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EN COURS DE REFORMATAGE

« Je n’entends pas, ne comprends pas, c’est très intéressant »

La machine est partout. “Tapez 1,puis 2 et * pour revenir au menu précédent“. Les automates d’accueil peuplent nos imaginaires, provoquent le cauchemar à l’image des chaînes automobiles d’antan. C’est aussi cela le progrès: changer la forme mais toucher le fond. La vison de la relation humaine s’industrialise même au théâtre où certains artistes convoquent une machinerie sur le plateau censée transcender le propos. A quelques jours d’intervalle, quatre compagnies m’offrent une étrange traversée…

Hélène Cathala est chorégraphe. Pour le festival Dansem à Marseille, elle nous offre un solo sur l’adolescence («la jeune fille que la rivière n’a pas gardée») La vidéo, des capteurs à infrarouges et des rampes de néons, constituent l’environnement technologique. L’adolescence a ses outils. Soit. La danseuse Nina Santès s’empare du plateau pour oser une danse. Elle «appuie» comme sur des touches, là où c’est censé faire mal, faire désir, faire désordre. On observe de loin son enfermement au coeur de cette «installation» qui produit sa mécanique. L’interaction entre le corps et la machine provoque le chaos psychologique. Mais il y a comme un grain de sable: un outil ne crée pas du processus, encore moins du mouvement. La vision de l’artiste sur cette interaction aurait pu nous intéresser. Or, elle semble jouer à la machine et fond son propos dans son fonctionnement binaire.

Toujours au Festival Dansem, Maria Munoz et Pep Ramis de la Compagnie Mal Pelo proposent «He visto Caballos». Ici aussi, la machinerie est partout: vidéo grand écran, rouleaux de papier qui montent et qui descendent, décor amovible. Toute l’ histoire évoque deux amants séparés qui correspondent par lettre interposée. On danse peu, on parle beaucoup, on se perd dans la vidéo(la fonction technique est même jouée par deux acteurs). Tout s’impose à défaut de poser un propos qui pourrait émouvoir. On «installe», on déroule, on projette, on surtitre. L’anecdotique prend le pouvoir. A aucun moment, le corps transpire, incarne une dramaturgie. Tout est à distance. L’artiste pose une esthétique et le corps n’est que surface où l’on cherche vainement la poésie. Au mieux le spectateur contemple, au pire il s’impatiente d’être si loin.

La lecture spectacle de Geoffrey Coppini, «Ravissements» (d’après un texte de Ryad Girod), aurait pu prendre le même chemin que le spectacle précédent. Deux acteurs magnifiques (Marianne Houspie et Eric Houzelot) campent l’histoire d’un homme qui perd peu à peu ses facultés de communication et devient étranger à lui-même. La lecture nous invite à entrer dans ce monde étrange où tout se dérègle. Le jeu de lumières et la porte du studio nous font entrer dans la folie douce et sortir vers la folie créative. Point de technologie (cela aurait été si tentant de faire appel à la vidéo) mais une mise en scène qui articule lecture et jeu d’acteurs, perte des mots, inclusion poétique et exclusion sociale.

Avec le collectif « Grand Magasin » proposé par la Scène Nationale de Cavaillon, l’interaction entre la machine, l’art et le spectateur est un jeu d’enfant! Quatre acteurs installent sur le plateau une machinerie dont la fonction principale est de faire obstacle à la communication. Ici, on dessine un plan qui ne guide pas. Là, on marche sur un tapis qui absorbe les sons. Plus loin, on parle dans des micros qui savent à l’avance ce que vous allez dire. Il y a même une machine à douter. Chacun doit faire face au bruit de marteau piqueur envoyé par le technicien à qui ont avait pourtant assuré qu’il pourrait perturber à loisir la représentation! Et je n’évoque même pas le temps qu’ils prennent pour parler de ce qu’ils font à défaut de donner une vision!
En communiquant sur la communication, ils produisent du sens à chaque tableau. Je ris beaucoup, fini par m’amuser avec eux. Ils sont comme quatre adolescents qui, par leur créativité, perturbent le système bien huilé et inopérant de nos machines à communiquer à partir desquelles des artistes et des créatifs nous imposent des esthétiques vides de sens. Et si la critique d’une certaine  “machinerie théâtrale” était là? Par un heureux hasard, ces quatre acteurs rejouent le film de ma semaine de spectateur.
Avec « les déplacements du problème », Grand Magasin nous (re)donne notre liberté de penser le lien entre la communication et la machine, entre le contenu (ce que je dis) et la relation (comment je le dis), entre l’outil et le processus.
Comme une remise à plat des fondamentaux.
Pascal Bély, www.festivalier.net
 
« la jeune fille que la rivière n’a pas gardée » d’Hélène Cathala au Festival Dansem à Marseille le 13 novembre 2010.
« He visto Caballos »de Maria Munoz et Pep Ramis au Festival Dansem à Marseille le 16 novembre 2010
« Les déplacements du problème » par Grand Magasin en tournée sur le territoire de la Scène Nationale de Cavaillon; vu à Mérindol le 18 novem
bre 2010.
« Ravissements » par Geoffrey Coppini au festival « Les Rencontres à l’Echelle » à Marseille le 19 novembre 2010.