Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT Vidéos

Têtes de nazes.

Il est 22h40. Trois gerbes mortuaires signent le mot « fin » de « Versus », pièce de Rodrigo Garcia présentée au Kaaitheater de Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts. Le public applaudit mollement, sans hostilité apparente, presque désabusé. Encore une fois, l’auteur et metteur en scène argentin « dégueule », non plus contre le système capitaliste, mais contre nous. Bénéficiant des largesses des institutions culturelles d’Europe et d’ailleurs, il ne prend maintenant plus aucun gant.

Tout commence par cette scène où deux acteurs démontrent le comportement absurde des jeunes qui, de Rome à New York, en passant par Bruxelles, ne mangent que le coeur de la pizza. Pourquoi un tel gâchis ? À partir d’un discours culpabilisant et  moralisateur, les réponses ne tardent pas à venir.  Nous sommes incultes (préférant discourir sur le foot que sur l’avenir du monde), bestiaux avec les femmes, gavants et gavés, spécialistes des « coups de pute » dans nos rapports amoureux et sociaux. Rodrigo Garcia abandonne toute critique du système  pour se vautrer dans des lectures psycho-socio- comportementalistes de nos perversités ! Après tout, le diagnostic se tient. Sauf que Rodrigo Garcia avance sans nuance, clive tout ce qu’il touche, mais le fait proprement. Le temps où la scène était jonchée de liquides et de nourritures et qui éclaboussait jadis le public du Festival d’Avignon est terminé : à Bruxelles, le vin se transforme en eau pour ne pas tâcher et la distance entre les interprètes et le premier rang est significative.  

versus_christian-berthelot.1258900606.jpg

Il explore l’intime pour en faire des histoires, mais il est incapable de les incarner avec poésie. Les acteurs sont ses marionnettes qu’il fait glisser et tomber pour accentuer la tragédie. Rodrigo Garcia parle de l’humain avec les mêmes ressorts dramatiques quand, jadis, il dénonçait les multinationales. En confondant le tout avec les parties, il fait preuve d’une paresse intellectuelle révoltante. Il ne nous voit qu’à travers le seul prisme de son impuissance à poétiser un monde qu’il hait. Sa pensée ne résisterait pas à un débat avec un sociologue, un psychanalyste et un anthropologue! Sa bonne conscience moralisatrice de gauche qu’il emballe dans un vernis écologiste puritain culpabilise sans cesse. Il met en scène le cynisme de toute une génération qui, après avoir bénéficié des largesses d’une époque, proclame qu’après eux, ce sera la fin. «Versus» symbolise un mode de pensée largement dépassé : binaire et jugeant, enfermant et sans distance. Comment sortir de ce cercle vicieux qui finit par contaminer la programmation d’un festival qui ne nous a jamais parlé ainsi ?

Inutile de compter sur la chorégraphe portugaise Vera Mantero. Avec « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos », elle rejoint la longue liste des artistes contestataires de la société de consommation (Rodrigo Garcia, Jan Fabre, François Verret, …).

Ici, deux hommes et deux femmes fouillent, chacun son tour, la tête d’un mannequin d’où ils extraient soit un collier, un avion, une voiture, des bonbons, une arme, de la poudre…Ce « ballet » incessant dure plus de quatre-vingt minutes soit trente de trop. Comme chez Rodrigo Garcia, le sol se macule de tous ces objets retirés de nos cervelles de consommateurs. Nos quatre danseurs, face à la vacuité de leur pensée dont le temps de réflexion dépasse rarement la vie des objets qu’ils désirent, finissent par devenir fous, par avoir peur d’eux-mêmes. L’apocalypse, métaphorisée par des hélicoptères volants ( !) n’est pas une fin du monde, mais un monde sans finalités. Ce défilé finit par «gaver ». Ce trop-plein d’images sature comme s’il fallait faire entrer dans nos têtes de spectateur le contenu et le contenant, la métaphore et son explication, le corps objet et l’objet du corps !

Je retire ce spectacle de ma tête, objet clinquant de consommation culturelle. Il m’encombre parce que le propos, tant entendu ailleurs, décourage. Il signe l’impuissance de l’artiste à penser l’après-crise, lui-même « objet » d’une économie du « toujours plus ». On ne retient que l’engagement sincère de Vera Mantero, laissant sur le côté la faiblesse de la dramaturgie.

Faute de mieux, le spectateur finit par ne goûter que le centre de la pizza.

Pascal Bély www.festivalier.net

“Versus” de Rodrigo Garcia a été joué du 14 au 16 mai 2010; « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos » de Vera Mantero du 12 au 15 mai 2010 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

crédit photo: © Christian Berthelot  

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, la défiance envers Rodrigo Garcia.

Une tortue piégée, caméra vidéo sur le dos, essaye de s’échapper d’un enclos en plexiglas. L’image projetée sur grand écran a la qualité d’une émission de télé-réalité. Soudain, une jeune fille, à moitié nue, tête en bas, se cogne contre l’image pour tenter d’y entrer. Les premiers rires d’énervement montent du public alors que je m’émeus de la solitude de cette femme. Deux hommes arrivent, et posent des poules sur scène et sur son corps. Déboussolées d’être là (comme nous), elles cherchent où aller. Ils utilisent leurs ailes pour s’y cacher et faire l’autruche. La première denrée alimentaire, le lait, est répandu sur le plateau comme pour délimiter le territoire de la mondialisation. À trois, ils replantent sur du terreau des légumes déjà coupés, métaphore de l’absurdité d’une planète qui épuise ses ressources. Je décide d’entrer dans cet univers foutraque, pour y rencontrer ces trois comédiens aux gestes désarticulés, perdus dans ce nouveau monde. file-garcia-mefiance-3798-W.jpg

Bienvenue dans la deuxième création de Rodigo Garcia, « Approche de l’idée de méfiance » présentée au Cloître des Célestins. Mais l’intimité a des limites. Très vite, le discours anti-européen refait surface, les accusations contre ses citoyens reviennent comme une rengaine (« nous sommes aisés ; comment pourrions-nous aider les peuples dans le besoin ? »). Ses approches binaires de l’état du monde se répètent et je ressens le mépris de Garcia à l’égard des spectateurs « compromis ». Cette façon verticale d’interpeller, culpabilisante, rend le public quasiment muet à la fin du spectacle. Pour ma part, je finis par n’éprouver qu’une distance polie et le dernier tableau où le trio patine dans le miel (qui n’est pas sans rappeler « Quando l’uomo principale è una donna» de Jan Fabre où danse dans de l’huile d’olive une femme nue) les conduit sur la pente glissante de l’imposture.

À la sortie, je tente un dialogue (impossible) avec certaines spectatrices qui trouvent chez Garcia de quoi conforter leur vote contre la constitution européenne de 2005. La discussion tourne en rond. Le clivage n’est plus entre la droite et la gauche, mais entre une conception ouverte de l’Europe dans la mondialisation et une approche fermée, verticale, repliée sur des dogmes usés. Garcia joue sur ce clivage : il croisera toujours un public paresseux pour gober ce prêt à penser.

Pascal Bély
www.festivalier.net

« Approche de l’idée de méfiance » de Rodrigo Garcia a été joué le mercredi 25 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Garcia se carbonise.

Comment relier « insideout » par Sacha Waltz à «Cruda. Vuelta y vuelta. Al punto. Chamuscada» de Rodrigo Garcia, deux oeuvres vues dans la même soirée ? C’est un exercice d’autant plus délicat que je sors de la première proposition déstabilisé et que la deuxième m’attend sans me donner la moindre occasion de souffler un peu ! Si Sacha Waltz me propose un nouveau positionnement dans ce monde chaotique, Garcia me le sert sur un plateau, avec les bruits, les odeurs et la pensée qui va avec. Mon cerveau n’a plus qu’à se laisser porter d’autant plus que je connais Rodrigo Garcia (peut-il encore me surprendre après « L’histoire de Ronald, le clown de McDonald’s » et « Borges + Goya ») et ses propos sur la place de l’humain dans la mondialisation.
file-2706W.jpg
Ici en Avignon, le public est sagement assis et le restera. Point de provocation comme en mars 2006 où nous étions un des éléments du décor avec « Borges + Goya ». Point d’humiliation comme en 2004 où les corps n’étaient qu’une marchandise à l’heure de la malbouffe pilotée par McDonald’s. Ce soir, Garcia nous propose une (jolie) forme plus classique (le comédien Juan Loriente accompagné des « murgueros » de Buenos Aires, groupe carnavalesque) où la danse, la musique, les effets spéciaux servent la pensée toujours aussi torturée de Garcia sur l’évolution du monde à l’heure de la globalisation. Ici, il prend le temps de ce centrer sur ses personnages, laisse dans un premier temps le groupe s’exprimer comme force de contestation sociale. Le corps n’est plus un exutoire où l’on n’y jette que de la nourriture, mais une forme artistique à part entière (comme si Garcia se découvrait un tout petit peu chorégraphe), quitte à le mettre sous célophane ou créer une ambiance de fin du monde. Il peut alors distiller sur l’écran vidéo ses messages répétitifs, mille fois lus et entendus avec quelques attaques nauséabondes. Il s’en prend à la psychanalyse, thérapie pour petits bobos de bobos. Il catalogue ainsi des milliers de patients dans la case des acheteurs d’Ipod (ceux qui perdent une demie-journée pour choisir le bon modèle). Garcia ignore les raisons qui guident vers l’analyse, mais est-ce si important ? La démagogie ne supporte pas la psychanalyse, celle qui rend les individus autonomes, libre de penser. Garcia préfère asséner les amalgames, profitant du pouvoir que lui confèrent la scène et sa réputation. D’ailleurs, il n’hésite pas à détourner la psychanalyse en projetant sur l’écran vidéo des photos des enfants des « murgueros » (et leur zizi…) pour les faire parler sur leur paternité ! La ficelle est tout de même un peu grosse. Cela dit, il nous a évité le pipi – caca.
file-0992W.jpg
Le groupe finit pas s’effacer pour aller prendre sa douche et récupérer des codes vestimentaires plus acceptables. Avec son comédien fétiche, Juan Loriente, Garcia reprend vite la main pour nous décrire un Nouveau Monde qui réagirait de la même manière qu’une vache qui ne retrouverait pas ses veaux, partis à l’abattoir.  C’est drôle, caricatural, enfermant. Alors que le groupe se reforme autour d’un corps qui se carbonise tel un enterrement, je suis stupéfait par cette vision de notre avenir. L’art ne sert que les théories (fumeuses) de Garcia. Il se trouve que la forme a de l’allure. Pour le fond, cette nourriture est un peu dure à avaler, mais finalement facile à digérer.
Pascal Bély
www.festivalier.net

 « Cruda. Vuelta y vuelta. Al punto. Chamuscada » de Rodrigo Garcia a été joué le 13 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon.