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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE Vidéos

«Vortex» de Phia Ménard : Sous le vent d’être.

Je l’avais laissée sur un «P.P.P.» arctique de bon souvenir et c’est le vent qui là, la ramène. Seule encore, mais cette fois sur une piste comme une Agora où le souffle des ventilateurs porte les mots silencieusement donnés. Un «Vortex» qui nous conduit vers l’enfant de nous. On se souvient d’un objet «banal» dont on faisait «tout». Avec du vent et du plastique, Phia Ménard va nous conduire à ré-ouvrir nos contes. Mais seront-ils, comme on les voudrait, toujours «pimpants» et sans défaut  apparent?
Ça commence «trash»; nous découvrons en entrant un «gros Boudoume» occupé à la découpe d’un sac de course rose comme on en croisait partout avant un sursaut des supermarchés vers une «responsabilité écologique citoyenne». À l’aide de gros ciseaux et de scotch, un petit personnage, tout à plat se construit. Bientôt, mais il ne le sait pas, le souffle du vent lui donnera l’épaisseur pour accomplir sa danse et il sera même rejoint par un aréopage arc-en-ciel de «camarades» pour un ballet pensé en liberté. Mais, Cut/Raccord. le bal n’est pas à l’heure de notre hôte «encostumé», un parapluie «troubleur» ne tardant pas à indiquer le chemin de la benne. Pourtant, qui sait si sous le «Boudoume» se «cachait» quelque chose, quelqu’un, «May be peut-être». Un prince, une princesse d’un étrange ailleurs où la seule raison serait d’Être? Alors il serait peut-être une fois un pays où les garçons et les filles ne se tenaient pas toujours obligatoirement la main. Il serait peut-être une fois un monde où les enveloppes n’étaient pas toujours sans contrefaçon bien adressées. Il serait peut-être une fois un chemin, même tortueux, qui conduirait, un, deux, trois peut-être, à Soi.

Sous l’égide du vent, Phia Ménard nous emporte vers un quelque part où, quand bien même nos histoires seraient différentes, les couches à «gratter» pour tenter d’advenir, ne nous seraient pas si étrangères à nos «étrangetés». Ce spectacle/performance est un moment «rare» ; il nous invite, cinquante minutes durant, à nous pencher vers sensations de peau et émotions de corps. Il nous chatouille à l’identité plurielle de nos êtres et nous questionne sur les «oripeaux» que nous arborons en oriflammes.

Pour l’heure, laissez vous conduire au coeur du souffle; Phia Ménard, en femme de choix, sait guider nos pas au creux des «simples» poésies humaines; et, quand bien même elles sont tourmentées, il y aura bien un nid où se poser.

Le plastique n’est pas fantastique. Sauf qu’enfants, «tout» nous semblait possible ; serions-nous devenus trop grands?

Le vent en vortex m’a soufflé que non !

Mais, à vous de voir maintenant.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Vortex » de Phia Ménard au TU du 24 Avril au 5 mai 2012. Du 9 au 11 mai , Le Manège – Reins

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ETRE SPECTATEUR

Nicolas Sarkozy: «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir.»

A quelques jours du second tour, je ne résiste pas à publier l’article que j’avais écrit au lendemain de l’élection présidentielle de 2007. Ce texte est cruellement d’actualité?

A Peggy, Smaïn, Alain-Marc, Igor, Marie-José, Evelyne, Sabine, Claire, Sylvie, Christian. A Ariane M. A François B. A Ségolène R. Pour Maguy Marin. 

Oh mes théâtres! Le soleil apparaît enfin après une semaine pluvieuse. La Sainte Baume est rayonnante alors que nous filons vers La Penne sur Huveaune, ville de la banlieue marseillaise, pour assister à l’un des chefs d’oeuvre de Maguy Marin, «May B». En cette veille d’élection, nous avons besoin de luminosité, pressentant le cataclysme du lendemain. Avant d’entrer dans le théâtre, mon ami et moi ne parlons que de cela. Je sens bien que ce contexte pèsera tout au long de la soirée.

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Nous sommes le mardi 8 mai. Je n’ai toujours rien écrit sur «May B». Tout a déjà été dit sur cette pièce majeure. Que puis-je ajouter ? La victoire de Sarkozy m’a sonné. Je pense à Maguy Marin, elle qui en avait « gros sur le coeur” après la crise des intermittents et qui nous l’avait exprimé, un soir d’octobre 2005 en ouverture de la saison du Théâtre de Cavaillon. Je me souviens de sa colère, saine au demeurant, contre cette société du divertissement qui nivelle tout vers le bas. Après avoir été agressé par une partie du public lors d’une représentation d'”Umwelt” («on ne vient pas au théâtre pour se prendre la tête»), elle leur avait répondu par «Ha ! Ha !», oeuvre percutante puisqu’elle interrogeait notre passivité face au rire dégoulinant de nos médias. En ce dimanche de victoire Sarkozienne, Clavier et toute sa clique pérore sur la place de la Concorde, triomphe éclatant de tous ces bouffons qui, sous prétexte de faire rire la société française, l’ont annexée au moins-disant culturel. C’est ainsi que Maguy Marin a pressenti le succès de l’idéologie d’une droite décomplexée.
En ce mardi 8 mai, je pense à elle, à sa compagnie, à son Centre Chorégraphique National de Rieux la Pape, installé au coeur de la banlieue lyonnaise.
Quel décalage entre ce Président «inculte» (qui méprise les artistes  et les «intellectuels») et ce modeste blog, censé m’aider à réfléchir sur mon rêve de divertissement en le transformant en désir d’écriture pour communiquer!

C’est ainsi que le 5 mai, voir «May B» de Maguy Marin, est un acte de résistance, d’insoumission et de rébellion. C’est une oeuvre intemporelle (crée en 1981, elle continue de tourner pour assurer la stabilité financière de la compagnie) : la victoire de Sarkozy n’est alors qu’un petit phénomène au regard du dessein de “May B” qui n’en finira pas d’émerveiller des cohortes de spectateurs.

«May B», c’est le destin de l’humanité sur scène symbolisé par ce groupe d’hommes et de femmes enfarinés qui progressivement, se libèrent de leur animalité pour s’habiller de leurs costumes, métaphore du lien social.
«May B», c’est un jeu d’ombres et de lumières qui éclaire notre conscience sur notre avenir commun.
«May B» est une musique entêtante où l’autonomie se nourrit de liens de dépendance au coeur d’une dynamique groupale.
«May B» donne la force de croire que tout progrès peut devenir universel s’il crée de nouvelles solidarités.
«May B» est une palette colorée de nos petits gestes insignifiants, mais qui, par la magie de l’art (où la danse rencontre l’univers théâtral de Beckett), se transforment en mouvements subversifs libérateurs, loin des codes enfermants de nos sociétés mécanisées.
«May B», ouvre et ferme à la fois, à l’image de cette phrase énigmatique qui fait office de prologue et d’épilogue : «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir».
Sarkozy est un homme poussiéreux qui feint d’ignorer que le monde ouvert part à sa catastrophe si nous ne remettons pas la culture et nos connaissances sur l’évolution de l’humanité au profit des nouvelles solidarités. « May B » de Maguy Marin est l’oeuuvre qu’il fallait voir pour ne pas se laisser abattre. Elle nous a permis de nous enrichir du sourire bienveillant de Ségolène : on ne peut rien contre la longue marche vers de nouvelles fraternités.
Pascal Bély – Le Tadorne
“May B” a été joué le 5 
mai 2007 à la Penne sur Huveaune dans le cadre du Festival “Danse en mai”.
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PAS CONTENT

«Baron Samedi» d’Alain Buffard divise.

Au sein des Tadornes, la dernière création d’Alain Buffard divise. Profondément.

 Par Pascal Bély.

À l’entrée du Théâtre de Nîmes, on me tend une jolie feuille de salle. Comme à mon habitude, je ne lis rien. Je fais confiance à la scène. Elle se suffit. Mais le lendemain de la représentation, je me surprends à faire des recherches sur Google à partir des intentions artistiques d’Alain Buffard. Pourquoi aller explorer ailleurs ce que «Baron Samedi» aurait dû me donner? Que de malentendus! C’est le cas de l’écrire. Ce chorégraphe iconoclaste m’a habitué à des propos forts et souvent lisibles. Mais ici, rien ne vient. Ou si peu?Je ne me sens pas dans le coup. J’ai ce ressenti quand, pour faire «décalé», des artistes proposent une forme «brouillée» qui perd le spectateur, mais permet d’affirmer un «propos tendance» destiné à nourrir la bonne moralité de la «communauté culturelle»…

À mon arrivée dans la salle, un plateau blanc en pente fait office de décor. Comment vont-ils réussir à créer une danse sur cette page blanche? Mon interrogation est-elle illégitime ? Je ressens la scénographie d’un plasticien. Autant dire que la question du mouvement ne se pose même pas. À peine le spectacle commencé, je sais que cela ne sera pas de la danse. Dans la lignée des «concepteurs» en vogue (c’est ainsi que se nomment François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), les mots de «chorégraphe», de «danseur» disparaissent de la feuille de salle. À la place, on y lit «conception et mise en scène», «fabrication et interprétation»…Je perds beaucoup de temps à entrer. Non que je veuille catégoriser. Mais j’ai besoin de savoir d’où l’on me parle. Par clarté. Par honnêteté envers le spectateur. Une fois baissées mes barrières de défense, je décide de faire confiance au propos. Mais de quoi me parle-t-on puisque l’on me parle ?! À certains moments, le texte est surtitré; à d’autres, il est brut. Sous-titrer serait donc signifiant. Soit. Que dois-je comprendre ? Peu à peu, je déteste la relation de pouvoir qu’Alain Buffard instaure avec le spectateur.

Je peine à saisir le contexte de cette oeuvre alors je cherche le mouvement. Mais les grosses fesses ne me suffisent pas ; comme les corps trimbalés sur cette scène en pente. Progressivement, je vois émerger un tableau. Oui, c’est ça, un tableau vivant sur notre humanité. Il y a des noirs, des blancs. Des acteurs et deux musiciens pour faire «hybride». Des symboles historiques avec sa dose de dénonciation du racisme. C’est donc un tableau, le même que l’on me montrait enfant afin que je comprenne. On m’emmenait au Musée pour que je saisisse le sens à défaut d’être ému. Ce soir, à Nîmes, Alain Buffard veut que je comprenne sa vision de l’humanité. Sauf que j’ai besoin de la ressentir et non de subir la linéarité du propos (on s’aime, on se sépare, on revient), l’interpellation culpabilisante du public, une scène «trash» de cul suggéré en fond de scène (au cas où?). C’est une vision de l’humanité tant rabachée sur les plateaux de théâtre, qui repose sur les mêmes clivages, où l’on empile des références à défaut d’assumer un propos complexe. Comment puis-je accepter de me ressentir aussi incompétent alors que dernièrement, je me suis effondré avec Pippo Delbono, émerveillé avec Thomas Ostermeier, passionné avec Joël Pommerat, projeté avec  Vincent Macaigne ? Désolé de faire la comparaison, mais elle s’impose. Comme une évidence.

Parce que l’humanité traverse ces quatre artistes de théâtre.

Pascal Bély.

 

Par Sylvie Lefrere.

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Du plateau sombre, une voix profonde monte, accompagnée du son d’une guitare qui lui fait écho. Est-ce un enregistrement? Qui chante donc ? Un homme ? Une femme ? Qu’importe. Seule, on distingue une forme, d’où découle une émotion vocale. Nous sommes au début de «Baron Samedi» d’Alain Buffard, projeté au coeur de notre civilisation. En soixante-quinze minutes, nous allons suivre l’intensité d’un voyage dans le monde des vivants et des morts, où nous invite un sculptural Baron Samedi, père spirituel. Dans cette période de repli sur soi national, on nous invite à suivre l’au-delà du pays Vaudou pour quitter notre pays matérialiste, prendre du recul, et chercher à mieux décoder nos systèmes. Depuis le premier tour électoral de la présidentielle, je ne sais plus dormir sereinement, je fais des cauchemars. Dans la journée, je suis épuisée, “au bout du rouleau”. Mais cette pièce va me donner une nouvelle énergie.

Chaque danseur se campe dans une personnalité forte, où la différence des genres se mélange dans un bouillonnement de richesses multiculturelles. Nous traversons le globe entre le Brésil, Haïti, les États-Unis, l’Espagne…Les langues d’origines claquent comme des fouets, les corps en chair, musclés ou fins, chaloupent en harmonie. Les volutes de la séduction, les secousses de la révolte ou de la transe s’expriment librement. La mémoire de l’esclavagisme et du colonialisme transpire. Les hommes, les femmes, mammifères, deviennent caméléons, tels des gallinacés ou des reptiles pour des parades de séduction, de pouvoir, de prise de territoire… Mes larmes coulent quand les danseurs se masquent d’un sac de tissu blanc, troué au niveau des yeux et de la bouche…Je pense au Ku Klux Klan, aux masques blancs, à nos propres visages, dans lesquels nous pouvons être figés dans nos valeurs identitaires sectaires. Je vois des hommes qui grimacent, “des monstrueux”. Certains partagent dans un même sac/masque. Mêmes pensées, même visage double, fossilisé. J’y vois des condamnés à mort, des humains perdus, aux abois. Les chants des danseurs, les cordes des instruments, pulsent d’une belle énergie ce voyage dans notre monde violent, étriqué alors que la liberté peut encore se saisir dans ce parcours Vaudou. Mais où sommes-nous? Dans quel monde? Là où les coeurs battent? Là où les corps sont glacés? Les chants de West Side Story émergent, les claquements de doigts rythment les étapes. Le travail, le désir des corps, mais aussi les violences et les abus qui lui sont infligés. Le voyage dans le temps continue dans un compte à rebours.

De retour de Berlin depuis peu, cette musique de Kurt Weil résonne d’autant plus dans ma mémoire. Lili Marlène et des chansons des années 40, pleines d’émotions, comme “Surabaya Johnny“, découvert il y a longtemps à travers l’expression sensible d’Anna Prucnal, “Alabama song“…L’amour, la disparition, accompagnent notre vie comme une quête de recherche de sentiments humains. Après toutes ces souffrances, les rencontres, les réflexions qui en découlent nous entrainent vers les chemins de la résilience. La pente douce et blanche qui barre le décor devient piste pour glisser, virevolter, grimper, jouer, se cacher. Les mouvements explorés nous renvoient un écran métaphorique. Tous nous appartiennent et nous donnent un socle commun, où nous nous rejoignons. Le personnage de la prostituée nous réunit dans des surenchères de désir de pouvoir. Toujours plus détenir. L’institution est représentée, étiquetée dans ses fonctions de juges, d’avocat, de témoins….Le musicien, lui ne compte pas. L’artiste est jugé : il a un rôle négligeable, pourtant sa musique nous reste gravée dans nos mémoires et chemine tout au long de notre parcours. Deux pas en avant et trois pas en arrière …Salut tremblé, pour le général De Gaule, d’une des danseuses. Et ce lundi, on entend des mots dans les médias, proches du maréchal Pétain, sur les valeurs du «Vrai travail»… Nos modes de fonctionnement restent encore et toujours très rigides. Où est la dynamique de la pensée?

«Baron Samedi» implore un changement de paradigme pour qu’ensemble nous bravions l’histoire vers le retour d’une véritable démocratie. À l’image de cette salle où, toutes générations confondues, nous étions citoyens côte à côte, tournés vers la vision de la richesse cosmopolite.

Sylvie Lefrere.

“Baron Samedi” d’Alain Buffard au Théâtre de Nîmes le 24 et 25 avril 2012.

Crédit photo: Marc Domage