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Le chaud et le froid de “La Rabbia”, par Pippo Delbono.

On ne peut pas rester insensible au théâtre de Pippo Delbono, ce metteur en scène est un génie.” C’est l’affirmation que j’ai réussi à formuler vingt quatre-heures après avoir vu « La Rabbia ».
Vingt quatre-heures, c’est long mais nécessaire. Plongé dans le mutisme le plus complet à la fin de la représentation, le silence et les images ont été mes seuls compagnons. “La Rabbia” (rage en français) bouleverse, émeut, fait rire, met le doigt là où ça fait mal : en résumé, elle remue les tripes.
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La vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans de nombreux rêves“. C’est avec cette phrase que Pippo Delbono nous entraîne dans son sillage où l’on croisera Pasolini, Rimbaud, Genet et Charlie Chaplin.
Entre l’onirisme et la réalité, la cruauté et la bonté, le beau et le laid, le chaud et le froid, je me laisse ensevelir, engluer dans ces contradictions.
Du personnage “enfantin” de Charlot au “Dictateur”, des séances de torture à Rafaella Carrà, de l’amour au déchirement, de la vie à la mort, Pippo Delbono sert toutes les dimensions du mot “rabbia” à travers ses souvenirs.
La rage est une canne sur laquelle on s’appuie tous. Que l’on soit bon ou mauvais, elle fait son chemin, se découvre cruauté ou bonté.
La voix de Pippo résonne à coup de “Dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimeras pour toujours“. Mais il n’y a pas que cela, il sait “les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969“, et surtout que “derrière les nuages, il y a le soleil“.
Le soleil brille quand il est question de mimer des chansons des années 60, des chanteurs à la mode de l’époque.
Cette rage de vivre qu’a Pippo, donnée au public comme un cadeau universel, est belle.
Parce que vivre est un ensemble d’antagonismes que nous côtoyons, nous finirons tous avec nos petits anges et trouverons le salut auquel nous avons droit.

Laurent Bourbousson – 
www.festivalier.net

“La rabbia” de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 11 et 12 mars 2008.

 

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Pippo Delbono, metteur en scène inconscient.

Il règne une ambiance presque festive dans le Hall du Théâtre des Salins de Martigues comme si le public avait conscience d’avoir un rendez-vous amical avec le plus grand metteur en scène italien d’aujourd’hui, Pippo Delbono. Le théâtre est complet pour « Gente Di Plastica »; prêt à exploser. Moi aussi. J’ai envie ce soir de me laisser transporter, de quitter un espace pour en investir un autre, car j’ai confiance en Pippo Delbono. Je vais me lâcher tel un Tadorne posé sur un banc de sable mouvant.
Pippo est là, derrière la vitre, dans une cabine radiophonique. Son micro est rouge comme le nez d’un clown ; il tient ses papiers tel un journaliste qui hurlerait à la face du monde les nouvelles de l’humanité. Sur scène, défile la condition humaine qu’il ancre dans différents contextes (la famille normée à l’américaine, le collectif en quête d’idéaux, la société anglaise
en recherche de liens sociaux). Deux artistes habitent la pièce : Sarah Kane, écrivain britannique (qui s’est suicidée à l’âge de 28 ans) et le guitariste rock contestataire Franck Zappa. À aucun moment, nous n’entendons leurs oeuvres (les descendants de Sarah Kane l’ont interdit). La contrainte est alors une ressource : tout est métaphore, suggéré (les comédiens ne parlent pas) comme si nous devions faire nous-mêmes le lien avec ces deux artistes. Je suis alors un spectateur dont le regard devient kaléidoscopique : il y a la scène, la cabine, et Sarah Kane – Franck Zappa en metteurs en scène. Pippo Delbono nous propose son « tableau » théâtral : tout est en place pour que plusieurs niveaux s’emboîtent.
Sa palette est riche : dénoncer l’époque de l’après-guerre où la croissance économique a modélisé la famille telle une mécanique bien huilée, formaté les relations amicales à partir de faux-semblants suicidaires, marginalisé ceux qui sont différents. La succession des tableaux fait mal (à plusieurs reprises, mon coeur bat comme si j’avais peur) ; la présence du plastique (canapés et ballons) évoque l’enveloppe fragile et décomposable de l’humain. Mais au milieu de ce chaos vient se nicher quelques moments de poésie à partir d’un plastique gonflé à bloc à l’image de  ces  ballons posés sur la tête d’un anglais servant le thé pour un public hilare ; comme ce ballon dans les mains d’un homme trisomique qui joue avec le public où encore cette poupée à l’abandon, jetée à terre par un travesti exorcisant son enfance

Après une heure quarante de rêveries et de cauchemars, Pippo Delbono réussit à incarner le destin tragique de Sarah Kane et insuffler l’énergie de Franck Zappa. Il en fait des figures mythiques (quelle performance !) censées résonner dans nos histoires personnelles et collectives. J’en sors sonné, conscient d’avoir vécu en apesanteur, mais confiant dans ma capacité pour écrire sur le blog («l’inconscient fera son oeuvre »).
Ces modestes lignes visent à remercier Pipo Delbono et le public du Théâtre des Salins d’avoir fait de “ces gens de plastique” des ballons coloriés qui voyagent dans mon inconscient pour finir par se poser sur un banc de sable mouvant.

Pascal Bély – Le Tadorne

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Un beau pas de deux, avec Pippo Delbono dans “Le temps des assassins”.

Ce mardi 10 janvier 2006 signe le jour des retrouvailles avec le public du Théâtre des Salins, avec mes escapades théâtrales et…Pippo Delbono! Au Festival d’Avignon en 2002, je me souviens avoir été profondément ému et bouleversé par trois spectacles de cet artiste hors normes («La rabbia» ; «Guerra», «Il silenzio»). En 2004, toujours au Festival d’Avignon mais à la Carrière Boulbon , «Urlo» m’avait laissé perplexe. Je me sentais à distance comme si l’immensité du lieu m’avait éloigné  du propos de Pippo Delbono.
Trois ans plus tard, «Le temps des assassins», pièce créée en 1987, se joue dans un contexte totalement différent (un théâtre en hiver, deux acteurs au lieu de la troupe habituelle de Delbono, composée d’une dizaine de personnes). Je me prépare à voir cette pièce autrement, en dehors d’un festival, plus à distance que d’habitude. Finalement, j’accueille cette oeuvre dans toute sa complexité comme si j’apprivoisais au fil du temps le style artistique de Delbono. Il a de quoi dérouter : est-ce du théâtre ou de la danse-théâtre comme le suggèrent les deux acteurs vers la fin du spectacle ? Comme quoi, dès 1987, Pippo Delbono posait les termes du débat qui ont tant enflammé le festival d’Avignon l’été dernier.
Que nous racontent ces deux acteurs (Pippo Delbono et Pepe Robledo, magnifiques)? S’en tenir au texte est une gageure (l’accent italien ne permet pas de tout comprendre) ; s’appuyer sur l’histoire l’est tout autant. Quand à la chorégraphie, là n’est pas le propos principal! Alors, qu’écrire, qu’en dire ? Ce sont deux histoires (l’un est italien, l’autre est argentin) qui s’entrechoquent, se lient, se défont…Chaque histoire est illustrée par des danses, des cris, des objets (la petite poupée, Pinocchio,..). Ces histoires pourraient être les nôtres ; ces deux acteurs nous montrent la difficulté de communiquer quand tout est souffrance, quand on est à la limite de la folie, de l’exclusion. La scène où Pippo Delbono danse, ligoté à sa chaise, nous oblige à affronter la différence. Bouleversant.
Le public réagit parfois (faut-il rire ou pas ?)et la tension dans la salle est palpable. Je reste accroché à ces deux histoires et c’est le talent de Delbono de nous relier de la sorte. Il y a une puissance émotionnelle dans «Le temps des assassins» qui en fait une oeuvre majeure et intemporelle. Malgré tout, je ressens la difficulté d’écrire, comme si Delbono touche l’intime et m’empêche de me livrer sur ce blog.
Je garde donc précieusement ce lien au fond de moi et je vous invite à vivre cette relation unique avec ce « théâtre à l’estomac » comme le dit si bien Pippo Delbono.
Je vous souhaite une belle année…qu’elle soit liante…
Pascal Bély – Le Tadorne