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Au Festival d’Avignon, des rires primaires pour la dans’amalgame d’Alain Platel.

Le danseur me regarde. C’est interminable. Je lui fais signe d’arrêter, que cela suffit. Il continue. Le combat est inégal. À ce moment précis, je lutte avec le chorégraphe Alain Platel pour que « Out of context (for Pina) » se termine. Je voudrais me lever, demander une suspension de séance, pour que les spectateurs qui rient m’expliquent les raisons pour lesquelles le propos a lâché. Je me tournerais alors vers les danseurs pour les questionner sur leur ressenti d’incarner des handicapés que Platel fait passer pour fous parce que ça l’arrange, parce qu’il y décèle de la «virtuosité». Je l’interrogerais ensuite mais il serait peut-être déjà parti. On m’aurait ordonné de quitter les gradins bien avant, avec une camisole de force. Ce spectateur est fou, fatigué, excessif. Probablement du sud, car à Paris on sait se tenir, surtout au Théâtre de la Ville.

« Out of context » est une (trop) longue chorégraphie, car il faut du temps à Alain Platel pour travestir son propos. En observant les autistes, il n’a vu que des corps tordus.
Coup tordu.

Vous n’avez pas de chance, Monsieur Platel. Avant vous, il y a eu l’an dernier sur cette même scène du Lycée Saint-Joseph,  Pippo Delbono et Bobo. J’ai appris avec eux qu’entre le handicap et la folie, il y a tout un monde que vous avez préféré réduire à une esthétique séduisante. Mais manque de chance, le public rit. Il vous tend le miroir de vos erreurs et de vos égarements.

Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Christoph Marthaler qui, il y a seulement deux jours, nous a proposé de nous introspecter dans le regard du fou. Vous avez préféré créer la distance entre vos danseurs et le public pour faire du spectaculaire. Mais manque de discernement, cela se voit. Vous avez fait d’un handicapé un fou sans lui donner sa fonction politique. Vous avez choisi d’en faire le bouffon, jusqu’à convoquer des bébés sur scène et valider votre hypothèse. Vous penser qu’ils sont seuls capables de  regarder droit dans les yeux le «handicapé fou» (appelons-le ainsi, puisque vous mélangez tout), tandis que les spectateurs rient, non pas parce que cela les dérange, mais parce que c’est rigolo.
Mort de rire.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Angélica Liddell. Elle nous venait d’Espagne. C’était il y a dix jours, au Festival d’Avignon. Elle m’a bouleversé parce qu’avec elle, j’ai compris que le corps qui souffre relie l’intime et le politique, que danser autour d’une chanson pop pouvait rendre fou. Avec vous, la pop, la variété, ne servent qu’à séduire le public pour qu’il accepte la danse du « tordu ». Nuance. Vous osez même nous interpeller pour savoir si nous serions capables de danser avec eux. Certains spectateurs (castés) montent sur scène pour une danse de l’étreinte. Sauf que le danseur n’est ni handicapé, ni fou. Se seraient-ils risqués avec Bobo ? Sûrement pas, parce que Pippo Delbono ne l’aurait pas permit. Et puis parce qu’un fou, ça peut aussi déplaire et puer de la gueule.
Mensonge.
Ainsi, vous pensez à Pina Bausch. Moi aussi. Sa danse était virtuose.
La vôtre est en dehors du contexte.
Fin.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Out of context for Pina” d’Alain Platel au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon Off : Travelling Hiroshima.

Aller revoir, dans une nouvelle version, ce bijou qu’est pour moi « Hiroshima mon amour » tient, comme à chaque fois, du désir et de la crainte de croiser un autre regard que celui de  Resnais…
J’entre dans la salle avec en tête le massacre orchestré sur ce texte par Éric Vignier au festival d’Avignon en 2006, pourtant amoureux spécialiste de Duras…Aie…Chasser ça pour créer l’espace ouvert?
Je décroche, l’espace scénique m’attire et je laisse le champ libre… « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? », Les premiers mots m’emportent, comme à chaque fois…

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Julien Bouffier met tout à vue du processus de représentation, l’endroit et l’envers du décor, les techniciens. Il n’occulte pas que le texte est à l’origine fait pour le cinéma, il s’en sert pour nous faire naviguer entre le corps image et le corps chair. Il ose les chansons pop avec Dimoné en chorifé, elles servent le propos et l’invite à une nouvelle époque. Vanessa Liautey et Ramzi Choukair portent leurs personnages sans avoir à souffrir de la comparaison avec Emmanuelle Riva et Eiji Okada. La magnifique scénographie d’Emmanuelle Debeusscher et JB ouvre et éclaire le texte.
Une heure trente plus tard j’ai voyagé d’Hiroshima à Nevers en allers retours, j’ai entendu l’amour comme une bombe et Hiroshima comme la fin de tout amour humain. « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? ». Autre regard, mais toujours le même trajet…Hiroshima Nevers, violence, perte, crime, châtiment, douleur? Comme un cri, comme une bombe? Une rencontre? pour revivre? pour tourner la page? pour se reconstruire? pour se construire? sur les ruines? pour l’amour? Hiroshima Nevers?, on n’en termine jamais de l’amour et de la mémoire.
Tu n’étais pas tout à fait mort.
J’ai raconté notre histoire.
Je t’ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J’ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n’avais pas retrouvé … le goût d’un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t’oublie …Marguerite Duras.

Dans nos boîtes à souvenirs, toujours un peu de terre, un peu de sang, des larmes, des morts et des amours finis encore à recommencer.
Elle : “Je n’ai rien inventé.
Lui : Tu as tout inventé.
Elle : Rien. De même que dans l’amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j’ai eu l’illusion devant Hiroshima que jamais je n’oublierai. De même que dans l’amour“. Marguerite Duras.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Hiroshima mon amour” de Marguerite Duras , mise en scène de Jérôme Bouffier. A la Manufacture d’Avignon jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Marc Ginot.