Il est impossible de parler de la danse.
Ce n'est pas une raison pour en parler n'importe comment.
Ce n'est pas une raison pour en parler en employant des mots pré-pensés, qui se reproduisent ad nauseam de textes en textes, tels des pièges à connivence, des points de repères trop rassurants, vidés depuis longtemps de toute substance.
Ecrivons autrement.
Pensons autrement.
Pensons.
Je propose donc à mes camarades blogueurs d'adhérer à la chartre suivante, et de proscrire désormais de nos textes autour du spectacle vivant les 7 termes suivants:
Questionner
N'écrivons plus : « en sortant de la scène, Eric Bernard-Jean questionne son rapport à l'espace fictionnel »
N'interrogeons que des êtres pourvus d'intelligence, donc susceptibles de nous répondre.
Laissons l'usage de ce terme aux professeurs et aux policiers.
Interroger
Même faute, Même punition
Champs
N'écrivons plus: « Pendant 5 heures, Eric Bernard-Jean entreprend l'épuisement des champs narratifs »
Laissons l'usage de ce terme aux agriculteurs.
Mettre à nu
N'écrivons plus : « La danse met le danseur Eric Bernard-Jean à nu et révèle son être intime »
Rendons l'expression à Edgar Poe et Charles Baudelaire.
Produire
N'écrivons plus: « Eric Bernard-Jean parvient à produire du rire avec de la danse » ou «le corps n'est produit qu'en se produisant »
Laissons l'usage de ces termes aux industriels.
Convoquer
N'écrivons plus: « Avec Eric Bernard-Jean, la danse convoque l'ensemble des arts de la scène »
Laissons l'usage de ces termes aux proviseurs et aux Assedics.
Intime
N’écrivons plus: « La performance d'Eric Bernard-Jean traverse la notion d'intimité et ses différents modes de représentation dans le monde contemporain. »
Laissons l'usage de ce terme aux gynécologues.
Tolérons ces termes uniquement quand employés dans leurs usages premiers.
On continuera, à regret, à user des mots « corps » et « texte », trop lus, mais difficilement substituables.
En veillant à ne pas en abuser.
J'engage tous mes amis spect-acteurs, et au-delà, à signer ce manifeste du 9 mars 2008.
Sont aussi les bienvenus dans cette démarche les journalistes professionnels, les artistes qui s'expriment quant à leurs travaux, les responsables de lieux, leurs porte-plumes et de manière générale tous les acteurs de ce milieu amenés à produire -pardon, à rédiger- des textes à propos du spectacle vivant.
Guy – Un Soir Ou Un Autre
Signataire: Pascal Bély, Le Tadorne, www.festivalier.net

À la mort de leur ami peintre, ils décident de faire le voyage, en mer, pour ramener son modèle: une jeune femme silencieuse. Les voilà qui débarquent sur une île, tels des naufragés où ils font d'étranges rencontres: l'adolescente et sa mère, le fou, le soldat, le vieil homme, le kamikaze, pour ne citer que ceux qui habitent ma mémoire. La scène est dépouillée ; ils ont deux heures pour nous inviter à faire le voyage, pour franchir la ligne qui sépare notre vision linéaire de l'existence et celle qu'ils nous proposent, plus complexe. C'est ainsi que je vais vivre, avec eux, un aller-retour permanent entre notre continent où la guerre pour survivre fait rage et l'île de notre inconscient (ce), où l'on peut regarder sa vie en face, de biais, d'un arbre, d'un rocher, d'un livre composé de toutes les lettres restées sans réponse.
Il faut tout le talent du metteur en scène François Cervantes et de sa troupe (impressionnante Catherine Germain) pour nous aider à lâcher, à faire le voyage dans ce théâtre d'ombres et de lumières, de visages et de masques. Magnifique ?entreprise? qui consiste à nous parler d'amour avec les masques d'une telle sincérité, modelés par nos rêves d'enfants, nos désirs d'adolescent, nos peurs de mourir, et nos fantasmes guerriers. En s'affranchissant magnifiquement des frontières entre la vie et la mort, François Cervantes répare quelque chose en nous: cette île devient progressivement la nôtre où les lumières et les morts-vivants s'allument pour s'éteindre comme dans un rêve éveillé où nous plongeons dans le bleu turquoise d'un morceau de tissu et nous y noyer.

Mnouchkine remet la problématique sociale au centre de tout, de notre regard, à l'heure où notre société la fragmente plus que jamais. Tous les personnages sont la France d'aujourd'hui dans ses fractures les plus intimes que la société éclatée révèle, mais étouffe dans les n
Le rideau transparent protège la scène où un jongleur maladroit (Jérôme Thomas) joue avec des sacs plastiques qui s'élèvent grâce à une soufflerie. DGIS continue de slamer pendant que l'autre fait joujou avec ses sacs avant de s'envoler tel un oiseau. Le contraste est saisissant entre Job et Dieu, révolte et rêverie, métaphore d'une société sûrement inconsciente sur les malheurs qu'elle génère. La scénographie n'est pas sans rappeler celle de Roméo Castellucci. Mais on est plus proche ici du sac ?Leader Price? que du cabas ?Monoprix Gourmet? si je peux filer cette métaphore entre Wild et le dramaturge italien.
Des chaises sont disposées en arc de cercle, tournées vers l’extérieur. Je prends place et j'attends patiemment. Des mots – les pores de la peau, bruits des chaînes – et autres chuchotements viennent à mes oreilles.Une certaine torpeur m’envahit. Le silence se fait peu à peu. La lumière baisse et c’est dans une quasi-obscurité que Claire Le Michel entre en scène. Elle tourne autour de nous, dans le sens des aiguilles d’une montre comme pour arrêter le temps, nous renvoyer au plus profond de nous, à l’état de foetus, d’embryon. Elle chuchote. Ses paroles sont douces. Je ferme les yeux afin de me laisser envahir, submerger par son langage. Puis, tout à coup, ses mots claquent, prennent par surprise, font accélérer les battements de mon coeur. Il y est question de rythme hebdomadaire, de rôles que l’on tient à chaque coin de rue, de mains sur nos têtes, sur les vides au fond de nous dans lesquels nous tombons. Elle court, Claire. Elle court pour rattraper le temps. Elle court dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle débite son texte, nous aspire dans son tourbillon, nous dit que l’on a des couvercles sur la tête, que sous l’écorce du chêne, il y a le sang, la vie. Elle court pour nous signifier l’urgence, pour que l’on se reprenne en main. Cette urgence est palpable. Les sons saccadés d’une contrebasse et la voix de Claire plus pressante m’agitent. Et puis, tout se calme, net, pour finalement chuchoter “dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles les cloches sonnent sans raison et nous aussi“
Dans une cage en verre, l'un des protagonistes nous dit et redit une phrase en préambule au spectacle. Le public continue à entrer, tandis qu'il continue à parler. Le dispositif, un bidonville, sert d'espace de jeu.
« Exils4 » est un beau travail, honnête, sensible, accueillant. Pour évoquer la profondeur du migrant et sa complexité sans tomber dans les clichés, Eva Doumbia a tissé sur scène une jolie toile faite d'enchevêtrements de langages artistiques. L’identité de l’émigré ne peut se réduire à une étiquette, car c’est un processus « avec une temporalité, des allers-retours, des moments où on est plus ceci, des moments où on est plus cela, tantôt plus près d'un monde, tantôt plus près de l'autre? » comme le souligne,
Elles sont donc trois sur scène pour traduire ce processus et incarner cette femme française, fille d'immigré, à la recherche de son identité. Trois comme un tryptique qui se déploie, se referme puis s'ouvre dans un mouvement qui trouve son énergie dans la danse enragée de Sabine Samba, sa profondeur dans les témoignages vidéos et sa beauté picturale dans les gestes de cette tante retrouvée, restée là-bas. « Exils4 » tangue entre poésie (magnifique texte d'Aristide Tarnagda), tendresse, rires et colères pour donner une âme à trois objets « flottants » (une chaise et ses barreaux, la valise et ses roulettes, la bassine et sa mousse débordante) qui font lien entre elles et nous. Trois objets mouvants pour bouger notre regard sur l'émigré et faire vaciller nos certitudes. Car tout est mouvement, pas de côté, décalage dans la mise en scène d'Eva Doumbia, proche d'un acte thérapeutique qui soignerait les névroses d'une France gangrénée par vingt années de propos racistes et de politiques disqualifiantes envers l'émigré. Elle nous guide avec délicatesse pour changer de regard afin de nouer avec les migrants d'autres liens pour qu'ensemble nous coconstruisions cette société métissée qui n'a plus rien à voir avec celle des années 60.