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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Stanislas Nordey plaqué.

Clôture de l’amour” de Pascal Rambert part en tournée. Le rôle principal sera occupé par Stanislas Nordey,”acteur institutionnalisé” qui sera l’artiste associé du prochain Festival d’Avignon .
Indication pour la lecture de cet article : prière d’adopter un débit ferme et sans appel comme lors d’une rupture où il n’y aucune place à la négociation. Les mots en MAJUSCULE signent un haussement de ton. Cette critique est définitive.

De nouveau, un grand décor blanc.
Comme dans « Mademoiselle Julie» par Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche.
Le blanc est tendance.
Chez l’un, c’est un loft. Ici, dans «Clôture de l’amour» de Pascal Rambert, c’est une salle des fêtes.
Les similitudes ne s’arrêtent pas là. MAIS JE N’AI PAS LE TEMPS D’Y REVENIR.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey forment un couple. Ils ont trois enfants. Ils travaillent ensemble («notre travail repose sur l’écoute, le regard actif». Probablement des pros de la communication culturelle…).
Ils sont en pleine crise.
Ils vont rompre.


Chacun se tient aux deux extrémités de la salle.
Nous sommes donc invités à la scène, pour deux heures.
C’est LONG.
INTERMINABLE.
Lui-même l’admet à plusieurs reprises. Car «Stan», le sait. Il nous SAOULE. Il devance la critique. Parfait. Car son monologue de quarante minutes est insupportable. Du Stanislas Nordey PUR JUS: avec des «che» dans la bouche, des bras tendus, un corps raide et des génuflexions, chacun reconnaît sa pâte. DU DÉJÀ VU. Mais qu’importe.
Je fais avec.
Au bout de vingt minutes, il joue même avec MES NERFS («je commence à peine»; rires dans le public. Si ce n’est pas DEMAGOGIQUE, cela y ressemble).
Le texte de Pascal Rambert est truffé de métaphores malines sur l’amour. Bien joué. Ça marche, car cela parle à tous.
Elle l’écoute.
Son corps bouge.
Texte et corps. On connaît LA CHANSON. Elle revient à chaque édition du festival d’Avignon par des critiques en mal d’inspiration pour se faire remarquer.
Notre regard va de gauche à droite. C’est nous qui faisons le mouvement. Bien vu. Cela va calmer Armelle Heliot du Figaro.
Pause.
Arrive un imprévu. Je ne raconte pas. Je FULMINE que l’on puisse DETOURNER de son sens un si beau texte.
On change maintenant de côté.

Audrey attaque.
Elle est MAGNIFIQUE.
Elle dit à Stanislas Nordey tout ce que JE PENSE DE LUI depuis des années.
Elle adopte ses postures, à croire que c’est LUI qui a fait la mise en scène.
«Une séparation, c’est un théâtre» lui balance-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire.
Je l’encourage de toutes mes forces.
Elle poursuit jusqu’à lui jeter : «MAIS C’EST QUOI CE NOUVEAU LANGAGE?» faisant référence aux métaphores de la première partie.
Elle continue : «C’EST L’INTERIEUR QUE L’ON VOIT BOUGER SUR LA PEAU ».
Bien vu.
Elle attaque encore.
Il se décompose.
BIEN FAIT.
«Tu n’aimes que toi, Stan».
EXACT. Je l’ai toujours pensé notamment dans «Ciels» de Wajdi Mouawad où, en 2009 au Festival d’Avignon, il avait SACAGE cette pièce pourtant joliment écrite.
«BON COURAGE POUR TE RETROUVER», «L’IMAGINATION EST BORNEE A CE QUE L’ON VEUT CROIRE», poursuit-elle. Une vraie leçon d’acteur et d’humilité.

Et puis, l’estocade finale : «DANS UNE RUPTURE, ON NE S’ALIGNE PLUS SUR LA PAROLE DE L’AUTRE». Les différents partenaires au théâtre de Stanislas Nordey ont dû apprécier. Merci pour eux.
Arrivent les gosses. L’aîné leur demande : «mais de quoi avez-vous parlé?». La VERITE vient décidément toujours de la bouche des enfants.
Ouf, pour le final, on nous épargne les oreilles de lapin, mais pas le truc en plumes.
Je clos ici ma relation avec Stanislas Nordey. C’est TERMINÉ. Avec Pascal Rambert, probablement aussi tant qu’il sera AVEC LUI. Je suis assez exclusif dans mes relations.
Maintenant, il y a Audrey Bonnet. Mon héroïne.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Clôture de l’amour” de Pascal Rambert au Fesitval d’Avignon du 17 au 24 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS THEATRE MODERNE

La fête des vieux au Festival d’Automne.

À peine entré dans le Théâtre des Abbesses à Paris, je suis surpris et rassuré: le décor hésite entre atelier de création et Palais Royal occupé. Le sensible, le geste va se mouler dans l’institué pour renouveler une fois de plus le genre théâtral, art ouvert aux quatre vents de la modernité.

Elles vivent à Berlin et constituent le collectif She She Pop. Ce soir, avec leurs pères, elles interprètent «Testament» pour une écriture théâtrale en trois dimensions. Il y a le texte du «Roi Lear» de William Shakespeare accroché à un paper-board, projeté sur grand écran, où chaque acteur peut raturer, écrire sa part de vérité, choisir la vitesse de défilement comme s’il feuilletait un album de famille. Il y a ces dialogues savoureux, poignants, percutants entre pères et filles qui, en écho à la tragédie shakespearienne, abordent la délicate question de la transmission et de la prise en charge de la vieillesse par une génération frappée par la récession économique et une crise de valeurs.

Il y a nous, spectateurs actifs, interpellés par cette mise en abyme où pour entrer dans l’Histoire, nous écoutons leurs trajectoires et nos vrombrissements intérieurs. Je suis en dialogue avec cette mise en scène cohérente où ces dimensions se relient dans un tout englobant qui respecte la spécificité de chacun. Cette articulation entre un texte mythique de Shakespeare, des «pères rois» déchus par la vieillesse, des  “filles reines” triomphantes, mais souvent impuissantes, et nos expériences, constitue une écriture théâtrale inédite. En effet, les dialogues, les corps et la salle métaphorisent ce rapport entre l’art et le social: mobiliser nos ressentis pour créer les liens; entrer en communication avec un texte classique par une résonance intérieure; se laisser guider par le jeu des acteurs au-delà de leur statut d’amateur et de professionnel. Ce soir, l’accompagnement de la vieillesse est sorti du trou noir dans lequel nous l’avions peut-être plongé pour l’éclairer avec humour, gravité, grâce et beauté. N’est-ce pas cela la «politique» quand le théâtre contemporain s’en mêle?

Pourtant, ce n’est pas facile d’entrer dans un tel dialogue. Orphelin depuis dix ans, la question de la prise en charge de mes parents ne s’est jamais posée. Jeune, ils étaient déjà âgés. Leur vieillesse a façonné ma jeunesse et orienté mon regard vers la toute petite enfance et les vieux, là où l’imaginaire peut circuler.

Avec She She Pop, cela va au-delà: ce n’est pas tant l’âge qui est mis en scène que le lien de transmission. La vieillesse n’existe pas en soi, sauf à vouloir la réduire à sa dimension physiologique. Elle prend sens dans une filiation dépendante d’un contexte politique et social. She She Pop va bien au-delà du drame du Roi Lear, car l’intime est ici dévoilé avec une telle force qu’il fait propos universel (au prix d’une esthétique théâtrale qui dégoûte l’un des pères!).

Parce que le lien entre générations ne peut plus être descendant et binaire, «Testament» met en scène sa  complexité et ses nombreux enchevêtrements. Le royaume de nos vieux a probablement existé (on le nomme joliment «les 30 glorieuses»), mais il ne peut s’annexer aussi facilement à nos territoires (moment hilarant où, dessin à l’appui, on constate le déménagement impossible de la bibliothèque d’un des pères vers le petit appartement de sa fille). Leur vision du pouvoir n’a plus rien à voir avec la nôtre: là où le statut et le savoir suffisaient, c’est le travail de nos liens horizontaux qui nous donnent aujourd’hui de la puissance. À l’obligation de prendre en charge nos aînés (parce que c’est naturel), répondent des nécessités économiques et l’inégalité croissante des revenus au sein même d’une fratrie (dialogues truculents où l’une des filles, célibataire, fait le calcul de ce que lui doit son père pour s’être occupé de ses nièces et neveux !).

http://youtu.be/PRFugziUdgc

Vous l’aurez compris, ces femmes et leurs géniteurs font les comptes et ne se soustraient à aucune question, aucune interpellation. Les filles ne visent le trône de leur père que pour le partager et s’écouter (métaphore d’une démocratie renouvelée ?). Leur royaume est celui du pardon, en musique (symbole d’un langage partagé), car on ne «testa(ment)e» pas sur le ressenti(ment) et le mensonge. Le drapeau de leur nouveau territoire sera blanc, car le temps de la guerre des tranchées est terminé à moins de vouloir y creuser une fosse commune.

Avec She She Pop, le testament perd sa valeur juridique, mais gagne en altérité tandis que ces actrices métamorphosent le théâtre de Shakespeare en un dialogue social régénérant.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Testament» par She She Pop et leurs pères du 28 novembre au 2 décembre 2012 pendant le Festival d’Automne de Paris.