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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT Vidéos

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Je ne m’attendais pas à une telle perte du propos artistique et de la mise en scène. Que s’est-il donc passé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, pour qu’aucune oeuvre ne soit venue me chatouiller, me surprendre, m’émouvoir.  Après quelques hypothèses émises dans un précédent article, suite et fin avec ce deuxième compte-rendu.

Árpád Schilling est un metteur en scène hongrois. «À papn?» aurait pu être un événement théâtral: une immersion dans un village reculé de Hongrie où une enseignante envoyée par l’Union Européenne introduit le théâtre au collège mais doit affronter l’opposition d’un collègue à cheval sur le dogme catholique. Les enfants et leurs éducateurs sont sur le plateau tandis qu’un documentaire documente à partir de témoignages sur ce conflit entre art et religion, modernité et tradition. Les enfants jouent leur propre rôle à moins que ce ne soit une mise en abyme (un atelier théâtre porté à la scène) dans laquelle nous sommes mis à contribution (ce moment tombe totalement à plat).

Le théâtre est le grand perdant de cette forme hybride : on s’y ennuie souvent tandis que le documentaire nous captive dans ce dilemme qui divise la communauté. Árpád Schilling aurait pu convoquer un auteur pour créer le dialogue entre la scène et l’écran. Mon regard bienveillant s’est porté sur ces enfants forts et fragiles qui sont mes concitoyens d’Europe. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens du travail de Florence Lloret présenté à la première Biennale des Écritures du Réel à Marseille en mars 2012. Dans « L’alphabet des oubliés»,  le documentaire sur les enfants servait leur théâtre et le nôtre.

Autre ambiance. Rendez-vous au Kaaistudio’s pour «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser. Ce dernier incarne le narrateur, tout juste accompagné d’une malle aux trésors dont les différents tiroirs font office de décor d’un conte compliqué et ennuyeux. Ici aussi, le Kunsten joue avec les formes hybrides en invitant ce philosophe et metteur en scène à nous proposer ce «transformatador» («un genre performatif littéraire et visuel qui transforme l’énergie quotidienne en une créature mythique avec des pattes élégantes, des ailes grotesques, des ongles politiques et de grands yeux inquisiteurs. En bref, un être qui rendrait même les toréadors nerveux»). Vous ne saisissez pas l’intention artistique ? Moi, non plus. Pendant une heure trente, je m’accroche à Pieter de Buysser. Mais son jeu ne me dit rien, car son corps théâtral est absent. La malle est probablement l’objet le plus fascinant même si elle ne délivre pas tous ses secrets. Ce conte «postmoderne» se perd parce que la fiction qu’il déploie n’est pas «théâtre». Tout juste une «lecture» performative. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens des oeuvres de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Cet homme me ravit car nos chemins se croisent, à pas contés.

Cette fois-ci, cela commence plutôt bien. Ils sont quatre sur scène: un belge (Pieter Ampe), deux portugais (Guilherme Garrido et Nuno Lucas), un allemand (Herman Heisig). Chorégraphes et danseurs, leurs corps se comparent aisément : petit, grand, maigre, costaud, poilu, imberbe. Manque la couleur : ils sont blancs. Quatre mecs qui dès le début se disputent la vedette autour d’un micro qui ne tarde pas à devenir la béquille de leurs talents si fragiles! Pour sortir de cette escalade, ils convoquent le théâtre, la danse, l’installation performative: qui rira bien qui rira le dernier! Ainsi, l’un glisse sa tête dans un ballon qui gonfle à vu d’ici (d’où l’expression «avoir la grosse tête»), tandis qu’un autre, puis un autre, entrent dans ce même ballon (si, si, je vous assure !). Comment ne pas penser à Magritte, aux surréalistes? C’est drôle et touchant. Mais peu à peu, le malaise s’installe: la danse est moquée jusqu’à lâcher la belle entreprise. Ils convoquent le divertissement (qui, du coup, ne fait plus rire) et finissent par tout casser lors d’un concert rock au ralenti assez pathétique (n’est pas Pierre Rigal qui veut).

Me revient alors le spectacle de Sophie Perez et Xavier Boussiron, «Oncle Gourdin», présenté au dernier Festival d’Avignon. Même rythme et successions de numéros qui moquent l’art chorégraphique jusqu’au final apocalyptique. Dans les deux cas, le propos est réactionnaire: au-delà de leur génie (qui est bien sûr immense, d’où la scène avec le ballon), il n’y a plus d’avenir pour eux, donc pour nous. Cette vision romantique du statut de l’artiste m’effraie: elle prépare le fascisme. À mettre en lien avec mon précédent article où je démontre comme l’esthétique de la communication a contaminé les arts de la scène au cours du festival. Est-ce encore de l’hybridité ?

Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je convoquerai la plus jeune génération pour qu’elle dialogue avec la plus âgée, en attendant que les trentenaires dépressifs fassent leur thérapie en dehors des plateaux. Je pense alors à l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée en 2010 par la chorégraphe Anne Collod. La danse y était est un art total qui nous déshabillait pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.

“Matadouro” du chorégraphe brésilien Marcelo Evelin allait-il enfin me surprendre? Nu, il sonne l’alerte avec un tambour. Des aboiements accompagnent ces premiers pas. Il est rejoint par six hommes et une femme qui, après s’être déshabillés, tournent le dos au mur. Prêts à être exécutés et sauvés. Ils portent un masque et une machette collée dans le dos. Corps social et politique? Ils entreprennent alors une ronde infernale autour d’un micro sur le «Quintette à cordes en ut majeur» de Franz Schubert. C’est très éprouvant.  À la fois meute guerrière et pacifistes déterminés, je peine à les suivre dans leur recherche. Où vont-ils ? Peu à peu, ils me larguent même si je saisis la métaphore d’une «résistance» à toute épreuve. Mais je n’en suis pas. C’est en dehors de moi. Ici aussi, le final est sans appel. Tout ça pour ça?Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens de «Révolution» d’Olivier Dubois où douze femmes résistèrent en dansant le boléro de Ravel autour d’une rampe: «Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !».

En 2013, je n’irai pas à Bruxelles. À moins d’un Festival des Arts pour l’imaginaire.

Pascal Bély , Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

 «A papn?» de Árpád Schilling / «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser / « A coming community » de Pieter Ampe, Guilherme Garrido, Nuno Lucas et Herman Heisig / «Matadouro» de Marcelo Evelin au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 16 au 21 mai 2012.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Les Offinités du Tadorne au Off d’Avignon : le chemin se fait en marchant.

Pour cet été 2012, un souffle de renouveau se dessine pour les spectateurs Tadorne (rappel : en êtes-vous ?)…

Au point de départ, une étincelle. C’est une rencontre entre Pascal Bély, le Tadorne, et Christophe Galent, chargé de la communication au festival OFF d’Avignon, qui ouvre cette orientation.

A l’origine, l’été dernier, un partage de plateau entre Sylvie Lefrere et Pascal lors d’une rencontre avec le public sous les tentes du village du Off: il a été le curseur déclenchant l’élaboration de ce projet d’ «Offinités» (rappel ici). Depuis, tout va très vite.

Car il faut bien l’avouer: en France, c’est la première fois qu’un «opérateur culturel» fait à ce point confiance à deux spectateurs éclairés pour leur confier une partie de sa communication vers le public par l’animation d’une série de tables rondes. Sommes-nous à la croisée d’un changement de paradigme, nourri par le besoin d’un élan créatif  pour dynamiser un marché artistique prisonnier de ses corporatismes? N’est-il pas temps d’ouvrir des espaces à ces amateurs, qui ne sont plus consommateurs passifs, mais dans une quête de mise en réseaux avec d’autres spectateurs, en lien avec les différents professionnels et artistes ? Toutes ces questions vont rester ouvertes jusqu’en juillet.

monnier

Depuis quelques mois, nous nous sentons bâtisseurs dans l’élaboration de ces «Offinités» et passeurs puisqu’articulés avec la dynamique du projet global du Off telle qu’elle a émergé lors du colloque du 12 avril 2012 («Le off, une dynamique d’utilité publique»).

Puis ces dernières semaines,  la tension monte lentement. Le flux des écrits par mails, de contacts téléphoniques, de rendez-vous via Skype, de rencontres irrigue nos réflexions. Une mutation s’opère, comme si nous devenions à notre tour des opérateurs dans la démarche d’élaboration d’un espace de communication, avec des désirs de partage, de recherche, de co- construction…Après avoir pensé une organisation globale, nous structurons  de façon horizontale. La complexité se dessine, prend la forme d’un rubis cube et nous découvrirons, au fur et à mesure, les aléas de ces compositions surprenantes.

Avec le soutien de Christophe Galent, la recherche du sens irrigue ce projet pour réunir spectateurs et artistes avec le désir de réinventer des espaces pour un festival régénéré. Leur festival.

Pascal Bély,  Sylvie Lefrere. Tadornes. 

« Les Offinités du Tadorne » du 10 au 21 juillet 2012 au village du Off à Avignon.

Pour participer, nous contacter au 06 82 83 94 19 ou par mail pascal.bely@free.fr

Photo: Mathilde Monnier, “Tempo 76”.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Un festival est une articulation complexe entre un projet artistique, une communication à partir des valeurs et un management respectueux. Grâce à sa fondatrice Frye Lysen, le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles promeut le dialogue entre Flamands et Wallons, encourage des esthétiques peu reconnues, ouvre le théâtre à la danse, invite des artistes du monde entier. Mais depuis deux années, cette dynamique s’essouffle et 2012 signe peut-être ma rupture. Dès le mois de mars, j’ai été particulièrement choqué par une annonce sur le site du festival («Le Kunstenfestivaldesarts cherche des bénévoles! Tu as du temps libre pendant le mois de mai? Tu as l’intention d’assister à beaucoup de spectacles au festival? Et bien sûr tu voudrais payer tes tickets moins chers? Nous avons une solution pour toi: contribuer au festival en intégrant notre équipe de bénévoles!”). Ainsi un langage publicitaire «sympa» fait la promotion d’un travail gratuit, en échange de billets soldés, signifiant qu’une relation à l’art se monnaye alors qu’elle est «censée nous faire réfléchir» (dixit le directeur Christophe Slagmuylder à la télévision belge). En avril, je m’étonne de lire la page Facebook du festival en anglais et non dans les deux langues (flamand et français) comme auparavant. La réponse ne se fait pas attendre : «Sur Facebook c’est en anglais et cela fait déjà un petit temps. C’est bien plus direct comme cela non? Et bien plus adapté à l’outil…». Ce n’est pas signé. Facebook n’est qu’un vulgaire tableau d’affichage alors qu’il est censé mettre du liant entre programmateurs, artistes et spectateurs. Et si la stratégie de communication et de management était liée au projet artistique du festival? Première démonstration à partir de mon périple festivalier du 16 au 20 mai inclus?

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La proposition du collectif Berlinois Rimini Protokoll confirme mon hypothèse. Au théâtre KVS-Bol, le staff divise les spectateurs en groupes. Je suis casé pour suivre le circuit bleu. On me parle en anglais. Je fais remarquer que je suis français. Aucune réaction. Le périple dans le théâtre commence par une série d’ateliers censés nous immerger au c?ur du Nigéria dont le PIB devrait dépasser celui de la France d’ici 50 ans. Un homme nous installe dans une salle de réunion pour évoquer l’économie du pays. En anglais. Je ne comprends pas. Je m’en inquiète auprès d’un membre du staff (probablement recruté comme “bénévole”) qui me tend un livret résumant la performance. L’oeuvre est ainsi réduite à un synopsis?dans lequel je lis qu’une salle des marchés est un théâtre avec un metteur en scène, des acteurs. Avec Rimini Protokoll, tout est une métaphore du théâtre. Soit. Au deuxième atelier, le scénario se reproduit et, fait rarissime, je quitte le KVS. Rimini Protokoll se représente l’économie en cases, exclusivement basée sur des échanges marchands. Faute d’artistes, il installe des acteurs (comme vous et moi) pour incarner leur propre jeu professionnel. L’art aurait pu nous immerger dans l’interdépendance, dans une articulation entre l’économique, le social et le culturel. Mais «Lagos Business Angels» est un dispositif inspiré par des communicants qui dénoncent, mais qui n’énoncent pas tout en excluant les spectateurs qui ne parlent pas la langue dominante. Un d’entre eux me faisait remarquer dans un mail : «j’ai eu l’impression d’être à un séminaire organisé par une ONG». Ainsi, l’esthétique de la communication d’entreprise a pris le pas sur l’art. Flippant.

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Mais je n’ai encore rien vu. Le lendemain Anna Rispoli et Edurne Rubio nous convoquent au pied de la tour de l’École Hôtelière du Campus Elishout à Anderlecht. Ici aussi, nous voici divisés en deux groupes de spectateurs, casques sur la tête pour y entendre des bruits de circulation, des champs d’oiseaux et une narratrice dans le rôle de?la tour (sic). Une des «actrices» nous accompagne. Je la sens?«habitée» dans son statut de «médiatrice» performeuse tandis qu’elle ralentit nos pas au c?ur du parc du campus. Ce périple nous guide au 13ème étage (je vous épargne les arrêts?) où «la voix» nous parle de son statut peu enviable de tour. Le texte est sans distance, collé au réel (jusqu’au passage digne d’une publicité pour site porno où d’une voix langoureuse, elle évoque les mains qui s’accrochent à sa rampe d’escalier et les corps qui frôlent ses murs). C’est vulgaire, sans recherche, à l’image des produits confectionnés par les Offices du Tourisme. C’est du «théâtre réalité» sans  poète, sans artiste en chair capable de nous extraire de cette écriture métaphorique sans relief. C’est de l’installation pour nous faire vagabonder. Mais qui suis-je au final ? Un spectateur  qui consomme de  la com’. «C’est sympa» me dit une spectatrice. Suffisamment sympathique pour empêcher tout regard critique au risque de passer pour un «emmerdeur».

Mais je n’ai encore rien vu. Cette fois-ci, ils sont quatre (Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille) pour «Hoog Gras». C’est une installation posée sur la scène du KVS. Ici encore, les spectateurs sont divisés en plusieurs groupes, entourés de différents écrans et de haut-parleurs. Il s’agit de nous immerger dans la psychologie d’un enfant soldat tout en proposant au public «un spectacle sensoriel». Sauf que je n’ai strictement rien ressenti de ce flot d’images si ce n’est une belle esthétique sur un sujet terrible. La sophistication de l’installation renforce ce sentiment d’un «art» qui nous prend de haut et nous éloigne durablement de la profondeur de la musique de Dominique Pauwels et des voix du ch?ur des enfants du Théâtre de la Monnaie. Ce «théâtre-là» est effrayant, car désincarné alors que son propos réclame la chair. À corps et à cris.

Mais je n’ai encore rien vu. Le chorégraphe Brice Leroux présente «Flocking-Quintet». S’inspirant des systèmes d’autoorganisation spatiale des groupes d’animaux, cinq danseurs (affublés d’une robe rigide pour princesse obsessionnelle) tournent sur eux-mêmes à côté d’un piano mécanique qui se déplace également accompagné d’une boule de lumière blanche. Pendant une heure, ça tourne entre chien et loup. Ça tourne. Dans le vide sidéral. J’ai encore en mémoire, la grâce mécanique d’Anne Teresa de Keersmaeker dans «Rosas Danst Rosas». On ne devrait jamais penser à elle. Cela coupe tout. Brice Leroux conceptualise, mais ne dit pas. Il cherche, mais ne trouve rien. Mais, comme me le soufflera une spectatrice, «c’était sympa à voir».

Ces quatre propositions ne créent pas les conditions d’un renouvellement de la pensée et du regard critique. Elles s’appuient sur l’illusion groupale comme vecteur de communication entre l’artiste et l’individu. Mais à aucun moment, celui-ci n’est considéré dans ses particularités. Il consomme de la performance et de l’esthétique sans qu’il lui soit possible d’interroger la pertinence de ce qu’il voit. La relation à l’art est si distendue qu’elle ne permet pas la rêverie, tout au plus l’éloignement. Le caractère «sympathique» de la proposition joue sur un lien affectif factice, prémice d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom.

L’art se déploie dans la pensée. Hors d’elle, il n’est que produit et finit sa trajectoire sur le page Facebook du Festival. Sans amis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

Brice Leroux –  «Flocking-Quintet » – du 19 au 23 mai 2012.

Rimini ProtoKoll « Lagos Business Angels » – du 17 au 19 mai 2012.

Anna Rispoli et Edurne Rubio , « Retroterra : audio tour / performance » du 12 au 18 mai 2012.

Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille – «Hoog Gras» – du 12 au 20 mai 2012.

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LA MUSIQUE EST DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Maud le Pladec, la musique a du corps.

Combien d’oeuvres de danse contemporaine considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ? Ce soir, il en va tout autrement. Trois interprètes ne dansent pas sur une musique. C’est la musique qui chorégraphie  leur corps. Je joue avec les mots? Probablement, mais c’est la première image qui émerge à l’issue de «Professor/Live» de Maud le Pladec avec l’ensemble musical Ictus. Cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsations rock’embolesques. Comment est-ce possible que trois danseurs soient à ce point si virtuoses pour restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli

«Professor/live» est une succession de trois «leçons», trois chapitres ouverts où j’ai plongé, où mon corps a littéralement interagi à ce croisement musique-danse comme si de ma place, j’animais cette articulation. Rarement une danse ne m’a à ce point accueilli comme un mélomane en puissance et je le dois en grande partie au solo époustouflant de Julien Gallée Ferré qui a su m’apprivoiser. À le voir approcher cette musique si fluide qui lui échappe des doigts, je m’étonne d’entrer si facilement dans la partition. Tandis quel’ensemble Ictus est derrière le rideau noir, ses membres sont instruments, son corps est orchestre. Je le suis du regard tandis qu’il occupe l’espace là où le son ne va pas. Tel un centre de gravité, la musique déséquilibrée trouve son point G à partir d’une chorégraphie si virtuose qu’elle pourrait orchestrer les ressentis des spectateurs ! Il laisse entrevoir un filet de lumière d’où je devine l’ensemble Ictus: ce geste d’une belle élégance me signifie la bonne distance du danseur en maître des lieux. Julien Gallée Ferré devient à son tour musicien, au sens propre comme au sens figuré, alors qu’il intégre l’orchestre pour amplifier les vibrations de son corps avec une basse. Le danseur se permet tout et cette liberté est totalement jouissive. Mais je n’ai encore rien vu, rien entendu tandis que deux complices le rejoignent pour jouer au chat et à la souris, entre chien et loup.

On les croirait frères, telles des cellules d’un même corps qui entreraient en collision pour créer l’illusion d’une partition fraternelle. À ce jeu là, l’univers de la bande dessinée s’invite pour ajouter à la chorégraphie de Maud le Pladec, sa part d’ombres et de lumières, d’apparitions et de disparitions. N’est-ce pas cela la musique ? Je me surprends à me voir jouer avec eux, très à l’écoute de leur musicalité. Je lâche prise. Je suis “multiprises”.

Tandis que la musique se fait plus oppressante, nos danseurs ralentissent leurs gestes. De l’effroi, à la peur, à la catastrophe, la bouche est trombone, les lèvres sont violon. Nos ressentis sont notes et le groupe est la partition musicale de nos métamorphoses. Derrière eux, le rideau de scène  s’ouvre et se ferme, se  découvre et recouvre tel un voile pudique posé sur nos symphonies imaginaires. Couchés ou debout, leurs corps respirent la musique jusqu’au moment fatal où de nouveau seul, Julien Gallée Ferré nous invite à divaguer avec nos fantômes. La ligne a été franchie. La musique se perd dans l’inconscient. Elle est langage.

Ils peuvent revenir vers nous. Alignés, nos danseurs jonglent avec les notes et propagent pour démultiplier les sons puis peu à peu, ils s’entrechoquent, s’articulent. La chorégraphie crée la partition des corps-musiques: nous voici au-delà de l’imaginable, assistant à la création d’une symphonie où les corps orchestrent la vie et la mort, le conscient et l’inconscient, le  geste et le mouvement.

Nous sommes les enfants du rock.

Mortel(s).

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Professor / Live » chorégraphie de Maud le Pladec avec l’Ensemble Ictus au Théâtre de la Criée de Marseille le 15 mai 2012 dans le cadre du Festival « Les musiques ».

Maud le Pladec sur le Tadorne à propos de “Poetry“.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Frédéric Fisbach “dépressive” Juliette Binoche.

Juliette Binoche est à l’affiche du Théâtre de l’Odeon à Paris du 18 mai jusqu’au 24 juin 2012. Retour sur “Mademoiselle Julie”, vu au dernier Festival d’Avignon. A fuir…

J’hésite. J’ai mon billet  pour «Mademoiselle Julie»,  mise en scène par Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche. Je doute. L’agent d’accueil du Festival d’Avignon m’attend. J’hésite. Une professionnelle de la culture me repère et me lance : «n’y va pas, tu n’aimeras pas». J’admire ceux qui ont des certitudes à votre place. J’hésite. Fréderic Fisbach, c’est risqué. Je n’ai pas oublié «Les feuillets d’Hypnos» qu’il présenta en 2007 dans la Cour d’Honneur alors qu’il était l’artiste associé du Festival. Jamais la Cour n’avait subi un tel outrage. Je n’ai pas oublié la façon dont il a coupé un équipement culturel («le 104» à Paris) de son quartier, l’obligeant à rendre les clefs d’un établissement déficitaireJuliette Binoche, ce n’est pas rassurant. Elle véhicule un tel imaginaire autour du cinéma. Sans vouloir l’enfermer trop vite, Binoche c’est du cinoche. Nicolas Bouchaud, c’est ennuyeux. Son jeu appuyé ne m’a jamais traversé.

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Finalement, j’entre. Premier rang. Le décor m’est familier : murs  blancs, des néons, des vitres et des troncs d’arbres. Comme d’habitude avec Fréderic Fisbach, j’ai l’impression d’être dans une galerie d’art contemporain. Il sait aménager l’espace pour figer la communication.

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. La ligne a été franchie : ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

En 2011, quelle interprétation en fait Frédéric Fisbach ? Je ne doute pas du scandale qu’a pu provoquer cette pièce à sa création en 1906. Mais en 2011?Le jeu des acteurs peine à restituer un conflit de classe, tout un plus une divergence de projet. Dans quel environnement  vit Frédéric Fisbach ? Probablement celui qu’il singe lors de la fête entre « amis » où des comédiens amateurs se déhanchent en fond de scène: relations codées, aseptisées, où l’on fait semblant d’en être. Culturellement, Jean et Julie sont si proches que leurs corps adoptent les mêmes codes de comportement. Nicolas Bouchaud n’incarne qu’un employé de classe moyenne qui trouve en Mademoiselle Julie une opportunité de gagner plus en travaillant plus. C’est un peu court. Psychologiquement, leur relation ne véhicule aucun désir sauf lorsque Bouchaud surjoue la séduction.  Mais tout est factice comme si le théâtre devait cohabiter en permanence avec une caméra. Pour s’échapper de cet enfermement, je finis par n’observer que Juliette Binoche. La star va-t-elle faillir ?La portée politique de la pièce s’estompe très vite, même si je décèle les ressorts d’une classe moyenne qui s’ennuie et sommeille (à l’image d’une partie du public?). Fréderic Fisbach nous lasse : le jeu des acteurs est au service de l’espace, de l’esthétique, les métamorphosant peu à peu en figures désincarnées. Il peine à mettre en scène une tension sociale et psychologique : tout au plus, sait-il la réguler.
Le théâtre de Frédéric Fisbach orchestre le vide, agence les langages tel un puzzle, mais ne sait pas les relier. Quand les « amateurs »de la fête  dansent la ronde de «Nelken» par Pina Bausch, je fulmine : il recycle les gestes mythiques  pour masquer l’absence de propos.
Fréderic Fisbach fait un théâtre dans les pas des autres. Avec Juliette Binoche en tête d’affiche, cela se voit. C’est l’avantage de la lumière : on s’y brûle vite les ailes quand on ne sait pas où l’on va.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Mademoiselle Julie » d’August Strindberg mise en scène de Fréderic Fisbach du 8 au 26 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.
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THEATRE MODERNE

«L’air semble plus léger».

Le 6 mai 2012, une des chapes de plomb s’est effondrée. Elle a pesé sur la conscience collective jusqu’à faire échouer toute dynamique de changement durable. Au cours de ces cinq dernières années, tout a été dicté du haut vers le bas, positionnant les enjeux humains à la périphérie quand ce n’est pas au centre pour les réduire à un dogme raciste d’État. Ce soir, cinq jours après, «l’air semble plus léger» d’autant plus que ce sont mes retrouvailles avec la metteuse en scène palermitaine Emma Dante. Elle nous propose «La Trilogia degli occhiali» (La trilogie des lunettes), succession de trois petites pièces qui, mises bout à bout, forment un poème théâtral qui nourrit notre vision universelle de l’humain. Au-delà des frontières, Emma Dante vient peu à peu interpeller nos utopies, nos chemins pas tout à fait tracés et nos folies créatives et mortifères.

Dans «Acquasanta», O’Spicchiato (Carmine Maringo) est un bateau ivre sur mer agitée. Les engrenages dépendent de ses déplacements sur la scène. Les ancres par des cordes sont attachées à ses mollets et pendent du plafond. Un monde à l’envers, comme si nous marchions sur la tête ! Il évoque sa vie de mousse jusqu’au moment fatidique où le capitaine ne veut plus de lui. Son corps est bateau, ses utopies sont brume, et ses mots sont autant de SOS qui s’égarent dans l’immensité de la mer. Détaché, fatigué, mais léger, je n’écoute pas toujours Carmine. Il bouge, mais peine à créer un mouvement qui m’entrainerait dans son bateau fantôme. Il se fond dans les engrenages comme s’il y avait chez Emma Dante, la nostalgie d’un certain rapport de l’homme à la machine qui prend le pas sur son émancipation.  Je décroche littéralement pour larguer mes amarres.

«Regarde 
Quelque chose a changé.
L’air semble plus léger.
C’est indéfinissable.»

La deuxième oeuvre («ll Castello della  Ziza») me remet les pieds sur terre. Avec le corps comme unique langage, il n’y a quasiment plus de texte. Deux infirmières bigotes prennent soin de Nicola, un enfant attardé. À la place des ancres du premier épisode, tels des pompons de manège, pendent des croix avec lesquelles elles s’amusent. La foi est une foire d’empoigne et de jeux de loteries pour réveiller Nicola qui semble statufié à jamais dans sa maladie. Emma Dante signe là une mise en scène exceptionnelle: elle déploie toute l’énergie du théâtre pour (r)éveiller Nicola et nous immerger dans son imaginaire. Les mouvements des corps déterrent pour ranimer les âmes torturées par un soin tout-puissant et mortifère. Le désir reprend ses droits, magnifiquement interprété par Onofrio Zummo, qui du «fou à lier», nous lie à sa folie de vivre. Il parvient à transmettre l’extase, celle que l’on peut ressentir quand l’art sidère et (dé)joue nos défenses. Je tangue littéralement, happé par cette scène métamorphosée en bateau ivre. Après la déraison vient l’art déraisonnable d’Emma Dante.

«Regarde 
Plantée dans la grisaille,
Par-delà les murailles,
C’est la fête retrouvée

«Ballarini» signe la fin de l’épopée. Deux vieillards dansent, entre prises de médicaments et essoufflements dus à l’envie incontrôlée de s’envoyer en l’air. On croirait Nicola et O’Spicchiato enlacés coûte que coûte, contre vents et marrées. Ils s’endorment en dansant, c’est pour dire à quel point leur foi dans la solidité de leur union est inébranlable. Ici, le corps peut tout supporter. Et quand les deux acteurs (magnifiques Manuela Lo Sicco et Sabino Civilleri) dansent à reculons, c’est pour refaire le chemin inverse : les voici se métamorphosant peu à peu en jeunes parents, jeunes amoureux, jeunes libertins. Au-delà des corps, leur positionnement n’a jamais varié: éviter les pièges du consensus mou, s’émanciper des règles pour se mettre en mouvement, s’ancrer pour mieux libérer leurs amarres. Leur danse déjantée déjoue le temps, même celui imposé par une montre-bracelet qu’ils peinent à contrôler! Tout va si vite, tout tangue et je m’extase: le théâtre me rend fou d’amour.

«Regarde 
Moins chagrins, moins voûtés,
Tous, ils semblent danser
Leur vie recommencée». (Barbara – “Regarde” – Pantin, 1981)

Pascal Bély, Le Tadorne

«La Trilogia degli occhiali» d’Emma Dante à la Criée de Marseille du 8 au 12 mai 2012.

Emma Dante sur le Tadorne: “Emma Dante, à la vie, à la mort“.

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THEATRE MODERNE

Las Vanitas, plaisir coupable.

Se rendre jusqu’à Cucuron, un village du Vaucluse, décentrer ses habitudes de spectateur ne semble pas avoir été la seule surprise de ce mardi soir du 17 Avril, tant le spectacle programmé par le Centre Culturel Cucuron-Vaugines a divisé et bouleversé son public. La compagnie suisse Chris Cadillac emportée par ses co-auteurs, Marion Duval et Florian Leduc, y présentait sa nouvelle création «Las Vanitas», objet de théâtre non identifié, expérimentation frontale d’un divertissement culturel. Le public rentre par la scène. Les premiers installés regardent les autres arriver, défiler, chercher leur place parmi ses affinités ou ses habitudes d’observateur. Le spectacle a déjà commencé, les frontières sont poreuses; sommes-nous déjà un spectacle pour nous-mêmes ?

Quand le dernier spectateur, une grande blonde en mini-jupe et shorty, arrive en retard, avec son mp3 aux oreilles, et qu’elle demande au public s’il y avait un cours de gym dans la salle, on comprend vite alors que le doute et la confusion vont prendre le pouvoir sur nos nerfs et peut-être sur toute attente narrative, voire littéraire. Aucune pitié pour un texte éventuel; je repense aussitôt aux intuitions de Jean Vilar, circonscrites depuis longtemps en livres et en interviews, quant au changement qu’allait devoir subir la scène ces 50 dernières années, illustré par les conflits incessants du Festival d’Avignon, aujourd’hui presque caduques. Si donc la question du choix cornélien entre un théâtre d’auteurs et un théâtre d’idées est enfin dépassée, où pourra nous mener l’énergie des jeunes comédiennes dans laquelle «Las Vanitas» nous largue avec de plus en plus de fureur et d’électricité. La réponse ne pouvant être claire, je crois cependant qu’il y a des indices mûrement réfléchis par cette nouvelle génération, archirassasiée et consciente de tous les mensonges idéologiques et autres fausses promesses sociales: une présence, une vigilance accrue aux facteurs du hasard qui pourraient abonder le propos onirique de leur spectacle. Car c’en est un en fait. La trame parfaitement dessinée, met en scène trois muses contrastées, potentiellement spectatrices, pas obligatoirement cultivées, possiblement marginalisées, sûrement «non professionnelles». Jeu de dupes, ces trois exceptionnelles comédiennes exposent leur fragilité et leurs angoisses pour faire apparaître le cauchemar d’un monstre clochard, aux yeux rouges, recouvert de vêtements qu’il aurait volé aux honnêtes spectateurs que nous sommes. C’est du moins ce que confie la retardataire du cours de gym, après nous avoir abasourdie d’une danse vaine, débile, mais subtilement assumée, en nous invitant à la rejoindre sur le plateau, alors qu’il n’y avait aucune raison de fêter quelque chose ensemble ou de participer aveuglément à cette société d’exploitation.

C’est bien là qu’est le mordant de ce type de spectacle et en même temps le risque de ses écueils. Je me souviens du spectacle d‘Angelica Lidell, «Maudit soit l’homme qui se confie à l’homme : un projet d’Alphabétisation», dans lequel nos réflexes bourgeois étaient vilipendés avec autoritarisme, sans aucune capacité d’auto-dérision. «Las Vanitas» part sur le même terrain, mais à cloche-pied, avec la joie des enfants, jeunes et lycéens du public ayant le plus ri dans la salle, gargarisant nos aspirations poétiques et nos consciences d’adultes construits dans un vaste rire guignolesque. Cruauté par laquelle passe d’essentiels et de subliminaux messages: qu’est-ce qui nous met si mal à l’aise, riant ou excluant ce miroir qui nous est tendu? Est-ce la peur d’être avili par la vacuité du spectacle sous toutes ses formes? Est-ce la présence des «voyous» au fond de la scène derrière la vitre, qui chahutent, fument quelque chose et nous observent? Où est-ce le manque de contrôle vertigineux, peut-être aussi délicieux qu’un plaisir coupable, que nous avons sur les évènements du réel?

Merci, merci Chris Cadillac, reviens nous vite, encore plus jeune.

Sylvain Pack:http://sylvainpack.blogspot.fr/

«Las Vanitas»  La compagnie  Chris Cadillac au Centre Culturel Cucuron-Vaugines le 17 avril 2012.

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Appel à participation pour les Offinités du Tadorne au Festival Off d’Avignon.

Au prochain Festival Off d’Avignon, nous vous proposons de nous rencontrer autrement, au-delà d’un lien producteur et consommateur de spectacles qui peine à transmettre la complexité des nouveaux langages de la création. Pluridisciplinaires, voire «indisciplinaires», ils n’opposent plus le corps et le texte, mais les enchevêtrent. Loin des chemins tout tracés, les spectateurs font leur «traversée», carte du off et programme en main ! Ainsi, nous nous  croisons sans toujours prendre le temps de nous arrêter pour échanger collectivement sur nos ressentis. Dès lors, quels espaces faut-il ouvrir, quels outils créer pour entendre la parole des spectateurs engagés ?

Une communication différente est à promouvoir pour s’éloigner d’un «j’aime», «je n’aime pas» qui finit par cliver texte et mouvement, théâtre contemporain et patrimonial. Le spectateur émancipé y a toute sa place ; le spectateur intimidé aussi.

Nous souhaitons que le Festival Off soit un espace de dialogue ouvert d’autant plus qu’il ne se positionne pas comme programmateur. C’est le spectateur qui fait son programme, mais ce sont les organisateurs du Off qui multiplient les rencontres au Village. Espace circulaire et convivial, il y accueille depuis deux ans des «chroniques critiques» et les Offinités du Tadorne. En 2012, le Festival Off proposera six rendez-vous au Tadorne animés par Pascal Bely et Sylvie Lefrere. Ils relieront petits et grands, spectateurs, professionnels et artistes?Car pour les animateurs du blog «le Tadorne », l’art relie et fait société?

MARDI 10 JUILLET, 17H, «Le grand OFF du tout-petit».

Au cours de cette journée, des professionnelles de la toute petite enfance assisteront à différentes représentations. A 17h, elles croiseront leurs regards et échangeront avec des familles et des artistes sur la place de l’art dans l’éveil du tout-petit.

Plus généralement, nous nous interrogerons sur la place du spectateur tout-petit dans le festival Off et les opportunités de dialogue qu’elle nous offre.

Jeudi 12 JUILLET, mardi 24 JUILLET  à 11h: «Spectateur, quel programmateur êtes-vous ?»

Nous proposons d’écouter les choix de programmation de deux groupes de spectateurs (présent du 7 au 14 et du 21 au 28). Comment programmons-nous en début et fin de festival ? Quels sont les processus en jeu ? Comment sommes-nous conditionnés dans nos choix ? Comment nous émancipons-nous des pressions publicitaires ? Comment programmons-nous au-delà d’un lien consumériste ?

Dimanche 15 JUILLET à 11h, «Médiateurs, pédagogues : pour un partage du plaisir créatif»

Nombreux sont les professionnels de l’éducation (du tout-petit à l’Université), de la médiation et des artistes qui créent des outils et des démarches pour promouvoir un autre lien à l’art. Ils sont des créateurs invisibles, mais jouent un rôle essentiel dans la vitalité artistique du pays. Et si nous écoutions leurs expériences ? Que viennent-ils chercher au Festival Off d’Avignon ? Et si Avignon était le lieu de rassemblement des médiateurs et pédagogues, quel en serait le projet ?

Mercredi 18 JUILLET à 11h, «Danse,théâtre: tous dans le même mouvement !»

En écho à la journée sur la parité homme-femme organisée par le Festival Off, nous proposons un dialogue inédit autour d’un « sensible » partagé qui transcende les genres. Des chorégraphes et des danseurs assisteront à des représentations théâtrales tandis que des metteurs en scène et des acteurs gouteront à la danse. Nous proposerons un spectacle «hybride» vu par tous. Ainsi, ce croisement des regards nous permettra d’explorer de nouveaux territoires, d’entendre d’autres langages et de s’exercer à la critique transversale, territoire de la parité !

Samedi 21 JUILLET à 11h ,«artistes, spectateurs : quels étrangers sommes-nous ?»

Pour inaugurer la semaine internationale, nous proposons d’inviter des spectateurs et artistes étrangers pour croiser nos regards sur les propositions étrangères du festival. Comment percevons-nous le langage de l’art dans une langue qui n’est pas la nôtre ? Qu’observons-nous depuis quelques années de la création internationale ? Comment le Festival Off peut-il être l’espace de la conversation des cultures ?

Vous souhaitez participer à ces tables rondes ? Vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante :

pascal.bely@free.fr ou au 0682839419

Pascal Bély – Sylvie Lefrere – Des Tadornes.

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THEATRE MODERNE

En tournée, Le commerce équitable de Joël Pommerat.

Dimanche 6 mai 2012. François Hollande est élu Président de la République. J’ai attendu cet instant pour écrire sur la dernière création de Joël Pommerat, «La grande et fabuleuse histoire du commerce», vue au Théâtre d’Arles le 13 avril 2012. J’ai ressenti le besoin de relier ces deux hommes, tous deux habités par le désir de ne rien cliver, d’être à l’écoute, de rassembler. Tandis que le «candidat sortant» n’a cessé de diviser autour du «vrai travail», il m’est agréable de saluer le Président Hollande qui incarnera une nouvelle époque où être humaniste ne sera plus considéré comme une incompétence.

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Car le «vrai» est dans ce propos lisible, au croisement du conte et de l’histoire économique, du rêve et des faits. Joël Pommerat signe là une ?uvre théâtrale puissante qui relève parfois de la magie tant chaque scène parvient à relier l’universel à notre intimité. Avec lui, je suis un étrange spectateur, observateur et acteur de ma destinée. Il incarne une écriture du réel où les murmures de la «majorité silencieuse» répondent à mon désir d’être entendu dans ma singularité. Avec Joël Pommerat, jamais la notion de «résonance» (mot trop souvent dénaturé par de nombreux programmateurs) n’a eu autant de sens. Je n’ai jamais imaginé que l’histoire du commerce pouvait croiser la mienne; j’en avais même oublié que le commerce structurait le lien social pour traverser les époques et métamorphoser les corps. Joël Pommerat réussit donc un miracle : avec écoute et empathie, il nous restitue cette histoire à partir d’un groupe de cinq hommes commerciaux qui arpentent un territoire, le quadrillent par un porte à porte minutieusement préparé. Deux générations se succèdent : mai 1968 et 2012. Même unité de lieu: une chambre d’hôtel. En apparence, tout change parce que rien ne change: vendre est une relation asymétrique. C’est un rapport de force dans lequel viennent se mêler des liens de solidarité entre ces hommes. Tandis que les idéaux de 68 s’expriment violemment à la télé, ils font preuve d’une belle persévérance à soutenir l’un d’entre eux qui n’atteint pas les chiffres. Et c’est le même, pétri d’empathie pour ses clients, qui pulvérise les ventes tandis que ses compagnons, plus âgés et usés, font grise mine. L’ascenseur social marche! La relation commerciale humaniste (professionnalisée à partir des techniques de manipulation venues des US) est l’avenir («on ne vend pas, on propose un service» dit l’un d’eux). Me reviennent des souvenirs d’enfance tandis que des vendeurs s’invitaient à la maison pour proposer des livres et des aspirateurs. Ils me fascinaient parce qu’ils symbolisaient la modernité, le progrès infini tout en prenant le temps d’instaurer la relation de confiance dans une famille qui ne connaissait que la défiance comme mode de communication?

Deuxième acte. Changement de décor. Nous voici propulsés en 2012. Toujours une chambre d’hôtel, mais deux petits lits bien séparés. L’individualisme a aussi son mobilier. Toujours les mêmes hommes sauf que c’est le plus jeune qui manage les anciens. Il joue sur l’affectif. En permanence. Face aux résultats désastreux, il encourage en entrant dans la vie intime de chacun d’eux (comme si la technique de 1968 ?«entrer dans la vie des gens»- visait à vendre le commerce aux commerciaux?qui semblent ne plus y croire). Le commerce ne véhicule plus aucune valeur si ce n’est SA valeur. Le chef célèbre le groupe, la solidarité, mais c’est décontextualisé, hors de propos. En dehors de lui. Il vante des concepts qui ne s’incarnent pas dans son corps. Tandis qu’aucun commercial ne vend, il manie le paradoxe, son arme fatale: «Mutualisez vos succès et vos pertes». Les idéaux de 68 sont ainsi recyclés! Le management affectif dilue la responsabilité et transforme chacun en chef de l’autre, tout à la fois unité de production et de commandement.  À ce jeu pervers, le collectif ne résiste pas. Mais avec Joël Pommerat, l’humain reprend toujours ses droits. Toujours. Car se qui se clive à un niveau, s’articule harmonieusement dès qu’il le complexifie. Ici, “l’homme fragile“(sublime dernier tableau du corps qui s’effondre) s’immisce dans le grand jeu du commerce pour l’enrayer. Totalement sidéré, je n’ose quasiment pas applaudir comme si Joël Pommerat, à partir d’une mise en scène millimétrée où le sens s’invite à chaque instant, m’incluait dans une interaction. Je fais donc partie de l’histoire du commerce parce qu’au-delà des théories et des techniques, c’est l’humain pris dans sa globalité qui autorise les conditions de l’échange.

Un mois après, je n’ai rien oublié de cette oeuvre jusqu’à imaginer François Hollande habité par les visées théâtrales de Joël Pommerat.

 «Moi, si je suis Président de la République, j’essaierai d’avoir de la hauteur de vue, pour fixer les grandes orientations, les grandes impulsions, mais en même temps je ne m’occuperai pas de tout et j’aurai toujours le souci de la proximité avec les Français.» (François Hollande, lors du débat télévisé, d’entre les deux tours, 2 mai 2012).

Pascal Bély, Le Tadorne.

«La grande et fabuleuse histoire du commerce» de Joël Pommerat au Théâtre d’Arles le 13 avril 2012.

Les dates de la tournée en 2013:

  • Liège du 7 au 9 février
  • Châlons-en-Champagne les 14 et 15 février
  • Velizy-Villacoubay les 21 et 22 février
  • Petit Quevilly du 5 au 8 mars
  • Saint-Etienne du 12 au 15 mars
  • Bruxelles du 19 au 29 mars
  • Aubusson les 21 et 22 mars
  • Athènes du 28 au 31 mars
  • Montluçon du 9 au 11 avril
  • Rennes du 16 au 20 avril
  • Evry les 24 et 25 mars
  • Tournai les 7 et 8 mai
  • Chateauroux les 14 et 15 mai
  • Compiègne les 22 et 23 mai
  • Saint Brieuc les 29 et 30 mai

Joël Pommerat sur le Tadorne:

Avec “Au monde”, Joël Pommerat révèle un théâtre d’ombres et de lumières.

Avec “Les marchands”, Joël Pommerat fait du beau travail.

“Je tremble” de Joël Pommerat: deux contre un.

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“L’enfant” des Ephémères de Joël Pommerat.

Joël Pommerat, mineur de fond.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«Robert Plankett» : une déflagration de tendresse humaine à double effet.

«Il» se nommait Robert Plankett; a-i-t, parce qu’il est mort? Il est mort, mais, vivant, là, encore un peu?

Sur un thème difficile et «ultra glissant», le Collectif «La Vie Brève» mis en scène par Jeanne Candel nous propose un spectacle jubilatoire, d’une infinie tendresse. Un théâtre d’une grande beauté plastique émaillé de «trouvailles» d’une intense poésie. Comme un voyage en «kaléidoscopie» d’instantanés, fragiles. Le rire qui nous secoue nous porte aux rives de nos humanitudes pour laisser l’espace se glisser, doucement, vers nos singulières solitudes, perdues en pertes insensées. On va ouvrir avec tendresse nos miroirs, nos tiroirs, nos armoires et nos cartons. Nos «erreurs» et nos «compromis» sont ici bien «jaugés»; humains nous sommes et, il est à souhaiter, nous serons. Fragiles, imparfaits, rêveurs, maladroits, empêtrés,…«C’est ainsi que les hommes vivent»…Rien dans ce spectacle n’est «déplacé» ni «grossier»; rien de ce qu’il crée en nous ne nous enferme; il est vitalité pour nos tendresses (parfois) oubliées et nos «maladresses» (souvent) mal «pardonnées».

Au final, c’est un moment jubilatoire, vivifiant et vitalisant sur lequel il est difficile d’écrire «clair» sans dévoiler les encours poétiques et tendres. Ces chemins, proposés, qui nous conduisent vers un après sont à prendre comme un bonbon vie. La Vie Brève (compagnie à suivre, assurément) nous invite à «Investir» nos Aujourd’hui ; laissons les nous toucher dans nos «programmes» «communs» et, peut-être, «tendressement», «corriger» nos «intolèrepeauxerrances» et nos «co-errances» avant qu’elles ne soient que cendres. Là où, sans danser, nous ne serions que perdus.

En ces temps «d’humanité» cruelle, ce spectacle est salutaire pour nos êtres et nos zygomatiques; réclamez-le à vos programmateurs de proximité!

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La «poussière» d’une vie pensée en «poids» balancée soupesée pour être aux vents, même contraires, jetée. De l’un ou de l’autre, qui, trahi, désavoue, désarme, déprécie, annule?? Comment dire et agir aimer quand l’autre et l’un ne sont plus là pour danser la vie, ensemble, sans être «perdu»? Qu’est-ce qui emporte vers (un) demain? Qu’est-ce qui se laisse quand on (se) meurt? Cervelle de veau versus cerveau humain; lobe droit, lobe gauche? Leçon « anatomique». L’herbe est-elle plus verte là où poussent les pommes?? Qui de l’écureuil, du hérisson, de la panthère ou de l’ours nous ouvrira la voix?? Quoi qu’il en Soi(t), il ne restera au bout du conte (compte) que des hier à (se) partager demain tant on peine à (se) «trouver» aujourd’hui. Quel difficile exercice pour l’entourage d’un Robert nommé Plankett? Mais, un poulet, «qui a la frite», vaut bien une Bible et la pomme est d’Eve, d’Adan et de Newton avant que d’être au four!

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Robert Plankett » par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel ? TU Nantes du 3 au 5 avril 2012

Tournée :Théâtre de la ville (Abesses) Paris du 2 au 11 mai 2012