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Mai 2005- Mai 2010, le Tadorne a cinq ans : et avec les théâtres, cela se passe comment ?

 À sa (re)naissance en 2005, le spectateur Tadorne se cache. Il se protège avec un pseudo, écrit ce qu’il aime et surtout ce qu’il n’aime pas. Cela commence à faire du bruit surtout qu’il ne fait pas toujours dans la nuance. Le Tadorne se met en colère dès qu’on lui impose une parole ou qu’on la lui enlève. Autant dire que dans les années 2005 et 2006, l’accueil au sein des théâtres n’est pas particulièrement chaleureux. Les attachés de presse ne savent plus où le caser et les chargés des relations avec le public sont soient distants, soit amicaux comme s’il incarnait une synthèse, un idéal de spectateur ou un cauchemar.

Acteur de l’internet, le Tadorne cherche comment s’articuler aux intimidantes institutions culturelles. Il se nourrit des processus à partir de la  scène, l’environnement étant beaucoup plus procédurier (billetterie, abonnement, calendrier souvent calé sur les vacances scolaires). Il croule sous l’information (plaquette, newsletter, réseau social, …), mais on ne communique plus avec lui sauf à lui parler derrière une banque ou lui déchirer son billet. Il n’est ni un « public éloigné », ni un professionnel de la culture. Il est donc noyé dans la « masse ». En 2010, quand il entre dans les théâtres, on vient plus facilement vers lui, mais il n’est pas inclus dans le projet. Alors que l’on évoque l’«émancipation» du spectateur lors de colloques ou dans des livres, que notre « citoyenneté » est interpellée à coup d’éditoriaux enflammés des programmateurs, les institutions culturelles restent majoritairement fermées à la démocratie participative.

Pourtant, le Tadorne a tenté quelques expériences. Avec « le blogueur sort de la toile » pour le Festival Faits d’Hiver  à Paris, il est allé à la rencontre des spectateurs avant et après les représentations. Ce fut enrichissant même s’il n’y a jamais eu de retour de la part de l’équipe, car non incluse dans le projet. En 2009, avec le festival « Mens Alors ! », il est missionné pour créer un espace critique participatif avec les spectateurs. Mais sans articulation avec l’équipe et la programmation, le Tadorne s’est senti bien seul sur son banc. En 2009, les Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence l’invitent à leur Conseil d’Administration pour avoir son regard de spectateur éclairé sur la programmation. Aucune suite. Le Tadorne n’est pas soluble dans les instances « démocratiques » des associations.

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Restent trois expériences stimulantes. La première avec le Théâtre des Salins de Martigues. Sa directrice, Annette Breuil, aime bien le Tadorne. Parce qu’il est un peu chez elle et qu’elle vit avec lui des moments de dialogue sincères et vifs sur ses choix artistiques! Elle a répondu au désir du Tadorne d’animer des débats entre spectateurs, professionnels et artistes. « Y’a des Ho ! Y’a débat  » est né, avec l’engagement de toute une équipe qui voit là l’opportunité d’ouvrir ses liens avec le public. Encore expérimental, le dispositif est reconduit pour la saison 2010- 2011 car il faut permettre à l’équipe de se positionner à partir des processus horizontaux sans pression, ni objectifs de résultats.

La deuxième expérience est avec « Les bancs Publics », lieu d’expérimentations cultuelles à Marseille. Le lien de confiance s’est instauré avec les deux fondateurs (Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez). Il y a une reconnaissance mutuelle de nos processus de recherche. Ils ont intégré le Tadorne dans le comité de rédaction de leur revue « Esprit de Babel ». Un premier article est publié, d’autres suivront (peut-être à partir d’ateliers d’écritures participatifs …)

La troisième est avec le réseau des professionnels des relations publiques du Languedoc Roussillon. Alexandra Piaumier du festival « Uzès Danse » m’a invité à animer avec elle en avril 2010, un atelier sur la question de l’« horizontalité, communication globale, web 2.0 » (le compte-rendu est ici). Un réseau était donc à l’écoute d’un spectateur né du réseau (et inversement !). C’était le niveau pertinent pour aborder la communication à partir des valeurs (et non de l’outil d’information), pour croiser les expériences autour du lien. Cette écoute était fluide parce qu’elle s’inscrivait dans un espace suffisamment maillé par des processus (mise à distance, remise en question, interrogation transversales, …).

Finalement, est-ce possible d’articuler le positionnement du spectateur Tadorne avec les institutions ? Cela nécessite une équipe de professionnels structurée par des valeurs autour d’une représentation collective du lien envers le spectateur. Il faut en même temps une mise en réseau des publics à partir de projets participatifs artistiques ou d’espaces ouverts de rencontres avec les professionnels (non pas pour échanger seulement sur la programmation, mais pour communiquer sur le lien que nous avons tous avec elle et l’environnement qui l’entoure). Cela implique de mettre sur un pied d’égalité la programmation avec les processus qui l’accompagnent : médiation, expériences participatives, projet d’accueil de l’équipe. Il s’agir de substituer à la liste descendante du générique d’un film,  la vision dynamique de sa production ! Mais cela suppose de passer d’un régime de médiation hiérarchisée à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie, à l’articulation de la culture et du lien social !

C’est ainsi que l’on offrira au spectateur, non pas l’image d’un territoire morcelé née de la spécialisation des institutions culturelles, mais une vision des chemins de traverse produits par les réseaux. Le spectateur Tadorne à besoin d’une toile pour opérer ses mues et ses migrations, de portes et de ponts. Il veut bien d’un puzzle  mais inclus dans un vitrail qui, tout en étant protecteur, laisse passer la lumière, réchauffe et cloisonne si c’est seulement pour souder un nouveau contrat social entre spectateurs, artistes et professionnels.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

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Mai 2005-Mai 2010, « www.festivalier.net » a cinq ans : Êtes-vous un «spectateur Tadorne»?

«www.festivalier.net » est l’adresse de ce blog. En mai 2005, j’envisage d’écrire exclusivement à partir de la programmation des festivals de Marseille, d’Avignon et d’Aix en Provence (« Danse à Aix »). Mon positionnement est celui d’un « spectateur festivalier », appellation peu engageante et qui s’inscrit dans un temps bien défini. « Tadorne » sera le nom du blog et rares sont ceux qui le retiennent encore aujourd’hui ! À l’époque, j’ignore que cette métaphore me guidera bien au-delà festivals…

Petit rappel.

Le Tadorne est un grand canard (clin d’oeil aux journalistes qui ont vu pendant longtemps le blogueur comme une menace), c’est-à-dire une espèce protégée. Sa particularité « c’est qu’au cours du mois de juillet, il effectue une migration de mue qui regroupe des adultes nicheurs et des non-reproducteurs. Ces regroupements réunissent sur les bancs de sable plusieurs dizaines de milliers d’individus qui, une fois la mue terminée, regagnent leurs pays d’origine. Les tadornes ont des moeurs à la fois diurnes et nocturnes et sont très sociables ». Je suis donc un Tadorne ; les théâtres sont mes bancs de sable et mes déplacements, mes mues régulières. Au coeur de cette métaphore, c’est tout un lien à la culture, et particulièrement au spectacle vivant, que je mets en mouvement.

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Cinq années plus tard, le Tadorne est une « espèce de spectateur » où le lien à la culture lui permet de décloisonner  vie privée et vie professionnelle, d’assumer un statut hybride entre homme et oiseau, spectateur engagé et blogueur à distance. Il est « et » avant d’être « ou ».


Si l’art crée du lien, le Tadorne pense que tout se relie à l’art. Il ne peut donc plus être consommateur, mais créateur des reliances entre l’oeuvre, le contexte sociétal et l’évolution des paradigmes. L’extrait d’une interview de Bernard Stiegler dans la Revue Mouvement l’y encourage «Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au coeur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. » (à partir de 2’31, Stiegler ne parle-t-il pas du Tadorne?)

Le Tadorne veut donc appartenir au « véritable public ». Il met en place les conditions de son émancipation pour n’entrer dans aucune « case ». Qu’importe qu’il ne comprenne pas tout, l’important c’est qu’il soit touché, qu’il puise dans son ressenti les ressources pour explorer son imaginaire. Le Tadorne s’éloigne des formes classiques de la critique à partir d’analyses inscrites dans un cheminement. Aux regards binaires sur les oeuvres, il préfère des approches engagées où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent. Le Tadorne tente des bilans (souvent à partir des festivals), des mises en résonance, des prolongements, des traversées loin des thèmes imposés dans les programmations. Il se pose localement (Aix-Marseille) mais ressent le besoin de « migrer » sur d’autres territoires (l’art contemporain au Printemps de Septembre à Toulouse ou à Munster, les spectacles petite enfance à Reims, le cirque,…) pour créer ses chemins de traverse (jongler n’est-ce pas danser ?). C’est d’ailleurs son regard sur la danse qui lui permet d’approcher les oeuvres à partir de leur dynamique : toute mise en scène est un langage des corps. C’est par la danse qu’il questionne la communication pour se mettre en mouvement. C’est de la danse qu’il puise le désir d’entrer dans des processus participatifs avec les artistes et les institutions pour s’éloigner de posture statique du « spectateur-consommateur ».

Le Tadorne milite pour une politique culturelle globale, au croisement du social, de l’accueil de l’enfant et de sa famille, de l’économique et du développement durable pour un nouveau contrat social entre artistes, citoyen et institutions pour en finir avec les prises de pouvoir de quelques-uns au profit d’articulations créatives. Il préconise une plus grande ouverture des structures culturelles vers le spectateur et son environnement afin de substituer aux logiques « industrielles » de remplissage des salles, une approche globale de la communication. Le réseau plutôt que les cases, car le Tadorne pense que l’art peut nous aider à libérer la créativité, ressource indispensable pour affronter les défis d’un monde globalisé.

L’enjeu est de permettre au Tadorne de « nidifier » et à l’ensemble de la société d’accueillir la culture comme moteur de son développement. Cela suppose des programmations qui « énoncent » plutôt que d’enfermer notre lien à l’art dans un « prêt à penser » sous prétexte de dénoncer.

Le Tadorne est une espèce protégée.

C’est un drôle d’oiseau. 

Pascal Bély- www.festivalier.net

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Mai 2005-Mai 2010, le Tadorne a cinq ans : aux origines…

Il y a mon enfance. Fils d’ouvriers, la culture ne vient pas à moi. Mais un metteur en scène me remarque (François-Henri Soulié ). Premiers pas sur les planches, premier court métrage. J’ai 12 ans. Je serais banquier comme mon grand frère pour financer le théâtre !

Il y a ma vie étudiante et le Théâtre Garonne à Toulouse. Éternelle reconnaissance pour ce lieu culturel qui m’a ouvert aux formes contemporaines de l’art. De l’option « économie privée », je bifurque vers une maîtrise « économie publique ».

Il y a un trou noir. Le sida est « passé par ici, il repassera par là ». Je tiens la main des amis qui s’en vont. Je ne vais plus au théâtre.

Il y a  le concert de Barbara à la Halle aux Grains de Toulouse en 1987. Elle chante « Sid’ amour à mort  ». Le public debout ne quittera la salle qu’à deux heures du matin. À ce moment précis, je sens que l’art est politique.

Il y a le festival « Danse à Aix » en 1997. Bernard me prend par la main pour « Paysage après la bataille » d’Angelin Preljocaj. J’ai 33 ans et c’est mon premier spectacle de danse. Le choc. Je ressens  que la danse peut-être démocratique.

Il y a la crise de l’intermittence en 2003. Ça hurle de toute part. Le public en veut pour son argent. Moi, j’erre dans les rues d’Avignon à la recherche d’un espace de parole. Au cours des saisons théâtrales qui suivirent, les spectateurs sont priés d’être solidaires et de ne pas trop bousculer le protocole : lecture d’un tract de la CGT ou du Syndeac, spectacle, applaudissements et ainsi de suite. Je bouillonne d’être aussi passif. Du haut vers le bas.


En 2004, il y a « The show must go on », du chorégraphe Jérôme Bel au Théâtre des Salins de Martigues. Confortablement installé, les projecteurs se retournent vers la salle. Les danseurs nous regardent. L’attente est interminable. Les cris fusent, les insultes aussi. La culture se mêle à l’intime…J’en sors bouleversé, avec cette question lancinante : « mais pourquoi vais-je au théâtre ? »

En 2004, il y a le théâtre du Gymnase qui organise un festival des jeunes créateurs. Je prends le bus entre Marseille et Aix en Provence avec des spectateurs. On échange. « J’aime », « je n’aime pas ». Mes arguments ne vont pas bien loin.

Il y a  le « non » au référendum en mai 2005. À Bruxelles, j’assiste dans un bar à un débat sur le traité constitutionnel. Les Français, rivés sur le rétroviseur, me mettent mal à l’aise, enfermés dans leurs cases. Je veux être acteur de l’ouverture plutôt que spectateur passif de la contestation permanente.

Il y a le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Capitale de l’hybridité, je respire. Les spectacles « pluridisciplinaires » m’ouvrent.

Il y a Peggy, journaliste, européenne enthousiaste. Elle me dit : « toi qui vas tant au spectacle, tu devrais créer ton blog ».

22 mai 2005, 14h22. www.festivalier.net  est né.

Pascal Bély – www.festivalier.net

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Être un blogueur hybride en 2009.

Être blogueur ne peut se réduire à un statut, à un métier, mais à un travail qui s’inscrit dans un processus dynamique. Faute de quoi, le danger de se rigidifier dans une posture de critique est grand (à moins d’en adopter les codes avec tous les risques d’empiéter sur la chasse gardée de la profession !). Je suis issu de l’internet, espace du réseau, du rhizome, de l’horizontalité. À côté, je suis consultant et formateur auprès d’équipes que j’accompagne à se positionner dans des environnements de plus en plus complexes. C’est donc dans l’interaction, au coeur d’articulations créatives  que je trouve l’énergie pour régénérer mon écriture et mon métier. J’ai quelques outils pour me situer dans un espace élargi (le réseau social Facebook me permet entre autres de communiquer sur le sens de ma démarche) et je travaille des articulations pour amplifier mon positionnement hybride. En 2009, j’ai donc tenté de le rendre lisible. Retour sur quatre expériences apprenantes.

L’accueil  de Michel Kelemenis au Pavillon Noir.

En janvier 2009, le chorégraphe Michel Kelemenis a accepté ma demande d’assister aux répétitions de trois pièces qu’ils présentaient au public aixois du Pavillon Noir (« aléa“, « viiiiite », « tatoo »). Ma démarche se voulait cohérente avec mon apprentissage de « spect’acteur ». Un an après, cette expérience m’a profondément marqué: ce n’est plus seulement le résultat que je ressens, mais le processus de création, avec les limites qu’impose ma place de spectateur. Je me questionne bien plus sur les intentions du créateur, sur la dynamique groupale jusqu’à imaginer ce que je n’ai pas pu voir. C’est incontestablement un élargissement de la focale avec en prime une facilité plus grande à percevoir le mouvement dansé. Il n’y a pas eu de retours croisés sur cette expérience, mais je ressens chez certains créateurs le besoin de faire appel à mon regard extérieur pour aller puiser dans ma subjectivité des informations au croisement du spectateur et du critique.

Isabelle Flumian et le programme de réussite éducative de la ville d’Aubenas.

Isabelle Flumian est directrice adjointe du pôle vie sociale de la ville d’Aubenas. Nous nous connaissons depuis un stage que j’avais animé en 2006 à Montpellier (« la conduite de projets sociaux complexes »). Spectatrice, elle lit régulièrement le Tadorne. C’est lors d’un échange précédent une pièce de David Bobée au Théâtre de Gennevilliers qu’elle formule son projet : « comment, dans le cadre d’un programme de réussite éducative, élargir les publics des lieux culturels  de la ville d’Aubenas par la mise en réseau des travailleurs sociaux du territoire ? ». Cette demande trouve un prolongement dans plusieurs articulations : le consultant et le blogueur ; le réseau et l’institution territoriale ;  le social et la culture. J’active le réseau du Tadorne et du Trigone (nom de mon cabinet) et rédige une proposition: « une formation-action d’accompagnement vers la culture pour les professionnels du social de la ville ». À partir du travail de Julie Kretzschmar, directrice des Bancs Publics à Marseille qui a mené une expérience avec un groupe de spectateurs bénéficiant du RMI accompagné par un travailleur social, je formule une hypothèse : « Élargir les publics nécessite d’articuler la pratique culturelle des travailleurs sociaux avec leurs pratiques professionnelles ce qui suppose leur désinhibition à l’égard des arts de la scène et des arts plastiques». La formation-action a donc débuté en octobre 2009 (pour 18 professionnels) et se terminera en mars 2010. Cinq modules de deux jours où nous allons voir des spectacles (théâtre de Privas, Comédie de Valence, le bournot), où intervient une médiatrice (Anne-Gaëlle Burban), Julie Kretzschmar, un artiste (Luigi Rignanese) en articulation avec un travail sur leur positionnement personnel professionnel institutionnel. Il est encore trop tôt pour faire l’évaluation de ce travail, mais on sait d’ores et déjà qu’il a créé une dynamique de projet global sur le territoire en positionnant la culture au centre des pratiques d’intervention sociale par la mise en réseau des acteurs.

Annette Breuil et l’équipe du Théâtre des Salins de Martigues.

Le contexte du début de l’année 2009 est tendu dans le milieu culturel. Les inquiétudes grandissent alors que Nicolas Sarkozy vient de créer un conseil de la création artistique présidé par Martin Karmitz. Elsa Gomis, contributrice pour le Tadorne, assiste à un débat au Théâtre National de la Coline à Paris réunissant artistes, journalistes, professionnels, public. Quelques jours plus tard, dans un article,  nous formulons quelques hypothèses, dont celle d’organiser au sein des théâtres des débats entre spectateurs et artistes afin que la question sur l’avenir du spectacle vivant ne soit pas aux mains des seuls spécialistes.  Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins, saisit cette opportunité. Après plusieurs échanges, nous décidons de planifier pour la saison 2009-2010, un cycle de débats (« Il y a des Ho ! Y’a débat ! »). Le premier a eu lieu le 20 septembre 2009 (« quel programmateur, quel spectateur êtes-vous ? »). Malgré la fragilité du dispositif, je ressens la forte mobilisation de l’équipe comme si le désir d’ouvrir la relation avec les spectateurs prenait tout son sens. Le prochain rendez-vous est prévu le 26 janvier 2010 (« le théâtre des Salins est-il un lieu d’échanges ? »). Il  permettra d’avoir une image de la relation désirée par les spectateurs et positionner l’équipe sur une réflexion globale autour de la communication. À l’articulation du consultant et du blogueur, j’accompagne le processus afin d’être aux côtés de cette équipe et de sa direction pour poursuivre cette expérience. Elle prend tout son sens dans mon engagement de spectateur, de consultant et de citoyen, déterminé à créer les conditions du dialogue démocratique.

L’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj

Notre rencontre est née grâce à internet. D’abord sur un forum de théâtre puis sur Facebook. Pierre-Jérôme Adjedj est un (jeune) auteur et metteur en scène. Nous aimons Berlin l’un et l’autre, le goût
du débat d’idées et un désir d’articuler, de mailler, de relier ce qui est souvent cloisonné « empêchant » l’accès à l’art. Dès l’automne, il me propose d’assister à sa résidence de création à la Ferme du Buisson après m’avoir envoyé par mail, le scénario d’« Initial Sarah Stadt », qui sera interprétée par Amadine Thiriet. Un passage m’émeut particulièrement:

« Sarah transforme la salle en orphelinat

Autant d’orphelins que de spectateurs

Éploré par la perte d’une vérité 

Qu’ils n’étaient pas venus chercher »

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Peu à peu, j’imagine Sarah. Dès le début de sa résidence, il m’envoie un compte-rendu journalier. C’est passionnant, car il décrit le processus de création en laissant suffisamment d’espace pour que je puisse ressentir, même à distance, ce qui se joue. Il prépare ainsi ma venue pour ce week-end de novembre où j’assiste aux répétitions, partie prenante de l’équipe. Ainsi, pour la première fois, je vois l’artiste dans le chaos créatif. J’entends, je comprends tout ce qu’il dit alors que je n’ai pas le scénario en tête. La déconstruction fait sens et les processus de la  mise en scène donnent vie à Sarah. Je note quelques-unes de ses phrases attrapées au vol (« Sarah est sa propre mise en scène », « il y a des endroits où l’on va creuser des galeries » ; à Amadine Thiriet : « ton temps est celui que l’on accepte » ; à un moment, elle lui répond : « je me suis assise pour de mauvaises raisons, pour créer une image »).

À mesure qu’ils travaillent, j’apprends à différencier l’homme connu sur la toile et le metteur en scène : ils sont à fois unique et différent. Il appréhende le théâtre en amplifiant le collectif pour coconstruire. De le voir créer  est en soi une oeuvre d’autant plus que la posture d’Amandine Thieret m’impressionne : elle assume le rôle et s’engage dans la mise en scène. Peu à peu,  Pierre-Jérôme Adjedj conçoit de multiples espaces où le spectateur créera aussi son histoire avec Sarah.

Spectateur au travail, j’imagine déjà le public transporté dans cet imaginaire florissant pour dialoguer par la suite avec les artistes. Pierre-Jérôme Adjedj m’a permis d’écrire cet article, de mettre en lien mon expérience avec Michel Kelemenis, le projet de la ville d’Aubenas et du Théâtre des Salins. En s’ouvrant subtilement au Tadorne, il a créé les conditions de l’émancipation du spectateur et de l’émergence de son  projet global. Chapeau l’artiste.

Pascal Bély- www.festivalier.net

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Piratons le Festival d’Avignon !

C’est le jour J. D’Aix en Provence vers Avignon, j’opère la migration pour trois semaines de spectacles, de débats et de repositionnements ! Ce matin, je pars pour enrichir ce blog et la figure de “l’amateur éclairé“, si chère au philosophe Bernard Stiegler.

Il est 7h40 et Thomas Baumgartner accueille dans « Les matins de France Culture », Olivier Mongin, écrivain et essayiste ainsi que l’enseignant-chercheur en sociologie Nicolas Auray. Le premier dirige la revue “Esprit” où son article  “De la piraterie protestante aux piratages contemporains. Ou de la capacité à s’incruster dans les interstices” est paru dans le dernier numéro.

Dans l’imaginaire protestant, la figure du pirate conteste l’empire catholique et va puiser ses références dans un monde liquide. Il n’y a dans cet océan, ni frontière, ni prison, ni sépulture. Les logiques de flux  sont préférées aux structures verticales. C’est un environnement dangereux si l’on ne sait pas nager et pour éviter de se perdre, il est conseillé de suivre les courants. Le pirate a besoin des îles pour être en sécurité : le liquide produit donc du solide ! Ainsi, il se nourrit d’une utopie où les contrats se substituent à la loi, où l’on casse les constitutions de rente, où l’on aime mieux le « butinage » à l’implantation terrestre. La figure du pirate,  métaphore de l’internaute, est d’autant plus évidente que les mots « naviguer », « pirater » sont entrés dans le langage commun. Plus l’émission avance, plus l’analogie avec le spectateur – blogueur me paraît manifeste. Comme le pirate, il se crée une nouvelle identité, plus ouverte, où il cherche asile dans une forme d’écriture pour désacraliser le regard critique. Dans cet océan que représente la toile, le blogueur se nourrit des flux et joue des interstices.

J’approche d’Avignon. À l’abordage !

À peine arrivé, l’attaché de presse de l’ADAMI me contacte. Prévu initialement dans un débat (« Internet : un autre espace pour la critique et la promotion des artistes »), je ne figure plus sur la liste des invités. L’aréopage, est majoritairement composé de journalistes[1] qui reproduisent du « papier » sur l’internet. Il n’inclue pas les « pirates », ces blogueurs qui se sont nichés dans les « interstices » (à l’articulation du spectateur et du professionnel, de l’artiste et du journaliste, …). Au téléphone, nous ne parlons pas du même monde. J’évoque débat participatif englobant artistes, spectateurs, journalistes, blogueurs (« les archipels »), on m’oppose un « question/réponse » avec la salle après que les experts se soient exprimés (« l’État nation »). Il faut donc jouer ailleurs et ne pas attendre grand-chose de ces débats excluants où l’on parle à la place « de ».

Une heure plus tard, Maguy Marin est à la conférence de presse du Festival « in ». La chorégraphe paraît épuisée. Elle cherche à s’arrimer aux questions « terre-à-terre » du journaliste. Elle évoque sa prochaine création (dont le nom a été trouvé il y a seulement quinze jours, « description d’un combat », autour de la perte de la mémoire historique). Entre la tribune et l’assistance, un  flottement comme si la mémoire avait besoin de nouveaux espaces (des archipels ?) pour se régénérer. Maguy Marin parle et je me laisse bercer par l’incertitude qu’elle brandit comme un art. Elle est « pirate ».

À la sortie, un jeune homme fait la promotion d’ “Histoire d’amour (derniers chapitres)“de Jean-Luc Lagarce joué par la Compagnie du Veilleur à la Manufacture. Point de flyers. Il me tend un casque et m’offre 20 secondes de cette création. Je plane, je plonge.

En plus de me ressentir pirate, je me sens pousser des ailes.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 


[1] Modérateur : Jean-Pierre Bourcier, président du syndicat de la critique dramatique, rédacteur en chef Rueduthéâtre.info
avec :
Emmanuel Bourcet, cofondateur de Kinorézo.com
Fabien Bonnieux, journaliste La Provence et laprovence.com
Vincent Cambier, fondateur et rédacteur en chef du journal les Trois Coups (www.lestroiscoups.com)
Aurélia Hillaire, journaliste et éditrice Ruedutheatre.info, pigiste Libération
Hélène Kuttner, journaliste premiere.fr, Paris Match, radio J
Mathieu Laviolette, journaliste evene.fr
Agnès Lupovici, attachée de presse
Martine Silber, journaliste (ex. Le Monde) et blog (http://marsupilamima.blogspot.com)

Le 13 juillet à 15h au Conservatoire du Grand Avignon.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Montpellier Danse « l’hétérosexualité », le Festival d’Avignon la diversité.

J’avais prévu d’écrire sur le dernier spectacle vu à Montpellier Danse, « Do you remember no I don’t » de François Verret. Il est préférable de ne plus s’en souvenir. Certains artistes continuent d’infantiliser le public en leur proposant le discours antilibéral dernier cri. Cela se veut moderne, ce n’est que recyclage de “souffleries” déjà vues, de numéros d’acteurs usés jusqu’à la corde, d’influences artistiques si évidentes qu’on frôle le plagiat.

J’avais prévu de réagir aux propos douteux de Jean-Paul Montanari, Directeur de Montpellier Danse depuis 1983, qui déclarait sur France Culture le 3 juillet dernier : « C’est la fin d’une certaine forme de  danse contemporaine…le sida l’a tué. Il n’y  a plus de danse de pédés, mais une danse d’hommes, d’hétérosexuels ». Le journaliste (et artiste) Laurent Goumarre  n’a pas pipé mot (conflit d’intérêts ?), pas plus que la chorégraphe Héla Fattoumi. Ce propos purement réactionnaire et clivant ne correspond nullement à la vitalité de la danse aujourd’hui (renie-t-il l’édition 2009?) même si l’on peut regretter le consensus des créations des Centres Chorégraphiques Nationaux (sur ce point Monsieur Montanari a raison). Mais en proclamant, tel un tribun face au peuple affamé, qu’il fallait créer un autre festival, Mr Frêche (Président de la Région et cofinanceur de Montpellier Danse) donne une bien triste image de la démocratie française.

J’avais prévu d’évoquer la piteuse émission de France Culture, « le grain à moudre », consacrée à l’avenir de la critique dans le spectacle vivant. diffusée le 29 juin.  Ici aussi, la même génération pleure le temps passé, tient des propos réactionnaires, nie la créativité émergente dans le pays. Tels des rois déchus, ces critiques regrettent leur palais doré voué aux vents et marées de la nouvelle vague !

J’avais prévu…

Mais à  la veille de l’ouverture du Festival d’Avignon, la première plate-forme de  blogs en France, Over-Blog (1,5 million de visiteurs par jour), publie un éditorial du Tadorne ! Se positionnant comme un média alternatif, Over-blog promeut  les figures d’amateurs éclairés et apporte sa contribution au renouvellement des formes d’écritures sur le spectacle vivant.  Sur sa une, Over-Blog ouvre un dossier regroupant les articles de la blogosphère présente en Avignon. Enfin de l’air ! Vive la diversité !

Au même moment, le Festival Off énonce les prémices d’une réflexion globale sur l’articulation entre blogueurs et journalistes et choisit d’accréditer certains blogs (dont le Tadorne). Enfin des ouvertures !

De son côté, Martine Silber, ancienne journaliste au Monde pose  sur son blog les bonnes questions et ouvre le débat.

Demain, je serais sur Avignon pour trois semaines. J’ai déjà tout écrit sur le projet : ici et .

Envahissons les théâtres ! Le temps d’un été, nul besoin d’un emprunt national pour créer la relation créative.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Tadorne, le blog du Festival d’Avignon : où serez-vous ?

Vous avez peut-être pris connaissance de notre première invitation. Voici la deuxième.

Le compte à rebours est enclenché. Plus que six jours et Avignon ressemblera au “plus grand théâtre du monde“. Nous nous croiserons dans les files d’attente, aux terrasses des cafés, face au panneau de revente des places au Cloître Saint Louis, pour le « In », et en lisant les revues de presse, pour le « off ». Nous en profiterons pour échanger sur nos cadres de réception, sur nos expériences théâtrales et sur notre « traversée » de spectateur. Nous envisageons même de faire votre portrait pour le publier sur « Le Tadorne » ! Bien plus qu’un échange vertical mené lors des rencontres public-institutions (à laquelle nous participerons[1]), laissons nous aller à la poésie de l’amateur éclairé comme nous y invite le sociologue et philosophe Edgar Morin qui déclarait au lendemain des élections européennes : « ll est temps de métamorphoser la civilisation pour poétiser la vie ” (il sera présent au Théâtre des Idées le 25 juillet).

Rencontrons-nous lors d’impromptus et poétisons notre festival ! Notre signe de reconnaissance sera un tee-shirt avec pour logo “Le Tadorne festivalier.net” pour nous et nos rendez-vous sur le site au jour le jour, pour vous. Comme une rencontre non définie à l’avance pour laisser place à l’instant.

Pari fou que cette expérience. Faire de nos échanges un moment repris sur la toile afin de désacraliser la pensée uniforme des critiques et revendiquer notre place de spectateur. Loin d’être des consommateurs de culture, croyons à notre valeur de jugement et relions le “In” et le “Off”, ces deux festivals qui se côtoient sans trouver de passerelles. Rapprochons-nous et échangeons sur des spectacles différents afin de mettre en lumière la création artistique, moteur d’une nouvelle croissance.

Celle du développement durable.

Pascal Bély

Laurent Bourbousson

Diane Fonsegrive.

www.festivalier.net


Photo: Diane Fonsegrive.


[1] Aux différentes rencontres entre artistes du « In » et public à l’Ecole d’Art, aux «rencontres critiques » à la Maison du Off

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (2/2): le projet du blog « Le Tadorne ».

Nous avions beaucoup aimé, « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » par David Bobée.

Sur son invitation, nous sommes revenus le 7 février au Théâtre de Gennevilliers pour une nouvelle représentation dans le cadre d’une soirée de parrainages citoyens envers les sans-papiers. Fidèle à l’esprit de la Révolution Française, cette soirée fraternelle fut un acte de résistance. Des spectateurs se sont regardés, des enfants ont pu courir dans un théâtre, des étrangers ont pu sourire sur un plateau, et finir par applaudir debout l’?uvre percutante, généreuse et fébrile de David Bobée et Ronan Cheneau.

Le puzzle qui s’est agencé au travers du précédent article a donc dessiné la route. L’impulsion fut donnée par Martine Silber, auteure du blog Marsupilamima,  pour renouveler notre écriture de blogueur lors du prochain Festival d’Avignon.

La demande fut formulée par Pierre Quenehen, directeur du festival de Mens alors!, pour articuler la parole du public avec le blog du Tadorne.

Des professionnels du social et de la culture des collectivités locales nous ont contactés pour penser avec nous leur positionnement afin de créer une relation plus ouverte, plus créative envers le public.

Au final, le metteur en scène David Bobée a semé le doute puis suscité le désir de nous ouvrir autrement.

Ainsi, nous décidons d’orienter le blog « Le Tadorne », non plus vers une seule forme d’écriture, mais vers des contributions croisées (débats entre spectateurs notamment). Dans les prochaines semaines, nous allons :

– Créer différents groupes sur Facebook pour mettre en réseau les spectateurs, les artistes, les festivals, les institutions;

– Créer un forum pour croiser les expériences d’articulations et de mise en lien créatives qui dépasseront le seul cadre culturel ;

– Ecrire non plus sur ce que nous voyons (bien, pas bien) mais sur ce que nous articulons ;

– Nous appuyer sur un nouveau moteur de recherche, celui d’Un Air de Théâtre,  pour avoir une vision globale des différentes contributions des blogs culturels.

La notoriété du blog « Le Tadorne » nous permet maintenant d’offrir un espace d’expression à tous ceux qui sont engagés dans une parole et des actes décloisonnants.

Le lieu du lien.

Le lieu de la proposition et de l’action.

En clair, nous souhaitons fabriquer un outil de travail, un levier pour ensemble créer sur le terrain des articulations créatives.

« Le Tadorne » a besoin de tous ceux qui ont choisi une communication transversale pour :

– Promouvoir  les artistes qui accompagnent notre société à changer de paradigme (des schémas rationalistes enfermants au modèle ouvert de la communication circulaire ; de la pyramide au cercle).

– Articuler les fonctionnements institutionnels aux processus décloisonnants de la création artistique.

– Elargir les publics par une vision circulaire de la communication à partir de valeurs rassembleuses.

Cette démarche porteuse de sens est à nos yeux le moteur de la croissance dans un monde immatériel.

Pour travailler nous choisissons six axes d’inspiration :

-Les réflexions du philosophe Bernard Stigler : la culture est le moteur du développement ; la figure de l’amateur éclairé qualifie autrement le spectateur ;

-La pensée d’Edgar Morin : intégrer la culture dans le cadre d’une politique de civilisation ;

– Les travaux du sociologue Michel Maffesoli sur la postmodernité ;

– La cinéaste et plasticienne Agnès Varda, auteure des « Plages d’Agnès »: la sincérité, le lien de confiance, la créativité et la liberté ;

– « Le coeur glacé » roman d’Almudena Grandes,  David Bobée metteur en scène de “Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue” : la rage, la volonté de dépasser l’inacceptable ;

-« La mélancolie des dragons » Philippe Quesne et « Les Sisyphes » de Julie Nioche : l’éloge à l’inutile comme acte de résistance et de création.

Rendez-vous en Avignon, à Mens, dans votre collectivité, chez vous.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous voulons faire » (Bergson).

Elsa Gomis – Pascal Bély

www.festivalier.net

elsa.gomis@gmail.com – pascal.bely@free.fr

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ETRE SPECTATEUR HIVERNALES D'AVIGNON LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

Maguy Marin aux Hivernales: retour vers le futur.

C’était en juin 2006, à Montpellier Danse. Maguy Marin avec “Ha ! Ha !”  provoquait un séisme dont le public et les personnels du festival se souviendront longtemps. Je n’ai cessé de penser à cette chorégraphie pour faire évoluer mon regard porté sur la société du divertissement. Je ne compte plus les moments où j’ai fait référence à « Ha ! Ha ! » lors de mes interventions professionnelles ou personnelles. J’ai eu en retour une écoute intéressée comme si le propos de Maguy Marin faisait résonance chez ceux qui ne se posent plus de questions face aux rires graveleux des émissions télé ou radio. Le festival des Hivernales a programmé « Ha ! Ha ! » au théâtre de Cavaillon le 1er Mars. Je publie à nouveau ma critique de l’époque en espérant susciter le débat de cette pièce qui aurait dû être au coeur du projet et présenté à l’Opéra d’Avignon ou au Théâtre des Hivernales.
En mars 2005, Jerôme Bel avec « The show must go on » provoquait un joli séisme au Théâtre des Salins de Martigues en interrogeant, par la provocation, les raisons pour lesquelles nous venions le voir.
En juillet 2005, le Festival d’Avignon positionnait le public dans un autre rapport à l’art théâtral en proposant des oeuvres métaphoriques et des performances. Le débat « texte ou pas » clivait la presse nationale.
En mai 2006, Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles poursuivait cette dynamique en invitant le spectateur à repenser le rationalisme pour se projeter dans un monde plus complexe où les aléas et les incertitudes seraient source de créativité.
Montpellier Danse ne pouvait donc pas rester à l’écart de ce mouvement de fond. La chorégraphe Maguy Marin, avec « Ha ! Ha ! » a eu le courage d’interroger la fonction du rire dans une société qui fuit la recherche du sens. Comment expliquer le désir croissant du public à vouloir se détendre dès qu’il va au théâtre ? Comment interpréter la part dominante des émissions de divertissement entre 18h et minuit sur les chaînes de télévision ? À quoi font référence les expressions si souvent entendues, prononcées le plus souvent sur un ton moqueur : « Pourquoi te prends-tu la tête ? », « Si en plus il faut penser au travail quand je vais voir un spectacle ! ». Cette recherche du divertissement gagne progressivement le public de la danse. Que se joue-t-il ? Dans le contexte actuel français, le rire, loin d’être créatif et libératoire, cache, masque la complexité des situations. Il s’articule sans aucun problème à la pensée linéaire, au discours politique le plus simpliste. Une société qui veut rire de tout, se distraire à tout prix, prépare le fascisme.
Courageusement, Maguy Marin a décidé  de réagir. Il y a urgence à renvoyer un questionnement au public, de peur de voir en France et en Europe, l’art disparaître. Pour cela, nous avons à nous repositionner : il n’y a plus d’un côté les artistes qui proposeraient une création pour, de l’autre, des spectateurs consommateurs passifs. Même Helena Waldmann a compris la nécessité d’interpeller le public lors de « Letters from Tentland Return to sender » vu une semaine auparavant. Je ne souhaite pas faire part de ce qui s’est passé à l’Opéra Comédie de Montpellier, dimanche soir. Il y aurait un paradoxe à expliquer un processus qui vous empêchera de le vivre. Toutefois, avant de courir voir cette oeuvre, sachez que Maguy Marin inverse les prémices : nous sommes les acteurs, les danseurs sont les spectateurs. De la sorte, elle propose un art conceptuel et c’est à nous de recréer le concept. Ce nouveau positionnement nous aide à redevenir acteur, à sortir de la soumission imposée par la société du divertissement. Elle provoque un électrochoc salutaire en nous accompagnant à retrouver la posture du dedans-dehors qui seule permet de recréer un lien avec l’art, avec les artistes.
Oui, grâce à Maguy Marin, je n’ai plus honte de me prendre la tête. Elle me redonne la force de continuer ce blog, de poursuivre le chemin tracé depuis tout jeune : c’est la recherche du sens qui fait une vie. Maguy Marin a porté ma voix, celle de beaucoup d’autres. Elle m’a libéré des vexations dont je peux parfois faire l’objet (la dernière en date : “à quoi ça sert de voir tous ces spectacles ? N’as-tu pas envie de lâcher ?” ; le tout dit en riant !).
J’ai crié « Bravo » pour masquer les insultes d’une partie du public. À ceux qui ne perçoivent pas la menace sur l’art dans notre pays, rendez-vous dans les villes où Maguy Marin proposera « Ha ! Ha ! ». Revenez sur ce blog. Échangeons. Passionnons-nous. C’est l’une des ripostes au totalitarisme ambiant.
Sous les pavés, l’art et le social?
Pascal Bély – Le Tadorne
"Ha! Ha!" a été joué le 1er mars 2007 au Théâtre de Cavaillon dans le cadre du Festival "Les Hivernales" d'Avignon.

Crédit photo: Christian Ganet.

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LA VIE DU BLOG

Le “Nederlands Dans Theater”dans le vent

Départ d’Aix en Provence à 20h30 pour le Festival de Marseille. Le “Nederlands Dans Theater” est à l’affiche ce soir. Je décide de passer par la corniche…Le spectacle est merveilleux: la mer est déchaînée et les couleurs du coucher du soleil me font oublier cette journée marquée par les feux de forêt (2h pour faire Avignon – Aix!).

Arrivée au Parc Henri Fabre, une jeune femme m’informe que le spectacle est annulé à cause du mistral…”pour raison de sécurité”. Je suis un peu étonné…À cette heure précise, le mistral est en perte notable de vitesse, comme prévu par Météo France. Mais surtout, j’ai encore le souvenir de spectacles de danse dans la cour d’honneur en Avignon qui n’ont jamais été annulés pour cause de mistral!

Dimanche, voyage en Belgique avec Anne Teresa De Keersmaeker, toujours au festival de Marseille. Le mistral aura disparu pour se préparer sûrement à envahir la Cour d’Honneur dès le 8 juillet!

Je repars, frustré, voyant dans cette annulation un signe…Mais lequel? Je m’amuse à faire des liens: le Nederlands Dans Theater – Festival de Marseille; Pays – Bas – France; “non” – “non”…Le référendum laisse des traces…Je suis fatigué…

A dimanche..