Alors que le contexte de crise financière plombe notre avenir immédiat, « Frère animal » dénonce ce que nous savons trop. L’entreprise exploite, manipule, réduit, détruit. Quand elle fait corps avec la famille de Thibault, elle en épouse le fonctionnement symptomatique. Le concert est une suite de textes chantés, où les voix cassent, cisèlent. Nos quatre trentenaires en ont gros sur leur c?ur. Leur colère sourde est palpable. Ils en veulent à la génération de leurs parents d’avoir participé à ce type de relations sociales, mélange de paternalisme et de productivisme acharné. Je ne suis pas loin d’étouffer et je m’accroche à eux, cherchant ici ou là, un geste, une intonation pour respirer.
Je ressens l’angoisse monter dans la salle. Avons-nous besoin de cela en ce moment ?
C’est Valérie Leulliot (ex « Autour de Lucie ») qui apporte une douceur contagieuse, presque mélancolique au moment où le concert quitte la SINOC pour s’immiscer dans le fonctionnement de la famille de Thibault. Chacun se métamorphose, donnant de l’ampleur à son personnage, à l’exception d’Arnaud Cathrine, attachant dans sa rigidité. Les mélodies se font plus harmonieuses, les corps empruntent des mouvements chorégraphiques. Mais le malaise persiste. « Frère animal » est un texte usé, lessivé par la logorrhée d’un Besancenot et maintes fois dépeint par les sociologues d’entreprise. Cela ne remet pas en cause la pertinence du fond, mais ce concert littéraire colle un peu trop au propos ; le ton employé et la mise en scène sont parfois en position haute , à l’image d’une gauche bien pensante.
Seulement voilà. Le talent de Florent Marchet opère (on ne le dira jamais assez ici, c’est un musicien exceptionnel) ; Nicolas Martel libère un charisme troublant et Valérie Leulliot nous envoûte de sa voix posée. Ce quatuor ne se compromet pas dans la facilité. Raison de plus pour leur souhaiter de revenir nous chanter leurs utopies nautiques culbutantes.
Pascal Bély
www.festivalier.net
?????? “Frère animal” d’Arnaud Cathrine et Florent Marchet a été joué le 28 septembre 2008 aux Correspondances de Manosque.
| Revenir au sommaire | Consulter la rubrique concert du site.
Florent Marchet sur le Tadorne: Florent Marchet quitte la Scène de Cavaillon. Un reportage sur “Frère Animal” sur France 24. |




C’est confia
La peur encore au ventre, nous partons vers le Château d’Eau pour entrer dans le monde en 3D du duo de photographes italiens Botto e Bruno. Avec eux, l’espace urbain défiguré de nos villes est une toile de maître, où les photos froissent notre regard formaté pour oser voir ce que nous refusons d’admettre : la créativité est partout.
Et si la gloire de se croire visionnaire n’était pas ? Et si la photographie était « Nous », aveugle et déconcentrée, née d’une angoisse de ne pas avoir vu l’instant, de l’avoir vécue sans en laisser de trace dans nos souvenirs ? Une mort stupide, car nous ne sommes pas, puisque non conscient de l’acte. Et pourtant nous sommes, car nous nous voyons tels que nous ne sommes pas, même si notre réalité physique nous rappelle cela à chaque jour. “Those I have forgotten but will never remember” est écrit sur le mur.
Soudain, l’imprévisible surgit. Le chorégraphe Bernard Menaut et sa troupe viennent perturber ce non-sens pour introduire du sens, de l’humain, de la poésie. Deux danseurs et trois musiciens endimanchés se déplacent dans une course folle avec des chaises de bureau et provoquent une bien jolie pagaille sur le Cours bouchonné. Des insultes fusent de la part de conducteurs pris à leur propre piège. À cinq, ils ridiculisent nos comportements individualistes. Les corps sont cassants, rigides, mécaniques. C’est totalement absurde, mais le miroir est saisissant : les deux voies de la rue sont à l’image des deux hémisphères de notre cerveau de conducteur!
En arrivant dans le magnifique bâtiment de « L’école de la deuxième chance » (cela ne s’invente pas !), on nous distribue un plan et le programme minuté. Nous sommes prévenus : « vous ne verrez pas tout », façon élégante de dire : « faîtes votre marché ». À peine entré, la confusion m’envahit. On nous abreuve d’informations, distillées par des hôtesses d’accueil. Me voilà donc au boulot. Je dois rationaliser, choisir, éliminer. La démission des professionnels de la culture est totale. Il faut les voir courir dans les allées de cette « galerie » (marchande ?) pour rameuter la clientèle vers telle proposition ou telle autre.
Après le cru exceptionnel de 2007 où le photojournalisme avait dépeint les facettes de l’humain dans toute sa complexité, on ressort de l’édition 2008 abasourdi par autant d’images de guerre. Ce n’est plus l’horreur qui sature (le regard s’habituerait-il ?) mais le schéma répétitif que ces photos finissent par imposer : le culte du héros et de la victime, le clivage entre innocents et bourreaux. Sans minimiser la nécessité d’informer sur les guerres, un rapport de l’ONU précisait leur décroissance dans le monde. Pourquoi une telle avalanche à Perpignan? Voudrait-on nous faire croire que le photoreporter courageux est celui qui risque sa vie au même titre qu’un soldat?


« Le silence des communistes » de Jean-Pierre Vincent