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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

La danse révolutionnaire d’Hofesh Shechter.

Le Théâtre des Salins de Martigues est bondé. Adolescents, adultes et plus âgés, sont réunis pour et par la danse de l’Israélien Londonien Hofesh Shechter. Il nous présente ce soir deux propositions de trente minutes chacune. Je m’imagine dans une salle de concert tant elle est enfumée. Ce brouillard contribue à brouiller la vue pour mieux éclaircir notre vision sur cet espace où chacun pourra projeter une émotion, une image. Je suis tenté d’y percevoir l’atmosphère de guerre «larvée» qui mine tant de démocraties à l’heure des prémices d’un chaos planétaire.

Ce soir, tout semble reposer sur un équilibre précaire, à l’image de l’arrivée des sept danseurs, qui, face à nous, ne tiennent plus que sur une seule jambe. C’est par cette image saisissante qu’«Uprising» commence.

Je suis frappé par la profondeur de la scène : le contraste entre la fumée et l’espace la coupe en deux pour amplifier l’enchevêtrement entre l’ordre et le désordre, le climat de paix et la révolte urbaine, la conscience individuelle et l’inconscience groupale. Mais comment naissent ces groupes que nous voyons dans la rue? Comment émerge la révolte collective?  Sept jeunes hommes s’approprient le plateau pour l’obscurcir et nous éblouir. Hofesh Shechter nous offre sa lecture : la révolte est une danse. Elle se structure à partir d’apparitions et de disparitions où, telles des sauterelles, les corps furtifs véhiculent la vie et la mort, les valeurs du renouveau et le déclin mortifère. À première vue, rien ne change alors que tout se prépare…

Hofesh Shechter ne cesse de jouer sur le contraste entre la forme groupale et ce qui la structure (à savoir le processus d’individuation qui voit la personnalité individuelle se distinguer de la psychologie collective). L’énergie de sa danse est à chercher dans toutes les oppositions qu’il relie. Ainsi le tête-à-tête amical se conflictualise pour finalement se fondre dans le groupe à l’unisson porteur de valeurs. Le corps social se forme parce qu’il exclut ceux qui n’y trouvent pas leur place. Ici, pieds et mains sont liés pour créer la virtuosité d’un groupe qui puise ses mouvements dans un rapport au sol particulier: l’expression «ne pas toucher terre» trouve ici une illustration remarquable.

Puis vient le moment où l’espace s’élargit jusqu’aux coulisses du plateau: l’envers du décor est un désordre bien agencé. Il symbolise le cadre idéologique du groupe qui l’autorise à toutes les manoeuvres, à toutes les stratégies pour enrôler, encercler, terrasser et finir en apothéose,  drapeau rouge sang dressé en étendard. À cet instant prévis, Hofesh Shechter nous offre une danse picturale que j’accroche sur tous les murs où tombèrent ceux qui n’en sont pas revenus.

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Après une pause réparatrice, débute «The Art of not looking back». L’oeuvre réunit six danseuses. Le décor de couleur blanche est beaucoup plus neutre, plus resserré. Tout commence par un cri (celui de la naissance, de la douleur, de la tristesse, du dernier souffle) . L’image de «L’origine du monde» de Gustave Courbet me traverse. Pourquoi? Quel tour me joue l’inconscient? Précisément, cette chorégraphie est l’espace du vide créateur pour celui qui la regarde, un dialogue permanent entre  perception et projection, entre attente du spectateur et action du chorégraphe. Si bien que peu à peu, je vois parce que je ne vois plus.

Ces femmes me plongent dans un espace intrapsychique qui s’approche d’un état hypnotique où je retrouve les sensations du ventre maternel, où je projette mon expulsion lors de la naissance, où je ressens le deuil éprouvé, digéré, mais toujours en moi de celle qui n’est plus. Alors qu’elles désertent le plateau pendant quelques secondes interminables, je ne suis plus là. Ailleurs. Il faut le retour des danseurs d’Uprising pour me sentir à nouveau au théâtre.

Tel un cadeau offert au public, ces femmes et ces hommes donnent naissance à la danse du féminin dans le masculin pour une humanité en devenir.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Hofesh Shechter sur le Tadorne: À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

«Uprising»  et « The Art of not looking back » d’ Hofesh Shechter au Théatre des Salins de Martigues le 29 novembre 2011.

Tournée:

Du 7 au 10 février 2012 à Sète.

Du 14 au 29 février 2012 au Théâtre des Abesses à Paris.

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Elles sont onze, elles sont cent, elles sont mille, elles sont une, pour faire gronder la terre depuis le tréfonds des ventres et faire advenir la musique. Il est un et les invite à tonner. Elles se nomment Marie-Laure, Marianne, Karine, Carole, Capucine, Soleil, Isabelle, Clémentine, Aurélie, Stéphanie, Sandra…Elles portent, ensemble et seules, le nom de toutes les femmes qui ont traversé l’H/histoire et  fondent là, une à une, pour toutes, le chant d’une humanité en marche.

Sur une écriture au cordeau, Olivier Dubois magnifie la beauté «simple» du geste ; il emporte le cri frondeur d’une révolution au-delà de nos êtres océans pour l’ancrer au sol d’un être-ensemble, racine de nos singularités. Il joue, pour cela, de nos épidermes et de nos carcans ; si nous ne lâchons pas prise, cette révolution nous laisse sur le bord du chemin. Mais, si nous acceptons le sentier de cette humble «humanitude» en marche, tout est juste, au millimètre près, dans cette invitation à ne jamais lâcher nos utopies; même si ça nous “gratouille”. Mille et une images alors s’éveillent, des flots de sensations s’ouvrent et, l’histoire, les histoires, de nos «héroïsmes» aimés et/ou oubliés, nous rattrape(nt) sur le parcours. Combien d’amour(s) avons-nous laissé, blessé, en «oubliant» de marcher ensemble quand bien même différents ?

Au début du chemin, ces onze femmes nous éblouissent par leur «professionnalisme»; tous les gestes sont parfaits, rien ne dépasse, une technique irréprochable. Mais,une des grandes «beautés» de cette proposition réside dans sa durée…deux heures. Les gestes, par l’épuisement, la tension, vont s’estomper, se troubler, se personnifier pour mieux se singulariser. Elles sont une et elles sont onze fois une, pour faire cet ensemble. Elles fondent chacune la force d’un advenir où toutes seront. Celle qui tombe trouve la fougue de se relever dans/avec/pour l’énergie des autres. Celle qui «s’estompe» réinvente la différence. Celle qui «trouble» un geste invente un concile d’amour.

Avec ce «Révolution», Olivier Dubois poursuit le son du cri d’être; il se fait à nouveau «Faune(s)(1)» de nos «en-droits» et beau trublion gratteur de nos «écorchitudes». Les pas ouverts à ces femmes de chemin grondent d’une humanité à emprunter, quoi que puissent en dire les épidermes bottés.

«Rêve-évolution» : Ils, Elles, Ils/Elles, Ils sous une aile ou Elles sur une île? «Pour tout l’or du monde»(2)?Marchons!

Et, «dé-balisés», nous ouvrirons, peut-être, les serrures de nos hier/aujourd’hui corsetés. 

Bernard Gaurier, Le Tadorne

(1) en référence au spectacle “Faunes” d’Olivier Dubois joué au Festival d’Avignon en 2008.

(2) en référence au spectacle “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois joué au Festival d’Avignon en 2006.

« Révolution » de Olivier Dubois ? Festival Mettre en Scène à Rennes du 11 au 13 novembre

 

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LA MUSIQUE EST DANSE LE GROUPE EN DANSE

« Poetry » de Maud Le Pladec : en corps sonores, nos traces enfances font «Rock».

Assis, dos à nous, ils semblent contenir, sagement, le bouillonnement qui les lancerait volontiers vers l’homme qui fait musique, assis, lui, face à nous. 

Ils m’apparaissent comme deux enfants, face à une boite à image, comme “robotiques”, bien sages, qui tenteraient de jouer avec les limites d’un «autorisé» pour pouvoir, malgré tout, lancer leur corps dans la «pagaille» qu’ouvre en eux le son. Ils sont comme des «petits» qui doseraient leur bouillonnement pour ne pas risquer de se faire «arrêter» par des adultes trop normés qui auraient «oubliés» les «pulsions, pulsations» des accents rock que porte le corps. 
Ils jouent comme à «Un, deux, trois, soleil» au rythme saccadé des notes qui habitent et habillent leurs gestes, ils entrent dans la musique comme à leurs corps défendus…«Let the sun shine?» 
Jouer, pour explorer les bornes d’être en vie…
Bouge, bouge. Encore, encore. Arrête, arrête. Non…Non ! Stop. 
Ils se lèvent, rangent les chaises et le son prend l’espace pour s’immiscer partout. L’homme musique se fond avec eux en une offrande tribale aux sonorités incorporées. 
Donne le son, donne le son….Donne le corps, donne le corps…
Ils sont complices et ils ne le sont pas ; ils sont proches et ils ne le sont pas, ils sont ensemble, simplement ensemble à jouer en partage la traversée d’un son. 
Leur être des jeux d’enfance retrouve vie par la musique et le son prend racine dans les traces enfantines, les notes relient. Ils s’offrent complices à la partition et s’autorisent, en mouvements libérés, le droit à un endroit de corps en espace vibratoire, singulièrement singulier et pourtant si proche et partagé…
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Un…
Y’a une guitare. Je m’y colle.
Deux…
C’est mon corps. Et ce n’est pas mon corps.
Trois…
Do, ré, mi, fa, sol, la, si? do? Tournent nos rondes enfantines, et viendront s’y poser les oiseaux? 
Soleil !
Au final, une «poéterie» pour un et un qui ferait trois. May be? En corps sonores?
Pour le geste, pour le son, pour les mots, pour le tout, pour le reste…
Moove it again, Professor, and good trip.
«We will, we will, rock you”, Comme une «toune qui groove».
Bernard Gaurier, Le Tadorne
« Poetry » de Maud Le Pladec, Festival Mettre en Scène à Rennes du 3 au 5 novembre
Tournée : TU Nantes le 23/01/12
Ne pas manquer sa première pièce « Professor » 15/05/12 Friche Belle de Mai Marseille
Le diptyque « Professor » + « Poetry » Nouveau Théatre Montreuil Décembre 2012.
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HIVERNALES D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Ne me jette pas.

Il arrive parfois que la danse contemporaine nous tende un miroir à mille facettes. Où en sommes-nous? N’avez-vous rien remarqué autour de vous? Mais où suis-je?
Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb a une sensibilité bien particulière pour restituer sur un plateau «ce que nous sommes», titre de sa dernière création.
Ils sont cinq dont une qui n’a pas tout à fait l’allure d’une danseuse (magnifique Alice Daquet, alias Sir Alice): de sa robe moulante transparaît de jolies formes (incarnerait-elle Radhouane?). Elle est le «corps social» et porte les stigmates de l’abandon. Elle a cette colère froide, de ceux qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose à perdre. Elle observe souvent, se mêle au groupe sans y être. Elle est le «politique» au sein d’un collectif qui ne sait plus comment s’y prendre pour lutter contre la solitude des individus.

Par un subtil jeu de lumières, ils se dévoilent peu à peu. Deux hommes (troublants Olivier Balzarini et Christian Ben Aïm) et une jeune femme  (puissante Anne Foucher), élégamment habillés s’entremêlent tandis qu’une autre, à l’allure fougueuse (étrange Margot Dorléans), (se) cherche. La scénographie d’Anne Tolleter (collaboratrice de Mathilde Monnier) fait encore des miracles: à l’image de la bordure d’un tableau, elle a posé des gravillons noirs et argentés tout autour de la scène. À tour de rôle, ils marchent sur cette étroite bande dont le bruit produit le frisson à l’arrivée de celui que l’on attendait plus, à moins que ce ne soit le son de la relation…À ce tableau, il faut ajouter la musique de Sir Alice: tout aussi profonde que la danse de  Radhouane El Meddeb, elle nous enveloppe et nous donne l’énergie de ne pas lâcher un seul mouvement. Voudrait-elle nous inclure? Et si nous étions le sixième acteur de ce huit clos ?

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Peu à peu, du repli sur soi, enfermé dans leur bulle virtuelle (qui finit par rendre fou), chacun marche en préférant la diagonale pour tisser la toile. Une tête se pose sur le corps de l’autre tandis que des gestes de rien du tout créent la relation de confiance. On se porte, on se supporte. Il y a peu d’envolées, mais que l’on ne s’y trompe pas: les craintes et les désirs s’entrechoquent en silence. Que ces fils paraissent fragiles!  Ces gestes lents créent la partition d’une étonnante chorégraphie poétique où la personne incarne le «tous». C’est puissant parce que nous sommes toujours à ces deux niveaux en même temps: l’individu et le groupe.
Lentement, les corps se répondent, le collectif prend du relief. Tout un paysage relationnel se dévoile: aux sons des gravillons, se superposent le bruit des baisers et des bisous. La créativité de chacun s’exprime dans un cadre sécurisant, l’érotisme s’approche et le désir amoureux fourbit ses armes. Comment  façonner l’autre à notre image? Est-ce l’autre que nous chérissons? N’est-ce pas plutôt la relation (névrotique si possible) que nous cherchons?
C’est à ce moment précis que le groupe bascule dans une violence inouïe. Alors que nos connaissances sur la psychologie n’ont plus rien à avoir avec ce que savaient nos parents, nous semblons les utiliser pour «jeter» l’autre comme une marchandise. Le corps intime et le corps social se fondent peu à peu dans le consumérisme le plus abject où leur marchandisation côtoie le principe de précaution qui voit dans «l’autre» une possible menace. Radhouane El Meddeb dévoile ici son impuissance à se représenter une issue à cette violence née de nos solitudes contemporaines et de notre incapacité à repenser le collectif en dehors des dogmes qui l’ont jadis structuré. Car aujourd’hui, c’est bien  le corps jeté (les suicidés de France Telecom, le corps immolé en Tunisie et ailleurs) qui ouvre la voie à «notre» reconstruction.
Le corps est une bombe. Radhouane El Meddeb est un démineur en Fa Majeur.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ce que nous sommes » par Radhouane El Meddeb le 25 février 2011 dans le cadre du festival « Les Hivernales».
Crédit photo: Agathe Poupeney.
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La danse des partisans.

Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l’Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom” l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car “Tout va bien” évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d’un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d’Avignon, lors de scènes inoubliables.
Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage
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A Marseille, nos rêves dansants?

«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’oeuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l’artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l’oeil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font oeuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d’accès à un art qui fait lien, quoiqu’on en dise…

Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente  immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale…jusqu’à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier…À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »…

À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J’imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J’imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d’autant plus qu’Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d’oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s’enchevêtrent. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu’Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d’une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N’est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu. 

Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d’échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.

À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J’aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.

Parce que c’est politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net

«While we were holding it together » d’ Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.

Crédit photo: Yi-Chun Wu.

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A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre ?

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans “Political Mother” d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans “ Mefisto for ever“. Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries “End of de world”, dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans “The Show must go on”,  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de “Riverdance”.

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C’est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu’un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans “la crise de la culture” : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de “Political Mother” avec la certitude d’avoir vu un chef d’oeuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec “Potical Mother” ça fait froid dans le dos.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

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À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

 C’est mon premier rendez-vous avec la Biennale de la Danse de Lyon. J’ai le trac pour cette rencontre inédite avec le chorégraphe Israëlien Hofesh Shechter. À 20h30, il présentera «Political Mother». Mais à 19h, je suis inscrit à un «échauffement du spectateur» animé par Anne Décoret-Ahia, anthropologue de la danse et coach. En s’inspirant du propos et du langage d’Hofesh Shechter, elle propose différents jeux d’étirements, d’occupation de l’espace, de rencontre avec l’autre et d’écoute du corps. Elle souhaite un travail sur «la résonance» avec l’oeuvre de ce chorégraphe. Ainsi, pendant une heure, je suis en interaction corporelle avec de parfaits inconnus qui semblent familiers  avec ce type d’exercice.

Aucun processus de socialisation n’est travaillé: pas de présentation (ni de l’intervenante, ni des spectateurs) et l’on nous met dans les bras de quelqu’un sans que nous contestions la brutalité du processus! Je me fonds dans le groupe anonyme à l’image de tant de salariés qui doivent fusionner et faire corps avec l’entreprise lors de séminaires pour produire des normes managériales efficaces. Je reconnaîtrais sur scène quelques mouvements expérimentés au cours de “l’échauffement”. Mais «la résonance» a des ressorts psychologiques qui ne peuvent se réduire à  une «expérience» en atelier qui mobilise nos capacités d’apprentissage et de mémorisation. À 20h, plus qu’échauffé, je suis épuisé et je m’interroge : entre le temps de la scène et le contexte du spectateur, quel espace médian peut-on créer pour libérer une parole autour de la danse et la métamorphoser en acte créatif ? Comment articuler parole singulière et structure sociale normalisatrice? Je ne me doute pas encore que ce seront des sujets abordés par Hofesh Schechter…

La salle de l’Auditorium est enfumée comme après un séisme. «Political Mother» est un «spectacle» de danse au coeur de la société du divertissement : pour dénoncer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir, Hofesh Shechter crée une forme spectaculaire (dix danseurs, quatre bassistes à l’étage, quatre batteurs en bas) où il articule danse groupale, musiques rock, militaire et classique. Spectateur «conditionné», je dois accueillir cette oeuvre qui utilise les ressorts du grand spectacle (et donc du pouvoir sur les masses), ceux-là mêmes qui nous empêchent de nous émanciper des formes abrutissantes, de nous recentrer sur le sens.

Ce sont donc les faiblesses de «Political Mother» qui permettent de s’affranchir du «spectaculaire» : un langage chorégraphique plutôt minimaliste, mais sensible (succession de gestes incantatoires dansés sur la pointe des pieds pris dans le tourbillon de l’enrôlement groupal), des danseurs qui «théâtralisent» leur danse au lieu de la «performer», une mise en scène qui crée le vertige du pouvoir tout en humanisant ce qui par le bas le fragilise. Hofesh Shechter danse l’embrigadement sur scène, mais se garde bien de nous enrôler, tout juste mobilise-t-il notre imaginaire chorégraphique, musical et théâtral pour  repérer les formes utilisées par le pouvoir pour nous asservir.

Oeuvre profondément pédagogique sur les processus de domination à l’intérieur d’un groupe, vis-à-vis du chef ou de toute autorité verticale, elle est aussi à l’égard de la danse contemporaine. Il nous démontre qu’elle est aujourd’hui au croisement des langages (musical, théâtral, plastique), qu’elle peut ouvrir les codes de la narration pour laisser place à nos interprétations, qu’elle peut créer du silence en transformant la lumière en poussière, en «nuit et brouillard». Mais surtout, il s’appuie sur le spectaculaire (et le langage publicitaire qui l’accompagne) pour y puiser l’énergie de la résistance, pour donner la force à l’art chorégraphique de s’émanciper des pouvoirs autoritaires.

Plus globalement, «Polical Mother» nous rappelle que le corps est politique : loin de le statufier sous le poids des contraintes d’une Histoire qui nous échapperait, il nous invite au rassemblement.
C’est ainsi que le spectateur s’échauffe, prêt à défiler.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Political Mother” par la Hofesh Shechter Company à la Biennale de la danse de Lyon les 10,11 et 12 septembre 2010.
Crédit photo : Ben Rudick.
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Avec Anne Teresa de Keersmaeker, nous sommes entrés dans la nuit…

Sylvain Pack et moi-même avons vu « En atendant » d’Anne Teresa de Keersmaeker. Nous avons écrit chacun de notre côté. Tentative d’articulation avant lâcher-prise !

20h30 précise, le Cloître des Célestins se remplit peu à peu. La chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker et son équipe longent la scène pour s’asseoir dans les gradins. Du groupe,  une femme tient un calepin entre ces mains. Ce sera la partition. Il n’y a aucun décor, au centre, un large rectangle de sol damé. Quelques pierres affleurent à la surface. Sous les deux arbres, des feuilles épars comme si l’automne nous revenait en plein mois de juillet. L’odeur nous caressera.

Il y a un petit banc au bois usé, fragile, posé contre la force d’un arbre. Ce sera délicat et déterminé.

Il n’y a pas de projecteur. La lumière sera poésie et notre regard éclairera.

Il fait encore jour lorsqu’un joueur de flûte traversière se met en avant et nous interprète, d’une seule traite, toute la gamme de son instrument, utilisant le souffle continu jusqu’à son apogée et son éreintement. Le ton est lancé. Le corps sera musical. De son souffle, naîtra une partition chorégraphique.

Ils arrivent, quatre hommes, quatre femmes. Du dépouillement scénique, il ne reste que ce savant équilibre des sexes et leur vêtement de toile et de jean : ce sera un mélange des «genres» d’où la peau se libérera.

En atendant“, la pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, commandé pour ce 64e Festival d’Avignon nous  coupera le souffle.  Lors de cette création, tous mes a priori partiront en fumée. Le maniérisme, voire une certaine suffisance, qui semblaient parfois poindre dans la maestria chorégraphique d’Anne Teresa de Keersmaeker, n’étaient peut-être alors que les effets d’une rigueur de recherche sans compromis. Chacun des interprètes teste le sol, apprend à marcher, seul ou ensemble, mais déjà nous sommes avec eux. Car la terre, est notre patrimoine commun. Nous la foulons tous. Voilà que la danse met en musique la terre promise, matière pour sculpter le groupe.

…Sylvain,  les spectateurs du Cloître sont derrière vous. Avec le pied à terre, nous battons la mesure de vos mots…C’est à vous…

Tous les spectateurs sont aussi silencieux que l’espace, attentifs au son des pas et des premiers signes invisibles qu’ils tracent au sol. Le regard des danseurs s’inspecte, s’invite, se jauge. Aller. Retour. Le pneuma, mot grec désignant le souffle et, pour le monde médiéval, l’esprit, bat la mesure. Accompagnés par des chants qu’on entendait au XIVe siècle à Avignon même, les corps s’enhardissent dans des combinaisons toujours plus subtiles. L’Ars Subtilior, ce courant de la musique polyphonique se fond lentement à la danse, qui cache et rend si mystérieuse sa fabrication, qui superpose ses rythmes et complexifie toujours plus ses intentions.

Enfin, dans ce raga du soir, le soleil dépose ses dernières couleurs sur des tableaux inoubliables, corps groupaux enchevêtrés et illuminés par l’engagement de leur contact. Chutes du jour, chutes des époques. Les ressources et le don des interprètes m’animent, guident mon esprit et mon regard. Je me penche et me retourne pour ne rien rater, mais déjà la machine infernale d’Anne Teresa de Keersmaker est enclenchée. Et si je regarde un des corps se suspendre dans le temps et danser de l’intérieur, je ressens tous les autres qui font lien. Un autre mord la poussière à nos pieds. Un autre jouit et s’élance pour le simple et grand bonheur d’être animé.  Étrange sentiment lorsque l’objectivité nous quitte, que la raison s’éloigne et que tout autour devient monde sensible.

Nous enlevons nos armures et la moindre oscillation de note, le moindre détail, un échange de costume, de la terre collée au front, deviennent une affaire personnelle. On s’occupe de nous, on nous coupe de toute pensée et la beauté, surprenante donne, notion méfiée, prend le relais de nos paroles, emballe notre coeur, embue nos yeux. La nuit tombe sur le cloître. L’acuité des spectateurs est mise à l’épreuve, l’attention décuplée. Maintenant peut commencer l’émerveillement.

La transe ultramillimétrée d’Anne Teresa de Keersmaker me saisit et me perd. Je me sens plus humain, très concerné. L’offrande devient manifeste. Le plus jeune s’étend et donne au public la chair de son torse dans la pénombre grandissante de la cour. Il se relève et précise son geste, enlève sa culotte et s’allonge de nouveau dans la même position, une main cachant son visage. Mark Lorimer et Cynthia Loemij, poètes athlètes et fidèles danseurs de Rosas, décuplent de grâce, arpentent et font résonner tout l’espace de leur pieds nus. Nous sommes entrés dans la nuit, je navigue dans l’inconscience. Un danseur nu se jette au milieu et semble danser infiniment, pour la dernière fois, un corps blanc, dessiné par la nuit, unique lumière dans l’espace d’un monde assombri. J’entends derrière moi une personne qui ne peut retenir son émotion. Le spectacle s’arrête. J’essaie de reprendre contrôle, de revenir à mon siège. Je reprends souffle difficilement alors que les rappels et les hourras fusent déjà. L’émotion est partout. Sylvain Pack.

En quittant le théâtre, je marche sur le bitume. J’ai eu ma terre promise. Je ne sais plus où je vais.
Je ne sais plus rien de la danse.
Juste qu’elle est théâtre.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“En attendant” d’Anne Teresa de Keersmaker au Festival d’Avignon du 9 au 16 juillet 2010.

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LA MUSIQUE EST DANSE LE GROUPE EN DANSE Vidéos

Au Festival de Marseille, la danse K.O. debout.

C’est le premier rendez-vous de la 15ème édition du Festival des Arts Multiples de Marseille dans ce lieu symbolique, la Salle Vallier, si bien imagé par Apolline Quintrand , la directrice: “Dédiée à la boxe, au sport, aux combats politiques, temple des grands concerts rock/pop et de la danse dans les années 80, la Salle Vallier affiche deux messages, l’un venu du ring: se relever très vite quand on tombe, le second inhérent à la scène : transformer en de nouvelles arborescences des contraintes à répétition”. Je découvre le cadre et l’ambiance plutôt conviviale, à l’image des théâtres bruxellois pendant le KunstenFestivalDesArts. Cette atmosphère n’est pas sans influence sur le spectateur, prêt à entrer en résonance avec la danse, en confiance, avec ces danseurs “fous” et ces chorégraphes qui jouent de nos imaginaires.

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Ce soir, c’est la Canadienne Ginette Laurin qui, avec “La vie qui bat”, affronte sa première rencontre avec le public marseillais! Neuf danseurs et pas moins de douze chanteurs et musiciens de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée pour jouer en continu la partition répétitive et envoûtante de Steve Reich. La métaphore du ring s’avère alors passionnante: comment la musique se laisse-t-elle explorer pour vivre sa métamorphose tandis qu’un chef d’orchestre et qu’un chorégraphe mouvemente?

Les voilà qui arrivent pas à pas, de derrière de grandes lamelles en plastique (les coulisses seraient-elles l’entrepôt de notre société de consommation?) avec leurs cheveux rouges et roux qui créent la filiation, leurs vêtements gris et chauds qui les étouffent en ce mois de juin et leurs chaussures noires qui les plombent au sol. À première vue, ils ne paraissent pas très légers, alourdis par le poids d’une charge, en total décalage avec un tempo africain inspiré par l’expérience de Reich au Ghana.

Le combat peut commencer. Sans qu’elle n’épouse la musique, la danse va l’explorer en convoquant la poésie, omniprésente, pour créer tout à la fois le désordre et la précision. En détachant parfois un danseur du groupe, Ginette Laurin nous offre l’opportunité d’entrer seul dans la musique, pour isoler certaines notes et ressentir  autrement le mouvement dansé. Le groupe peut continuer en fond de scène, il ne nous perd pas. Entre Reich et Laurin, il y a  comme du coton afin que les corps ne se fracassent pas sur ce tempo endiablé et ensorcelant. Les chaussures amortissent les sons et évitent que les mouvements partent en “live”. Le temps de l’écoute s’installe peu à peu pour que le corps du spectateur soit en éveil permanent tout en lui offrant des espaces pour contempler sans scruter.

Progressivement, la danse nous aide à poser notre regard sur le mouvement là où il nous est imposé, tant de fois ailleurs. Elle s’ouvre même au langage des signes, à la danse classique, à des cadences du corps social qui amplifient le son (sens) de la poésie.  Ici, les duos explorent le lien sans tomber dans la fusion, le groupe danse le lâcher-prise sans se laisser aller. Ensemble, ils prolongent la musique: ça porte et ça vous déporte! On finit par être impressionné par cette danse de l’amorti alors que la musique intensifie le chaos, que la lumière accompagne plus qu’elle n’éclaire un espace profondément habité.

Alors que le groupe contient la musique pour nous la restituer moins répétitive, nous voilà emportés par cette danse de l’égarement. Tandis que la fin approche, je me sens plongé dans un liquide amniotique et rêve de les voir nus, débarrassés de leurs déguisements, pour que le corps musical me déplace. Au loin.

K.O couché.

Pascal Bély  – www.festivalier.net

“La vie qui bat” de Ginette Laurin a été jouée les 17 et 18 juin 2010 dans le cadre du Festival de Danse et des Arts Multiples de Marseille.

Crédit photo: © Guy Borremans.