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EN COURS DE REFORMATAGE

À Berlin, le corps finit par passer à table.

Il arrive que la danse soit en harmonie avec la ville. Le festival «Tanz im August» se fond dans Berlin jusqu’à devenir invisible. A chaque spectacle, la même sensation : on y explore l’espace à l’image d’une capitale qui élargit ses frontières pour y accueillir l’improbable créatif. Retour sur quatre propositions au coeur d’une ville accueillante et si calme…

Gregory Maqoma est Sud-Africain. Dans «Beautiful me», il est accompagné de quatre musiciens pour ce solo crée avec trois chorégraphes de renom (Akram Khan, Faustin Linyekula et Vincent Mantsoe). De ce maillage naît une oeuvre qui questionne l’identité, le rôle du colonialisme et la démission des politiques à l’égard su sida. La toute première partie est sublime : habillé d’un «costume robe» rouge et noir, il s’invite dans notre imaginaire. Avec élégance, sans effraction, chaque mouvement d’une précision millimétrique et d’une belle douceur convie la tradition à se relier à la danse contemporaine. Une fois la porte ouverte, ses invités entrent dans un dialogue imaginaire parlé et dansé. Mais très vite, Gregory Maqoma me perd : en l’absence de dramaturgie, la danse se confond dans un discours démonstratif d’un romantisme ennuyeux où il cherche comment occuper la scène. Le texte censé faire lien entre les trois chorégraphes ne suffit pas à donner une cohérence d’ensemble. Avec de telles références, Gregory Maqoma aurait pu s’en émanciper pour mieux les relier.

Cap sur le Sénégal avec Andréya Ouamba pour «Sueur des Ombres».  Six danseurs pour dessiner un nouveau territoire de vie, où la parole de l’un s’entend dans la danse de l’autre. Décidés à occuper la scène, ils donnent l’impression de la lacérer pour la reconstruire à l’image d’un continent africain qu’ils voudraient plus démocratique. Armés de gros bâtons de bois, ils délimitent, défont, refont, emmurent puis ouvrent. Tels des bâtisseurs, leur danse semble chercher le bon «matériau», la «surface» adéquate. Sans arrêts. Sans cesse. Les «matières» chorégraphiques finissent par s’accumuler à l’image d’une «recherche-action» qui aurait perdu son but en chemin. L’énergie est là, mais elle n’a pas suffi à me faire «transpirer». Malgré tout, Andréya Ouamba est un chorégraphe à suivre. À la trace.

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Du bois aussi dans «Habitat» de  Renate Graziadei du Laborgras de Berlin où elle propose plusieurs solos, enregistrés par des caméras. Les spectateurs sont invités à s’asseoir autour de la scène, mais aussi à déambuler dans l’espace où des écrans nichés dans des sculptures en bois transforment la chorégraphie en juxtaposant les images.  Après trente minutes, je quitte la salle pour y revenir, une fois le spectacle terminé pour apprécier comment cet «objet» chorégraphique s’inscrit dans l’espace. Mais le tout me laissé froid : la danse m’habite depuis longtemps et cette «performance» m’apparait vaine et prétentieuse.

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Il est aussi question d’espace dans «Autour de la table» du français Loïc Touzé. Dans le jardin du Podewill, il  installe des nappes pour un pique-nique (spécialité des Berlinois!). À chaque table, un professionnel du corps nous attend. Il prend le temps d’expliquer sa pratique avant de se plier à un jeu de question-réponse. Puis une musique nous invite à changer d’espace pour une autre rencontre. Je croise trois parcours : une vendeuse de saucisse pour «Grill Walker» (passionnée par ce travail très physique où le corps se fond dans l’outil de production), un masseur et un acupuncteur. Avec cette proposition, la confrontation autour du corps fait lien social. Là où les entreprises (mais pas qu’elles) réduisent le corps à un outil, il est ici vecteur de communication pour une éthique de la performance. Cela fait quelques années que je promeus la rencontre entre professionnels du corps, chorégraphes et citoyens. De ce dialogue peuvent naître de nouvelles solidarités, car il ouvre ce qui s’est cloisonné. «Autour de la table» est un beau projet : il desserre l’espace en changeant les codes de la représentation et me positionne autrement dans un festival jusque-là bien ennuyeux.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Beautiful me» de Gregory Maqoma / «Sueur des Ombres» d’Andréya Ouamba /  « Habitat » de  Renate Graziadei / « Autour de la table » de Loïc Touzé au festival « Tanz im August » à Berlin (semaine du 23 au 27 août 2011).