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EN COURS DE REFORMATAGE

A Montpellier Danse, épatante Germana Civera.

Le public applaudit à tout rompre. Heureux. Soulagé. Comme si la danse venait enfin de nous faire un beau cadeau, alors qu’elle nous réserve tant de souffrances, de tensions voir de repli quand elle est en panne de sens. Ce soir, à Montpellier Danse, la Catalane Germana Civera fait avec « Fuero(n) » ce que notre société peine à réaliser : relier les générations dans un espace où l’imagination est au pouvoir ! Quarante ans après mai 68, elle redéfinit les contours d’un « vivre ensemble » où l’individu s’affranchit des cloisonnements qu’on lui impose. Pour réussir ce pari incroyable, plus de trente acteurs sur scène (dont pas mal d’amateurs), âgé de huit à plus de soixante cinq ans avec pour espace commun, la fin du monde, l’apocalypse vue à travers l’histoire de la danse ! « Fuero(n) » est un beau maillage entre un festival, un territoire européen transversal (Germana Sivera vit à la fois à Montpellier et à Barcelone), le public et notre bien collectif, la danse.
Au commencement de « Fuero(n) », Germana Civera définit prodigieusement la relation entre eux et nous. C’est une petite fille aux allures bien sages et déterminées qui accompagne une dame âgée vers une table de bar, clope à la main, en fond de scène. Spectatrice privilégiée (nous pourrions être à sa place), elle va observer presque silencieusement cette fin du monde revisitée par le public, les danseurs et la chorégraphe! Oui, vous avez bien lu ! Nous sommes symboliquement sur scène, mais à plusieurs niveaux en même temps! De notre place assise, nous nous projetons en elle, en eux. Mais pour cela, il faut nous aider à lâcher. Cette petite fille sait y faire. Elle est notre part de créativité. C’est de dos qu’elle assiste à l’arrivée des acteurs qui, sur une musique lancinante, esquissent une danse minimaliste, mais emprunte de désir. En quelques minutes, c’est déjà gagné. J’y suis.
S’ensuit alors différentes scènes où chacun va jouer tour à tour le public, le danseur, le chorégraphe pour s’amuser de cette fin du monde, mais surtout pour positionner la danse comme vecteur du lien social (au cas où certains l’auraient oublié), comme éclaireuse des paradigmes naissants, où elle accompagne l’individu dans sa quête d’autonomie. C’est tout un modèle de société que Germana Civera dessine, où les plus jeunes tissent avec les plus anciens des liens de créativité, tandis que les adultes s’appuient sur ces liens intergénérationnels pour s’interroger sur l’évolution du groupe, sur les valeurs afin de réinventer le monde !
« Fuero(n) » est un maillage impressionnant par sa dynamique où l’espace théâtral inclut la salle, les coulisses, la scène sans que jamais le spectateur ne soit perdu ou isolé. D’autant plus que l’on rit souvent (et l’on connaît la difficulté pour les chorégraphes d’utiliser l’humour comme ressort du sens). Puisque de fin du monde il s’agit, nous sommes libres d’interpréter la charge symbolique de certains passages pour réécrire notre histoire. Germana Civera redéfinit un modèle relationnel entre la danse et le public à l’image du dernier tableau où les portes de fond de scène s’ouvrent vers la rue (mais chut, surprise).
Le final enchante parce qu’il autorise toutes les utopies. Celles d’un monde de ponts et de portes où les enfants lâcheraient dans le ciel les ballons chargés du poids de nos idéologies dépassées.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Ps: où sont passés les photographes de danse? Pourquoi aucune photo et vidéo de ce spectacle?

?????? « Fuero(n)» de Germana Civera a été joué le 28 juin 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Montpellier Danse, “Chez Rosette” de Kettly Noël clive.

Alors que le spectacle se termine enfin, elle s’approche timidement vers nous, entourée de ses dix danseurs. Une partie du public proteste, tandis qu’une autre tape des pieds comme en écho. « Chez Rosette » de Kettly Noël, chorégraphe originaire d’Haïti, est l’?uvre que j’aurais aimé ne jamais voir. Tout, de la danse au scénario, de la mise en espace au propos, dégage une atmosphère pesante. « Chez Rosette » réduit la diversité de l’Afrique, immobilise nos perceptions de blanc, alimente notre imaginaire néo-colonial. C’est un espace clos à l’image de ce décor qui lacère la scène avec ses barres de fer et son échafaudage prêt à se rompre. C’est un melting pot de ce que nous voulons voir et entendre. C’est une femme blanche, prostituée, nymphomane, qui éructe son orgasme derrière le rideau blanc pendant qu’une vidéo diffuse le corps ruisselant d’un bel homme africain, dont on nous rappelle à longueur de scènes qu’il est joliment outillé. C’est encore un homme noir, handicapé physique, qui sert de caution humanitaire, à partir d’une danse qui suinte les bons sentiments. C’est un homme blanc, gros, travesti, qui amuse la galerie parce que le genre fait toujours rire. Ce sont ces vidéos qui parsèment le spectacle pour sauver une mise en scène aussi lourde qu’un cliché. C’est encore cette danse qui se cherche à trop vouloir prendre ici et là pour former un kaléidoscope qui empile faute de relier. C’est ce beau Circassien à qui l’on exhibe un pompon à attraper pour donner une forme verticale et spectaculaire afin d’épater au lieu d’interroger. Ce sont enfin tous ces raccourcis qui finissent par énerver un spectateur (« c’est facile ! » hurle-t-il) parce que Kettly Noël est incapable de produire un sens, une profondeur à son propos, engluée dans sa vision, dans son rapport à la négritude, à l’Afrique, aux blancs.

Cette oeuvre provoque de la colère chez certains spectateurs parce qu’elle nous met en dehors du progrès, alors qu’elle nous positionne au centre d’une représentation misérabiliste de l’Afrique qui nous arrange tous. « Chez Rosette » soutient le discours de Nicolas Sarkozy de Dakar en juillet 2007 où  il déclarait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Kettly Noël conforte cette approche. J’ai longuement réfléchi avant de proposer ce lien : pour mettre en scène des personnages aussi disqualifiés, Kettly Noël semble voir l’Afrique loin de tout processus historique, où les clichés cimentent sa pratique de chorégraphe.

Le public blanc de Montpellier Danse peut applaudir. L’Afrique attend toujours d’entrer dans l’histoire de la danse par la grande porte.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 


?????? “Chez Rosette” de Kettly Noël a été joué le 28 juin 2008  dans le cadre du Festival Montpellier Danse

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Crédit photo: Joel Andrianomearisoa