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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, le bi est double.

Peu à peu, à mesure de l’avancée du Festival Off d’Avignon, certaines oeuvres se démarquent, car elles créent les conditions du dialogue, loin des cases qui formatent. Deux propositions, pourtant éloignées sur le fond, retiennent toute mon attention : elles sont au croisement du théâtre et de la danse, démontrant une fois de plus que la distinction des disciplines n’a plus beaucoup de sens.

«Dobles» du chorégraphe José Besprosvany est un moment presqu’enfantin où le corps et le texte entrent en collision. Deux femmes, un double, un plus un est égal à trois. L’une est en gris, l’autre est en orange d’où l’on devine un corps nu (on aurait préféré que cela soit moins suggestif..). La lune serait-elle sombre comme une orange ? « Cops » et  « Vox » s’entremêlent à partir de quatre variations qui forment l’oeuvre du temps. Avec deux tables, deux chaises et un subtil jeu de lumière, tout est mouvement. Le texte perd sa construction habituelle : inutile d’aller y chercher un sens explicite. Son « double » l’implicite… Le dialogue est incessant : parfois tendre, souvent cassant, quelquefois apaisé. Bénédicte Davin est impressionnante : son corps longiligne porte l’empreinte d’un texte fort qu’elle déconstruit et où vient s’échouer la danse de Tatiana Julien. Celle-ci, telle une effrontée, ne laisse rien passer : elle les attrape au vol pour les prolonger dans une danse qui s’affranchit des codes. Elle les explore pour leur donner une musicalité, un espace, une ponctuation. Elle est un livre ouvert pour notre imaginaire. Par sa construction, «Dobles» pose un principe: la danse trouve la force de se régénérer en s’incluant dans une dramaturgie a priori construite pour « raconter » alors que ce n’est pas fonction. Ce paradoxe provoque une tension créative, une contrainte,  tel un fil tendu qui pourrait se rompre à chaque instant. “Dobles” démocratise la danse et offre au spectateur une poésie qui l’inclue comme sujet sensible. Beau travail.

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Autre rendez-vous. Il est à 10 heures, à la Condition des Soies. C’est l’heure d’une messe. Le chorégraphe Mickaël Phelippeau invite sur le plateau le prêtre Jean-Yves Robert pour «Bi-portrait Jean-Yves». Rencontre invraisemblable ? Ces deux-là ont tant de choses à se dire. Tous deux évoquent les liens implicites qui unissent danse et liturgie. D’abord de dos, ils cherchent leur «corps» commun pour oser les rapprochements, identifier leur «semblable» et s’amuser de leurs différences. Leur communication épouse les modalités d’un dialogue amoureux: appréhender le corps de l’autre, se toucher, se regarder autrement, de dos, couché, debout en verticalité ou en transversalité. Cette rencontre d’un troisième type est émouvante, voire amusante: la danse s’autorise décidément tout. Elle convoque toute une symbolique religieuse qu’elle transcende d’autant plus que nous sommes nombreux à être fait de cette culture là. La force de la danse de Mickaël Phelippeau est de nous inclure peu à peu dans ce duo pour y créer une liturgie laïque, ouverte et tolérante.

Cette danse est mon péché capital.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Bi-portrait Jean-Yves » par Mickaël Phelippeau à la Condition des Soies jusqu’au 21 juillet 2011 à 10h.

« Dobles » de José Besprosvany à la Fabrik’Théâtre jusqu’au 31 juillet 2011.