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ETRE SPECTATEUR PETITE ENFANCE THEATRE MODERNE

Avec la Compagnie Image Aiguë, vers un mouvement européen théâtral.

Le spectateur est-il « condamné » à rester sagement assis, l’Europe à s’éloigner du citoyen? Tous deux  peuvent se lever, s’approcher, se mettre en marche, en mouvement comme le suggère la metteuse en scène Christiane Véricel. Avec sa compagnie « Image Aiguë », elle parcourt l’Europe afin que l’enfant et l’adulte soient spect’acteurs de leur devenir dans un ensemble politique aux frontières certes définies, mais qui s’interroge sur son élargissement à partir de son identité. Or, elle requiert un langage commun. La force du théâtre de Christiane Véricel est de le mettre en scène après l’avoir longuement écouté, entendu, métaphorisé lors de ses résidences dans les quartiers des villes d’Europe. La dynamique de l’identité européenne trouve ses ressorts dans la co-construction d’un projet culturel entre artistes, citoyens et institutions incarnée par cette compagnie qui s’affirme comme un « Ensemble Théâtral Européen ».

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En juillet 2010, un groupe composé d’adultes, d’enfants et d’adolescents, venus d’Italie, de Suède, de Turquie, de France, du Portugal s’est fondu dans la troupe permanente pour un «workshop» de deux semaines à l’espace Tonkin de Villeurbanne. J’étais invité le 17 juillet 2010 pour le « bouquet » final comme de nombreux partenaires européens qui ont échangé le lendemain sur l’articulation entre leur projet et celui de la compagnie. Cartout est lié: si le langage du corps sur scène est politique, alors la dynamique de la compagnie induit le réseau.
Christiane Véricel a donc métamorphosé sa création « les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable » présentée en mars dernier à Lyon. Est-ce pour « donner chair » à cet ensemble théâtral européen ? L’oeuvre y a gagné en fluidité, car on y danse les premiers pas de la relation ouverte, celle des valeurs d’accueil; on y joue avec les codes hiérarchiques pour développer la créativité ; on y interroge le lien à la nourriture (source de tant d’inégalités) pour se relier à la “terre patrie” si chère à Edgar Morin. Ici, le théâtre s’affranchit des cloisons entre « texte » et « corps ». Tout est langage et le collectif créé le mouvement pour nous permettre de l’entendre. En l’écoutant sur scène, j’entends les valeurs du jeu, du plaisir, de la diversité d’autant plus que les hommes et les garçons portent des jupes pour danser, identité hybride pour libérer leur créativité ! Je savoure les liens qu’enfants et adultes créent pour avancer en marchant, accompagnés par une musique qui évoque celle des gens du voyage. Avec Image Aiguë, le théâtre accueille le spectateur pour qu’il puisse emprunter ses chemins de traverse. 
Ces quinze jours de travail pour nous proposer une heure d’Europe, est un ratio qui n’entre dans aucune comptabilité ! Et quel travail ! À la précision du geste répond la force d’un propos, celui de nous rappeler qu’au jeu du pouvoir, nous pourrions lui substituer le pouvoir du jeu. Cette heure d’Europe, à Villeurbanne, vise à ne rien lâcher sur la nécessité de promouvoir cette aventure politique unique au monde. 
C’est ainsi que de la scène à la table ronde du lendemain, il n’y a qu’un pas. Christiane Véricel et son équipe nous ont réunis. Avec eux, nous avons tenté de mettre en mots, les processus d’un ensemble théâtral européen. Nous avons en commun d’avoir croisé la compagnie jusqu’à l’accompagner  dans certains pays (Allemagne, Suisse, Bulgarie, Portugal, Suède, Belgique, Égypte, …). Nos positionnements professionnels sont «hybrides», au croisement ! Me voilà donc spectateur-blogueur (j’avais écrit un article en mars dernier sur «Les ogres ») accueilli en territoire ami. Aucun ne sait précisément ce qu’il doit dire, ni présenter. Notre lien est d’avoir ressenti le spectacle de la veille et de savoir que le processus (à savoir celui de s’implanter dans un quartier pour créer) est aussi important que l’oeuvre elle-même ; que le « local » métamorphose, transforme le «global» pour créer un cercle vertueux du changement en lieu et place des seules logiques descendantes qui écrasent la créativité des territoires.
La réunion est alors animée comme le serait un workshop ! Chacun s’avance, écoute, tandis que Christiane Véricel reformule, précise, guide avec l’aide de Nicolas Bertrand, l’administrateur, le traducteur de sens ! «Comment chacun voit-il l’articulation entre son projet et celui de la compagnie ? » ; « comment l’identité européenne peut-elle se nourrir de l’artistique par le réseau ? » ; « Comment articuler le local (Lyon) et le global (l’Europe)? Cela passe-t-il par un lieu (la compagnie n’a pas d’espace physique de création à ce jour) ? À mesure que nous avançons, je perçois la réunion en miroir avec le spectacle de la veille. Je tente même une métaphore : les projets d’Image Aiguë et du « Tadorne » sont liés (ils mutent à partir de leurs migrations).
Les corps en  mouvement  sur scène se nourrissent aussi de la vision dynamique des partenaires (spectateurs inclus). Non pour s’immiscer dans le propos artistique, mais pour l’amplifier en maillant les projets. Ainsi, certains artistes ont compris que la qualité des liens de leur réseau vaut tout autant que la pérennité de leur financement. À se demander si ce n’est pas lié. À désirer que l’Europe politique soit aussi cela…
Pascal Bély – www.festivalier.net
A lire le carnet de route de Sandrine Charlot Zinsli, animatrice du site “auxartsetc” (webzine sur l’actualité culturelle Zurrichoise) qui était présente à Lyon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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LES EXPOSITIONS

Les Rencontres Photographiques d’Arles (2/2) : le noir à blanc.

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Vous souvenez-vous (pour les plus anciens), de la chambre noire du club photo du lycée ? Elles font l’objet d’une exposition passionnante aux Rencontres Photographiques d’Arles. Michel Campeau dévoile ce qui est longtemps resté caché pour les non-initiés. Comment ne pas penser aux grottes rupestres des hommes préhistoriques ? Comment ne pas voir dans ces installations précaires faites de rubans adhésifs pour collages de travers, l’antichambre de la créativité ? Michel Campeau ouvre sa focale pour détourner les lieux : ici un décor de théâtre, là une ?uvre plastique, plus loin un atelier clandestin. Comme une mise en abyme, la photo sur la photo stimule notre regard, car Michel Campeau n’oublie pas que notre imaginaire est aussi une chambre noire?

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Le noir, toujours lui, nous va si bien. Avec l’italien Mario Giacomelli, « le noir attend le blanc » (titre de son exposition) et finit par nous faire voir la vie en couleur… Il y a ces curés qui dansent sous la neige : ils sont corbeaux, libérés du poids de leur statut. Sur un autre mur, je suis sidéré par une série de photographies sur les vieux. Au temps des trente glorieuses, ils étaient parqués dans des mouroirs. Mario Giacomelli photographie la vieillesse, comme une valse à deux temps : le  blanc pour éclairer le chemin inéluctable vers la mort, le noir pour ne pas fermer nos yeux. Cette exposition est sans aucun doute l’une des plus émouvantes de ces Rencontres.

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Ici aussi le noir semble attendre le blanc. Le photographe Peter Hujar immortalise Candy Darling, Divine et tant d’autres. Les corps statufiés canalisent l’énergie vers la tragédie théâtrale. Bouleversant.
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Autre dévoilement. Autre chambre noire, bien plus éclairée…C’était le temps où la caste « bling bling » ne faisait pas de politique (ouvertement). Jean Pigozzi nous propose son album souvenir de photos de vedettes, de seins à demi dévoilés, de poils, de chiens décoiffés et « mastérisés » ! On rit souvent, car il voit ce qu’ils cachent. C’était au bon vieux temps des trente glorieuses, à moins que ce ne soit les trente gonflantes à force de nous narguer de leur toute-puissance?

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Tout n’est pas noir et blanc. Il y a aussi la couleur de résistance des photographies de Paolo Woods sur la société iranienne. Tout semble figé par la censure et la répression policière mais le mouvement est là. Les femmes jouent un rôle déterminant pour que la démocratie avance, jusqu’à poser des actes de résistance inattendus (saviez-vous que l’Iran a le record mondial de rhinoplastie ?). Woods capte la violence de la rue, mais aussi celle d’un pays prêt à se jeter corps et âme dans la société de consommation. Pays complexe, l’exposition met à mal nos clichés, amplifiés par la vision réductrice de nos médias.

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Avec l’Américaine Taryn Simon, on navigue en eaux troubles. Ici aussi, la couleur éclate pour dévoiler une vérité : celle des institutions judiciaires et policières. « The innocents » est une exposition troublante, qui relate l’histoire de ceux, condamnés à de lourdes peines pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Taryn Simon accuse la photographie, responsable d’erreurs judiciaires, quand elle permet à des témoins « oculaires » de désigner des coupables. Au flou des accusations, elle répond par une photographie d’une précision stupéfiante où les « accusés » reviennent sur le lieu du crime, de l’arrestation, de l’identification incorrecte. Les corps sont de marbres, le regard déterminé. C’est une photo qui réhabilite et nous renvoie notre fragilité de « témoin oculaire ».

« The innocents » est une exposition de chefs d’oeuvre où le noir éclaire  pour que le blanc innocente.
Pascal Bély – www.festivalier.net.

A lire aussi l’article précédent sur les Rencontres d’Arles. C’est ici.

Michel Champeau, Jean Pigozzi, Peter Hujar, Taryn Simon – Parc des Ateliers jusqu’au 19 septembre.
Mario Giacomelli – Chapelle Saint-Martin du Méjan jusqu’au 19 septembre.
Paolo Woods – salle Henri-Comte jusqu’au 29 août.

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LES EXPOSITIONS

Rencontres Photographiques d’Arles (1/2) : aux â(r)mes et cætera…

« Arles-Avignon », n’est pas qu’une équipe de football. C’est aussi une diagonale apparue au hasard de plusieurs expositions, entre un festival de théâtre et les Rencontres de la Photographie.

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Léon Ferrari est Argentin. Ce n’est pas à proprement parler un photographe. C’est un « plasticien » dont les oeuvres plastiquent. D’un tableau de roses en tissu émergent des cafards. Des poèmes d’amour en braille sont posés sur des photos de femmes nues. Dans l’autel de l’Église Sainte-Anne, un christ est cruxifié sur un avion de l’US Army. On devine tout le sang versé au nom de l’Église, au nom de la politique. Cela me  poignarde.

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Il me revient « La casa de la fuerza  » de l’auteuse et metteuse en scène espagnole Angélica Liddell vue à Avignon le mois dernier. Théâtre, photo, installation semblent traversés par le sang mêlé aux corps intime, social et politique. Ces deux artistes font pousser des fleurs sur des terreaux improbables, tout en dénonçant les collusions politico-religieuses qui amplifient la douleur du corps intime.

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Cette atmosphère sanguinolente se retrouve chez un autre photographe argentin,  Marcos Lopez. Ses personnages auraient pu rencontrer Liddell tant ils incarnent la douleur, l’angoisse liée à la perte d’un paradis perdu, celle de l’Argentine qu’il qualifie de pays en « carton pâte ».

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Plus loin, les visages des mères d’enfants disparus qui défilent sur la place de mai à Buenos Aires photographiés par Marcos Adandia portent les stigmates de la sauvagerie du politique. C’est beau et terrifiant.

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Et que dit mon visage ? Qu’incarne-t-il alors que je vis dans un pays démocratique? Le photographe Hans-Peter Feldmann a pris 101 photos de personnes de sa famille et de ses amis. De 0 à 100 ans, je parcours les âges pour m’arrêter sur le portrait d’un homme de 46 ans. Je me projette dans ce miroir  (« il fait plus vieux que son âge » !) et comprends aussitôt que mon corps vieillit dans un pays riche.

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En 2010, je n’ai plus l’opportunité de me « faire tirer le portrait» comme au bon vieux temps des fêtes foraines où  un fusil déclenchait l’appareil à photo. L’exposition « Shoot !» présentée par le commissaire Clément Chéroux est un tour d’horizon vivifiant sur ces portraits à couteaux tirés. Il y a bien sûr le plus connu (Beauvoir / Sartre) et tant d’autres (personnes célèbres ou inconnues). Mais une femme attire l’attention : Ria van Djik, âgé de 90 ans, se tire une balle chaque année depuis son adolescence pour s’immortaliser seule ou accompagnée. A chaque cliché, toujours cette étrange impression : l’instant est entre la vie et la mort, entre force et fragilité ; comme si tous les contraires étaient convoqués. Au spectateur de vérifier qu’elle a bien tiré dans le mille !

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Eux, ils n’ont pas eu besoin de jouer avec le feu pour être immortalisés.  Claude Gassian s’en est chargé. Iggy Pop, Keith Richards, Beth Ditto, Justice, Françoise Hardy, Beth Ditto (photo) et tant d’autres tapissent les murs de l’espace. Sans musique, ils sont icônes. Le rock est religion. Je suis prêt à m’agenouiller. Il me revient le spectacle du chorégraphe Pierre Rigal, «  Micro », présenté le mois dernier à Avignon. Avec un collectif de musiciens, il a mis en mouvement nos « clichés » sur le rock pour en dégager sa poésie, ses aspects sulfureux, sa religiosité et sa fragilité. Je les imagine habiter les salles de concert et de studios d’enregistrement inoccupés photographiés par l’Américaine Rhona Bitner. Quand le théâtre s’occupe de la photo, je crée de l’écho. Jouissif.

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Tout comme l’exposition consacrée à Mick Jagger. L’icône parfaite. Son corps a traversé toutes les tendances et les extravagances du rock. Mais où sont donc « les enfants du rock» en 2010 ? Probablement tous marketés. Claude Gassian est encore là pour nous aider à continuer d’y croire tandis que la vidéo de l’artiste américain Christian Marclay poursuit le vacarme. Un camion traîne une guitare sur les routes abîmées. Le bruit rappelle le cri de naissance, de la jouissance, de la douleur, de l’agonie. Troublant.

Je suis soulagé. La révolution rock poursuit sa route dans les espaces d’art contemporain…à moins qu’elle ne se joue au théâtre, avec Angelica et Léon en guest star.

Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire aussi l’article suivant sur les Rencontres d’Arles. C’est ici.

Leon Ferrari – Eglise Saint-Anne jusqu’au 29 août.

Marcos Lopez – Marcos Adandia – Hans-Peter Feldmann – « Shoot ! » – Claude Gassian – Rhona Bitner – Christian Marclay –  Parc des Ateliers jusqu’au 19 septembre.

Mick Jagger – Eglise des Trinitaires jusqu’au 12 septembre.

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CONCERTS

Historique Arcade Fire.

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C’était en novembre 2004…Un article de l’envoyé spécial des « Inrockuptibles »: « THE ARCADE FIRE, attention chef d’oeuvre ». J’étais intrigué par leur histoire (neuf de leurs proches venaient de disparaître en peu de temps) et le titre de leur  album, « Funéral ».

C’était en Février 2005 en Avignon. Un mistral fou m’obligeait à entrer à la FNAC pour trouver un peu de chaleur. Trois mois après, je me souvenais de ce groupe américano-canadien. A force de persévérance, le vendeur se décide enfin à trouver cet album parmi une pile de CD. Cramponné à la borne d’écoute, tout mon corps se mit à trembler: « Funéral » ne m’a plus jamais quitté.

C’était en mai 2005 au Cirque Royal de Bruxelles. A trois semaines du référendum, j’avais besoin d’air, d’un souffle européen ! Ils étaient sept sur scène ; unis, flamboyants, électriques . Pendant plus d’une heure trente, ils chantaient leur douleur ponctuée ici et là de paroles provocantes sur l’avenir de l’Europe à la veille du « non » Français à la Constitution. Ils touchaient là où j’avais mal avec humour et tendresse au moment où l’angoisse sur l’avenir de l’Europe était forte.  Il y avait Régine sur scène. Elle formait avec Win Butler un beau couple, lui devant, elle si proche, elle à l’accordéon, lui à la basse. Les cinq autres membres les entouraient de leur douce folie, à coup de violons, de contrebasse et de casques de moto. Plus le concert avançait, plus le cirque devenait…royal !

C’était le 22 Août 2005, à Nantes. J’étais en vacances et j’avais très envie de  les retrouver dans la petite salle de « L’Olympic». Il y avait une ambiance absolument surréaliste…le plus grand groupe du moment se produisait au coeur d’un petit quartier de Nantes !  Ils étaient tous là, sur cette petite scène, par 40°. J’ai retrouvé la même fougue, la même énergie qu’à Bruxelles ! La communion était parfaite entre le public nantais et le groupe, comme si leur histoire rejoignait la notre (l’empathie est si rare dans le rock d’aujourd’hui). Comme à Bruxelles, ils firent leur sortie de scène par l’entrée de la salle, en se frayant un chemin parmi le public. Une partie les avait donc suivi…pour finir au bar du coin de la rue ! Cette sortie de scène en disait long sur  ce groupe : proximité, modestie et une infinie tendresse.

C’était en juillet 2007. Je quittais pour un soir le Festival d’Avignon. Direction « Les nuits de Fourvière » à Lyon.  Plus de 4000 personnes prennaient place dans les Arènes et formaient un patchwork coloré magnifique. Je me sentais un peu décalé, comme un “expatrié“.
La scène était immense. Plus rien à voir avec celle de Bruxelles ou de Nantes.  J’aimais le pari de ce groupe: donner au rock des airs symphoniques baroques à partir d’instruments insensés et d’arrangements chaotiques. « The Arcade Fire » était surtout un collectif habité par la scène. Cette impression « cosmique », hors du temps, s’était renforcée avec leur dernier album, « Neon Bible ». Il y soufflait une énergie étrange où leur musique emprunt de religiosité,  conférait à l’ensemble une atmosphère hypnotique.
A Lyon, il fallait garantir l’ambiance face à ce public hétérogène dont la majeure partie découvrait  ce groupe en concert. Après le premier titre (le magnifique «Haïti »), Regine Chassagne et le groupe surprenaient en interprétant «poupée de cire, poupée de son». La filiation à Gainsbourg est assumée. Légitime. Stupéfiant. Ennivrant. Ce fut la seule surprise de ce concert comme si Arcade Fire avait assuré ses acquis. Les chansons du premier album (« Funeral ») enfièvraient les Arènes tandis que l’atmosphère du second avait du mal à se faire ressentir à cause d’une scénographie trop sophistiquée. J’avais l’étrange  sensation  qu’ils peinaient à articuler ces deux opus. Je ne retrouvais plus l’originalité d’un groupe qui, chronomètre en main, assura les 90 minutes syndicales sans “sortie” de scène.
En 2010, “The Arcade Fire” revient avec leur troisième album, “The suburbs“. C’est un très bel opus même si l’on sent que le groupe n’est plus en “recherche”. Qu’importe. Il sera en tournée à Marseille le 24 novembre puis à Lyon le 26.
J’y serais.
Pascal Bély. www.festivalier.net

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LES JOURNALISTES!

Avec le journal “La Scène”, le courant est bien passé.

Cyrille Planson du journal «  La Scène » a écrit un très bon article sur deux blogs : « Le Tadorne » et « Un Soir ou un Autre ». Sans chercher à caricaturer, il décrit avec précision nos deux positionnements. Le dernier paragraphe est particulièrement pertinent.

En lecture ici.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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PAS CONTENT

Yves-Noël Genod et leTadorne : “crise” de la critique?

C’est l’histoire d’un lien entre un artiste et un spectateur. Cette relation interroge les processus de constitution d’un microcosme autour d’un artiste, d’un «entre soi» et du rôle de la critique.

Nous sommes au Festival d’Avignon 2010. Un ami me dit : «Pascal, il te faut voir Yves-Noël Genod à la Condition des Soies. Il présente un spectacle tout en douceur qui te plaira ».

Je lui dis: « Après mon article de 2009, je ne suis pas sûr d’être le bienvenu ».

Une intuition.

Je vais à la Condition des Soies. A 10h, pour Aude Lachaise. Coup de foudre. Je découvre sa danse, son texte et le lieu. J’irais voir Genod à 18h. Entre temps, un mail arrive à 2h du matin, rendu public sur le blog d’Yves-Noël Genod.

« J’ai vu que vous vous étiez inscrit pour voir le spectacle que je propose. Il ne vous plaira pas. C’est un spectacle qui s’adresse à mes amis. Exclusivement. Comme tous mes spectacles. Je réduis mon oeuvre à ça : l’amitié. La dernière fois, à Avignon, vous aviez balancé l’assiette en carton qui contenait la part de tarte qu’Hélèna Villovitch offrait (qu’elle faisait tous les jours). Ici, tous les jours, le spectacle est offert et ouvert par un artiste invité qui offre le champagne dans des verres en verre (d’où ma crainte…) Le spectacle n’est pas subventionné, il est exclusivement un acte d’amitié, il n’y a pas de commande. C’est pour ça, comme nous ne sommes vraiment pas amis, que je suis étonné que vous n’ayez rien de mieux à faire que de venir faire la gueule à 18h. Je ne demande au public que j’invite qu’une chose : la politesse de la bonne humeur. Sinon rester chez soi. Ou aller voir un autre spectacle : y en a mille.»

J’avais aimé sa création pour Actoral en 2008 à Marseille. Pourquoi évoque-t-il l’amitié ? C’est un lien si complexe…« Je réduis mon oeuvre à ça » : mais comment peut-on faire l’apologie de la «réduction » alors que nous avons tant besoin du «complexe» ? Il relie donc le spectacle non subventionné au lien amical. En d’autres termes, il promeut un théâtre «privé», voire intimiste qui lui permet de définir la nature de la relation : «la bonne humeur». C’est une « stratégie » de communication proche d’une injonction publicitaire. Sommation ou  intimidation?

Ma réponse à 2h45 du matin : 

« Vous avez absolument raison, nous ne sommes pas amis. Mais mes amis sont venus vous voir. Ils ont aimé et il se trouve que j’adore le champagne. Et puis, l’amitié, ça va, ça vient…Je vous suis fidèle : je suis votre travail. Et je fais ce que je veux de mon temps de cerveau disponible. Mais c’est vous qui m’aviez tendu une carte dans la rue. C’est vous….???Vous pouvez m’empêcher de venir. J’attends votre réponse ».

Malgré les injonctions (depuis quand faut-il être de bonne humeur pour aller au spectacle ?), du buzz qui entoure cette pièce (journaux nationaux plus presse locale…rarement vu un tel engouement au Off), le  spectateur, fut-il blogueur, vient avec sa liberté de jugement. Mais je subis «aussi» la pression médiatique. J’ai peur : n’y a-t-il pas un risque d’écrire une critique sévère non sur la pièce, mais sur son environnement? Genod le sent-il ? Me protégerait-il?

Sa réponse fait baisser la tension :

« C’est vrai que je distribue ces cartes à grande envergure ! Et j’ai raison de le faire, évidemment. Alors venez, si ça vous dit. (Et excusez mes craintes…). Au plaisir ».

Nous avons donc peur tous les deux.

Je vais à la Condition des Soies. Je prends soin de me mettre au fond, à l’extrême gauche. Je n’ai pas totalement confiance en lui: cet homme qui différencie assez peu sphère publique et privée (voir son blog) pourrait me prendre à partie. Jamais il ne me regarde. Le lendemain, j’écris l’article. Plutôt apaisé.

“Fin d’après-midi, à 18h, il y a Yves-Noël Genod. Il me croit mal intentionné suite à un article où je ne m’étais pas senti invité dans son univers florissant. Mais aucun de mes regards vers un artiste n’est figé dans le marbre. Nous évoluons tous. Ensemble. Tout n’est que désir. Après Aude Lachaise, j’ai envie d’entendre cet acteur.

La piste n’est pas encore à lui. À l’entrée, comme au bon vieux temps des premières parties, il y a Arthur Ribo pour nous offrir une coupe de champagne. Les théâtres seraient bien inspirés d’en faire de même et de réduire la voilure sur la communication sur papier glacé. Il nous invite à faire silence pour s’écouter. Joli moment. La communication est dans cet instant précieux. Il note ensuite dix mots donnés par la vindicte populaire ! Comme à la Société Générale, « avec quatre mots, je vous en donne 4000 ». Et le voilà parti pour une improvisation. C’est un festival. « In » et « Off ». Il jongle, rattrape, se remet à l’ouvrage. Sans filet. C’est gagné, les bulles de champagnes englobent, relient les mots et provoque l’émerveillement.

C’est alors qu’il arrive, livre de Shakespeare à la main (« Venus et Adonis »). Une heure de lecture, dans son «parc intérieur» : on peut s’y coucher, se lever, penser à autre chose, faire des liens improbables. À peine commencé, il évoque David Bowie. Alors qu’un fan lui tendit une rose, il promit au public un jardin pour en offrir une à chacun. Genod est Bowie. Et chacun de nous prendra «sa» rose : Marguerite DurasClaude Régy,Jorges Luis Borges, le poète Wallace Stevens. Ils s’invitent dans la lecture. Comme des entremet(eurs). Plus que des apartés, ces textes, ces petites anecdotes font danser Genod tandis que Venus et Adonis prennent le temps de se conter. Cette « rocambolesque » histoire d’amour  a soudain des allures de chevauchée fantastique, comme au bon vieux temps des feuilletons où l’on pleurait d’avoir raté un épisode ! On rit beaucoup, on fait silence alors que les mots de l’acteur se cognent au mur pour créer l’écho. La profondeur de l’écriture prend alors tout son sens d’autant plus que le français n’est pas la langue de Shakespeare !

Puis, subitement, Genod s’approche. Il nous glisse une confidence personnelle à propos de Marguerite Duras. Peu à peu, son « parc intérieur » est un parterre de roses. For Pina.”

A ce moment précis, la relation s’équilibre : une proposition artistique – un regard de spectateur. Nul besoin d’être « ami » pour trouver son positionnement. Mais c’est sans compter sur un imprévu. Le lendemain de la parution de mon article sur Genod, j’apprend que le chorégraphe Suisse Gilles Jobin s’en prend sur son site (depuis l’article a été supprimé) aux blogs de spectateurs dont il reproche la mauvaise qualité de l’écrit et leur posture non professionnelle ! En reliant l’attaque de Jobin aux mails de Genod, un désir de contrôler la parole est mis en évidence. Là où Genod impose le lien amical (avec coupe de champagne à l’appui), Jobin ne souhaite que des professionnels débarrassés de leurs états d’âme.

« Je veux contrôler la parole ? Comme c’est curieux? Les artistes veulent contrôler la parole ? Comme c’est curieux? Tadeusz Kantor avait fait un spectacle sur ce thème, intitulé : Qu’ils crèvent, les artistes ! Venir voir un spectacle de bonne humeur est une demande inacceptable ? Comme c’est curieux? On n’évolue, je crois bien, pas dans le même monde, Monsieur Bély et ses nounous. Heureusement le mien est vaste, il date de l’antiquité, il dit : un spectacle, ça se fait à deux. Quand je parais devant les spectateurs, je le fais de ma meilleure humeur – pour donner du bonheur. Voilà où j’en suis. Mais si on me met un type renfrogné en face de moi, je serai comme Vénus, je n’y arriverai pas (à donner du bonheur). C’est comme pour tout. Vous pouvez voir une expo de mauvaise humeur, vous pouvez lire un livre de mauvaise humeur, vous pouvez écouter de la musique de mauvaise humeur et vous en apprendrez quoi ? Rien. A moins que vous n’imaginiez que l’art peut vous soigner? Mais, là non plus, nous ne sommes pas du même monde, je ne le pense pas, moi. C’est ce que Borgès, Stevens, Duras, Sarraute, Shakespeare et moi-même disons pendant une heure quinze : on ne peut que faire allusion, “la vision d’un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme”. Et voilà pourquoi il faut être deux. Deux en forme. Vous dites que les artistes doivent être des citoyens comme les autres (ce sont les mêmes mots de la curée contre Roman Polanski) – mais vous les placez où, les artistes, s’ils n’ont pas le droit de critiquer vos critiques ou vos humeurs ? Fais ton spectacle et tais-toi ? Pas le même, pas le même monde… Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien?), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»

Genod constitue sa salle : l’an dernier à Chaillot, sa page Facebook était son « flyer » !  Il n’a pas besoin de RP (d’ailleurs, notez que ce soit à Paris ou à Avignon, les institutions théâtrales ne se positionnent pas. Elles sont absentes du débat). Dans ce texte, il revient sur son concept de « bonne humeur » qu’il ne définit toujours pas. « La bonne humeur » en groupe est souvent l’injonction d’une secte qui se débarrasse de la « mauvaise humeur», trop liée au contexte extérieur. La « coupe de champagne » est une technique  issue de la psychologie sociale qui vise à créer une interaction entre l’individu et le groupe. Elle facilite le lien social, mais impose une conformité de l’un à l’autre (après le champagne, difficile d’être de mauvaise humeur, de s’en prendre aux valeurs du collectif.  Comme par hasard, le public est invité à la sortie à payer sa place dans le saut à champagne). Il sait que le public n’est pas particulièrement de bonne humeur quand il va au théâtre, sinon il irait au « Palace ». Dans ce texte, il décide que la relation spectateur – artiste est symétrique. Mais je m’interroge: que vient faire la bonne humeur dans ce lien?

Or, en posant la «bonne humeur» comme lien exclusif, il créé la relation asymétrique. C’est une prise de pouvoir. Genod manie la double contrainte avec talent : « le spectacle c’est à deux, mais c’est moi qui définit la relation », « le spectacle est pour tout le monde sauf pour vous» « je prône la bonne humeur, mais je m’appuie sur ma mauvaise humeur pour entrer en relation avec un spectateur critique ». Or, «la double contrainte désigne deux obligations qui se contrarient en s’interdisant mutuellement, augmentées d’une troisième qui empêche l’individu de sortir de cette situation ». Ainsi, à la lecture de son texte, je ne sais plus comment sortir de là. Lui-même, se perdant dans ses considérations, finit par une phrase qui ne veut plus rien dire (« Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien?), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»).

Sur son blog, Genod précise sa pensée:

« Ce que je dis n’a rien à voir avec une bonne ou une mauvaise critique. Je me suis fâché avec Pascal Bély à l’occasion d’une bonne critique (celle de Chaillot, l’année dernière), pas à l’occasion de sa critique-contresens atroce d’il y a trois ans, Avignon, par exemple. D’ailleurs, Pascal Bély a aussi écrit l’une de mes meilleures critiques, celle pour “Monsieur Villovitch” (Marseille, il y a trois ans) qu’il faudrait que je relise, mais qui m’avait positivement soufflé. (Il y révélait mes intentions, celles que j’avais transmises aux acteurs, c’était très étonnant.) Non, c’est pas ça. (C’est très bien, les critiques, dans un sens ou dans un autre.) Il s’agit d’un désaccord de fond. Pour moi, Pascal Bély – puisque son nom est révélé ici – fait exactement le contraire de ce que je crois essayer de faire (consciemment). Exactement le contraire. Et je trouve que c’est important non pas forcément que ça se sache pour tout le monde, mais que lui le sache : nous ne sommes pas amis. Nous sommes opposés EN TOUT. Et mon spectacle pourtant offert au plus grand nombre ne lui était pas destiné. C’est personnel. (Mais peut-être que je me trompe, je veux dire, à l’échelle cosmique…)”

Genod se positionne très vite ailleurs, au niveau « cosmique » . Il ne s’agit plus d’être de bonne ou  mauvaise humeur. Il ne sait pas quoi faire de ce spectateur qui n’entre pas dans le «cercle» mais qui peut apprécier son oeuvre. A l’échelle «cosmique», Genod confond relation avec le public et lien amical comme s’il fusionnait le contenant et le contenu. Sauf qu’il est un personnage public ET privé. Il n’y a quasiment plus de frontière entre l’artiste et l’homme (on connaît cela ailleurs dans le milieu politique). Le spectateur critique ne peut donc adopter le positionnement habituel quand il y a LA frontière. En ce sens, le « corps » de Genod percute le « corps » du spectateur, lui-même engagé à se définir comme hybride. Étrange Genod face à l’étrange Tadorne.

Nous sommes effectivement « ailleurs ». Le regard critique doit intégrer cette « porosité ». Le Tadorne y veille  de manière à ce que “‘l’humeur” soit une information travaillée pour  permette d’accéder vers l’universel, qui est le propre de l’art.

Pascal Bély-www.festivalier.net