Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avignon Off 2012: Au bout de mes rêves, un lapin bonheur.

Presque quinze jours de festival. Le corps est lourd. Sur Facebook, quelqu’un m’écrit: «les spectacles sont la nourriture de l’âme, mais il n’y a aucun plaisir à être en surpoids». Je souris. Comment m’alléger ? Il me faudrait un spectacle pour perdre le poids superflu. «Bonheur titre provisoire» d’Alain Timar va remplir cette délicate mission. Sans virgule dans le titre, comme sans respiration. C’est dire l’urgence à parler, à traiter en urgence de la question du bonheur, tout en connaissant la part d’incertitude qui en découle.

Un élément parait certain. Le théâtre peut procurer du bonheur quand le sens est «tricoté» de cette façon, sans amalgames, avec sérieux et dérision. Quand une actrice irradie la scène (magnifique Pauline Méreuze…elle m’avait subjugué en mars dernier dans «Visites» de John Fosse, mise en scène par Frédéric Garbe). Quand un acteur joue avec une si belle humilité (troublant Paul Camus). Quand Alain Timar, metteur en scène, veille, assis de côté avec son pinceau, avec empathie, pour se lever, peindre le décor blanc et se rasseoir. Quand le geste du peintre s’invite lorsque la parole trébuche, lorsqu’on n’en peut plus de crier, de pleurer. Pauline, Paul et Alain: on dirait presque le titre d’un film de Jacques Demy. Manque plus que la musique. Patience. Elle arrive. Un vrai bonheur. Des tubes de mon adolescence («Résiste» de France Gall, «Au bout de mes rêves» de Jean-Jacques Goldman) et du Bach (est-ce si sûr ? Qu’importe, j’ai entendu du Bach) pour raviver la mémoire du corps joyeux, créatif, amoureux. J’ai presque une envie de danser!


Cette pièce est un vrai bonheur. Parce qu’elle met en jeu la naïveté de se poser une telle question d’autant plus que le naïf est mis à mal dans une époque où  le trait doit être droit. Parce qu’on y invite un penseur, un philosophe, Robert Misrahi. Il a consacré l’essentiel de son travail à traiter de la question du bonheur. Sa pensée traverse les dialogues, les corps et l’espace. Il faut toute l’ingéniosité d’Alain Timar pour nous inviter à entendre une telle musicalité dans les mots, à percevoir l’ampleur de la «tâche» quitte à glisser d’autres citations (celles de Stig Dagerman, Koltès, Claudel, Montaigne,…).

Qu’est-ce que le bonheur? Notre couple d’acteurs se réfugie dans le dictionnaire; celui-ci en donne une définition bien plate et rationnelle. Il passe alors aux travaux pratiques. En son temps, croquer la pomme avait changé le sort des humains vers les voies impénétrables du bonheur et du malheur. Mais en 2012? Tout au plus, ce fruit procure-t-il de la satisfaction! Alors, ils en remettent une couche. Celle du peintre qui se lève pour symboliser le bonheur avec son pinceau «fou chantant». Cela ne fait que raviver les plaies: Pauline craque. À genoux. À terre. Ses larmes sont la peinture qui dégouline de la toile lorsque l’art ne peut plus rien pour nous. Elle me fait trembler alors qu’elle déclame la liste des malheurs sur la terre, des maladies qui nous traversent (elle aurait pu citer les «mauvais spectacles» du festival!). Peut-on questionner le bonheur, connaissant tout ce qui nous empêche de le penser? Quel paradoxe! Pauline continue et bute sur ses neuf tentatives de suicide. Le bonheur n’est pas pour elle. Paul finit par la prendre aux maux. Mais chut….

Alors le peintre poursuit son oeuvre, coûte que coûte. Le plateau est toile parce que le bonheur est cette quête permanente de recherche sur soi à travers le geste qui nous redessine, nous montre à voir autrement, nous met dans l’action pour produire le sens?Pauline et Paul continuent à s’interroger, mais butent à chaque fois?ils ne trouvent pas. Définir le bonheur n’en  procure-t-il pas déjà lorsque résonne dans le théâtre des captations sonores de «gens» qui cherchent aussi?leurs définitions toutes personnelles révèlent à quel point la question mobilise chez chacun d’entre nous l’imaginaire, la créativité, la pensée en mouvement. Mais cela ne suffit pas?La définition est si complexe que l’on n’en viendra jamais à bout.

Ne reste plus qu’à convoquer l’absurde: le rêve impossible, l’utopie. L’UTOPIE! Je jubile alors à l’idée de ce festin mondial, où le lapin serait plus consistant qu’une pomme, où nous pourrions tous ensemble…Tous ensemble?

Mais pourquoi ne peux-tu pas venir ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Bonheur titre provisoire » d’Alain Timar au Théâtre des Halles jusqu’au 28 juillet 2012 à 16h30.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off 2012: Les beaux travaux de Pauline Sales et Thierry Baë.

Retour sur deux propositions du Festival Off d’Avignon, l’une de théâtre et l’autre de danse, comme s’il était temps de déconstruire l’imaginaire des représentations.

La mémoire comme vecteur, les souvenirs se font et se défont, la construction laisse place à la déconstruction. L’humain est un objet en constante mutation. Avec «En travaux», Pauline Sales, metteuse en scène, nous présente une pièce au sujet original. L’arrivée, sur un chantier, d’une jeune travailleuse émigrée, provoque le déroulé d’une rencontre amoureuse. La comédienne, Hélène Viviès, nous offre une interprétation particulièrement dynamique, enveloppée d’un accent biélorusse étonnant. Avec ses cheveux courts et sa posture corporelle engagée, on découvre l’image d’un jeune garçon, avec ses rires et ses réactions frustes du quotidien…Nous sommes tous dupés; spectateurs, employeur…Comme dans le film “Victor Victoria” de Blake Edwards. Autour d’une banale discussion sur des cassettes vidéo, la parole se libère. L’image intime se dévoile. Sous couvert d’ouvrir son bleu de travail, la féminité de l’ouvrière sort de sa chrysalide. Après les humiliations faites à toute jeune recrue, sa résistance lui offre une installation dans un salon, plus confortable, et la présentation de son travail créatif de sculpteur.

Derrière toute personne, homme/ femme, un volet caché peut se déployer. Qui se souvient de l’institutrice algérienne travaillant comme agent d’entretien en crèche, du chirurgien syrien considéré en France comme interne hospitalier, de l’artiste africain devenu maçon?
Paulines Sales déconstruit pièce après pièce les identités de nos deux personnages. Elle interfère dans notre perception de l’individu et nous questionne alors sur la valeur de l’humain. Son écriture est d’une belle mécanique qui permet l’installation des personnages, des émotions où les pistes multiples prennent le temps de se déployer, pour être précipitées dans une fin brutale. Si tout est lisse au début, l’écriture plonge le public dans une spirale dont on connaît sensiblement la fin. La mutation du regard du chef de chantier à l’aspect directif vers une sensibilité nous oblige à changer de vision. Nous nous questionnons presque sur la personne assise à côté de nous: “Sommes-nous si sûr, de bien la connaitre?
Entrainés dans un élan poétique, cette rencontre nous a troublés. Nous avons quitté la réalité de ce contexte, transformé sous nos yeux, en friche émotionnelle.

les_trois.jpg

L’enjeu de «Je cherchai dans mes poches» de Thierry Baë est aussi de dépasser le réel pour sortir des codes de représentation. Si Pauline Sales déconstruit, rend le tout à l’état de sable, Thierry Baë est à l’inverse. Sur le plateau, quatre identités. Chacun la sienne. Rien ne les oppose, mais rien ne les rapproche. Telles des comètes, chacun part dans son registre. Le musicien, la danseuse, la comédienne et le chorégraphe, retiré sur le côté du plateau. Ils font ce qu’ils sont, essayant de se rapprocher, pour mieux faire éclater leurs différences. Nous tentons de nous raccrocher à des codes de représentations, des automatismes, mais rien n’y fait. Nous sommes laissés de côté, balancés de droite à gauche et de gauche à droite. Nous  persistons. Nous regardons. Nous observons. Nous commençons, nous aussi, à chercher dans nos poches. Nous y trouvons Marlène Dietrich, Pina Bausch, la musique des films muets, et une émotion émerge. Les tableaux s’enchaînent, les personnalités se déploient, les identités deviennent fortes.

Sabine Macher est d’une élégance folle. Elle est le miroir de nos êtres. Corinne Garcia, la jeunesse incarnée. Benoît Delbecq, le maître de cérémonie, rythmant avec ses notes, le temps qui défile. Et Thierry Baë, se dévoilant à la toute fin, comme pour saluer d’un air de trompette, celui qui “est”.

Nous rembobinons la bande. Nous élaborons ce qui nous semblait être un néant. Le tout est subtil, sur le fil.  D’un tas de sable, Thierry Baë construit une maison, une forteresse, où il est bon de se réfugier quand la vague à l’âme se fait sentir.

Sylvie Lefrere , Laurent Bourbousson. Tadornes.

Le regard de Pascal Bély sur “Je cherchais dans mes poches”.

En travaux, de Pauline Sales – Théâtre de la Manufacture, jusqu’au 27 juillet (relâche le 17 juillet), 18h30

Je cherchai dans mes poches, de Thierry Baë CDC Les Hivernales, jusqu’au 21 juillet (relâche le 15 juillet) 21h30