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LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE

Artistes, professionnels de la culture et de la petite enfance : tous ensemble!

Depuis quelques mois, le monde de la petite enfance est en émoi : un décret actuellement en préparation organise la baisse de la qualité d’accueil du jeune enfant et de sa famille. Le 6 mai, les professionnels de la culture et de la petite enfance ont défilé dans les rues séparément. Pourquoi ? Quelle est donc cette frontière ? Et si l’on en finissait avec les mots d’ordre corporatistes qui freinent toute vision à long terme?

Nous sommes l’un des rares pays en Europe où la petite enfance est quasiment exclue de tout débat politique sur l’éducation comme si celle-ci débutait à la maternelle ! Et pourtant. Le premier rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française » publié en 2008 préconisait comme première mesure (parmi 300 !), « d’améliorer la formation des éducateurs et éducatrices de crèche, des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre » parce que « l’acquisition de la confiance se fait pour les deux tiers de tous nos enfants, quels que soient la culture et le niveau social, lors des dix premiers mois, bien avant le début de la parole. Pratiquement tous les enfants épanouis se trouvent dans des milieux affectifs et sociaux stables : lorsqu’arrive l’âge de l’école, ils sont les mieux préparés à en profiter ». Une politique de la petite enfance est donc un enjeu sociétal majeur alors que nous entrons dans la civilisation de la connaissance. Mais pour cela, il faut l’ouvrir à d’autres services publics, car le cloisonnement dessert le politique, et ne permet plus d’identifier ce qui fait « politique ». Il est urgent de traverser les frontières si l’on veut que l’altérité se substitue à la défiance et mette fin aux logiques corporatistes qui émiettent toutes les politiques publiques.

D’un autre côté, les professionnels de la culture ressentent le besoin de décloisonner leur stratégie de conquête des publics. L’articulation entre  la culture et la petite enfance est prometteuse si l’on en juge par le nombre croissant de participants lors de colloques sur le sujet (festival « Reims Scène d’Europe » en décembre 2009, journée organisée par la CAF de l’Isère en mars 2010, …)  et les retours d’expériences d’acteurs engagés (saluons David Chauvet de la Scène Nationale de Cavaillon, la compagnie Skappa ! et les  professionnels de la petite enfance de la communauté de communes « Provence-Luberon – Durance qui depuis quatre ans ont mis en oeuvre un projet global autour du spectacle jeune public).

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Invités à développer leur créativité en situation d’incertitudes, à accueillir l’enfant et sa famille, à s’ouvrir vers des réseaux, auxiliaires de puériculture, puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants trouvent dans l’art bien des ouvertures. Car l’enjeu est de communiquer sur les pratiques qui facilitent l’éveil culturel de l’enfant, de les rendre visibles au moment où les théories comportementalistes investissent le champ de la petite enfance.  Or, c’est vers « l’autre » différent que nous communiquons le mieux, où les finalités sont précisément décrites, bien plus qu’entre « pairs ». Cette ouverture vers les artistes et les structures culturelles positionne les professionnels sur des dynamiques de développement, au-delà des logiques de diagnostic où la difficulté finit par faire sens.

Toujours soucieux de décloisonner les publics, les professionnels de la culture ont la possibilité de créer des liens durables entre artistes, enfants, familles, éducateurs. Car les logiques qui visent à rechercher des « pourvoyeurs de spectateurs » les éloignent durablement du sens de leur métier.  En acceptant de co-construire des projets artistiques, de médiation (et non de présenter une plaquette pour recruter), théâtres, centres chorégraphiques, lieu d’art contemporain approchent le « spectateur » en devenir dans un contexte élargi puisqu’il intègre la famille et ses éducateurs. C’est l’articulation entre ces différents langages qui créée pour chaque acteur un nouveau lien à la culture. En apprenant ensemble à se connaître, se développe des processus durables de médiation avec des familles et des professionnels qui vont peu ou plus dans des lieux de culture. D’autant plus que les artistes trouveront dans les structures d’accueil de la petite enfance la motivation pour s’engager dans un projet artistique participatif, un désir d’être  accompagné pour ressentir les processus de créativité et s’éloigner du positionnement peu enviable de « consommateur » de spectacles collé au calendrier (Noël, Pâques et fin d’années).

En articulant « culture » et petite enfance, on pense le spectateur en mouvement. Ici, le lien se construit par la culture (et non plus seulement à partir de logiques normatives) et encourage une responsabilité partagée autour du tout petit. Le projet pédagogique n’est plus déconnecté de ce qui fait lien, les pratiques de guidance se substituent aux stratégies de prise de pouvoir où accompagner n’est plus surveiller.

Nous avons tous besoin de développer nos pratiques de coordination. Or, plus habitués à piloter du haut vers le bas, les projets complexes se nourrissent de maillages, d’amplification du collectif, d’intelligence par le réseau. Quand professionnels de la petite enfance, de la culture, du social et les artistes co-construisent, ils transmettent au tout-petit un mode de gouvernance qui le préparera à affronter les défis posés par la mondialisation. Et je formule un rêve : que les lieux d’éducation soient des résidences d’artistes. La croissance durable est à ce prix.

Pascal Bély – Le Tadorne

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OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Infatigable spectateur.

Nous sommes installés dans une salle, nommée étrangement « bac à traille ». Serrés les uns contre les autres, mamies, parents, enfants, adultes débordent des gradins. À ma droite, une dame de 82 ans me raconte l’histoire du lieu et de ce quartier d’Oullins ; à ma gauche, une grand-mère heureuse de venir avec sa petite fille, « parce que ce n’est pas rose tous les jours ». L’une et l’autre me compressent ; nous en rions. Le théâtre, contre vents et marées, reste l’un des rares espaces où l’on n’a plus peur d’être ensemble. Côte à côte.

Avant la représentation, la metteuse en scène Christiane Véricel  prend la parole. L’air grave, elle rappelle aux enfants une règle d’or : on ne franchit pas la ligne. La recommandation est indispensable à plus d’un titre : le plateau est saupoudré de sucre glace et parsemée de cacahuètes ! Mais surtout, cette ligne fixe une frontière où l’enfant apprend à regarder le spectacle du monde (ici à partir des ogres), à délimiter les espaces qui lui permettront de se socialiser (avec et malgré eux !).

« Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable » peut donc commencer pour une heure de branle-bas de combat entre le ventre, l’esprit et le corps qui danse, autour d’un point central : un habitant sur six ne mange pas à sa faim dans le monde. Christiane Véricel s’engage à ce que la scène traite la question à partir d’un imaginaire bouillonnant qui finit par déborder de créativité tandis que la satire pique sur la langue. Tout le long, le franchissement de la « ligne » résistera à ce big-bang humanitaire.

À leur arrivée, les six enfants comédiens marchent sur des cacahuètes  et produisent des bruits de craquements comme un sol qui se fendille, métaphore de la sécheresse, mais aussi d’un tremblement de terre. Avec ce sol blanc parsemé de modestes  « Fabacées », je pense à Haïti. Cela ne me quittera pas comme si l’énergie créatrice de ces « ogres » était en empathie avec ce peuple pour qui « l’union fait la force ». Avec quatre comédiens adultes, l’ensemble de la troupe joue pour sa survie à la recherche de l’aliment qui se régénère dans un lien à la culture : à aucun moment, il n’est déconnecté de la nourriture intellectuelle (du savoir, de l’art, du jeu). Ce choix enchante parce qu’il relie en permanence le corps biologique au corps social, le citoyen à l’artiste. La cacahuète est le caillou du petit poucet ; la mandarine est une touche de peinture qui gicle sur la toile à moins qu’elle ne soit le nez du clown qu’on finit par avaler ;  le biscuit, une oeuvre d’art contemporain ;  le poulet est le corps du danseur écartelé par le mouvement. Mais ne nous y trompons pas : l’art, comme la nourriture, entraîne l’humain à utiliser toutes les ficelles du pouvoir et de la manipulation apprises très tôt tandis que les adultes, assurés par leurs savoirs, continuent leurs enfantillages « affamants » au service de stratégies « infamantes » qui réduisent la culture au divertissement.
Nous sommes donc au coeur d’une  oeuvre complexe, car ces « ogres » joyeux et roublards, déplacent les frontières en jouant des hiérarchies (entre ceux qui savent et ceux qui ont faim, ceux qui mangent et les ignorants). Ils tracent des nouveaux territoires où la recherche de la nourriture devient un art vital qui nécessite de se parler autrement, de dessiner les contours d’une autre éducation, plus seulement basée sur l’acquisition de savoirs descendants et de règles rigides qui paralysent la créativité.
Nos dix comédiens, tous engagés (mention particulière aux enfants, sidérants dont Luca d’Haussy) réussissent le pari un peu fou de jouer notre condition humaine à partir d’une question dont nous ne connaissons trop les réponses : pourquoi sommes-nous donc incompétents à résoudre la faim dans le monde ? Christiane Véricel s’amuse de nos faiblesses et de nos vanités, mais avec un regard profondément fraternel qui la conduit à nous nourrir plus qu’il n’en faut ! On aurait aimé quelques pauses pour digérer (juste un peu plus de liant et de respirations silencieuses!) mais le temps de l’urgence de l’artiste n’est pas celui du spectateur-citoyen.
Loin d’apporter ses réponses, elle provoque une turbulence qui fait de nous des ogres affamés, solidaires et joyeux. Le théâtre est infatigable à nous « rendre la tendresse humaine » (Louis Jouvet). Celle-là même qui nourrit son monde.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable »de Christiane Véricel a été joué du 26 au 31 mars à Oullins (69).
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PETITE ENFANCE

Théâtre jeune public: Poésie et réalité, deux mondes qui s’entrechoquent au Off.

L’entrepôt, lieu de la compagnie « Mises en scène » (Avignon), propose deux spectacles destinés au jeune public, opposés mais stimulants.

« La balle rouge et Quatuor » offre une vision toute en finesse des rapports amoureux. Théâtre d’objet, les formes géométriques en mousse incarnent les protagonistes d’une aventure amoureuse qui lie un homme, une femme et un enfant.

L’histoire (la rencontre, l’amour, la naissance de l’enfant, la séparation) invite un quatuor d’instruments à cordes pour un voyage poétique. Nos yeux émerveillés, de l’enfant redevenu, laissent ces objets nous envahir et leur donnent une fonction de parole. Puissance de la métaphore ! « La balle rouge et quatuor » est une ode à la poésie et aux échanges humains.


 Il en est autrement pour « une vendeuse d’allumettes », d’après H.C. Andersen.

Plongée dans un monde ultracontemporain, notre vendeuse d’allumettes prend les traits d’une sans domicile fixe. À la veille de Noël, elle erre dans une zone commerciale. Son campement,  perdu au milieu de nulle part, se résume à son frigo, ses sacs plastiques et ses oranges.

Parabole de notre société, « L’Escabelle-Cie théâtrale »(Lorraine), convie les enfants, et les adultes, à réfléchir sur la condition des hommes et femmes que nous croisons sur les trottoirs ou au détour d’une rue.  Notre vendeuse d’allumettes invente son monde pour faire face à l’absence de regard d’autrui. Elle revêt ses plus belles bottes faites de sacs plastiques Lidl,  s’invite au restaurant, cuit son sac qui prend des allures de poulet. Elle combat ses propres démons (la faim, le froid et l’exclusion dont elle est victime) en véritable héroïne de manga et voudrait juste que nous la regardions comme une petite fille.

Nous la regardons tous. Nous regardons ce que la société fait de nous. Nous regardons ses traits s’éteindrent peu à peu. La vendeuse d’allumettes tue le père Noël, avant qu’il ne la tue. Elle laisse mourir le symbole de l’hyper consommation avant de s’éteindre et nous laisse notre sentiment de culpabilité.

A mettre entre toutes les mains à partir de 8 ans.

Laurent Bourbousson. www.festivalier.net

La balle rouge, du 10 au 24 juillet, à 10h30.

Une vendeuse d’allumettes, du 10 au 19 juillet, à 12h30

1 ter boulevard Champfleury
84000 Avignon

Téléphone réservation
06 27 11 48 84

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PETITE ENFANCE

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“Ce spectacle dénonce beaucoup de choses, notamment la justice et la société dans laquelle on vit.”  

Manon Bourbousson

Comment est le Pinocchio de Pommerat? À cette question, je serais tenté d’écrire: noir, très noir. Tant pas sa mise en scène, que par le sujet abordé, nous sommes loin des images édulcorées que tout un chacun a en sa mémoire d’un Pinocchio sorti d’une célèbre firme américaine. Ce conte vieux de 127 ans de Collodi nous projette dans ce que l’on peut appeler le parcours initiatique de cette marionnette devenu enfant.

Joël Pommerat prend appui sur ce récit pour expliquer aux enfants – car n’oublions pas qu’il s’agit d’un spectacle jeune public – la difficulté de devenir un être bon. Sa réécriture fait de notre Pinocchio un enfant contemporain, avec ses propres codes, son propre langage, dénonçant les travers de notre société. Et ils sont nombreux. Invités par une sorte de Monsieur Loyal, issu des cabarets, nous sommes entraînés dans ce récit à une vitesse folle.

C’est par une succession de tableaux et de noirs que Pommerat décide de nous dévoiler sa vision de notre monde et la difficulté de garder le cap pour être une personne respectable et respectée. La solitude qui ronge l’être (Gepetto se construit un fils pour ne plus être seul), la pauvreté (Gepetto qui ne peut lui offrir à manger), la banalisation du langage violent (un Pinocchio que l’on aimerait corriger tant les paroles envers son père sont blessantes), la société de l’image (que peut-on penser de moi si je n’ai rien de neuf), le sexe (les enfants sont confrontés au monde sexuel quotidiennement : dans la rue par les devantures des presses, à la télévision, sur internet), la naïveté des enfants face aux adultes (« viens, suis-moi, je t’emmène dans un lieu où tu joueras tout le temps »), la course à l’argent, l’oisiveté et les loisirs pour ne pas penser et réfléchir, le rejet des racines familiales pour briller en société (“je ne suis pas pauvre“), le racisme (combattre l’autre pour sauver une identité), la justice punitive à l’excès et l’imbécillité de l’humain. L’ensemble de ces tableaux compose le monde capitaliste et égoïste dans lequel nous vivons.

Fort heureusement, la fée veille sur Pinocchio pour lui faire entendre que l’on ne peut être si l’on n’est rien, que se mentir à soi-même à une limite, celle d’être toujours rattrapé par ce que nous fuyons. Être, verbe indispensable dans notre langage, est la déclaration de ce Pinocchio quand il renaît et devient le petit garçon pensant, réfléchi et réaliste.

J’aimerais être un de ces enfants découvrant ce spectacle pour déjouer les pièges que l’on me tend, grâce à cette belle leçon humaine.

Laurent Bourbousson.

Pinocchio” de Joël Pommerat a été joué le 28 mai 2008 au Théâtre des Salins de Martigues.