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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Théâtre Antoine Vitez, le “Loft Story” civilisé de Danielle Bré.

Ce mois de janvier réserve décidément quelques surprises. Après le prometteur Thomas Ferrand au Centre Chorégraphique National de Montpellier avec son théâtre si singulier, c'est au tour du Théâtre Antoine Vitez à Aix en Provence, niché au c?ur de l'Université, de surprendre avec « Insupportable mais tranquille » de et par Danielle Bré.
insupportable.jpgHuit personnes, réunies le temps d'un repas, se parlent doucement, s'engueulent, puis poussent la chansonnette dans un huit clos à la fois enfermant et libératoire pour « une évocation anthropologique des classes moyennes en France aujourd'hui ». Le pari est osé : comment ne pas tomber dans la caricature en invitant le gay de service, le retraité communiste marié avec une psychanalyste, la soixante-huitarde reconvertie dans les médecines douces de l'ego, le jeune couple aux statuts et aux idées précaires, deux cadres moyens quinquagénaires installés dans la pinède aixoise ? Comment ne pas produire un puzzle mal agencé avec ces fragments de textes de Curnier, Cadiot, Crimp, Garcia, Lagarce,? tel un Reader’s Digest de la pensée subversive? Comment ne pas brouiller le propos en faisant côtoyer Jean Baudrillard et Eros Ramazotti ? Comment ne pas s'y perdre d'autant plus que Danièle Bré complexifie en évoquant l'individu, le couple, l'intergénérationnel, le sociétal, le tout dans une époque mondialisée.
Dans ce trop-plein apparent, il faut du mou, du marécageux pour que le public s'identifie aux personnages et fasse lui-même son chemin dans le miroir qui lui est tendu. L'espace se doit d'être transversal à l'image de cet appartement ouvert aux quatre vents où les spectateurs au centre regardent jouer les acteurs en interaction avec une partie du public assis de chaque côté. Parfois vautrés sur leur canapé (à la fois divan du psychanalyste et objet d'affaissement devant la télévision de toute une génération), ces comédiens (tous exceptionnels dans leur engagement) sont solides dans leurs certitudes quand ils nous tournent le dos et fragiles quand ils se détournent pour chercher notre regard.
Nous voilà donc au centre de cette pièce et ce n'est pas une vue de l'esprit ! Danièle Bré nous tend le micro dès qu'ils chantent pour consoler nos douleurs égocentrées (de Philippe Katerine à Brigitte Fontaine en passant par Souchon) et nous fait entendre notre époque en perte d'utopie et de projets à partir de ces fragments de texte fabuleux qui forment la fresque de nos colères et de nos désirs collectifs de changement. Les personnages portent ce lourd enchevêtrement et ne sont pas tous égaux pour y faire face (la jeunesse semble particulièrement dépourvue). Ces inégalités rythment l’oeuvre (quel paradoxe!) et lui confère cette fragilité extrême.
« Insupportable mais tranquille » n'apaise pas, ne donne aucune clef. Il s'y dégage un pessimisme déconcertant alors que les acteurs quittent un par un la pièce, nous laissant seuls (à l'image du public fumant la cigarette à la sortie et qui semble ne pas vouloir partir). Il y a une sorte de désenchantement malgré toutes ces chansons, une atmosphère de fin d'époque en dépit de l'apparente modernité de la mise en scène. Que faire de tous ces « blancs », synonymes  d'une société émiettée, qui n'ont cessé de plomber la dynamique de ce groupe? Est-ce une faiblesse de la mise en scène, ou plus généralement une démission de l'artiste qui produit du texte, de la forme, des notes et des chants, mais n'arrive plus à relier les hommes avec une utopie ?
Je quitte l'Université bien seul, dépité, mais malgré tout heureux que le Théâtre soit présent, à l'heure de l'affaissement de toute une génération qui croule sous le poids de la médiacratie
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Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? ?Insupportable mais tranquille? par Danielle Bré a été joué le 18 janvier au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.


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