photo extraite de la galerie de photos de Heidi Kuisma
En octobre, en fin de journée, les rues d'Avignon sont calmes. L'événement crée par Le Centre de Développement Chorégraphique d'Avignon (« Les Hivernales ») n'y change rien. Pour fêter l'arrivée de son jeune directeur (Emmanuel Serafini) et le début de la saison 2009-2010, le public a rendez-vous à l'extérieur du centre pour assister à la performance d'Antoine le Ménestrel. L'homme s'agrippe à cette façade verticale face à une trentaine de spectateurs amassés le long du trottoir. Il cherche les points d'appui, peine à aller très haut. Doté d'un masque type H1N1, il finit son escapade pris dans un filet qui lui colle au corps, accroché à un croc de boucher (sic). La métaphore est saisissante: sommes-nous conviés à assiéger cette institution pour nous en libérer? Souhaitons à ce jeune directeur d'ouvrir la relation (notre faible nombre devrait l'interpeller), de créer des porosités et des « zones de contact » pour mailler les publics à partir de ses projets artistiques. Il y a manifestement urgence, car ce soir, l'auditoire s'est atrophié, la verticalité finit par donner le vertige d'une violence sociale qui ne dit pas encore son nom.
Même jour, une heure plus tard. Hortense Archambault et Vincent Baudriller, les co-directeurs du Festival d'Avignon, convient les spectateurs à une rencontre-débat autour du bilan de la dernière édition. Ils sont assis dans un coin de la scène, tandis que le public (majoritairement âgé et féminin) est sagement installé dans les gradins. Du bas vers le haut et inversement : entre nous et l'institution, le lien est une mécanique bien huilée. Tout commence donc par un spectateur qui regrette l'époque de Jean Vilar et dénonce les « bourgeois ». Bruits dans la salle. La réponse ne se fait pas attendre et finit par des remerciements appuyés envers la direction actuelle. Applaudissements. Entre ces deux caricatures, comment être un spectateur citoyen éclairé ? À défaut d'un regard critique, deux personnes relient les ?uvres en veillant à se mettre à distance tandis que d'autres se positionnent en « spectateur consommateur » quand ils évoquent la qualité des sièges lors des représentations ! Il faut alors attendre la prise de parole d'une jeune étudiante en BEP pour ressentir un frisson dans la salle et sur la scène : après avoir découvert le festival l'an dernier, elle regrette que l'on ne vienne pas vers les élèves des BEP-CAP pour communiquer avec « ceux qui ne connaissent pas le monde du théâtre ». Cette intervention (à la 47′ de la vidéo) arrive à point nommé au moment où le débat tourne sur lui-même, à l'image d'un système autarcique. La réaction sincère d'Hortense Archambault (« donnez-nous des pistes et des idées ») sonne comme un aveu : comment communiquer autrement pour que l'on se rencontre? Le festival associera-t-il cette jeune fille et ses camarades pour inventer un nouvel espace de rencontre où l'humain, avec ses forces et ses fragilités, contourne les codes rationnels du lien développés par les experts de la communication promotionnelle ? L'époque n'appelle-t-elle pas les réseaux sociaux au détriment des tuyaux (encombrés) de l'information ?
Toujours en octobre, le Festival Actoral à Marseille bat son plein. Les nouvelles formes d'écritures, y compris la relation avec le public, sont au coeur du projet. L'actrice belge Viviane de Muynck nous promet donc un débat sur le théâtre. Au préalable, elle lit une correspondance entre un metteur en scène et une comédienne. Nous assistons à une vivifiante leçon de théâtre énoncée avec brio par cette « maîtresse » hors pair. À la fin de sa lecture, elle se lève et vient vers nous pour entamer l'échange tout en maintenant sa position haute. Je tente quelques retours, mais cela tombe à plat. Elle a son scénario en tête et continue sa « leçon ». Un spectateur s'en agace (« si nous parlions d'autre chose que de vous-même ») mais la salle reste impassible, hypnotisée par son charisme. Point de débat, juste une mise en scène où nous sommes de bien mauvais acteurs piégés par nos enfermements.
Mais alors, est-ce encore possible d'innover ? « Y’a des Ho ! Y'a debat ! », est une rencontre que j'ai co-animé avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues, le 29 septembre. Une quarantaine de spectateurs a fait le déplacement (des habitués et des professionnels de la culture). La scène est volontairement vide pour ce premier débat de la saison (« quel spectateur, quel programmateur êtes-vous ? ») et nous sommes fondus dans le public, disposé en U. Annette Breuil et moi-même improvisons sur l'historique de notre rencontre où comment j'en suis venu à créer un blog après le spectacle de Jérôme Bel (« the show must go on ») présenté au Théâtre des Salins en 2005 puis comment nous sommes parvenus, elle et moi, à nouer une relation non hiérarchisée. À ce moment précis, nous posons le cadre du débat : échanger loin des cases qui nous enferment. L'assemblée paraît apprécier la chaleur humaine que nous instaurons et semble prêt pour un petit exercice : écrire sur un papier rose ( !), « une question que l'on n'a jamais osé poser à Annette Breuil », sur un papier jaune « une question destinée à votre voisin ». Incontestablement, ce cadre crée une dynamique. Les interrogations fusent en direction d'Annette Breuil (sur ses choix de programmation essentiellement) tandis que celles entre nous peinent à émerger. Nous ne savons manifestement pas nous interpeller! Même si nous abordons la posture du spectateur (« pourquoi quittons-nous un
spectacle avant sa fin ? », « quel rôle joue pour nous la plaquette de saison ?»), force est de constater que la forme ouverte de l'échange n'a en rien modifié le fond : ce sont souvent les spectateurs inclus dans le réseau culturel qui ont pris la parole pour un débat autour de la fonction d'Annette Breuil sans qu'émerge un questionnement sur le positionnement du spectateur. Il y a là un enseignement majeur : nos institutions ont « normé » le lien avec le public dans une logique verticale descendante. Pas étonnant que les retours s'inscrivent dans ce lien et maintiennent des postures finalement assez figées.
Dès lors, peut-on imaginer l'ouverture de la relation entre spectateurs et professionnels de la culture à partir des institutions ? N'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer un lien transversal dans un cadre qui trouve sa légitimité dans un lien descendant ? Pour l'instant, il est difficile de s'appuyer sur internet pour « bouleverser » les institutions tant les professionnels peinent à utiliser cet outil pour communiquer en transversalité (pour s'en convaincre, Facebook est manié par les structures culturelles comme un panneau d'information !).
Nous avons donc, collectivement, à imaginer de nouveaux espaces. Est-ce à la marge qu'ils émergeront?
Pascal Bély ? www.festivalier.net

C'est une semaine turbulente, dans un climat de persécution et de décadence qui enveloppe tout le pays. La peur s'immisce partout, les barrières se dressent, le népotisme s'invite au plus haut niveau de l'Etat, l'argent infiltre les lieux du savoir, les commentaires sur les sites internet des journaux concernant Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, sont d'une violence inouïe. La société du spectacle et du jeu, érigée en propos artistique à la
À d’autres moments, ces âmes torturées ont le corps d’un f?tus se contractant sous les coups extérieurs. La mort est un prélude à la renaissance. Et puis, la cérémonie bascule : la danse se fait douleur. La danseuse tourne sur elle-même au cours de minutes interminables : elle risque à tout moment de perdre son centre de gravité, de se brûler les pieds par contact avec le sol. Cette torche vivante fait tomber les bras et la tête. L’art se niche au c?ur de la torture : beau et troublant à la fois.
Cet été, au Festival d'Avignon, le metteur en scène italien Pippo Delbono avec « La Menzogna » nous offrait un final éblouissant : seul le « fou » pouvait nous sauver de la débâcle. À Marseille, le fou est un roi qui se moque bien de notre triste sort ! Personnifié par Etienne Saglio dans « le soir des monstres », cette ?uvre de cirque étonne par son langage (entre tours de magie et théâtre burlesque sans texte). Le pouvoir s'incarne, mais Étienne Saglio peine à s'amuser avec le corps « institué » et nous inflige des mouvements plus proche d'un « one man show » que notre petit président jouent d'ailleurs à merveille. Malgré une réelle sincérité dans le jeu, l'ennui guette. Étienne Saglio a un talent prometteur, mais on aurait aimé un peu plus d'audace en lieu et place de ses numéros tuyautés qui finissent par lasser.
À côté, le fou incarné par Bonaventure Gacon détonne ! « Par le boudu » nous donne à voir l'un des clowns les plus complexes jamais rencontré. Il perd toutes notions d'espace et de verticalité. Assassin d'enfant, il va jusqu'à le manger. Pour s'asseoir ou se lever, il prend de tels chemins de traverse, qu'il peine à retrouver la mécanique de son corps. C'est un clown contaminé par notre société de consommation qui s'amourache d'un poêlon. Il finit même par engloutir n'importe quoi au risque de se casser les dents. Pour incarner nos névroses obsessionnelles d'ordre et de sécurité, il imite un soldat obéissant, prêt à tendre le bras vers Jean-Marie. Tout au long de ce spectacle drôle et subtil, me revient l'année 2002, celle où la France s'est couverte de honte. Étrange coïncidence, c'est la date de création de « Par le boudu ». Huit ans que ce clown cauchemardesque envahit nos théâtres et torture nos mauvaises consciences. Réussira-t-il à nous sauver ?







« Je pense à vous, épisode XX » de Didier Ruiz fera date. Imaginez dix personnes âgées russes, assises face à nous, issues de différents milieux sociaux. Tout commence par la projection d'un album photo, comme si nous étions côte à côte. C'est le début d'une « photo romance » qui prend le temps, quitte à ce que les trous de mémoire s'invitent et que la traductrice, un peu seule dans sa cabine, soit prise de signes de fatigue. A tour de rôles, ils nous racontent un instant de leur histoire qu'ils restituent avec leurs cinq sens pour nous y inclure : le parfum posé sur la peau, le goût du premier baiser, l'odeur d’un champ de fleurs, les objets et les chansons de l'enfance. Malgré la guerre, ils ont poursuivi leur route qui les conduit jusqu'à nous. Ils semblent avoir eu peur de tout, « même d'une souris » mais ils ont surmontés. Ils nous délivrent un message percutant : nous sommes aussi acteurs de nos propres peurs. Ces dix femmes et hommes sont au c?ur du théâtre du monde où ils ont traversé la seconde guerre mondiale, le totalitarisme soviétique, l'avènement de l'économie de marché. Ils ont cherché un père, une s?ur, disparus sans savoir ni où, ni comment. L'une en a même perdu la parole, tandis qu'une autre s'est mise à bégayer à l'adolescence. L'histoire est ainsi : elle se répète parfois, devient mutique quand les états refusent leur travail de mémoire.
C'est un moment unique, fragile, car ces hommes et ces femmes sont les derniers témoins d'une époque qui a vu naître l'idée d'une Europe politique. Didier Ruiz s'appuie sur eux et leur offre une mise en scène de la transmission : les objets qu'ils nous tendent font maintenant partie de notre imaginaire, leurs photos sont un patrimoine de l'humanité et leurs chants résonnent tels des hymnes à la joie.
