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Le théâtre contemporain à Marseille, ma double peine.

Comment retrouver l’énergie pour revenir vers les artistes? Je suis resté longtemps sidéré par la série d’attentats qui a touché la France et l’absence de vision du personnel politique. Le pacte laïc qui nous unissait s’émiette progressivement au profit d’une approche clientéliste où le « fait religieux » est une grille de lecture omniprésente pour penser l’avenir de notre société. Peu à peu, la gauche dite « radicale » entre en conflit direct avec la laïcité pour se refaire une « virginité » et poser le voile sur ses trahisons et son incapacité à renouer avec les aspirations du peuple. Le milieu artistique et culturel est depuis longtemps le bras armé et idéologique de cette gauche-là: il suffit d’écouter les discours « politiques » de ses dirigeants et les positions dogmatiques de son syndicat, de lire la presse « spécialisée » qui préfère le dogme au détriment d’une pensée en mouvement. À cela s’ajoute des politiques culturelles confisquées au profit d’un public souvent blanc, âgé, quand ce n’est pas exclusivement au profit de professionnels de la profession qui parcourent les festivals de création, où chacun juge le travail du confrère avant d’être lui-même en position d’évalué. L’entre soi, la communauté, impose ainsi les codes du bon jugement esthétique jusqu’à hiérarchiser les hommages quand un artiste disparaît (relire à ce sujet le texte particulièrement juste de Philippe Caubère aux obsèques de Michel Galabru)

C’est dans ce contexte que je décidais, il y a dix jours, de reprogrammer des sorties théâtrales à Marseille, ville qui fut capitale européenne de la culture en 2013. J’ai vu sept spectacles, croisé trois chorégraphes, trois performeurs et un metteur en scène. Au final, les artistes semblent impuissants face à ce qu’il nous arrive, comme traversés par les préoccupations d’un « moi je » tout puissant célébré par les réseaux sociaux et les mouvements politiques identitaires.

Quand le chorégraphe Mickaël Phelippeau propose deux solos à deux adolescents, il ne trouve rien de mieux que de les cliver. D’un côté, Ethan est joliment célébré dans des mouvements amples et sportifs, invité à chanter Breton comme lorsqu’il était petit. De l’autre, Anastasia est métis. Peu de danse, elle est souvent plaquée au sol, enfermée dans les rites de la religion musulmane, quand elle n’est pas invitée à jouer l’autoritarisme d’une mère toute puissante. Mickaël Phelippeau reproduit ce que la société française peine à rassembler.

L’adolescence toujours avec « Le pas de Bême », mise en scène par Adrien Béat. Quand un élève ne rend qu’une copie blanche aux devoirs sur table, c’est tout un système qui vacille. Cela aurait pu être palpitant, mais le jeu des acteurs tombe très vite dans une mise en scène finalement très scolaire, laissant peu de place à une approche globale préférant multiplier les points de vue sans jamais réussir à les relier…Le théâtre ne fait pas mieux que l’institution !

Comment la performeuse Sanja Mitrovic  a-t-elle pu avoir l’idée de nous proposer un jeu aussi puéril et vain ? Nous voici chacun doté d’une télécommande où nous votons pour l’un ou l’autre des acteurs suivant le discours qui trouve grâce à nos yeux, sans que l’on en connaisse les auteurs (démocrates ou dictateurs). Ainsi, notre singularité de spectateur est au service d’un dispositif où le contexte des discours est remplacé par le charisme et le jeu de l’artiste, ici tout puissant. J’ai quitté les lieux au bout de quarante minutes. Ici, le théâtre disqualifie la politique et le public pour se donner le beau rôle en utilisant les outils de la société du spectacle, ceux-là mêmes qui abiment la pensée. Sidérant. Cela illustre comment certains artistes et dirigeants culturels se positionnent à l’égard du peuple : en position haute.

À ce titre, l’intervention de la performeuse Phia Ménard à l’issue du spectacle « P.P.P » en est une parfaite illustration (voir la vidéo). Cette manière de détenir la vérité, de poser une parole en hauteur devrait nous interroger: qu’avons-nous fait pour que l’on nous parle ainsi? Cette prise de position s’exprime en dehors de l’œuvre elle-même, telle une métaphore d’un art qui peine à inclure un propos politique global. Dans « P.P.P », nous suivons la métamorphose de Phia Ménard, elle qui a choisi d’être une femme alors qu’il était un homme. La glace est omniprésente, matière de la transformation, du gel social, de l’inattendu, des glissades subies et improvisées. Mais c’est un jeu théâtral qui peine à me toucher. Phia Menard occupe le terrain de la démonstration d’un processus singulier là où j’attendais un art qui entre en résonance avec ma féminité, mon masculin. Il y a quelques mois, sur cette même scène de la Criée, Angelica Lidell métamorphosait son corps d’où émergeait un art de la performance capable de faire dialoguer la douleur intime avec la douleur du monde…Unique en son genre…

Cela aurait pu être le propos de la chorégraphe grecque Lenio Kaklea. Dans « Margin release », deux femmes osent un dialogue entre leurs corps et une œuvre d’art contemporain, métaphore d’une recherche autour de l’altérité. C’est long, hermétique, jusqu’à l’arrivée d’un monsieur Loyal qui nous informe que notre ressenti est tout à fait légitime. Ici, la distance entre les artistes et le public est totalement assumée jusqu’à cette dernière scène où des anonymes montent sur scène pour s’essayer à l’exercice du dessin à partir du corps…Non, décidément, Angélica Liddell est unique en son genre.

Lui, est unique. Arnaud Saury et sa compagnie « Mathieu Ma Fille Foundation » pouvaient me surprendre avec « En dépit de la distance qui nous sépare ». Ce titre n’est pas sans évoquer mon positionnement actuel à l’égard du théâtre. Trois acteurs m’invitent à entrer dans leur univers, où la rationalité est minoritaire, où le mystique, le religieux, la folie sont les langages d’un inconscient, conscientisé sous nos yeux. Bien vu par les temps qui courent ! C’est souvent drôle, parfaitement incarné. J’aurais pu faire des liens avec ce qui nous sépare parce que cela nous arrive…Mais l’alchimie ne fonctionne pas. Comme si Arnaud Saury rajoutait de la distance à la distance en nous égarant entre le burlesque et un extrait de littérature obscur. J’ai connu des performances plus généreuses pour relier l’esthétique et le sens…

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Quand arrivent les cinq danseuses pour « Touch Down », chorégraphie de Maud Blandel, je n’attends à du déjà vu. « Et si le chef d’œuvre de Stravinsky avait quelque chose de commun avec une pom pom girl ? », nous annonce la feuille de salle. Pari réussi malgré quelques maladresses dans les mouvements. Ici, la performance rend le propos intelligible et accessible parce que Maud Blandel fait rencontre ce rite populaire avec l’histoire de l’art. Ici, la frontière entre les sachants et les non-sachants de la danse contemporaine s’estompe parce qu’ici l’art est universel : ces jeunes filles au sourire figé nourrissent les rites des jeux du stade, métaphore de nos sociétés où les langages du corps se standardisent au profit de la communication des organisations pyramidales. Ici, Maud Blandel ose affronter ce rite populaire, non pour le disqualifier, mais pour lui donner sa grandeur d’âme. Un travail de la distance salutaire que bon nombre d’artistes et de dirigeants devraient s’inspirer pour ne pas totalement me, nous perdre.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Dans le cadre du festival Parallèle à Marseille :

  • « Touche Down » de Maud Blandel et « Le pas de bême » d’Adrien Béal le 30 janvier 2016 au Théâtre du Merlan.
  • « Speak ! » de Sanja Mitrovic au Théâtre du Gymnase le 27 janvier 2016.
  • « Margin Release » de Lenio Kaklea au Théâtre des Bernardines, le 27 janvier 2016.
  • « En dépit de la distance qui nous sépare » d’Arnaud Saury au Théâtre Joliette-Minoterie le 28 janvier 2016.
  • « Pour Ethan + avec Anastasia » de Mickaël Phelippeau au Théâtre du Merlan.

« P.P.P » de Phia Ménard au Théâtre de la Criée le 26 janvier 2016.