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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Collège au bout de la nuit.

Il y a du beau, de la poésie, du cruel, du sensible et de l’humain dans l’écriture de François Cervantes. “La Table du Fond” et “Silence” n’échappent pas à la règle. Et quelle aubaine de voir dans une même soirée ces deux propositions !

La Scène de Cavaillon, partie en nomade dans les collèges proches de Cavaillon pour proposer ce diptyque, permet alors de concilier l’histoire (celle de Franck, jeune collégien) et la réalité du lieu. A entrer dans une classe pour la représentation, je me sens à la fois élève, retombant dans les affres de l’âge adolescent, et public, parce qu’après tout je vais assister à. Mais, cette distinction se perd lorsque le noir se fait. Nous, spectateurs, faisons partie du jeu, nous sommes ces élèves qui hantent les classes le soir venu. La proximité avec les deux comédiens (excellents Nicole Choukroun et Stéphan Pastor), donne à leur jeu une force, une musique, un dynamisme que seuls les mots dits nous emmènent dans notre propre être.

Nous sommes, avons été ou serons tous, un jour, ce petit Franck, qui du haut de ses 13 ans, a déserté la maison familiale, laissant ses parents derrière lui. Le père, figure absente mais présent juste au travers des paroles. La mère, travaille et parle peu avec son fils. Mauvaise passe. Mauvais âge. Mauvaise entente. Faux dialogue. Manque de compréhension. Mais qui sont nos enfants à l’âge charnier où ils sont encore petits, mais pas assez grands pour ne plus écouter ce que nous devons leur dire ?

La mère va donc partir à la redécouverte de ce fils qu’elle a connu, ne connaît plus et connaîtra. Un jeu de confession avec les professeurs se met en place. Chacun souffre de sa condition, de ce qu’il est, de ce qu’il représente. Comme si nous étions indéfiniment des adolescents. Ce jeu durera toute une nuit, une nuit à passer dans la classe de ce collège qui façonne cet adolescent, qui lui permet de découvrir la littérature, et d’opérer un « voyage dans un paysage abstrait ». La résonance est forte : la fragilité des mots donne naissance au futur de Franck. Je l’imagine. Je me ressens alors quelques années plus tôt.

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Si “La Table du fond” permet cette introspection, de rendre visible la métamorphose, “Silence” nous offre une mise en hauteur. Je suis alors l’ange du film de Wim Wenders, « Les ailes du désir ». Je plane au dessus de Franck, de sa mère, heureuse de retrouver son fils, et de ce bar qui l’a recueilli alors qu’il venait de se faire renverser par un automobiliste. Il est solide Franck, solide pour ne pas dire que son père est mort à ses professeurs, à ses camarades. Il est fragile Franck, fragile comme les pages d’un livre qu’il lit. Le récit se construit autour des dires de ses anges gardiens et de sa mère. Un aller-retour nous transporte par-delà les nuages, dans les lieux des non-dits pour lesquels les silences sont des mots. J’écoute ses paroles. Je fais vivre ses personnages avec le regard bienveillant de l’amour d’une mère pour son fils.

François Cervantes nous livre ici un des silences les plus bruyants. Une histoire d’amour entre parents et enfants. Simple. Humaine. Qu’il fait bon d’en être?

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“La table du fond” et “Silence” ont été joués au collège du Calavon de Coustellet, le 20 janvier 2010.

 

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PAS CONTENT

Vidé.

L’expression « besoin de faire le vide » est couramment utilisée tandis que nous atteignons la frontière. C’est alors que nous posons des limites, bien que nous préférions parfois amplifier le désordre. Il n’est pas rare que le théâtre participe à ce processus : combien de fois affirmons-nous, « cette pièce a fait le vide en moi » en référence à une résonance, à moins qu’elle nous ait permis de « ne pas nous prendre la tête ». C’est au choix. Il existe aussi des oeuvres sur le vide projetant le spectateur dans l’espace du néant à l’image du « monde merveilleux de Dissocia » d’Anthony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves.

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Alors que nous connaissons une crise de civilisation sans commune mesure depuis la Deuxième Guerre mondiale, force est de constater que certains metteurs en scène ne s’embarrassent pas de la question ! Catherine Hargreaves nous a donc déniché ce texte où l’auteur britannique « s’attache à trouver de mettre en scène ce qui se passe dans la tête des gens, seul lieu qui, théoriquement, reste inviolé par la police, la société de consommation et l’actualité. C’est un lieu absurde, inconnu, mystérieux, passionnant et infiniment théâtral ». Quelle trouvaille ! Et que lui inspire ce lieu ? Accrochez-vous. En revenant d’un voyage à New York, Lisa Jones a perdu une heure si bien que sa vie ne tourne plus tout à fait rond. Pour la retrouver, un horloger Suisse lui recommande fortement d’aller à Dissocia, lieu imaginaire, peuplé d’hommes et de femmes égarés. Et là, que trouve-t-elle ? Un monde absurde, une société qui marche à l’envers de la nôtre, où quelques unes de nos névroses sont amplifiées (l’obsession sécuritaire, les politiques de prévention, …). Ce « lieu » n’est que l’espace de la farce. alors qu’il est l’univers du fou. Soit. On est bien sûr priés de se plier en deux. Quelques spectateurs s’aventurent sur ce terrain tandis que beaucoup restent figés. Entre ces acteurs qui confondent une scène avec un plateau d’une émission de télévision censée libérer du temps de cerveau disponible et notre désir de chercher au théâtre quelques questions sur l’avenir de notre civilisation, il nous faut résister pour ne pas tomber dans le vide. Outre le fait que le texte est mineur, la mise en scène court après le bon mot, le geste drôle, la posture décalée. À aucun moment, on ne ressent une mise à distance du metteur en scène. En effet, elle aurait pu créer un espace imaginaire autour de cette heure perdue (après tout, nous aurions pu nous y projeter). Mais elle préfère guider ces acteurs vers des numéros d’équilibriste où le corps se débat, prisonnier du déguisement. Comment est-ce possible aujourd’hui de confondre à ce point la déraison avec la bêtise ? Ici, le fou est débile. Consternant.

Le deuxième acte accentue le naufrage. La farce est terminée. Retour au bon vieux « théâtre bourgeois ». Alors que Lisa se retrouve à l’hôpital pour troubles psychiques (ouf, le spectateur peut voir à quoi il a échappé!), Catherine Hargreaves nous propose quelques effets empruntés à l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat (deux minutes de dialogue. Noir total. Autre scène. Noir total…et ainsi de suite). Délesté du comique de situation, l’acteur se fige dans un dispositif tout aussi enfermant comme pour s’excuser de l’acte précédent. Là où Pommerat provoque la sidération, Catherine Hargreaves préfère jouer à la bonne élève. À ce moment précis, rien n’est assumé. Au délire de la première partie, suit le conformisme de la deuxième ! Et pourtant, nous sommes à nouveau sur le terrain de la folie. À peine effleuré. Le vide me submerge comme si je n’avais rien vu, rien entendu. Avec l’étrange impression d’avoir perdu, non pas une, mais deux heures.

Je rassure les lecteurs : ce théâtre-là ne rend (malheureusement) pas fou mais juste assez vide pour faire une critique de l’inutile.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Le monde merveilleux de Dissocia » d’Antony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves a été joué du 14 au 30 janvier 2010 au Théâtre des Célestins de Lyon.