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EN COURS DE REFORMATAGE

En novembre, au Festival d’Automne à Paris, le Tadorne a vu…

 

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles, au printemps dernier. Le metteur en scène américain d'origine coréenne, Young Jean Lee, présentait « The Shipment ». Au Festival d’Automne, vous goûterez l'humour “noir” de cette ?uvre qui déstabilise avec subtilité nos représentations sur le racisme. À ne pas manquer. C'est au Théâtre de Gennevilliers du 4 au 8 novembre. La critique est à lire ici.

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles au printemps 2008. Nous étions conviés dans une friche industrielle pour « Je meurs comme un pays » de Dimitri Dimitriadis, une création au croisement de la Grèce Antique et de celle des « colonels ». Texte universel ? Pas si sûr malgré une centaine de figurants et quelques comédiens professionnels perdus dans une mise en scène mégalomaniaque. Que pourra bien donner cette ?uvre à l'Odéon, Théâtre de l'Europe (du 7 au 12 novembre) qui a tant refroidi le public belge? La critique est à lire ici.

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles au printemps dernier. Le Congolais Faustin Linyekula présentait « more more more?future » devant un public belge toujours friand dès que l'on évoque son ancienne colonie. Entre danse, concert et music-hall, cette ?uvre sur le rôle de la musique dans la conscience politique, vous plonge dans l'ennui passé les vingt premières minutes. En l'absence de mise en scène assumée, Faustin Linyekula plombe et prend le pouvoir sur le public. C'est à la Maison des Arts de Créteil du 12 au 14 novembre 2009.

C'était en septembre dernier, lors du Festival « Sens Interdits » à Lyon. Le metteur en scène polonais Jan Klata présentait « Transfer ! ». Ici aussi, amateurs et comédiens professionnels se partagent la scène. D'un côté, des témoignages bouleversants de ces « enfants » de la Deuxième Guerre mondiale. De l’autre, une scène en hauteur où l'on joue un remake (raté) du sommet de Yalta. À ne pas vouloir faire  confiance au  jeu des amateurs, Jan Klata s'amuse avec le feu. À voir tout de même à la Maison des Arts de Créteil du 5 au 7 novembre. La critique est à lire ici.

Je ne connaissais pas Jean-Jacques le Bel. Artiste, organisateur d'expositions ou de festivals, poète, théoricien, activiste politique, il est l'invité de la Maison Rouge, où il présente « soulèvements ». Vous plongerez dans son univers artistique où rien n'est hiérarchisé, mais où tout est en lien. Visiter cette exposition, c'est perdre son statut de visiteur passif pour retrouver le plaisir de tirer un bout de ficelle et s'étonner de là où il vous emmène. À ne pas manquer. Jusqu'au 17 janvier 2010.

Bon Festival d’Automne à tous,

Pascal Bély – www.festivalier.net

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CONCERTS

La nouvelle “Stars”.


Ce soir, sur la scène du Centre Georges Pompidou, je me suis étendue, par terre ; j'ai fermé les yeux, et je me suis laissée emporter par une étoile. Stars like flees joue pour la première fois en France dans le cadre du Nouveau Festival.


La composition de ce groupe new-yorkais est variable, tout comme l'objet musical qui est offert. Ce soir six musiciens : harpe, violon, guitare, batterie, chant, piano et une atmosphère unique, faite de bricolages sonores et vocaux.

Comment décrire ? La référence serait réductrice, mais elle permet de situer : une voix proche de celle de Tom Yorke, la gaîté de Beirut (avec certains musiciens aux manettes) et la rage d'un Arcade fire.

En trois constructions musicales d'une vingtaine de minutes, nous sommes partis. Loin. J'ai senti ma peau frissonner. J'ai voulu crier avec eux. Eu envie de courir à perdre haleine. J'ai pleuré.

Nous avons eu le sentiment d'assister à un événement précieux et rassurant à la fois. Ces jeunes musiciens prodiges et hirsutes ?le chanteur a revêtu un accoutrement digne de celui du bras droit d'Oussama Ben Laden-, sont représentatif d'une jeunesse américaine talentueuse, humaine et porteuse d'une musique de toute beauté.

Une musique dont il faut se délecter tant leurs performances sont non reproductibles. Stars like flees c'est l'anti objet de consommation, l'élixir de jouvence à usage unique.  Alors quand l'un des musiciens nous a suggéré de venir s'allonger sur scène pour mieux en profiter. Il n'a pas été utile me le me le dire une deuxième fois.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

 

Stars like flees est encore en France le 30 octobre à Cherbourg, le 31 octobre à Vendôme et le 1er novembre à Nantes. http://www.myspace.com/starslikefleas

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EN COURS DE REFORMATAGE

Tant pis pour le pique-nique.

« Si on est heureux, mieux vaut pique-niquer qu'aller au théâtre » déclarait Krzysztof Warlikowski à Télérama en juillet dernier. En ce dimanche ensoleillé,  les rues de Paris embaument d'odeurs d'automne, mais nous sommes quelques-uns à préférer la petite salle du Théâtre de la Coline pour « le père tralalère », création collective de la compagnie « d'ores et déjà », mise en scène par Sylvain Creuzevault. Alors que nos campagnes souffrent, le bonheur n'est momentanément plus dans le pré. L'est-il pour autant sur cette scène ? Qu'importe, ce théâtre-là rend serein parce qu'il bouleverse.

 

La table est bien trop large pour les quelques invités triés sur le volet à l’occasion des noces de Lise et Leo. Mais ces tragédiens des temps modernes ont besoin d'espace. Il y a le père de Lise, chef d'entreprise, « droit dans ses bottes » et méfiant dès que l'on cherche à l'usurper d'une bouteille de vin ou de 80 000 euros. Il y a le frère de Lise, poète improductif, qui « à 45 ans sera encore à la fac », dixit le père. N'est pas « Jean, fils de » qui veut.  Il y a Benoît, présentateur de télé qui étale son savoir sur une tartine « bling bling » comme un autobronzant sur sa peau pâle. Le « père de Jean » peut compter sur lui. Il y a Samuel, jeune bras droit du père, tandis que le gauche nous fait un bras d'honneur. Il y aussi un couple d'amis de Lise et Léo, qui vit son bonheur jusqu'à finir par nous le rendre insupportable. Et puis il y a nous,  public, disposé en bifrontal avec cette table au milieu, qui nous cache la vue. Entre vous qui êtes en face et moi, il y a eux, comme un gouffre dans lequel nous ne tardons pas à plonger. Le trou béant de nos peurs et de nos lâchetés, à moins que ce ne soit le théâtre qui, en cette période troublée, est là pour nous sauver.

En arrivant bruyamment, ils nous prennent par surprise alors que les lumières de la salle sont toujours allumées. Le théâtre est encore loin. Ils jouent le jeu, c'est tout. Comme vous, comme moi. Le jeu des conventions sociales. Un jeu de rôles comme un « théâtre réalité » où nous serions de spectateurs-jurés parés pour appuyer sur le bouton. Nous regardons et rions d'eux comme des sadiques. Mais nous sommes lucides. Eux c'est nous. La tension monte parce qu'autour de cette table, les contextes s'emboîtent comme des poupées russes prêtes à nous sauter à la figure : l'état de déliquescence des valeurs de notre pays où l'on ne distingue plus très bien l'éthique de la morale, d'autant plus que nous peinons à communiquer avec l'autre dans un espace saturé par l'information futile. Il y a la perte des repères alors que nous cherchons le père, tandis que nous régressons affectivement de peur de nous en émanciper. Et puis il y a l'ici et maintenant, là, tout à l'heure, avec la grippe H1N1 qui annule un match de foot et le Pôle Emploi englué dans son inefficacité !

La frontière entre eux et nous est si fragile que nous pourrions franchir le pas et nous inviter par surprise.

Sauf qu'à force de jouer avec le feu, le théâtre fait une irruption dans ce réel formaté et mortifère. Le corps s'invite donc à table et pas qu'un peu. Lise glisse, Léo s'engouffre, le père bascule. Et nous avec. C'est alors que le théâtre va mener un combat acharné contre tous les démons actuels qui le réduise à un simple divertissement. Ces comédiens (tous exceptionnels) se métamorphosent pour incarner des personnages presque « mythiques » de nos sociétés postmodernes. Sylvain Creuzevault provoque une intensité dramatique qui nous emporte parce que le corps, (biologique, social et politique), prend ici toutes ces formes pour chasser ce « réel », ce « concret » qui envahit nos modes de pensée et nos façons de communiquer. D'un repas, d'une fête au départ « industrialisés », mécanisés à l'image de ce que nous transformons, le liquide, la poudre, le souffre, le beau, le laid, le cul, le sang, s'emparent de l'espace scénique pour nous rappeler que nous sommes faits de tout cela. Pour qu'enfin, le théâtre français ose cette chair, ce vivant dégoulinant et nous propulse dans l'intranquillité qui nous sauvera de nos peurs.

La dernière scène est magnifique, alors que les acteurs jouent avec les tables pendant que le roi se meurt. Le chorégraphe William Forsythe s'inviterait presque de la partie, lui qui en a fait depuis longtemps un objet théâtral par excellence où les corps s'y désarticulent pour renaître, par la grâce de l'acte chorégraphique. Il y a chez Sylvain Creuzevault, cette part du chorégraphe et du peintre qui nous propulse dans le théâtre du sensible. Rien d'étonnant qu'à la sortie, nous sortions éclaboussé et tant pis pour le pique-nique.

Mieux vaut parfois être piqué à vif.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

“Le père tralalère” par la Compagnie d’Ores et déjà du 14 au 31 octobre 2009 au Théâtre de la Coline dans le cadre du Festival d’Automne. Puis du 5 au 15 novembre 2009 au Théâtre du Nord (Lille).
A lire la critique de “Notre terreur“, dernière création de la compagnie.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Avec Alexis Moati, le jeune public se prend un vol plané.

Avec la représentation du « Malade imaginaire » de Molière, Alexis MOATI réussit à bousculer les idées préconçues d'un public scolaire souvent réticent à l'égard du théâtre, n'y voyant qu'un lieu désuet, où sont présentés des « classiques » figés et immuables. Ici, il devra s'en affranchir pour s'éveiller à une forme «participative » inédite.

 En conviant les spectateurs à s'asseoir sur la scène, la compagnie “Vol Plané » joue la proximité public-acteur. Effaçant la frontière du dehors et du dedans, le cadre s'ouvre pour nouer une autre relation avec le public. Les comédiens n'hésitent pas à se fondre parmi lui, à changer de rôle durant la pièce (d'acteur à régisseur plateau) pour l'interpeller. Cette mise en scène, où les mots de Molière se déclinent en jeans et tee-shirts, partage et transmet en permettant à ce public dit « scolaire » de s'approprier l'acte théâtral.

En créant la résonance entre l'époque de Molière et aujourd'hui, les comédiens offrent une seconde lecture de la pièce. Ils transmettent ce que l'éducation nationale peine à articuler, un texte classique et notre contexte. Ils réussissent à donner une hauteur de vue et mettent à l'épreuve l'écriture de Molière pour mieux nous y glisser.

  La compagnie “Vol Plané” parvient à perturber le public scolaire en bousculant les codes de la représentation. Les élèves s'interrogent sur la longue cacophonie du prologue, sur la lumière qui ne s'éteint pas alors que la pièce a commencé. Ces questions en suspens trouvent leur réponse dans le déroulé de la mise en scène. Alexis MOATI, en parfait pédagogue, réussit à instaurer une relation entre son public, sa compagnie et invente un théâtre ouvert vers ces adultes en devenir.

Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

 

“Le malade imaginaire” par la Compagnie Vol Plané a été joué au Théâtre des Halles, en Avignon, du 8 au 10 octobre 2009.

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ETRE SPECTATEUR

Spectateurs et professionnels de la culture: sommes-nous encore ensemble?

photo extraite de la galerie de photos de Heidi Kuisma

En octobre, en fin de journée, les rues d'Avignon sont calmes. L'événement crée par Le Centre de Développement Chorégraphique  d'Avignon (« Les Hivernales ») n'y change rien. Pour fêter l'arrivée  de son jeune directeur (Emmanuel Serafini)  et le début de la saison 2009-2010, le public a rendez-vous à l'extérieur du centre pour assister à la performance d'Antoine le Ménestrel. L'homme s'agrippe à cette façade verticale face à une trentaine de spectateurs amassés le long du trottoir. Il cherche les points d'appui, peine à aller très haut. Doté d'un masque type H1N1, il finit son escapade pris dans un filet qui lui colle au corps, accroché à un croc de boucher (sic). La métaphore est saisissante: sommes-nous conviés à assiéger cette institution pour nous en libérer? Souhaitons à ce jeune directeur d'ouvrir la relation (notre faible nombre devrait l'interpeller), de créer des porosités et des « zones de contact » pour mailler les publics à partir de ses projets artistiques. Il y a manifestement urgence, car ce soir, l'auditoire s'est atrophié, la verticalité finit par donner le vertige d'une violence sociale qui ne dit pas encore son nom.

 

Même jour, une heure plus tard. Hortense Archambault et Vincent Baudriller, les co-directeurs du Festival d'Avignon, convient les spectateurs à une rencontre-débat autour du bilan de la dernière édition. Ils sont assis dans un coin de la scène, tandis que le public (majoritairement âgé et féminin) est sagement installé dans les gradins. Du bas vers le haut et inversement : entre nous et l'institution, le lien est une mécanique bien huilée. Tout commence donc par un spectateur qui regrette l'époque de Jean Vilar et dénonce les « bourgeois ». Bruits dans la salle. La réponse ne se fait pas attendre et finit par des remerciements appuyés envers la direction actuelle. Applaudissements. Entre ces deux caricatures, comment être un spectateur citoyen éclairé ? À défaut d'un regard critique, deux personnes relient les ?uvres en veillant à se mettre à distance tandis que d'autres se positionnent en « spectateur consommateur » quand ils évoquent la qualité des sièges lors des représentations ! Il faut alors attendre la prise de parole d'une jeune étudiante en BEP pour ressentir un frisson dans la salle et sur la scène : après avoir découvert le festival l'an dernier, elle regrette que l'on ne vienne pas vers les élèves des BEP-CAP pour communiquer avec « ceux qui ne connaissent pas le monde du théâtre ». Cette intervention (à la 47′ de la vidéo) arrive à point nommé au moment où le débat tourne sur lui-même, à l'image d'un système autarcique. La réaction sincère d'Hortense Archambault (« donnez-nous des pistes et des idées ») sonne comme un aveu : comment communiquer autrement pour que l'on se rencontre? Le festival associera-t-il cette jeune fille et ses camarades pour inventer un nouvel espace de rencontre où l'humain, avec ses forces et ses fragilités, contourne les codes rationnels du lien développés par les experts de la communication promotionnelle ? L'époque n'appelle-t-elle pas les réseaux sociaux au détriment des tuyaux (encombrés) de l'information ?

Toujours en octobre, le Festival Actoral à Marseille bat son plein. Les nouvelles formes d'écritures, y compris la relation avec le public, sont au coeur du projet. L'actrice belge Viviane de Muynck nous promet donc un débat sur le théâtre. Au préalable, elle lit une correspondance entre un metteur en scène et une comédienne. Nous assistons à une vivifiante leçon de théâtre énoncée avec brio par cette « maîtresse » hors pair. À la fin de sa lecture, elle se lève et vient vers nous pour entamer l'échange tout en maintenant sa position haute. Je tente quelques retours, mais cela tombe à plat. Elle a son scénario en tête et continue sa « leçon ». Un spectateur s'en agace (« si nous parlions d'autre chose que de vous-même ») mais la salle reste impassible, hypnotisée par son charisme. Point de débat, juste une mise en scène où nous sommes de bien mauvais acteurs piégés par nos enfermements.

Mais alors, est-ce encore possible d'innover ? « Y’a des Ho ! Y'a debat ! », est une rencontre que j'ai co-animé  avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues, le 29 septembre. Une quarantaine de spectateurs a fait le déplacement (des habitués et des professionnels de la culture). La scène est volontairement vide pour ce premier débat de la saison (« quel spectateur, quel programmateur êtes-vous ? ») et nous sommes fondus dans le public, disposé en U. Annette Breuil et moi-même improvisons sur l'historique de notre rencontre où comment j'en suis venu à créer un blog après le spectacle de Jérôme Bel (« the show must go on ») présenté au Théâtre des Salins en 2005 puis comment nous sommes parvenus, elle et moi, à nouer une relation non hiérarchisée. À ce moment précis, nous posons le cadre du débat : échanger loin des cases qui nous enferment. L'assemblée paraît apprécier la chaleur humaine que nous instaurons et semble prêt pour un petit exercice : écrire sur un papier rose ( !), « une question que l'on n'a jamais osé poser à Annette Breuil », sur un papier jaune « une question destinée à votre voisin ». Incontestablement, ce cadre crée une dynamique. Les interrogations fusent en direction d'Annette Breuil (sur ses choix de programmation essentiellement) tandis que celles entre nous peinent à émerger. Nous ne savons manifestement pas nous interpeller! Même si nous abordons la posture du spectateur (« pourquoi quittons-nous un
spectacle avant sa fin ? 
», « quel rôle joue pour nous la plaquette de saison ?»), force est de constater que la forme ouverte de l'échange n'a en rien modifié le fond : ce sont souvent les spectateurs inclus dans le réseau culturel qui ont pris la parole pour un débat autour de la fonction d'Annette Breuil sans qu'émerge un questionnement sur le positionnement du spectateur. Il y a là un enseignement majeur : nos institutions ont « normé » le lien avec le public dans une logique verticale descendante. Pas étonnant que les retours s'inscrivent dans ce lien et maintiennent des postures finalement assez figées.

Dès lors, peut-on imaginer l'ouverture de la relation entre spectateurs et professionnels de la culture à partir des institutions ? N'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer un lien transversal dans un cadre qui trouve sa légitimité dans un lien descendant ? Pour l'instant, il est difficile de  s'appuyer sur internet pour « bouleverser » les institutions tant les professionnels peinent à utiliser cet outil pour communiquer en transversalité (pour s'en convaincre, Facebook est manié par les structures culturelles comme un panneau d'information !).

Nous avons donc, collectivement, à imaginer de nouveaux espaces. Est-ce à la marge qu'ils émergeront?

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Mathilde Monnier, la danse est contemporaine.

À trois mois d’intervalle, trois chorégraphes ont posé un acte artistique fort dans un contexte de perte du sens qui n’épargne pas la danse. Lors du dernier Festival d’Avignon, le Canadien Dave St Pierre avec «un peu de tendresse bordel de merde »  questionnait le lien amoureux, malmené par nos sociétés globalisées où presque tout se marchande. Début octobre à Nîmes, Anne Teresa de Keersmaeker avec « The Song » nous projetait dans un espace ouvert, loin des conventions, pour stimuler nos imaginaires dans un temps (1h50) particulièrement inhabituel. Au Centre Chorégraphique National de Montpellier, Mathilde Monnier revisite un bref solo mythique de la danse contemporaine,  “La mort du cygne”, écrit par Fokine en 1907 pour la danseuse Anna Pavlova. Elle l’étire tant et plus jusqu’à casser la corde qui enferme nos représentations sur le mouvement. Ce souffle novateur impulsé par le  collectif plonge à chaque fois le public dans un océan de sensualité où le corps du danseur catalyse des contraires pour restituer de l’humain, certes turbulent, mais magnifiquement vivant. Loin d’un propos conceptualisé, ces chorégraphes nous offrent la possibilité de questionner notre rapport à la danse, à notre futur pour nous conduire inéluctablement à interroger nos façons de communiquer.

À Montpellier, Mathilde Monnier a donc frappé fort. Neuf danseurs, vont et viennent suivant une même mécanique qui, tout en se perpétuant, change de forme et de nature. Une alarme retentit, le groupe avance puis s’effondre comme pris d’épilepsie, un solo émerge (une « mort du cygne » sans cesse réinterprétée), le chaos s’installe puis l’ensemble disparaît, happé dans les coulisses. Cette forme n’est pas sans rappeler les « Flash Mob » (« foule éclair » ou « mobilisation éclair ») qui bouleversent les codes classiques de la manifestation en dynamisant le collectif à partir de l’outil interactif et participatif qu’est internet. Car cette danse est une riposte : réinventons le mouvement semble proclamer Mathilde Monnier, puisqu’il nous permet de mettre en dynamique notre vision d’un futur, dont l’espace s’est considérablement réduit !

L’urgence est palpable : alors que le présent file à toute vitesse, comment s’appuyer sur nos mythes fondateurs pour transformer notre avenir à partir d’une mémoire commune? Comment appréhender ce « cygne », symbole de notre angoisse face à un futur incertain? Mathilde Monnier et sa superbe compagnie de danseurs s’en emparent afin que ce solo révolutionnaire en 1907 (il signait un changement de paradigme entre le classique et le contemporain), le soit de nouveau en 2009, alors que nous vivons une grave crise de système. Elle  réussit ce pari d’articuler le solo (le sens) avec le groupe (la communication). Tout ce que la société du spectacle réduit, elle l’interroge pour nous propulser vers un changement de civilisation: pourquoi chercher à tout prix le mouvement s’il n’est pas vecteur de sens, si le corps nous empêche de nous confronter au « politique », s’il n’éveille pas une conscience individuelle et collective. À partir du mythe, elle nous permet aussi de questionner notre rapport à la danse, métaphore de l’articulation passé-présent-futur.

Pour nous aider, à l’image d’un match de rugby, de nombreux objets circulent, non pour leur fonction plastique, mais parce qu’ils sont vecteurs du mouvement. Ce collectif ouvre tellement l’espace, que cela en est prodigieux : la poésie finit par vous emporter. La danse est le groupe, le corps est la matière du sensible et nous sommes des spectateurs inclus dans le mouvement, car c’est à nous de relier pour sculpter ce corps social, seul espace où nous pouvons inventer notre futur commun. « Pavlova 3’23 » nous traverse, bien plus qu’elle nous tétaniserait par sa beauté. À côté des objets, viennent s’ajouter des rideaux de plastique noir, positionnés sur chaque côté de la scène, qui montent et descendent, et produisent un son quasiment “liquide”, si cher à Christophe Haleb (chef d’oeuvre présenté à Uzès Danse). Le fluide est partout et finit par vous caresser la peau comme chez Dave St Pierre où les corps glissent sur l’eau, tandis qu’une bâche du plafond tombe à terre et devient liquide mélodieux chez Anne Teresa De Keersmaeker.

Mais cette ouverture vers le futur serait impossible sans l’engagement des danseurs dans leur interprétation du solo. Cécilia Bengolea est impressionnante en Dalida fragile et évanescente, Olivier Normand vous emporte dans ses ondulations féeriques, I-Fang LI vous écartèle avec son grand écart, Julien Gallée-Ferré vous subjugue dans sa fuite mortuaire, et Thiago Granato nous fait pitié en roi déchu. Alors que les musiques d’Heiner Goebbels et Rodolphe Burger finissent de vous envelopper, vous ne rêvez plus : la danse contemporaine a signé l’un de ses plus beaux manifestes pour un nouveau langage des cygnes.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Pavlova 3’23 » a été présenté du 12 au 16 octobre au CCN de Montpellier dans le cadre de la saison Montpellier Danse.

En tournée au Festival “Automne en Normandie” à Evreux le 31 octobre 2010; puis au Théâtre de la Ville de Paris du 2 au 6 février 2010.

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EN COURS DE REFORMATAGE

« La décadanse » d’Anne Teresa De Keersmaeker .

C'est une semaine turbulente, dans un climat de persécution et de décadence qui enveloppe tout le pays. La peur s'immisce partout, les barrières se dressent, le népotisme s'invite au plus haut niveau de l'Etat, l'argent infiltre les lieux du savoir, les commentaires sur les sites internet des journaux concernant Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, sont d'une violence inouïe. La société du spectacle et du jeu, érigée en propos artistique à la Biennale d'Art Contemporain de Lyon, entame sa descente aux enfers. Il ne manque plus qu'à installer nos politiques dans une émission de “télé réalité” pour qu'ils décident de notre avenir tout en dévoilant leurs penchants sadiques envers des fonctionnaires de La Poste.

Dans ce contexte,  où trouver l'apaisement pour ne pas perdre son sens critique et l'amplifier? Alors que l'inculture nous est proposée comme modèle de développement, que les artistes s'inquiètent de devoir se plier à des impératifs de marketing, pousser la porte d'un théâtre devient un acte de résistance. Celui de Nîmes accueille la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker pour sa dernière création «The Song». Le hall d'entrée est glacial, entre monument historique et lounge pour cadres fatigués. Assurément spectaculaire, mais si peu chaleureux. Tout y semble statufié. Le contraste est saisissant avec le décor de « The Song » : pas de tentures noires, un ciment à nu où l'on perçoit  toute la machinerie théâtrale. Les murs ne sont que raccords, replâtrages, poulies et rouages. La fin de notre société industrielle servirait-elle la scénographie, à moins que la rudesse du béton ne nous renvoie à la dureté de l'époque. Malgré tout, plane sur le plateau, une bâche brillante qui jouera tout au long de l'?uvre sa fonction : nous rappeler qu'avec une matière fragile, on peut illuminer un propos.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=HlQuhLfEfbY&w=404&h=246]

(superbe vidéo à voir et revoir!)

Ils sont neuf danseurs masculins accompagnés de Céline Bernard, bruiteuse (magnifique présence, en totale écoute empathique). Tout semble ouvert afin que la danse soit une chanson que l'on fredonnerait le temps d'un bonheur retrouvé. Ils ont donc poussé le décor pour faire place au groupe, à leur projet : prolonger leurs mouvements dans notre imaginaire pour que leurs pas soient notre partition. Car tout n'est que silence, mis à part les bruits produits par Céline Bernard, des chansons jouées a cappella, et des chants d'oiseaux créés par ses danseurs à l'agilité volatile.

Rarement, je me suis senti autant inclus dans une ?uvre.  Leurs allers ? retour entre le centre et les bords de scène provoquent l'ouverture qui stimule tous mes sens et me plonge dans un abyme de beauté, de légèreté et d'apesanteur. Pendant une heure et cinquante minutes (cette durée inhabituelle est le signe d'une danse qui s'autorégénère), je suis un spectateur contemplatif actif. Ils incarnent tout ce que notre société industrielle ne peut assimiler : le déséquilibre est une force, « essayer » participe de l'?uvre, le silence est un espace sur lequel on s'appuie pour que le sens soit un bruit, la circularité (même fragile) est préférée aux ruptures linéaires. Ici, les hommes forment une toile où l'intensité de leurs liens propulse leur danse vers cette chanson virtuelle et entêtante, où les rapports de force et sentiments amicaux font partie intégrante du “jeu musical”. En l'absence d'instrument de musique, ils font de l'invisible, une matière immatérielle, celle qui se moque du spectaculaire, mais se nourrit d'échanges humains au c?ur d'une société écologique. L'optimisme nous contamine, car ces danseurs ne lâchent rien : leur sensibilité à fleur de peau est leur force qui nous empêche d'intellectualiser la danse. En jouant avec les éclairages (on allume puis on éteint), avec la bâche (voile enveloppant puis liquide mélodieux quand elle tombe à terre), les scénographes Ann Veronica Janssens et Michel François provoquent notre sidération et notre lâcher-prise qui participent au processus de création d'une musique partagée. L'énergie de la scène se propage telle une vague. À force d'inclusion, « The song »  frôle la comédie musicale qui conduit certains spectateurs à taper du pied, bouger leur corps, dans ce silence si chantant.

Anne Teresa de Keersmaeker chorégraphie le « sensible » et signe un manifeste pour une société où l'art serait au service d'une économie de l'immatérialité. Mais pour cela, elle convoque aussi les Beatles avec « Helter Skelter » pour ouvrir nos mélodies avec le rock, seule musique capable de nous rendre chaleureux dans le chaos.

Cette énergie nous revient lors du final tandis qu'un faisceau lumineux éclaire les rangées de spectateurs. Je reçois cette lumière sur mon visage, je ferme les yeux, j'ouvre mes bras et me voilà propulsé dans un ailleurs, si loin de la décadence de l'Empire.

Pascal Bély – www.festivalier.net


“The song” d’Anne Teresa de Keersmaeker a été joué les 6 et 7 octobre 2009 au Théâtre de Nîmes.

En tournée française:

– 13 et 14 octobre à Mulhouse

– 10 décembre, Amiens

– 19 janvier, Caen,

– du 26 au 28 janvier, Grenoble.

– du 6 au 9 février, Limoges,

– 17 février, Bordeaux,

– 24 et 24 février, Orléans.



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EN COURS DE REFORMATAGE

Rachid Ouramdane célèbre la mémoire des âmes torturées.

 

« Les témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane est actuellement à l’affiche du Festival d’Automne à Paris jusqu’au 18 octobre 2009. Rendez-vous au Théâtre de Genevilliers pour une ?uvre rare, fragile, complexe. Retour sur cette pièce vue au dernier Festival d’Avignon.

« Les témoins ordinaires” vous traverse et tisse sa toile avec la dernière création de Maguy Marin,  « Description d’un combat ».  Il y a chez ces deux chorégraphes, l’impérieuse nécessité de donner la parole à ceux qui ne l’ont plus. Avec eux, la danse a un propos parce qu’elle écoute ses contemporains et positionne le public dans un travail, avec respect, pour l’aider à  se projeter dans une vision assumée.

Ici, ce sont les invisibles, ceux que l’on n’entend plus dans nos espaces médiatisés à outrance, où le temps de l’humain se réduit à une variable d’ajustement. Ce sont ceux qui ont vécu la torture aux quatre coins du monde, dans des contextes politiques et économiques différents des nôtres, mais dont les vies brisées sont incluses dans notre histoire, n’en déplaise à nos autorités qui n’ont toujours pas entamé le devoir de mémoire.

Comment la danse peut-elle offrir un lieu de parole, restituer l’innommable sans voyeurisme, ni interprétations abusives ? En posant d’abord un cadre, radical, à peine le spectacle commencé: des petits hauts parleurs perchés diffusent les mots de torturés. Progressivement, la lumière s’éteint. Nous ne voyons plus, nous cherchons l’espace de la représentation. Il est en nous. Dans notre capacité d’écoute. Rachid Ouramdane nous positionnerait-il dans une fonction thérapeutique ? Les témoignages se succèdent, se répondent. Le son engourdit nos corps comme s’il provoquait un lâcher-prise salvateur : il n’y a plus rien à comprendre, c’est au-delà de la raison. Lâchons.

L’obscurité disparaît peu à peu : un mur de projecteurs illumine la scène pour « mettre en lumières ». Comme chez Maguy Marin, la lumière amplifie le sens. Un danseur arrive et règle une guitare électrique posée à terre. Elle diffuse un son strident, une sonnerie aux morts-vivants : une onde de choc se prépare. Un son pour recréer le fil de la vie. L’art va donc s’emparer du sujet, le célébrer, avec modestie, respect et mise à distance.

Ils sont cinq danseurs à errer sur scène, entre la vie et la mort. On devine à peine leurs visages : ils sont silhouettes. Un écran posé à terre projette les visages resserrés des témoins. Aux têtes sans corps répondent les corps sans tête. C’est sublime dans l’horreur. Ils déambulent, se croisent sans se voir. Et cela dure. Ces corps torturés cherchent leur cimetière : Rachid Ouramdane leur offre l’espace de la réparation, celui où l’on remet en lien les membres désarticulés, celui où les mots se font entendre par le corps. Coûte que coûte, revenir vers le corps.

Mais il faut écouter ce qu’ils nous disent. Les danseurs, magnifiques porte-parole, incarnent avec force ces corps qui semblent avoir perdu toute fonction biologique. Certains  mouvements répètent inlassablement la même histoire, comme les images en boucle à la télévision les jours d’attentats. Le « corps politique »  dévoile une à une ses peaux composées d’armures fracassées. Les jambes et les bras se désarticulent.  Le corps du danseur devient alors une masse informe et vulnérable : le bourreau soulève, joue avec et prépare le charnier. L’instant est sidérant.

À d’autres moments, ces âmes torturées ont le corps d’un f?tus se contractant sous les coups extérieurs. La mort est un prélude à la renaissance. Et puis, la cérémonie bascule : la danse se fait douleur. La danseuse tourne sur elle-même au cours de minutes interminables : elle risque à tout moment de perdre son centre de gravité, de se brûler les pieds par contact avec le sol. Cette torche vivante fait tomber les bras et la tête. L’art se niche au c?ur de la torture : beau et troublant à la fois.

Alors que la lumière s’intensifie, que l’errance se poursuit, nos âmes torturées s’apaisent peu à peu. Nous avons écouté. La guitare s’élève et se balance : la pendule du temps fonctionne à nouveau, à moins que cela ne soit un hommage aux pendus, à leur dernière danse.

Le témoignage d’une femme réapparaît à l’image et les mots préparent la fin de ce cérémonial majestueux. Pour Rachid Ouramdane, rien ne peut remplacer la parole. Beau geste d’un chorégraphe qui ose immobiliser sa danse pour s’effacer : seuls les mots peuvent faire entendre l’innommable.

Et le public ne s’y trompe pas : il applaudit avec respect ce qu’il ne peut ovationner.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

“Des témoins ordinaires” de Rachid Ouramdane, au Festival d’Avignon, du 19 au 28 juillet 2009 puis au Festival d’Automne de Paris du 8 au 18 octobre 2009.

Crédit photos: Christophe Raynaud de Lage.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Les fous sauveront-ils Actoral ?

Dans un temps très réduit, un festival nous aide à ressentir notre époque, à repérer les processus émergents de la création à l’image d’ACTORAL, festival international des arts et des écritures contemporaines de Marseille. Après une semaine, on à l'étrange impression que les propositions s'« institutionnalisent » et que l'on pourrait les retrouver dans les programmations parallèles des grands théâtres.  On aurait aimé être transporté, déplacé ; percuté; nous sommes juste légèrement décalé, parfois surpris. Cela signe-t-il l'inquiétante paralysie des programmateurs à l'heure de la réduction des budgets et de la précarisation croissante des artistes ? N'est-il pas surprenant que l'éditorial d'Hubert Colas, metteur en scène et directeur d'Actoral, porte sur les espoirs envers « Marseille 2013 » comme si cette célébration pouvait à elle seule être une réponse au défi global de la création contemporaine en France ?

Retour sur une semaine trop vite passée?

Cet été, au Festival d'Avignon, le metteur en scène italien Pippo Delbono avec « La Menzogna » nous offrait un final éblouissant : seul le « fou » pouvait nous sauver de la débâcle. À Marseille, le fou est un roi qui se moque bien de notre triste sort ! Personnifié par Etienne Saglio dans « le soir des monstres », cette ?uvre de cirque étonne par son langage (entre tours de magie et théâtre burlesque sans texte). Le pouvoir s'incarne, mais Étienne Saglio peine à s'amuser avec le corps « institué » et nous inflige des mouvements plus proche d'un « one man show » que notre petit président jouent d'ailleurs à merveille. Malgré une réelle sincérité dans le jeu, l'ennui guette. Étienne Saglio a un talent prometteur, mais on aurait aimé un peu plus d'audace en lieu et place de ses numéros tuyautés qui finissent par lasser.

À côté, le fou incarné par Bonaventure Gacon détonne ! « Par le boudu » nous donne à voir l'un des clowns les plus complexes jamais rencontré. Il perd toutes notions d'espace et de verticalité. Assassin d'enfant, il va jusqu'à le manger. Pour s'asseoir ou se lever, il prend de tels chemins de traverse, qu'il peine à retrouver la mécanique de son corps. C'est un clown contaminé par notre société de consommation qui s'amourache d'un poêlon. Il finit même par engloutir n'importe quoi au risque de se casser les dents. Pour incarner nos névroses obsessionnelles d'ordre et de sécurité, il imite un soldat obéissant, prêt à tendre le bras vers Jean-Marie. Tout au long de ce spectacle drôle et subtil, me revient l'année 2002, celle où la France s'est couverte de honte. Étrange coïncidence, c'est la date de création de « Par le boudu ». Huit ans que ce clown cauchemardesque envahit nos théâtres et torture nos mauvaises consciences. Réussira-t-il à nous sauver ?

Elle aussi pourrait être un clown, mais elle est chorégraphe. Pour son anniversaire, les amis d'Antonia Baehr  lui ont offert différents « morceaux » qui forment « Rire », « spectacle » qui fait le tour des festivals de création contemporaine (KunstenFestivalDesARTs, Toulouse et Actoral à Marseille). Ici aussi, le rire véhicule bien des maux de notre société. Il n'est plus cantonné à la sphère intime, mais a  contaminé depuis les années soixante-dix le langage social, jusqu'à devenir un outil de domination (en référence à son omniprésence à la télévision et ailleurs), une arme du politique pour étouffer toute réflexion sur le sens. Antonia Baehr semble dire au public : « Vous voulez vous marrez, ne pas vous prendre la tête et bien vous allez être servi ! ». Alors, elle rit, nous avec, même si nous finissons par ne plus rire du tout. Nous décrochons quand la forme se perd dans sa propre démonstration. En effet, si le rire est un langage des langages, Antonia Baehr retombe parfois dans la facilité du langage?pour nous faire rire !  C'est cette rupture dans les niveaux logiques qui fait de « Rire » une forme en émergence. Sera-t-elle un jour un texte de théâtre?

 

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Il est 23h15 et l'on ne rit plus. Le collectif italien « Ricci et Forte » invite cinq spectateurs toutes les 25 minutes à monter un étage pour s'installer dans une salle de bains de la maison de Montevideo, lieu de création et de diffusion dirigé par Hubert Colas. Un homme dans une baignoire, caresse  des petits canards, troublé comme s'il avait  retrouvé l'objet perdu de l'enfance.  À la fois loge de l'artiste et scène de théâtre, le lieu est une caisse de résonance qui finit par m'emporter. Il ne parle pas, mais nous devinons le chaos intérieur. Alors qu'il quitte le bain, sa peau porte les stigmates de l'amour à mort. Ce simple mouvement de l'eau vers nous est une séparation symbolique incarnée par le corps de cet artiste merveilleux (Guiseppe Sartori). La douleur est telle qu'il en pleure, qu'il se déchire et finit par nous exposer, sous le nez, tout ce que nous projetons dans la rupture d'un lien d'amour.  Tout dégouline,  tout est (à)fleur de peau et me revient subitement l'ami perdu il y a vingt ans, jour pour jour. Cet acteur, reine d'un soir, qui sublime la beauté (féminine) par peur d'aimer se trouver laid, réveille en moi une séparation qui a bouleversé ma vie. Quand le théâtre ose l'indécence avec respect, permet de sonder l’insondable, on espère retrouver Stefano Ricci et Gianni Forte.

Avec les Québécoises Renée Gagnon et Mylène Lauzon, il est aussi question de lien. Ici, c'est leur amitié qu'elle propose de mettre en espace avec une performance, « Somme : S?urs », qui laisse perplexe. Entre vidéos sur leur dialogue à distance, numéros un peu téléphonés sur leur complicité, lecture de textes souvent obscurs, on ne saisit pas  les intentions des auteuses. Le malaise est d'autant plus palpable qu'à trop conceptualiser ce lien, elles finissent par le contrôler. Étonnant à l'heure où le « sensible » déploie tant de possibles.

Dans quelques temps, Pippo poursuivra notre sauvetage au cours de sa tournée en France, tandis que les artistes belges continueront d'ouvrir ce que nous verrouillons avec nos rêves d'ancien régime.
Pascal Bély – www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Actoral, rions, la poule caquette.

Imaginez une poule sur scène. Deux spectacles. Une symphonie riante. Une soirée de festival. Un caprice. Cherchez l’intru.

Peut-on faire parler le corps par le rire? La chorégraphe Antonia Baehr relève le défi avec sa performance qui fait actuellement le tour des festivals de création contemporaine, dont Actoral à Marseille. Qu'il soit de complaisance, gêné, moqueur, sarcastique, diabolique, le rire est communication et prolonge nos corps. Il reflète notre surmoi et nourrit le lien social.

Le rire d’Antonia Baehr est joué grâce à différentes partitions « musicales » écrites par ses amis comme cadeau d’anniversaire. Il  va au delà des mots car il est langage et finit par nous habiter. Bilingue, trilingue, il exploite les différentes facettes de l’humain. Du petit rire mélodieux de l’enfant, à celui qui convoque le jeu de balles de Laurel et Hardy, elle nous glace avec son rire diabolique et satanique, et finit par nous jeter en pâture aux dictateurs passés et futurs.
Le rire du public est subtilement instrumentalisé. Provoqué artificiellement, il n'a de valeur que dans son acte. Mais rire pourquoi ? La mère d'Antonia Baehr intervient lors d’un dialogue enregistré : « Tu ris pour rien mais pas moi. Tu ne me fais pas rire ». C’est ainsi que l'écriture scénique met un rire final à la démonstration : nous aussi, nous avons ri inutilement. Mais le paradoxe nourrit le sens : convier le rire, coûte que coûte, quelle que soit la situation, fût-elle artificielle, pour mieux appréhender toute la compléxité de l’humain.

Mais avant Antonia,  le performer Thomas Ferrand proposait  « Et les vivants ne mourront pas ». Comme programme, une tentative de provocation gratuite et lassante. En 2008, lors d’une étape de création au Centre Chorégraphique National de Montpellier, il avait étonné par son audace et sa mise en espace. A Marseille, il gravite autour de son thème de prédilection: avant le commencement, il y a toujours eu un avant et pour (sur)vivre à la réalité, nous avons introduit de la fictionnalité. Il convoque les mots mais son écriture se noie dans des artifices scéniques certes imposants (des néons tombent et s'explosent au contact du sol, un néon rouge où s’inscrit CUMSHOT, des incessants bruits d'orage) mais qui nous laissent aux portes de l'enfer. N’est pas Dante qui veut malgré la présence du circacien Xavier Kim qui, droit devant nous tenant son micro, disloque à peine son corps et peine à faire vivre les mots.

L'intérêt du public se déplace alors vers une poule qui nous avait accueilli dans la salle. Elle suscite un intérêt certain comme pour échapper à un univers qui n’est pas le notre. Dans le « Ferrand Land », nous sommes des êtres de débauches, nous regardons des films pornos sur nos Black Berry et nous nous masturbons dans la rue (image somme toute assez amusante). Vivants, sommes nous ? Certainement pas: les vivants ne vont pas à Actoral !A la fin de cet hymne à la survie de l'espèce humaine, le public a toujours les yeux rivés vers la poule. Réfugiée sous les chaises du premier rang, elle provoque des fous rires éloignés de la teneur tragique du discours.

Avec ce positionnement d’enfant capricieux, Thomas Ferrand perd en inventivité. Il ne suffit pas de convoquer la provocation. Encore faut-il lui donner sens en la prolongeant dans un discours qui ne se laisse pas contaminer par les codes superficiels de l’époque.
L’acte oral ne suffit pas.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 “Rire” d’Antonia Baehr et « Et les vivants ne mourront pas » de Thomas Ferrand ont été joués les 29 et 30 septembre 2009 lors du Festival Actoral à Marseille.