monde pas si petit, nous sommes dans le même bateau.

Le bateau des valeurs humanistes, créatrices et résistantes, contre la vacuité de la société de la seule consommation. Contre la société où seules les têtes d’affiche suffisent à monter un spectacle des milliers d’euros. Contre la vacuité d’un produit culturel diffusé après étude de marché, et où dès lors, on est toujours sûr de ce sur quoi on va tomber. Où l’on n’est jamais surpris. Contre l’horreur d’une société où l’on demande d’abord s’il était contagieux, pas si aujourd’hui il est vivant. 

Alors, quoi encore?

Alors surprenons-nous les uns les autres. Nous qui sommes dans le même camp. Nous qui au fond, rassurez-moi, ne perdons pas de vue l’essentiel.

Travaillons ensemble avec ténacité et courage. Pourquoi pas à partir des propositions du Tadorne, pourquoi pas à partir d’autres.

La porte est ouverte et derrière, il n’y a que des mains tendues.

Alors oui, je connais la chanson. On me rétorquera que le spectacle de David Bobée  (« nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue ») est simpliste, naïf. Qu’il y a aussi cette scène, avec une femme blanche et un homme noir. Je les entends se pâmer : « oh ! C’est beau l’amour ! ». Et bien oui. Putain c’est beau l’amour.

Et on a du pain sur la planche les amis.

Elsa Gomis.

www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (2/2): le projet du blog « Le Tadorne ».

Nous avions beaucoup aimé, « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » par David Bobée.

Sur son invitation, nous sommes revenus le 7 février au Théâtre de Gennevilliers pour une nouvelle représentation dans le cadre d’une soirée de parrainages citoyens envers les sans-papiers. Fidèle à l’esprit de la Révolution Française, cette soirée fraternelle fut un acte de résistance. Des spectateurs se sont regardés, des enfants ont pu courir dans un théâtre, des étrangers ont pu sourire sur un plateau, et finir par applaudir debout l’?uvre percutante, généreuse et fébrile de David Bobée et Ronan Cheneau.

Le puzzle qui s’est agencé au travers du précédent article a donc dessiné la route. L’impulsion fut donnée par Martine Silber, auteure du blog Marsupilamima,  pour renouveler notre écriture de blogueur lors du prochain Festival d’Avignon.

La demande fut formulée par Pierre Quenehen, directeur du festival de Mens alors!, pour articuler la parole du public avec le blog du Tadorne.

Des professionnels du social et de la culture des collectivités locales nous ont contactés pour penser avec nous leur positionnement afin de créer une relation plus ouverte, plus créative envers le public.

Au final, le metteur en scène David Bobée a semé le doute puis suscité le désir de nous ouvrir autrement.

Ainsi, nous décidons d’orienter le blog « Le Tadorne », non plus vers une seule forme d’écriture, mais vers des contributions croisées (débats entre spectateurs notamment). Dans les prochaines semaines, nous allons :

– Créer différents groupes sur Facebook pour mettre en réseau les spectateurs, les artistes, les festivals, les institutions;

– Créer un forum pour croiser les expériences d’articulations et de mise en lien créatives qui dépasseront le seul cadre culturel ;

– Ecrire non plus sur ce que nous voyons (bien, pas bien) mais sur ce que nous articulons ;

– Nous appuyer sur un nouveau moteur de recherche, celui d’Un Air de Théâtre,  pour avoir une vision globale des différentes contributions des blogs culturels.

La notoriété du blog « Le Tadorne » nous permet maintenant d’offrir un espace d’expression à tous ceux qui sont engagés dans une parole et des actes décloisonnants.

Le lieu du lien.

Le lieu de la proposition et de l’action.

En clair, nous souhaitons fabriquer un outil de travail, un levier pour ensemble créer sur le terrain des articulations créatives.

« Le Tadorne » a besoin de tous ceux qui ont choisi une communication transversale pour :

– Promouvoir  les artistes qui accompagnent notre société à changer de paradigme (des schémas rationalistes enfermants au modèle ouvert de la communication circulaire ; de la pyramide au cercle).

– Articuler les fonctionnements institutionnels aux processus décloisonnants de la création artistique.

– Elargir les publics par une vision circulaire de la communication à partir de valeurs rassembleuses.

Cette démarche porteuse de sens est à nos yeux le moteur de la croissance dans un monde immatériel.

Pour travailler nous choisissons six axes d’inspiration :

-Les réflexions du philosophe Bernard Stigler : la culture est le moteur du développement ; la figure de l’amateur éclairé qualifie autrement le spectateur ;

-La pensée d’Edgar Morin : intégrer la culture dans le cadre d’une politique de civilisation ;

– Les travaux du sociologue Michel Maffesoli sur la postmodernité ;

– La cinéaste et plasticienne Agnès Varda, auteure des « Plages d’Agnès »: la sincérité, le lien de confiance, la créativité et la liberté ;

– « Le coeur glacé » roman d’Almudena Grandes,  David Bobée metteur en scène de “Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue” : la rage, la volonté de dépasser l’inacceptable ;

-« La mélancolie des dragons » Philippe Quesne et « Les Sisyphes » de Julie Nioche : l’éloge à l’inutile comme acte de résistance et de création.

Rendez-vous en Avignon, à Mens, dans votre collectivité, chez vous.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous voulons faire » (Bergson).

Elsa Gomis – Pascal Bély

www.festivalier.net

elsa.gomis@gmail.com – pascal.bely@free.fr

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ETRE SPECTATEUR

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

Troisième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Aujourd’hui, la répétition se déroule sur le plateau du Pavillon noir. Guidé dans le noir à prendre place dans la salle, je m’installe tandis que Michel Kelemenis et Caroline Blanc font un filage de « viiiiite ». Alors que les lumières s’allument, je découvre un public d’enfants qui applaudit mollement la performance. Michel s’en émeut, mais poursuit inlassablement son travail pédagogique bien que la pression soit évidente à deux jours de la générale. Beauté d’un artiste qui s’engage coûte que coûte à expliquer, promouvoir son art. Sont-ils si nombreux aujourd’hui ?

L’ambiance n’est plus la même. Entre le studio et le plateau, du 3ème au sous-sol, de la lumière à l’obscurité, le groupe est tendu. Michel l’est aussi. Les détails techniques s’effacent pour faciliter le repérage des « points de butée », ceux qui font obstacle au positionnement individuel dans la danse collective d’ «Aléa». Tel un coach, Michel conseille chacun. Les danseurs semblent plus isolés ; des duos, des trios se forment comme pour se rassurer en attendant son tour ! Je ne vois que les traits tirés des visages avec l’impression qu’ils ne sont pas prêts. Ils me paraissent fragilisés. Mais que ne savent-ils donc pas ? Que travaillent-ils encore ? Je cherche, je scrute le moindre détail de leur travail d’orfèvre. Je ne saisis pas de suite ce qui se joue mais je sens que le plateau est un changement d’échelle qui dramatise les enjeux.

D’autant plus que la matière de la scène (bois, plastique) freine de nombreux danseurs. Le sol fait du bruit et installe une mécanique sourde : à chaque pas, un son. Michel précise : « il vous fait démécaniser vos jambes ». Ce bruit augmente la tension, rajoute un tempo inutile. Alors, faute de bande-son, il s’y colle avec ses onomatopées impossibles à retranscrire ! Puis, il prévient : « si on réussit les entrées, c’est magique ; sinon, on piétine la sortie » (les hommes politiques pourraient s’inspirer de cette maxime).

Alors que le filage d’ »Aléa » se prépare, Bastien revoit sa technique, Christian réintègre le groupe et l’oeuvre après sa semaine parisienne (il y présenta « Klap ! Klap ! »), Caroline se concentre, Marianne se fait une place, Tuomas et Olivier se rapprochent tandis que Gildas fait le tour du plateau. Ils dégagent presque un côté animal, cernés par les limites de la scène. L’expression “se jeter dans la fosse aux lions » prend tout son sens. C’est un collectif divers, comme si « Aléa » se nourrissait de leurs différences d’approches du geste dansé, de leurs corps éloignés des stéréotypes du danseur, de la complexité née de leurs articulations.

Ils habitent « Aléa », ce mot qui porte nos espoirs de sortie de crise, qui guide dorénavant nos projets. J’ai eu ce privilège de les observer, en veillant à ne pas franchir la limite, en ayant ce regard respectueux et curieux qu’une société devrait avoir envers ses artistes. Comme un réflexe à la tentation du repli, je me suis approché d’eux. Ils m’ont nourri de leur énergie pour redevenir créatif au cours de cette année qui s’annonce chaotique. Ils sont le moteur de notre croissance.

Michel monte dans les gradins et lance, juste avant de donner le top départ du filage: « Soyez clair avec vos camarades ».

Un chaleureux merci à Michel Kelemenis, Caroline Blanc, Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre, Christian Ubl, Nathalie Ducoin, Marie Tardif et Laurent Meheust.

Pascal Bély ,www.festivalier.net

A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !
et le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Et la générale: Michel Kelemenis, chorégraphe.

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ETRE SPECTATEUR

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

20 janvier 2009, Washington :

Ils sont des milliers à se serrer dans le froid, prêts à l’écouter. De son estrade dressée à Washington, il s’élance. Et il évoque d’abord « un sentiment d’humilité, devant la tâche qui nous attend ».

20 janvier 2009, Paris :

À 18h30, le Théâtre du Rond-Point joue son rôle d’éclaireur. Le discours de Barack Obama « De la race en Amérique » prononcé  le 18 mars 2008 est incarné par Vincent Byrd Le Sage sous la direction de José Pliya. L’émotion est palpable dans la salle tant la sobriété du jeu de l’acteur résonne avec la gravité du moment. J’ai honte d’être français à mesure que le discours m’englobe car il entre en collision avec les paroles de Sarkozy à Dakar en juillet 2007. Envie de fuir ce petit pays. Désir de participer à « une politique de civilisation »

22 janvier 2009, dans un bistrot du 19e arrondissement de Paris :

Elsa Gomis (contributrice pour le Tadorne) et moi-même rencontrons Pierre Quenehen, le directeur du festival « Mens alors ! », petite ville de l’Isère. Il souhaite l’engagement du « Tadorne » comme blog du festival auprès d’Elsa, chargée  avec d’autres de l’accueil des 80 bénévoles et du public.

La discussion est animée, elle déborde d’allers-retours. Il y a tant à dire : le travail de Frédéric  Nevchehirlian l’artiste associé cette année, celui des autres chanteurs, musiciens, comédiens, qui au travers d’ateliers vont aller vers le public. Les publics. Parents, enfants, personnes âgées, valides, non valides, ruraux, urbains… Tant de parenthèses pour expliquer le contexte, de détours pour décrire les expériences passées. Nous flottons.

Nous n’entendons plus les paroles, nous écoutons la musique de la voix de Pierre. Alors même que Cités Musiques, l’association pour laquelle il travaille serait menacée, Pierre nous transmet son envie, son enthousiasme.

Nous sommes grisés, mais ravis. Prêts à découdre contre les lourdeurs institutionnelles. Décidés à activer le réseau d’artistes et d’amis engagés dans une communication transversale et volontaire pour accompagner les changements de paradigme. Bras-dessus bras dessous, le long de canal de l’Ourcq, nous partons.

“… En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l’espoir à la crainte, l’union au conflit et à la dissension.” (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La première pièce du puzzle est posée.

Vendredi 23 janvier, bistrot Place Gambetta, Paris.

Je déjeune avec Martine. Une jeune dame journaliste, presque retraitée, aux yeux qui pétillent. Martine serait sûrement désigné non productive aujourd’hui par un grand quotidien du soir, trop âgée sans doute! Car trop agitatrice certainement. Au prochain Festival d’Avignon, elle veut mettre en lien tous ceux qui sont engagés dans une parole pour tracer des chemins à travers les clôtures de nos pensées. Après « les plages d’Agnès », voici venu le temps « des traverses de Martine ».

Vendredi 23 janvier, Fondation Cartier, Paris.

Il existe une Fondation Cartier. Pour l’art contemporain.

Deux hommes, déjà âgés, dénoncent.

Raymond Depardon, le documentariste fait l’éloge de l’immobilité.

Paul Virilio l’urbaniste accuse la vitesse : elle est notre incarcération. Car de la vitesse résulte le krach, l’effet de serre… elle entraîne la réduction du monde à rien. Il en découle que notre traçabilité (grâce aux puces RFID, aux satellites, aux téléphones cellulaires…) a remplacé notre identité territoriale.

D’autant que notre monde va être confronté à un problème sans précédent de repeuplement planétaire. Pour des raisons d’ordre divers (économie, écologie…), environ 1 milliard de personnes vont être déplacées d’ici 2020 sur Terre.

Grâce à l’immobilité de sa caméra, Raymond Depardon donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. L’immobilité de la caméra dégage l’écoute. La parole brute qu’il donne à entendre est une vraie pensée. Immobilité de la caméra comme résistance au mouvement du monde. Ensemble, Paul Virilio et Raymond Depardon illustrent une forme de résistance à ce que le monde peut devenir.

Glacés par le vent qui souffle boulevard Raspail, nous quittons la Fondation.

Devant un auditoire qui s’étend à perte de vue, il  continue : …Notre réussite économique n’a pas été dépendante uniquement du montant de notre produit intérieur brut, mais également de l’étendue de notre prospérité, de notre capacité à offrir des opportunités à chaque homme ou femme de bonne volonté. Non pas par charité, mais parce que c’est la voie la plus sûre au bien-être commun. (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La deuxième pièce du puzzle se présente à nous.

Samedi 24 janvier, au bar du Théâtre2Genevilliers.

Nous dînons avec Isabelle. Elle dit : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Elle dit qu’elle veut soutenir les travailleurs sociaux, les animateurs, les responsables de centre de quartier… tous ceux qui font du lien avec la population dans sa collectivité. Isabelle veut les aider à accompagner les publics qu’ils côtoient vers la culture. Vers ce qui donne du sens.

Du haut de sa tribune, il évoque l’esprit de service, une volonté de trouver un sens dans quelque chose qui nous dépasse. Et justement, en ce moment, moment qui va marquer une génération, c’est précisément cet état d’esprit qui doit nous habiter ((Barack Obama, 20 janvier 2009).

Le puzzle s’agence sous nos yeux.

Samedi 24 janvier, Théâtre2Genevilliers, Ronan Chéneau, David Bobée, DeLa Vallet Bidiefono,  «Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue“.

Des danseurs congolais et français sont ensemble. Dans la même énergie, la même rage. Avec sincérité, avec toute la nudité d’un cri, ils disent ne pas se retrouver dans cette France. Les enfants de la France ne se reconnaissent pas dans l’identité institutionnalisée. L’institution est un mât en haut duquel on gesticule sans aller vers eux. Ils dénoncent Platon et le monde des idées qui les exclut parce qu’ils n’ont pas les mots. Cette fameuse « idée de la France » si chère à notre petit président qui leur fait perdre toute identité. Alors, ils crient, chantent, hurlent leur douleur jusqu’à nous atteindre, sans effraction. Ils métissent les arts (de la danse au théâtre, en passant par le cirque et la vidéo) ; le plateau est cette France traversée, non verticalisée par ce pouvoir aux accents fascistes.

Fasciste. Le mot est suggéré par cette danse aux accents militaires, par des mouvements si synchronisés qu’ils glacent le sang, par ce mur de Berlin d’un gris modernisé, par le tapis roulant où circulent ces valises de mots de la rhétorique dégoulinante de haine de la Sarkozie inculte. Notre petit président ne lit aucun livre, mais nos danseurs jouent les mots de l’écrivain Ronan Chéneau avec une telle empathie qu’ils ne sont pas sans nous évoquer la force d’Obama face à son peuple.  À mesure que « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » avance, nous lâchons ce que ce pouvoir autoritaire cadenasse en nous. Nous tremblons avec eux. David Bobée et l’écrivain Ronan Cheneau nous redonnent la parole, confisquée sous le poids d’une pensée unique autoritaire. Nous n’apprenons rien que nous savons déjà mais cette mise en scène crée soudain l’espace collectif qui nous manque tant. Depuis quand n’avons-nous pas ressenti cela au théâtre ? Il est enfin là le vacarme que nous attendions.

Cette jeunesse veut dépasser les préjugés jusqu’à franchir les frontières de la scène. Ils montent sur les gradins. Ils crient. C’est la révolte par la créativité. Mais nous ne pleurons pas. Plus habitués. La bulle est en nous. La bulle de rage qui donne envie de ne pas en rester là.

De Washington à Paris, de Mens à Brazzaville, de bistrot en bistrot, le dessin du puzzle s’est tracé sous nos yeux. Des années maintenant. Des années de pratique professionnelle, artistique, de contacts riches, mais disparates. Et tout est clair. Il n’existe plus de barrières.

En 2009 nous allons faire ce que nous devons faire.

Ils applaudissent, ils sourient, pleurent parfois, ils savent maintenant ce qu’ils ont à faire. Il conclut en nous demandant de transmettre ce don merveilleux qu’est la liberté (Barack Obama, 20 janvier 2009).

Elsa Gomis – Pascal Bély – www.festivalier.net.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL ACTORAL

L’Islam est-il soluble dans la démocratie participative?

Il y a comme une contradiction. D’un côté, le spectateur est de plus en plus sollicité lors des performances d’artistes afin de se questionner. De l’autre, on le prie de rester à sa place pour ne pas déranger les institutions dans leur organisation souvent pyramidale et s’immiscer dans le regard critique, chasse gardée des journalistes, seuls compétents.
Vendredi dernier, dans le cadre du Festival ACTORAL à Marseille, je fus sollicité, interpellé et c’est tant mieux. Mais je cherche l’espace où je pourrais donner mon retour. A qui ? Comment ? Les festivals n’ont toujours pas intégré ce processus : paresse, manque de créativité ?
À l’entrée de la salle de Montévidéo, trois hommes nous attendent. Nous sommes priés de nous déchausser, façon de créer une intimité où les trous de nos chaussettes signent notre vulnérabilité ! Yan Duyvendak est Suisse hollandais tandis qu’Omar Ghayatt est Égyptien (il est accompagné d’un traducteur). Différents fragments forment «Made in paradise» (certains sont aboutis, d’autre pas). La version définitive de l’ensemble sera présentée en 2009 à Lausanne. Ce soir, notre duo teste leur démarche sur le public marseillais. Pour que l’on ne perde pas totalement notre statut de spectateur actif, ils introduisent les thèmes des fragments pour les soumettre à notre vote ! Trois séquences de quinze à vingt minutes sont choisies par l’assemblée. Ce couple artistique, métaphore du lien entre l’Orient et l’Occident, ne va pas de soi si l’on en croit la présentation des fragments : comment communiquer, se comprendre, alors que l’Islam provoque tant de peurs ?
La première séquence revient sur les événements du 11 septembre. Les images hallucinantes des corps tombés du ciel au milieu de feuilles volantes sont inscrites dans notre imaginaire. En faisant voler des photocopies de texte (supposés) et de photos prises ce jour-là, le duo propose un moment d’une grande poésie. Le sol de la salle est ainsi parsemé de papiers tandis que la sculpture de nos corps de spectateurs, assis à terre, forme inconsciemment un paysage de guerre. C’est court, émouvant, incluant.
La suite va provoquer un certain malaise. Sans rien dévoiler ici, notre duo nous prend au piège de nos formatages, de nos représentations rigides sur l’Islam, voire de notre racisme larvé. C’est efficace même si l’on frôle la caricature : en effet, le duo interprète alors que nous n’avons rien dit ! Le deuxième fragment («Boom») nous donne l’opportunité de nous lâcher. Je ne m’en prive pas en endossant la fonction du laïc intransigeant ! Je prends goût à jouer dans ce jeu de rôles. Nos deux acteurs observent, contents de leurs effets. C’est assez contenant même s’ils ne font rien de nos paroles fragmentées.
Le dernier fragment (“Ma vie secrète“) s’étire en longueur au sujet de la vie sexuelle d’Omar. L’approche narrative et finalement assez peu symbolique finit par m’ennuyer comme si ce théâtre-réalité ne parvenait pas à transcender le propos.
Au final, un goût d’inachevé et des questionnements sur la démarche. Ne sommes-nous pas en présence d’un duo qui démontre ce qu’il sait faire ( la communication entre un Suisse et un Égyptien fonctionne) en prenant une position haute, presque donneuse de leçons ? En même temps, leur performance aide à se positionner et invite le spectateur  à réfléchir sur ses processus.
La limite vient de la difficulté d’articuler les trois fragments. Notre duo pourrait inviter les spectateurs de Lausanne à opérer cette reliance en créant une oeuvre métaphorique.  Les oeuvres des spectateurs pourraient par exemple circuler sur internet. Car comment changer les représentations à un niveau local (le théâtre) si la parole des spectateurs ne circule pas à un niveau global?  Comment faire pour que les ressentis des spectateurs marseillais rencontrent ceux de Paris, Lausanne, …?  N’est-il pas du ressort des artistes, des institutions, des spectateurs de faciliter la communication entre ces différents niveaux? La démocratie participative dans les théâtres y trouverait peut-être une forme pour le moins originale.
En quelque sorte,
un “paradis” démocratique au dessus des religions.
Chiche!
Pascal Bély, le Tadorne

 Made in paradise”  de Yan Duyvendak et Omar Ghayatt a été joué le 3 octobre 2008 dans le cadre du Festival ACTORAL de Marseille. En tournée: à Paris le 15 octobre 2008 au Théâtre de la Coline. D’autres dates: http://www.duyvendak.com/rubrique7.html.
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ETRE SPECTATEUR

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Maguy Marin aux Hivernales: retour vers le futur.

C’était en juin 2006, à Montpellier Danse. Maguy Marin avec “Ha ! Ha !”  provoquait un séisme dont le public et les personnels du festival se souviendront longtemps. Je n’ai cessé de penser à cette chorégraphie pour faire évoluer mon regard porté sur la société du divertissement. Je ne compte plus les moments où j’ai fait référence à « Ha ! Ha ! » lors de mes interventions professionnelles ou personnelles. J’ai eu en retour une écoute intéressée comme si le propos de Maguy Marin faisait résonance chez ceux qui ne se posent plus de questions face aux rires graveleux des émissions télé ou radio. Le festival des Hivernales a programmé « Ha ! Ha ! » au théâtre de Cavaillon le 1er Mars. Je publie à nouveau ma critique de l’époque en espérant susciter le débat de cette pièce qui aurait dû être au coeur du projet et présenté à l’Opéra d’Avignon ou au Théâtre des Hivernales.
En mars 2005, Jerôme Bel avec « The show must go on » provoquait un joli séisme au Théâtre des Salins de Martigues en interrogeant, par la provocation, les raisons pour lesquelles nous venions le voir.
En juillet 2005, le Festival d’Avignon positionnait le public dans un autre rapport à l’art théâtral en proposant des oeuvres métaphoriques et des performances. Le débat « texte ou pas » clivait la presse nationale.
En mai 2006, Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles poursuivait cette dynamique en invitant le spectateur à repenser le rationalisme pour se projeter dans un monde plus complexe où les aléas et les incertitudes seraient source de créativité.
Montpellier Danse ne pouvait donc pas rester à l’écart de ce mouvement de fond. La chorégraphe Maguy Marin, avec « Ha ! Ha ! » a eu le courage d’interroger la fonction du rire dans une société qui fuit la recherche du sens. Comment expliquer le désir croissant du public à vouloir se détendre dès qu’il va au théâtre ? Comment interpréter la part dominante des émissions de divertissement entre 18h et minuit sur les chaînes de télévision ? À quoi font référence les expressions si souvent entendues, prononcées le plus souvent sur un ton moqueur : « Pourquoi te prends-tu la tête ? », « Si en plus il faut penser au travail quand je vais voir un spectacle ! ». Cette recherche du divertissement gagne progressivement le public de la danse. Que se joue-t-il ? Dans le contexte actuel français, le rire, loin d’être créatif et libératoire, cache, masque la complexité des situations. Il s’articule sans aucun problème à la pensée linéaire, au discours politique le plus simpliste. Une société qui veut rire de tout, se distraire à tout prix, prépare le fascisme.
Courageusement, Maguy Marin a décidé  de réagir. Il y a urgence à renvoyer un questionnement au public, de peur de voir en France et en Europe, l’art disparaître. Pour cela, nous avons à nous repositionner : il n’y a plus d’un côté les artistes qui proposeraient une création pour, de l’autre, des spectateurs consommateurs passifs. Même Helena Waldmann a compris la nécessité d’interpeller le public lors de « Letters from Tentland Return to sender » vu une semaine auparavant. Je ne souhaite pas faire part de ce qui s’est passé à l’Opéra Comédie de Montpellier, dimanche soir. Il y aurait un paradoxe à expliquer un processus qui vous empêchera de le vivre. Toutefois, avant de courir voir cette oeuvre, sachez que Maguy Marin inverse les prémices : nous sommes les acteurs, les danseurs sont les spectateurs. De la sorte, elle propose un art conceptuel et c’est à nous de recréer le concept. Ce nouveau positionnement nous aide à redevenir acteur, à sortir de la soumission imposée par la société du divertissement. Elle provoque un électrochoc salutaire en nous accompagnant à retrouver la posture du dedans-dehors qui seule permet de recréer un lien avec l’art, avec les artistes.
Oui, grâce à Maguy Marin, je n’ai plus honte de me prendre la tête. Elle me redonne la force de continuer ce blog, de poursuivre le chemin tracé depuis tout jeune : c’est la recherche du sens qui fait une vie. Maguy Marin a porté ma voix, celle de beaucoup d’autres. Elle m’a libéré des vexations dont je peux parfois faire l’objet (la dernière en date : “à quoi ça sert de voir tous ces spectacles ? N’as-tu pas envie de lâcher ?” ; le tout dit en riant !).
J’ai crié « Bravo » pour masquer les insultes d’une partie du public. À ceux qui ne perçoivent pas la menace sur l’art dans notre pays, rendez-vous dans les villes où Maguy Marin proposera « Ha ! Ha ! ». Revenez sur ce blog. Échangeons. Passionnons-nous. C’est l’une des ripostes au totalitarisme ambiant.
Sous les pavés, l’art et le social?
Pascal Bély – Le Tadorne
"Ha! Ha!" a été joué le 1er mars 2007 au Théâtre de Cavaillon dans le cadre du Festival "Les Hivernales" d'Avignon.

Crédit photo: Christian Ganet.