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À Uzès et Marseille, la danse a ses cases et son contingent.

La danse est un art si particulier qu’elle stimule mon désir d’échanges, de mouvement pour franchir les frontières. Dernièrement, j’ai fait le voyage d’Aix en Provence à Uzès Danse pour deux chorégraphes : Régine Chopinot et Xavier Le Roy. Pour la première, je veux prolonger la rencontre organisée par le Centre de Développement chorégraphique d’Avignon, relatée sur le blog par Laurent Bourbousson. Pour le deuxième, il nous propose trois oeuvres lors d’une soirée avant sa création «Low pieces» au prochain Festival d’Avignon. Ainsi, je pose mon contexte: Chopinot, Le Roy, Uzès-Avignon. Les passerelles sont là : je visualise une dynamique de territoire et je me ressens en mouvement.

Partir vers Uzès, c’est traverser une campagne maculée de panneaux publicitaires. Le chemin n’est pas tout droit. Il est obstrué par une multitude de ronds-points. Le site du Pont du Gard approche et le paysage porte les stigmates de l’activité touristique. Uzès ressemble à ces beaux villages de France où tout semble figé dans la pierre pour séduire le visiteur en quête de décor où rien ne dépasse. Mais je ne ressens pas la danse dans la ville. Quasiment pas une affiche et pas d’artistes dans les rues. Je peine à trouver le chemin du Jardin médiéval, là où Régine Chopinot nous donne rendez-vous à 17h dans la salle d’un château. L’entrée est payante (2 euros: imaginerait-on faire payer l’entrée du Palais des Papes lors des spectacles du Festival d’Avignon ?). Cette ville aime-t-elle la danse?

Il n’y a que quelques rues à parcourir pour nous rendre à la salle de l’Évêché où à 18h, Xavier Le Roy propose «Produit de circonstances». Sauf qu’il n’a pas attendu les spectateurs de Régine Chopinot. Fermé. Barrière. Défense d’entrer. Chacun sa case. Comment ce festival peut-il émietter le public avec si peu de journées et de représentations?  Sa fonction n’est-elle pas de permettre la traversée des oeuvres ? Programmer, remplir, exclut-il de créer les conditions du dialogue ? À Uzès, comme ailleurs, on additionne. Mais sait-on seulement multiplier ?

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À Marseille, le “Festival de danse et des arts multiples” est sur le même registre. En 2008, je m’étais ému de l’absence de projet: « Treize années après sa création, il n’a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d’une approche bourgeoise de l’art, il suit le mouvement plus qu’il ne le précède?». Depuis deux ans, le FDAM investit une ancienne salle de boxe (la salle Vallier). Lors de sa dernière campagne de communication, le public s’est vu affublé d’un qualificatif pour le moins douteux : nous sommes des « festi’vallier ». Me voilà donc étiqueté comme un produit. Mais je n’ai encore rien lu. Sur la page Facebook du Festival : «“Dernières minutes : Des contingents de places ont été mis aujourd’hui à la vente pour : Merce Cunningham (le 21 et 22 juin, 21h) et Akram Khan (le 24 et 25 juin, 21h). C’est le moment de réserver !

« Contingent : Quantité de soldats qui est fournie par un pays. »

Puis dans sa dernière newsletter : « Offre de dernière minute pour Mission : Bénéficiez d’une place offerte pour une place achetée ! »

Au Festival de Marseille, la relation de Merce Cunningham (l’un des plus grands chorégraphes du monde) avec son public est réduite à du chiffre, à un contingent. Plutôt que de penser une mobilisation joyeuse et créative, on préfère libérer du «quantitatif». Pour «Mission», on nous enferme dans un statut de consommateur à la recherche de la dernière promotion. 

Je pense aux artistes, quasiment insultés par des professionnels de la communication incultes et avides de cases bien remplies. Au Festival de Marseille, à défaut de multiplier, on soustrait, le public n’étant qu’une variable d’ajustement.

Il est temps de redéfinir la fonction des festivals sur les territoires. D’arrêter cette course à la programmation pour repenser un modèle ouvert de dialogue entre les oeuvres et les publics. Il créera de la ressource financière et orientera les projets artistiques vers une relation créative avec les publics.

Stop au Festi’Vallium

Pascal BélyLe Tadorne.

Festival Uzès Danse du 17 au 22 juin 2011.

Le FDAM à Marseille du 16 juin au 9 juillet 2011.

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Chroniques d’un spectateur engagé et contributeur: Le projet avec la Scène Nationale de Martigues.

J’inaugure cette semaine une série d’articles autour de mes rencontres avec des établissements culturels. Depuis 2009, j’ai proposé différentes actions visant à développer un modèle de relation contributive entre  professionnels du spectacle, de l’éducation, du social, artistes et spectateurs. Premier retour avec la Scène Nationale de Martigues.

C’était au départ une idée originale et courageuse. Préoccupée par la volatilité des spectateurs, Annette Breuil, directrice du Théâtre Des Salins de Martigues, souhaitait engager un dialogue différent avec le public en posant un cadre sans expert et hiérarchie pour l’écouter. Dès 2009, je proposais d’organiser une série de débats participatifs (“que voulons-nous faire ensemble ?”). Je formulais une première  hypothèse : renforcer un service public de la culture suppose de privilégier des relations contributives entre professionnels, artistes et spectateurs (de plus en plus « cultivés » et en réseau via internet notamment). La première saison de «Y’a des Ho! Y’a débat!» pouvait commencer! Le premier rendez-vous en septembre 2009 sur la place du spectateur et du programmateur a quelque peu déçu : il n’a pas réussi à dépasser le schéma descendant entre le public et Annette Breuil. Malgré tout, le besoin de libérer une parole autour des choix de programmation était palpable.

Quelques semaines plus tard, le débriefing a permis de formuler une seconde hypothèse: ouvrir la relation à l’externe suppose d’amplifier la communication à l’interne. J’ai proposé à l’équipe de s’approprier le projet (qu’il ne soit plus centré sur Annette Breuil ou moi-même) et de partir à la rencontre des spectateurs avec une caméra vidéo et une question en tête, thème du deuxième débat («le Théâtre des Salins est-il un lieu d’échanges?»). Un émouvant reportage a fait l’ouverture de la rencontre et permit à l’équipe de créer les conditions d’un échange sincère avec le public. L’intervention par téléphone du chorégraphe Michel Kelemenis sur sa conception d’un théâtre ouvert a offert une perspective passionnante. Au final, la forme de ce rendez-vous (film, débat, interview téléphonique) a multiplié les angles, fluidifié la communication et renouvellé le genre.

Lors d’une réunion bilan, l’articulation «Y’a des Ho ! Y’a débat!» avec un travail d’équipe a été validé (cela crée le «ciment» à partir d’un temps collectif où la recherche du sens  par le langage symbolique et métaphorique garantit la vision globale). La réflexion sur le lien entre nouvelles technologies et théâtre a été jugée pertinente, car elle permet de réfléchir sur le sens de la communication. La dynamique autour de ces débats a interrogé le positionnement des professionnels en envisageant des ouvertures dans un contexte où la relation avec les spectateurs évolue en permanence (billetterie sur internet, nouvelles pratiques culturelles, concurrence accrue de l’offre de spectacles).

Mais pour penser les futures actions envers les spectateurs, l’équipe devait consolider ses fondements à partir de trois axes :

1. Identifier les valeurs de son projet et savoir le communiquer en interne et en externe

2-Travailler  sa dynamique relationnelle pour décloisonner les fonctions et les métiers.

3. Relier les actions de médiation et de communication pour créer des passerelles, des mises en réseau, susceptible de développer qualitativement les publics.

A ce stade du projet, j’ai formulé une troisième hypothèse : un formation pourrait accompagner l’équipe à  définir son socle de valeurs à partir des processus du management participatif.

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Celle-ci n’a pas vu le jour. J’ai proposé à Annette Breuil de poursuivre la démarche en redéfinissant la relation avec le public par l’artistique et le festif. Ainsi est né, «Faire la fête à la Scène». Profitant de la semaine où les Scènes Nationales vont fêter leur 20ème anniversaire en mars 2011, j’ai suggéré d’enclencher avec l’équipe une série d’actions symboliques pour libérer la créativité des spectateurs et des professionnels. En étroite collaboration avec un collectif pluridisciplinaire d’artistes et l’Ecole de Danse de la ville, chacun expérimenterait de nouvelles modalités de communication (Flash mob, bal, mapping vidéo, parcours artistique au sein du théâtre, ateliers d’écriture avec un plasticien et mise en mouvement par un chorégraphe). A ce jour, le Théâtre des Salins a retenu la journée du 18 mars 2011 pour qu’on lui fasse la fête.

L’équipe vivra une expérience unique qui lui donnera, sans aucun doute, l’énergie pour penser un projet global de développement : qualitatif, ouvert, inscrit dans la durée, innovant et démocratique.

Pascal Bély -Le Tadorne.

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Une Maison pour la Danse à Marseille ! Klap ! Klap !

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au c?ur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s’attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C’est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély – Le Tadorne

(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.

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A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.

Le Théâtre du Merlan est une Scène Nationale, dirigé par Nathalie Marteau. Situé au nord de la ville dans le centre commercial Carrefour, cet établissement culturel peine depuis quelques saisons à s’implanter dans le quartier comme en témoignent ses nombreux « vagabondages » et l’incohérence de sa programmation (voir l‘article à ce sujet du 12 juin 2009).

L’expression « vagabondage », empruntée au vocabulaire des travailleurs sociaux pour désigner ceux qui n’ont plus de domicile fixe, sert la politique de communication de ce théâtre.  Le territoire est ici vu comme un terrain de jeu où l’errance fait sens. Chacun appréciera. Le Merlan vagabonde, se «délocalise » à la Friche Belle de Mai, au muséum d’Histoire Naturelle, au Théâtre du Gymnase. Il y installe parfois des chapiteaux (malgré les promesses, à sa réouverture suite à des travaux, d’en faire “une maison ouverte commune à tous, un camp de base”. A écouter l’interview sur France Info). Qu’est-ce qui justifie socialement et artistiquement de tels déplacements que l’on suppose fort coûteux ?  Le cynisme va jusqu’à programmer le collectif Berlin (qui propose des portraits de capitales à l’articulation du documentaire et du théâtre) loin des quartiers nord alors que l’on serait en droit d’attendre du Merlan qu’il relie les habitants au reste du Monde?
Ce théâtre connaît une deuxième difficulté, plus structurelle : sa programmation. Certains, par paresse intellectuelle, la jugent éclectique. Programmer « Description d’un combat » de la chorégraphe Maguy Marin en 2009 puis une « Semaine de la magie » en octobre 2010 (« magic week »…sic), serait une preuve d’ouverture et de curiosité. Sauf que cette diversité est au service d’une politique de communication (le Merlan est «branché») mais dessert tout projet visant à créer des liens durables avec les habitants. Comment leur proposer des traversées dans une programmation qui érigent des murs au lieu de passerelles, qui multiplient les esthétiques pour finalement composer un labyrinthe? Comment guider le  public en lui offrant coup sur coup danse contemporaine et formes spectaculaires ? Là où la danse ne fait pas spectacle, la magie s’appuie sur les ressorts du spectacle (elle fait même un retour en force à la télé cf.« Vivement dimanche » sur France 2). À la culture du divertissement qui finit par pervertir la société française, une Scène Nationale devrait proposer une programmation certes diverse, mais au service d’une vision. Comment le public peut-il entrer en communication avec une équipe artistique qui lui enlève toute possibilité de s’émanciper de la société du divertissement ?

Deux difficultés qui bien évidemment produisent des incidents. Le premier eut lieu en février 2009 avec le chorégraphe Alain Buffard. La programmation de «  (Not) a love song»,  déconnectée d’une politique globale de relation avec les publics, a provoqué une « crise » avec les spectateurs. Dénonçant les rires au début de la représentation, Alain Buffart fit expulser de la salle un groupe de jeunes sans que la directrice du Merlan n’y trouve rien à redire…(à lire le compte-rendu du journal La Marseillaise).
Le deuxième incident, bien plus inquiétant, a eu lieu début octobre 2010, après la programmation pour deux soirées de P.C. Sorcar Jr., « la plus grande figure de la magie orientale ». Face au fiasco artistique, Nathalie Marteau propose de rembourser les billets au public mécontent (voir le courrier en fin d’article). Dans sa lettre, elle précise que le risque est partagé (je suis d’accord sur ce point: toute programmation implique une prise de risque du programmateur et du spectateur), que le spectacle génère de «la frustration» (c’est souvent la fonction de la création contemporaine de ne pas répondre aux attentes !). Et que propose-t-elle ? Un remboursement comme le ferait un commerçant (“Satisfait ou remboursé”)! Pourtant, après la crise de l’intermittence, cette direction affirmait que « la culture n’était pas une marchandise”. Le cynisme est à son comble lorsque pour s’excuser, Nathalie Marteau reporte la faute vers les artistes (ils ont eu carte blanche) et se pose en victime au même titre que les spectateurs. Pour devancer la critique, elle disqualifie les artistes, s’exclut du processus, dilue la responsabilité et se repositionne à partir d’un geste « risqué » pour les finances publiques, mais tellement généreux. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Quelle vision a donc le Merlan de sa relation avec les spectateurs pour proposer ce remboursement ? Comment s’articule-t-il avec le travail des chargés de relation avec le public qui travaillent probablement dans la durée, l’inclusion des habitants dans un lien à la culture non marchande?

Le remboursement est la conséquence d’une politique de communication ; en aucun cas, d’un projet culturel global.
Le Merlan justifie-t-il son label de Scène Nationale ? Remplit-il au moins trois missions :
–  “s’affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale, dans les domaines de la culture contemporaine
–   organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine,
–   participer dans son aire d’implantation (voire dans le Département et la Région) à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l’égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci”
Ces trois missions sont incompatibles avec un lien “producteur – consommateur” entre le théâtre et le public. Elles requièrent une relation respectueuse, permettant à chacun d’évoluer au grès des propositions exigeantes, pour s’éloigner des formes spectaculaires qui figent.
Le Merlan est aux mains de communicants. Il est grand temps de le doter d’un projet global. Loin d’être une formule magique, c’est une exigence.

Au vagabondage, préférons la divagation…
Pascal Bély – Le Tadorne

Lettre de Nathalie Marteau aux spectateurs:

Madame, Monsieur, Chers spectateurs,

Le spectacle vivant est une chose fragile, pas toujours prévisible, et qui peut même parfois nous décevoir. Cela fait partie du risque, que nous partageons avec vous, public.

Mais les soirées indiennes des 8 et 9 octobre de P.C. Sorcar, proposées par la compagnie 14:20 dirigée par Raphaël Navarro, à qui nous avions donné carte blanche, ne furent pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé.
Nous reconnaissons avec vous que les 15 minutes de magie présentées ne font pas un spectacle, et face à cette situation exceptionnelle, nous nous engageons à rembourser toutes les personnes qui en feront la demande auprès de la billetterie au 04 91 11 19 20 (du lundi au vendredi de 13h a 18h). 
Nous nous adressons particulièrement à ceux qui venaient pour la première fois au Merlan et nous espérons qu’ils n’en resteront pas à cette désagréable impression de frustration.
Toute l’équipe du Merlan se joint à moi pour vous souhaiter de belles soirées à venir et restons à votre disposition.
Nathalie Marteau, directrice”

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pascal.rambert.com

De nombreuses institutions culturelles ont une politique offensive de communication. Elles produisent plaquettes, se positionnent sur les réseaux sociaux de l’internet, ouvrent des comptes sur Youtube ou Dailymotion. Elles produisent des petits films vidéo promotionnels, souvent joliment bien faits. Mais que véhiculent ces supports? Est-il possible d’exercer un “arrêts sur images”, à moins que l’exercice ne soit vain? Premier exemple avec une vidéo postée sur la page Facebook du Théâtre de Gennevilliers dirigé par Pascal Rambert. Quatre minutes et dix-huit secondes qui ont suscité une réaction critique de Pascal Bély, du Tadorne. Un débat s’est alors engagé (dont nous vous proposons une synthèse, puisqu’il s’est engagé avec de nombreux interlocuteurs) avec Neige Mélanie Chereau (metteuse en scène et blogueuse théâtre), Gilles Groppo (comédien et assistant à la mise en scène de Pascal Rambert sur sa dernière création) et Pierre-Jérôme Adjedj auteur et metteur en scène. Au cœur du débat: que révèlent la forme et le fond de cette communication institutionnelle?

Pascal Rambert dans le film: Le théâtre de Gennevilliers, un lieu simple, pas prétentieux…je crois que c’est le futur des lieux comme çà, des lieux ouverts, chaleureux, où on se dit que si on n’y va pas, on a raté quelque chose…et ça peut être super agréable d’y passer du temps…c’est là dessus que je travaille, sur le désir, toujours je travaille sur le désir

Pascal : Et des lieux qui n’ont pas besoin des ficelles de la com. pour susciter le désir!

Neige Mélanie: devant la profusion d’information, il est normal que les lieux culturels  utilisent les mêmes ficelles que les autres pour se faire connaître. C’est de bonne guerre…

Pascal: Si je prends au pied de la lettre ce que tu écris, c’est à désespérer des artistes. Ils n’ont pas à utiliser les ficelles qui enferment la pensée (que je sache, la communication, c’est de la propagande) mais au contraire, ils doivent les transcender! Dans cette vidéo, on peut enlever TDG et le remplacer par un lieu de consommation. L’effet est le même. Cette vidéo me désespère, car j’ai besoin que les artistes résistent. Et non qu’ils se fondent dans un moule qui, de toute façon, n’est pas fait pour eux.

Neige Mélanie: je comprends bien. Franchement on ne peut qu’être d’accord avec ce que tu dis. Mais à ce moment-là on arrête les affiches et les tracts… et c’est terminé. On est bien obligé aussi de se battre avec les armes de son ennemi parfois… On peut aussi voir ça comme un acte de résistance.

Pascal : ce n’est pas sérieux! Ce film n’est en rien un acte de résistance. C’est de la publicité. On peut aussi arrêter les affiches et les tracts et travailler les réseaux à partir d’une communication sur le sens et les valeurs.

Neige Mélanie: Le réseau c’est aussi une manière de ne jamais rester qu’entre soi. Or, j’aime la politique d’ouverture de Gennevilliers qui essaye de faire venir au théâtre des gens qui n’y vont pas… Mais ce n’est pas un film destiné aux Parisiens… le T2G communique énormément avec le public de Gennevilliers, mais il est utopique de penser que ça suffit. Il faut buzzer pour que les choses se fassent connaître dans le brouhaha d’infos. Et ce genre de film est adressé à tous, les franciliens et les autres… Après il sera toujours temps de créer du buzz avec des objets artistiques, et c’est le cas avec ces photographes et auteurs invités à créer autour de Gennevilliers et de ses habitants.

Pascal : A quoi sert cette énergie pour communiquer ainsi, alors que tout le monde sait que c’est insuffisant pour faire venir du public? Ce clip, n’est-il pas un objet “narcissique” où le TDG se fait du bien, se renvoie un beau miroir. Peut-on en 2010 résumer un théâtre à son dirigeant ? Un théâtre c’est une équipe, des réseaux, des spectateurs: ils sont cruellement absents dans ce film. C’est un film qui reproduit le schéma vertical du pouvoir et nous empêche de voir et de penser les horizontalités. Ce clip n’est destiné qu’aux tutelles. On instrumentalise la communication vers les spectateurs à d’autres fins. D’autre part, Pascal Rambert nomme dans ce film des processus, comme s’il voulait se convaincre lui-même de leur validité. À titre d’exemple, ai-je besoin de communiquer sur la confiance si j’ai confiance en vous ?

Gilles: Et si vous arrêtiez de critiquer les directeurs qui osent encore nous proposer des programmations aussi variées, et qu’enfin vous vous concentriez sur ce gouvernement qui ne cesse de baisser les subventions. Proposer une telle diversité est un challenge auquel peu de directeurs s’essaient de nos jours avec des budgets aussi faibles.

Pierre-Jérôme : pitié, arrêtez de tous sortir l’argument budgétaire à chaque fois qu’il y a polémique : c’est vraiment devenu un bouclier anti-discussion dans tout le monde culturel français. Chaque critique se termine par “c’est ça, continuez, de toutes les façons bientôt on sera morts, et vousaurez tout gagné”! Figurez-vous que je connais plutôt bien tout ça : je suis en train de monter une production, et c’est tout sauf facile en dépit de partenaires assez sympathiques. Mais comme je suis par ailleurs entre Paris et Berlin, la différence sur le ratio créativité/moyen est tellement frappante que je trouve indécent de se plaindre!

Gilles: Le théâtre de Gennevilliers est devenu un lieu ouvert et chaleureux, le public rajeuni augmente chaque année, c’est un lieu unique par sa conception et qui nous propose des artistes de tout horizon qui sont de vrais créateurs ! Si vous êtes si malin, trouvez-nous de vraies solutions pour amener de l’argent !

Pascal: Gilles, est-ce possible de poser le débat là où il est ? Je réclame le droit à la critique, et cela n’entache en rien la qualité de la programmation du théâtre de Gennevilliers. Le pouvoir en place rêve de ce type de vidéo, où le théâtre est une “marque”, au même titre que d’autres services publics. D’autre part, la personnalisation du pouvoir politique entre en résonance avec ce film où l’on n’entend que “je”.

Gilles: cher Pascal, posons le débat calmement, je suis d’accord… Le théâtre se meurt ! Pourquoi ? Parce que c’est un art qui n’est plus médiatisé, parce que c’est un art dont on ne parle qu’au sein d’une communauté de plus en plus restreinte…Qui descend encore dans la rue pour défendre nos droits? Se servir aujourd’hui des mêmes moyens de communication me paraît tout simplement vital, et cette vidéo ne me choque en rien, je préfère parler du contenu de la programmation, c’est tout…Encore une fois, Pascal, ne nous trompons pas de débat et conservons nos forces pour la bonne cause !

Pierre-Jérôme : Je rejoins Pascal sur le fait que ce film est une forme d’auto-promo assez narcissique. Rambert dit : “un lieu simple et pas prétentieux”, c’est comme les gens qui s’autoproclament “généreux”, “bons”, charitables” etc. je trouve toujours ça un peu curieux et décalé. Et effectivement, où est l’équipe, où est le public, où sont les gens sinon à travers le prisme des œuvres produites? Je suis toujours extrêmement circonspect sur les personnes qui proposent un projet de proximité, de simplicité et de décloisonnement et qui se sentent tout de même obligées de le crier sur les toits, au-delà de leur périmètre d’action. Cela soulève trois hypothèses, dont aucune n’est exclusive de l’autre : la première, c’est que Rambert ne croit pas tout à fait à ce qu’il dit. La deuxième c’est qu’il ne peut pas se contenter de la réalité du projet (et des difficultés inhérentes à cette ambitieuse et louable entreprise), pas assez belle à l’oeil parisien; il lui faut donc maîtriser son image en produisant un beau film auto-célébrant la générosité de sa démarche. La troisième, c’est que ce film est destiné au Ministre de la Culture et aux diverses tutelles…

Gilles: Vous rendez compte de la difficulté de faire venir le public parisien à Gennevilliers? Pascal Rambert a réussi a transformé un lieu froid et vide, en un véritable lieu de rencontre et un espace chaleureux … Montrer que ce lieu est unique par sa conception n’est pas à négliger !

Pierre-Jérôme : Certes Gilles… Pour être venu au T2G avant Pascal Rambert je ne peux que confirmer que le lieu a été pris “à bras le corps”, et de façon tout à fait pertinente. Et concernant le projet, d’accord aussi : même si personnellement j’avais été agacé par le rapport aux amateurs dans “la micro-histoire”, ça ne m’empêche pas de reconnaître la validité globale du projet, qui détonne effectivement par rapport à pas mal d’autres théâtres…Vous parlez de la difficulté à faire venir le public de Paris ? Est-ce un but en soi ? Le public de Gennevilliers et ses environs ne vous suffit pas ? Ces foutus Parisiens n’ont pas besoin qu’on leur déroule le tapis rouge : ce serait tellement préférable qu’ils entendent le “bruit” qui gronde à Gennevilliers, sans com’ tapageuse, et qu’il se dise “mince, je suis en train de louper un truc, ou bien…”. Je suis peut-être un peu extrémiste, mais je me dis que le public du coin a mérité d’être le centre du monde (ce qui se produit apparemment dans le réel).

Neige Mélanie: mais voyons, ce n’est pas un documentaire sur Gennevilliers ou un court métrage artistique…! C’est un film sur le théâtre et ses activités. Et personnellement la présence de Rambert ne me dérange pas, car cela donne une image intime personnelle et accueillante du théâtre. Cette personnalisation n’est pas sans rappeler ce que font les Américains. D’ailleurs, ce film n’est-il pas destiné à l’étranger? Pour cela il faut faire quelque chose d’assez simple aussi, de clair et présentable.

Gilles: Aujourd’hui, le véritable problème aussi touche la difficulté de faire vivre sur la durée un spectacle dans le monde de l’art contemporain propre à faire vivre les artistes qui se défendent tant bien que mal depuis 2003… Nous autres, artistes de surcroît, ne sommes jamais cités ou mis en avant et les spectacles se construisent sur le nom du metteur en scène ou du chorégraphe et il devient de plus en plus très difficile de survivre…

Pierre-Jérôme : Pourquoi ne pas faire un film qui fasse la part belle aux gens dont parle Rambert ? Pourquoi ne pas concevoir des objets filmiques étranges, pourquoi pas sous forme de série, qui mette en scène ce qui se joue, dans tous les sens du terme, au T2G ? Ca ça créerait du buzz, interpellerait le parisien, qui se dirait tout à coup “et moi alors, on ne m’a pas invité ?”. Sous cet angle, le T2G se poserait en “place to be”, sur la base d’une réalité exposée de manière créative; et le mélange dont tu parles se ferait sur une base pour une fois équitable, les parisiens venant enfin en banlieue sans leur casque colonial. Or, que voyons-nous là? un film dont le titre pourrait être “Rambert, ce héros” (tu apprécieras le jeu de mot j’espère :-) ), où il se montre, se surmontre. Ceux qui connaissent PR assurent que c’est quelqu’un de simple, étranger à toute vanité. Soit, mais alors, il s’est fait avoir par les personnes qui ont tourné ce film ! Car ce truc trimballe dans son inconscient tout ce qui me fait dire qu’il est tourné vers les Parisiens et les tutelles…

Gilles: “un film qui fasse la part belle aux gens dont parle PR “, existe déjà et sous différentes formes… Que dire des films qui sont tournés in situ à Gennevilliers, avec des gens de Gennevilliers…Que dire des Ateliers d’écritures ouverts à tous les gens de Gennevilliers gracieusement… Que dire des multiples spectacles où on a vu des gens de Gennevilliers présent sur scène et il y en aura d’autres très bientôt (et croît moi leur témoignage est poignant)… Enfin tout ça !

Pierre-Jérôme :  pardonnez-moi, mais le film produit une impression inverse de la réalité que vous décrivez.Vous dites “oubliez un peu l’homme”, mais comment faire à la vision d’un film Ramberto-centré ? À mon avis, le film ne raconte pas votre travail, il fait vitrine, de la manière la plus classique qui soit.

Pascal: ce débat pose pour moi une question essentielle. Peut-on longtemps enfermer le lien spectateur –structure culturelle dans  une approche de la communication de masse?  Je reconnais à Pascal Rambert de louables efforts pour ouvrir ce lien. Mais ce “clip” est venu annuler la représentation que je me faisais de ce théâtre. Tout change parce que rien ne change! J’aurais presque envie de lancer un défi aux structures culturelles: baissez de moitié vos budgets communication et développez vos relations humaines. Car le théâtre n’est pas une marchandise. C’est parce que les structures changeront le lien, que la relation avec le politique évoluera. Sinon, elle est condamnée durablement à se fossiliser dans un schéma infantilisant.

Merci à Neige Mélanie, Gilles et Pierre-Jérôme pour leur participation à ce débat et d’avoir accepté sa retranscription sur le Tadorne.

 Pascal Bély – Le Tadorne

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Le Théâtre du Merlan vagabonde et se perd.

Pour clôturer sa saison, le Théâtre du Merlan à Marseille, scène nationale, « vagabonde » pour y faire « résonner » des oeuvres sur l’amour. Direction le Vieux-Port. Le quartier populaire où il est installé n’est sûrement pas assez glamour, mais cela ne l’empêche pas d’utiliser un vocabulaire emprunté à la précarité. Car « vagabonder » n’est quand même pas le sport favori des riches.  Avec une telle politique, les publics des quartiers nord souvent exclus de la programmation du Merlan, le sont encore plus. Mais quel sens peut donc avoir ce déplacement forcé ? Loin de mixer les publics, cette opération n’a qu’un seul but : faire de  la communication publique.

  

 Le Fort Saint Jean, à l’entrée du Vieux Port, n’a pour ouverture que la mer. Le Merlan souhaite le transformer « en lieu de vie, de bien-être, d’échanges ». Est-ce sa mission ? Comment est-il possible de tolérer une telle dérive de langage et de projet ? Quelques transats nous attendent et le rouge, couleur du logo du Merlan, est partout. La rhétorique publicitaire fait office d’oeuvre culturelle. Bientôt, les responsables de la communication s’occuperont des relations avec le public. Les nombreux artistes plasticiens marseillais qui auraient pu s’emparer du lieu devront patienter.

À notre arrivée, le « camp » est étrangement désert. Glacial. Sans ambiance. À côté, le Théâtre National de Chaillot à Paris est un dancefloor.  La directrice du Merlan, Nathalie Marteau, n’a pas son pareil pour accueillir ses hôtes. À croire que c’est elle qui “reçoit”. L’estrade, qui longe la bâtisse, donne l’impression au spectateur qu’il est l’acteur d’un défilé.

Parle-t-on seulement d’amour du théâtre ? Jamais. Ce n’est pas dans le vocabulaire de la maison. L’amour est mis à distance. Cela se ressent et se voit. Nous entrons dans un bâtiment où l’intérieur de la salle fait plutôt penser à une MJC des années 70 en voie de désamiantage. À l’heure où de nombreuses communes en France s’interrogent sur l’opportunité de construire un équipement culturel, ici on quitte ce que l’on a pour aller vers ce que l’on ne voudrait plus subir: une scène minuscule pour un confort minimaliste. Seule l’architecture métallique qui supporte les lumières semble neuve (combien d’euros ?). Le lieu manque de profondeur. Qu’importe. La thématique sur l’amour fait sens. La com’, toujours elle, est toute puissante.

Nous commençons la soirée avec « Manteau long en laine marine sur un pull à l’encolure détendue avec un pantalon peau de pêche et des chaussures pointues en nubuck rouge » de et par Delgado Fuchs (comprenez Nadine Fuchs et Marco Delgado). Cette chorégraphie est un moment à la fois amusant et apprenant. Elle positionne la danse au coeur du corps social en prenant pour figure Barbie et Ken. Tout n’est que mécanique, le désir n’est que jouet et la peau forme la pellicule de nos clichés. Notre couple s’acharne à véhiculer du sens, mais semble perpétuellement rattrapé par son incapacité à faire du mouvement un geste dansé. C’est alors que cette oeuvre résonne particulièrement avec les choix artistiques du Merlan et la relation qu’il entretient avec son public : la forme touche le fond et la tendance se confond avec l’émergence.  

Le deuxième spectacle de l’italien Massimo Furlan (« Make Noise, Be a girl ») est un ovni théâtral qui s’écrase en plein vol. Le public décroche littéralement au bout de vingt minutes et laisse dériver cette troupe dans son délire « bo bo », entre provocation facile et désinvolture.

Ce soir, nous avons tout perdu en route.

La rencontre,

L’errance,

L’amour.

Ce soir, le Théâtre du Merlan pense qu’il est à lui seul objet de désir. Il se regarde vagabonder. Tel Narcisse, il tombe amoureux de son propre reflet.

Il ne sait pas encore qu’il dérive.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Manteau long…” de Delgado Fuchs et “Make noise, be a girl” ont été présentés dans le cadre du cycle “Parlez-moi d’amour’, en vagabondage, par le Théâtre du Merlan le 5 juin 2009 à Marseille.

 

 

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La « rhangardise » du Festival de Marseille.


Cela ne peut continuer ainsi. Il est temps pour le Fes
tival de Marseille d’arrêter la gabegie et de passer à autre chose. Chronique d’une mort annoncée pour renaître autrement…« Zeitung », chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker, est au programme de ce dimanche soir. Cette année, le festival nous donne rendez-vous au Hangard J 15 du Port Autonome, inaccessible en voiture! Deux possibilités pour s’y rendre : le bus ou le bateau. Métaphore d’une divagation possible entre terre et mer, je me prête à l’exercice, comptant sur cet espace pour lâcher-prise et découvrir peut-être un nouveau champ artistique.
19h30. Le bateau amarré au Vieux-Port embarque les passagers – spectateurs. Quarante minutes d’une traversée qui symbolise l’intention de ce festival, son rapport à la ville et son projet politique. À peine avons-nous quitté notre port d’attache, qu’un homme au micro évoque le passé du Vieux-Port, le présent et le futur du Port Autonome de Marseille, inscrit dans l’ensemble « Euroméditérannée ». Il n’en faudrait pas beaucoup pour que l’on salue le bilan de Jean-Claude Gaudin.
Arrivé à quai, je m’étonne : des transats, des tapis posés à terre et des barrières pour délimiter l’espace, vigile en embuscade. Avec des amis, nous prenons notre pique-nique. Je suis stupéfait d’être parqué ainsi. J’y vois une métaphore : une fois de plus, le public est déconnecté de la ville. Je suis dans une réserve d’Indiens et le projet culturel de Sarkozy trouve ici sa traduction : marginaliser, isoler les amateurs d’art, réduire leur possibilité d’interactions pour progressivement réserver le spectacle vivant à une élite de « bobos ».
Mais ce n’est rien à côté de ce qui nous attend à l’intérieur du hangar : c’est un déluge de communication à la gloire du Port Autonome de Marseille (qui doit bien avoir besoin de redorer son blason alors qu’il perd chaque année sa place dans le palmarès des ports européens). L’aménagement a coûté manifestement de l’argent pour au final donner des conditions d’accueil inacceptables pour les artistes et le public. Plus de 35° à l’intérieur, bruits métalliques incessants, public indiscipliné. L’espace est inapproprié : doit-on une fois encore rappeler à Apolline Quintrand, directrice du Festival, que la danse est un art fragile. Qu’importe. Chaque année, elle reproduit le même schéma : c’est la communication d’entreprise qui impose la relation entre l’oeuvre, son environnement et le public. Celui-ci de plus en plus indiscipliné consomme de la culture (après tout, c’est le seul positionnement qui lui est proposé). L’art n’est qu’un faire-valoir pour promouvoir un micro territoire et des intérêts exclusivement économiques. Je n’ai quasiment rien vu de « Zeitung », écrasé par la chaleur, dérangé constamment par le bruit, démoralisé par tant d’irrespect. Quelques jours plus tard, le même scénario se répète : le public est convoqué à l’autre bout de la ville au Théâtre Nono (à une heure du centre). Le spectacle prévu à 22h, commence avec 30 minutes de retard pour attendre le public pris dans les bouchons !

Mais je devine la suite pour 2009: Apoline Quintrand nous baladera à nouveau pour en rajouter sur le « sens » caché de ces vagabondages et regretter les espaces passés qu’elle a elle-même imposés. Sauf que cette fois-ci, cela se fera sans moi. À moins qu’une nouvelle direction soit donnée à ce festival.
Treize années après sa création, il n’a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d’une approche bourgeoise de l’art, il suit le mouvement plus qu’il ne le précède.
Le Festival pourrait être un outil de maillage entre toutes les structures culturelles de la ville : créer de nouvelles reliances entre les acteurs professionnels et le public (faciliter des liens plus transversaux), promouvoir de jeunes talents locaux, diminuer les charges de fonctionnement (en diffusant les spectacles dans les salles déjà existantes) et accompagner des formes artistiques pour investir dans l’économie de l’intelligence. Faire en sorte que la programmation ne soit plus aux mains d’une seule équipe monolithique dans ses origines sociales, mais une co-construction entre plusieurs partenaires issus des quartiers de la ville. L’idée est de doter Marseille d’un Festival qui relie les territoires plutôt que de les isoler à partir d’oeuvres artistiques qui travaillent le lien entre couches sociales. Cela préparerait Marseille à affronter les défis majeurs de la globalisation. Tout un programme pour être à la hauteur en 2013 dans le cas où Marseille serait capitale européenne de la culture.
Si rien n’est fait, le Festival disparaîtra de lui-même, faute d’un projet global. Les valeurs marchandes qu’il promeut l’isoleront dans la sphère de la communication d’entreprise qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais produit du sens et éclairé la société.
La parole est maintenant aux artistes qui, pour reprendre les propos du philosophe Bernard Stiegler dans la revue Mouvement, doivent « participer à l’avenir du pays» :
«Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au coeur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. »

Pascal Bély – www.festivalier.net

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“L’After / Before” au Théâtre du Merlan!

Je n’avais pas fait le lien avant d’y arriver: l’usine Corot, où se joue ce soir « Psychiatrie / Déconniatrie » dans le cadre des « Vagabondages » du Théâtre du Merlan à Marseille, est le lieu où le « chorégraphe » Jean-Charles Gil répète ses œuvres. Elles ont fait les joies du Tadorne  en décembre dernier. L’endroit est angoissant  mais le restaurant qui jouxte la salle de spectacle donne envie. Comme quoi, l’art culinaire a sa place à côté du lard chorégraphique.

Je suis en avance (c’est la condition pour avoir la « before » attitude) ; une jeune femme me tend un questionnaire : « Le Théâtre du Merlan souhaite connaître son public ». Je m’efforce de remplir les cases mais une photocopie de ma carte d’identité serait plus efficace. Le Théâtre du Merlan pourrait quand même créer un partenariat avec l’Université pour proposer des questionnaires qui tiennent un peu mieux la route. Certes, les étudiants sont occupés ailleurs et cela se sent : ce questionnaire est aussi light que le programme social de l’UMP.

Tout en remplissant ce pauvre papier, j’engage la conversation avec une chargée des Relations avec le Public. Quel joli titre ! Autant être franc…Cette jeune femme est avenante ; elle m’informe des activités du Merlan et porte son projet artistique. J’évoque mon blog et l’invite à trouver l’adresse via Google et Jean-Charles Gil (la boucle est bouclée). Je suis ravi de cette rencontre et je me sens respecté comme spectateur. La pièce qui suivra (« Psychiatrie / Déconniatrie“) confirmera cette impression.

Mais là où tout ce gâte, c’est à la fin du spectacle. Nous sommes en Avril 2006, soit trois années après la crise de l’intermittence déclanché par Raffarin en juin 2003. A peine la pièce terminée (je n’ai même pas le temps de faire une ovation à Christian Mazzuchini) la Directrice du Merlan et les techniciens sont sur le plateau. Et là…nous avons droit à la lecture de jolis textes entendu mille fois sur le statut de l’artiste, sur la nécessité de sauver le Service Public de la Culture, et gnan, gnan, gnan…

Au même moment, les étudiants font alliance avec les syndicats de salariés pour faire plier en deux mois un gouvernement autocratique. Les intermittents continuent d’être inaudibles, répétant toujours les mêmes modes d’action, positionnant toujours le public dans la même posture (on écoute gentiment et on applaudit tout aussi gentiment…). Je m’en étais ému dans un précédent «After / Before » comme quoi, de Cavaillon à Marseille, rien ne change.

Alors que «Psychiatrie / Déconniatrie » posait la parole comme un acte créatif et libératoire, il semble que les intermittents se soient enfermés dans une communication à sens unique, loin du public et des salariés en situation précaire. Avec le CPE et les étudiants, il y aurait pu avoir la  plage sous les pavés…

Pascal Bély – Le Tadorne
A lire, « Psychiatrie / Déconniatrie  au Théâtre du Merlan: à devenir fou»