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EN COURS DE REFORMATAGE

La critique fait la couverture des Rencontres à l’Echelle.

Il y a des soirées qui font basculer, qui ouvrent l’espace là où tout semblait verrouillé. Il y a des acteurs culturels qui décident de se positionner autrement en temps de crise ,en proposant d’autres formes, non par facilité, mais pour éveiller notre créativité. Ce soir, à Marseille, dans le cadre des « Rencontres à l’échelle » organisée par les Bancs Publics, il s’est passé un événement à la marge, mais qui pourrait bousculer bien des équilibres précaires.

En entrant, le danseur et chorégraphe Haïm Adri est déjà sur scène. Habillé de blanc, il porte un masque d’une mélancolie contagieuse, entre figure mythologique et celle de nos angoisses contemporaines. Il danse sur sa couverture alors que résonnent derrière lui les sons et les images d’un monde en ébullition où l’on passe sans le voir, où l’on s’arrête pour évoquer questionnements et souffrances. Autant de paroles résonantes. Sa danse est son territoire ; sa couverture, le prolongement du corps, d’un au-delà. Entre lui et moi, il y a la distance : lui à terre, moi sur le banc. Le « je » est un « autre » : peut-il se jouer ? Puis-je rester de là où je suis ? Alors qu’il se lève pour faire danser sa couverture, je m’approche, je m’accroche. Voilà les marionnettes de l’enfance puis la danse des désirs d’un imaginaire possible. Les mouvements évoquent notre lien entre lui et nous, entre attraction et peur. Haïm Adri n’est plus très loin, car nous communiquons, loin d’une communion judéo-chrétienne (après tout, la référence au sans domicile fixe m’a effleuré dans un contexte anxiogène de crise). Il faut toute la force de la poésie pour entrer en résonance avec cette homme qui, dépossédé de ses habits blancs, endosse les nôtres, veste et pantalon trempés. Pendant que les gouttes tombent, je lâche. Essoré.
C’est alors qu’elle arrive, maladroite, timide, provocante. Haïm Adri enlève le masque pour l’introduire. Marie Mai Corbel, auteur et journaliste de la revue Mouvement, nous propose une « performance critique ». Elle parle tout bas, presque sur le registre de la confidence. Je ressens la tension monter dans la salle. Quelle est donc cette intrusion alors que nous n’avons pas eu le temps de nous extraire de l’?uvre ? Elle évoque notre positionnement de spectateur (que venons-nous chercher ici ?). En utilisant la métaphore, elle réduit la distance entre la profession critique (si décriée par ces temps où il s’agit de ne pas se « prendre la tête ») et nous. Elle met des mots sur le processus qui vient de se jouer précédemment avec Haïm Adri. Elle expose son regard, sort de sa revue, ose affronter un public, sur scène, sur le territoire de l’artiste. Elle réussit à s’immiscer dans cet interstice entre le danseur et nous, où elle relie le contexte géopolitique, l’artiste et la possible résonance du spectateur. La démonstration est magnifique, percutante, sidérante, suffisamment interpellante pour nous donner de la compétence. Cela ne dure que quinze minutes. Un temps volé au zapping. On aurait juste aimé réagir, loin d’un débat, pour poser un ressenti, quelque part. J’ai le blog, mais les autres ? Je les imagine écrire ici, sur Le Tadorne, et faire leur performance de blogueurs!

Artistes, critique et spectateurs ont trouvé ce soir l’espace qui nous manque tant. Celui où le territoire de l’imaginaire, la recherche d’un sens global, la résonance peuvent s’articuler, loin des cases où chacun finit par s’enfermer pour tirer la couverture à soi.
Le masque d’Haïm Adri n’a pas fini de nous hanter.

Pascal Bély

www.festivalier.net

Ps : à lire le regard de Guy Degeorges sur la création d’Haïm Adri.

?????? ” Quelle est l’utilité d’une couverture” d’Haïm Adri, incluant la perfomance critique de Marie Mai Corbel. 

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