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Manifestement, Berlin.


Sommes-nous encore capables de vivre ensemble ? Pouvons-nous dépasser les frontières, abattre les cloisons, pour oublier, le temps d’une soirée, les cases et les chasses bien gardées ? Pouvons-nous ressentir à nouveau le plaisir de faire la fête pour la positionner comme un acte politique créatif en ces temps incertains ?

Pourquoi Berlin et pas nous ?

C’est samedi soir.  Tous les théâtres de la capitale allemande ont ouvert leurs portes de 19h à 1h du matin pour proposer toutes les ½ heures, un extrait d’un spectacle à venir ou passé. Loin des plaquettes sur papier glacé, la « Lange Nacht der Opern und Theater » nous offre un avant-goût des programmations. Pour 15 euros, nous pouvons voir deux, trois ou cinq moments de spectacle vivant en suivant cinq « routes » symbolisées par des itinéraires de bus. Ici, le vagabondage n’est pas un concept fumeux, mais une réalité. Les bus sont bondés, les places grouillent de monde, on fait la queue devant les théâtres, les publics se brassent et des agents d’accueil, accueillent. Berlin se donne entière au théâtre, pour s’abandonner le temps d’une soirée et oublier la crise. C’est une véritable toile humaine qui relie les structures entre elles, à l’image de ces routes qui se croisent et s’entrelacent pour redessiner la ville.

Quatre heures pour se mélanger à la foule, où Allemands, Italiens, Anglais et Français se parlent, sans MSN, ni Facebook ! Une nuit pour promouvoir intelligemment la diversité d’une offre culturelle et s’appuyer sur la vitalité du public pour en être l’ambassadeur.

Il est donc temps de retrouver la ville et d’ouvrir nos chapelles culturelles trop bien gardées, tels des sanctuaires aux mains de gourous, dont la vision de l’interaction avec leur public commence sérieusement à dater à l’heure des communications horizontales. C’est le moment de s’inspirer de Berlin pour relier les théâtres et tisser une toile, capable de faire émerger un mouvement collectif porteur d’espoir. Une toile pour définir, dynamiser, un service public culturel local. Il faut en finir avec ces structures qui, à force d’épouser un modèle concurrentiel, ne voient même plus la ville dans toute sa complexité, trop occupées à défendre leurs intérêts.

Il est temps de savoir si oui ou non, le spectacle vivant peut nous rendre mobiles, engagés, festifs. Nous sommes sûrement des milliers à désirer vagabonder dans la ville, à avoir ce désir d’échanger  sur l’art dans la rue, sans être pris en flagrant délit d’intelligence.

J’ai l’intime conviction que nous pouvons le faire.

Manifestement, Berlin.

Créativement, la France ?

Pascal Bély

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A Berlin, la “non danse” brésilienne.


Fallait-il explorer la danse brésilienne à Berlin? Alors que l’affiche du festival « Move Berlim » donne à voir un corps métis musclé et figé dans une posture, proche de son imagerie habituelle, les quatre représentations auxquelles nous assistons sont autant de tentatives bien faibles pour contredire ces clichés.

D’abord, Denise Stutz. Elle parle portugais et les sous-titres sont en allemand. Qu’importe. La dame sait où elle veut emmener son public jusqu’à braquer la lumière sur lui pour réclamer son attention. Encouragé par son regard chaleureux et sa voix douce, on s’accroche pour la comprendre.

Avec pour musique « Clair de Lune » de Debussy, elle décrit un duo avec ses deux seules mains. Débute une leçon de danse classique, puis de danse moderne et enfin, de non-danse sur un ton assez professoral.

La danse est explicitée, décortiquée à l’aide de termes techniques. Le thème du questionnement de la représentation de la danse reste intéressant, mais traité de façon anecdotique si bien que l’on peine à voir une ?uvre d’art là où il n’y a qu’explication de texte.

Le spectacle s’achève sur un solo totalement dénudé, sorte de mélange des trois moments précédemment décrits. Il en émerge une exposition frontale d’un corps déjà âgé qu’elle déploie dans une succession d’attitudes et de mouvements interrompus. Et devant cette démonstration, notre bienveillance s’effiloche malgré ce court moment où elle nous invite à fermer les yeux pour nous imaginer sur scène.


Dans le théâtre voisin débute « Desenho », un duo interprété par un plasticien et une danseuse. Eugenio Paccelli Horta accroche d’abord notre attention par un découpage en poupée russe : le corps découpé duquel découlent un nouveau découpage plus petit puis un découpage encore plus petit, jusqu’à un c?ur de papier qu’il traverse de son cutter.

Ce premier épisode se clôt sans être davantage exploité. Nous pensons à un développement organique tel que celui du « Paso Doble » de Josef Nadj et Miquel Barcelo, mais nous n’assistons hélas qu’à une succession d’esquisses, certes créatives. Le corps est emballé, déballé, ficelé… Mais cela ne suffit décidément pas à faire ?uvre d’art.

C’est frustré que nous descendons au premier étage du théâtre Hau 3 pour assister à une installation : « Produto de 1a » de Fauller et Renata Ferreira.  Deux séries d’écrans géants et deux corps allongés prêts à être tamponnés par le public. Comme métaphore du corps-marchandise. Et à l’écran, des bananes. Pour se vêtir comme au temps des revues de Joséphine Baker ou pour téléphoner, comme pour se moquer de la technologie.

C’est plutôt drôle, mais là encore inabouti pour un festival de portée internationale.

Mais le tableau sur la danse brésilienne ne serait pas totalement inachevé (sic) sans une dose de provocation. Le collectif « Dimenti » avec « Tombé » nous a gratifié d’un pamphlet sur la danse contemporaine où un chorégraphe mégalo utilise ses danseurs comme bon lui semble, au grès de ses humeurs, pour un propos artistique fumeux. C’est amusant quelques minutes, mais on s’ennuie ferme face à la faiblesse du jeu des acteurs. Il ne suffit pas d’être danseur pour être comédien, à moins d’emprunter une gestuelle proche du café théâtre. La danse qui se moque d’elle-même est un propos éculé, entendu ailleurs. « Tombé » n’ira pas plus bas en Europe. Quoique…

Le Brésil nous a donc donné à voir un corps vieilli, masqué de papier, offert au public, disqualifié. Nous étions curieux de cette confrontation avec notre vision européenne de la danse.

À la lueur de ces quatre représentations, laissons du temps au Brésil pour qu’il invente sa danse postmoderne sans qu’il soit obligé de nous prouver qu’il peut faire aussi bien (ou mal) que nous.

Elsa Gomis

Pascal Bély

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Ces quatre spectacles ont été joués dans le cadre du festival “Brasil Move Berlim” du 22 au 25 avril 2009.

 


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Au Festival Komm’n’act : quatre morts et un enchantement.

Ils nous arrivent de Slovénie. Avec eux, le  théâtre est « fun ». Ils se présentent comme performeurs et nous applaudissent déjà, accueillants et séducteurs pour créer la confiance. Après ces quelques préliminaires « amoureux », « Four deaths » peut se poursuivre.

En fond de plateau, un grand écran vidéo projette à tour de rôle la photo de quatre artistes européens exceptionnels  (Pina Bausch, Tim Etchells, La Ribot et Marina Abramovic). Pour chacun d’eux, un comédien met en scène leur agonie, leur disparition. Entre l’image du « disparu » et la performance de ces acteurs : nous, public, au « travail ».

Car notre présence n’est pas de tout repos. Entre les moments de silence (bienvenus pour laisser toute sa place à notre imaginaire, à l’écoute de nos ressentis) et les changements de décor (où un « ballet » de trois femmes de service chargées de nettoyer le plateau entre chaque tableau symbolise l’humilité de tout acte artistique), nous interprétons notre rôle. À condition d’accepter la relation que ces beaux artistes nous proposent. S’ils jouent pour de « faux », désirons-nous travailler pour de « vrai » notre regard sur la performance et ce qu’elle véhicule ? Souhaitons-nous vivre ce lien d’amour par « performeurs » interposés ? En incluant l’engagement, la radicalité du propos de ces quatre artistes dans une performance, Grega Zorc, Katarina Stegnar, Barbara Kukovec et Petra Zanki nous invitent à nous questionner sur notre rapport à l’art (« que voyons-nous » ?), à notre place de spectateur (« pour quoi suis-je ici ce soir ? »). L’intention n’est pas nouvelle si l’on se rappelle du « Show must go on » du chorégraphe Jérôme Bel ou des dernières ?uvres de Maguy Marin. A la différence qu’ici, la relation entre « eux » et « nous » est “la” performance. Lien d’amour sans limite avec Pina Bausch, brutal et tout puissant avec Tim Etchells, provocant avec La Ribot, violent et fou avec Marina Abramovic.


La performance est donc là : ressentir, vivre cette relation d’amour avec ces artistes, sans unité de lieu et de temps (on passe d’un univers à l’autre en vingt minutes à peine). Un amour par procuration à travers le processus artistique d’une performance. Face à la complexité d’une telle relation, nos quatre performeurs ne tombent jamais dans la démagogie et le pathos facile. C’est souvent émouvant, parfois amusant, et totalement respectueux de notre place. J’ai ressenti la relation particulière que j’entretiens avec Pina Bausch, revécue celle avec Marina Abramovic lors du Festival d’Avignon en 2005. J’ai pu réinterrogé mon regard sur la performance de La Ribot vue lors du dernier Montpellier Danse. Ils n’ont donc rien usurpés et fait ?uvre d’une belle pédagogie pour ceux qui ne connaissaient pas ces artistes.

On peut toutefois regretter qu’ils n’aient pas ouvert l’espace (j’aurais préféré un dispositif bifrontal) et qu’il n’y ait pas eu de la part du Festival Komm’n’act l’organisation d’un moment d’échanges et de débats entre spectateurs après la représentation, autour d’un verre, dans l’espace pourtant convivial de Montévidéo. Entre la fraîcheur et l’ouverture de ce collectif d’artistes Slovène et notre difficulté bien française à travailler le lien dans la créativité, il y aurait là une performance que ce festival pourrait assumer !

Pascal Bély

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“Four Deaths” par le collectif Via Negativa a été joué les 18 et 20 avril dans le cadre du festival Komm’n’act à Marseille.

 

 

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Ouverture de la saison des festivals : Komm’n’act 2.

Notre feuilleton printanier se poursuit. Toujours à « Komm’n’act », jeune festival européen  et marseillais, nous cherchons l’étincelle, sans nous laisser éblouir inutilement.

Le concert musical d’un duo épatant (Eduardo Raon, Inês Jacques), venu du Portugal, a créé la surprise au Théâtre des Bernardines. Le titre de leur spectacle, « she is not french, he is not spanish” en dit long sur leurs intentions: ne surtout pas se fier aux apparences. Il a beau jouer avec une harpe, cela ne l’empêche pas de se servir de son téléphone portable comme d’un instrument et de se la couler douce ensuite. Elle peut bien chanter « Résiste » de France Gall (étonnante version !) et se soumettre au bon vouloir de son compagnon qui n’en attend sûrement pas tant. Entre compositions personnelles et hommage aux Beatles, ce couple s’affranchit des stéréotypes véhiculés par les concerts, pour créer leur univers, tout à la fois burlesque et poétique. À mesure que la représentation avance, ils habitent leur personnage tout en nous prenant par surprise comme si nous n’avions rien vu venir de leurs intentions. Le théâtre s’est immiscé et notre écoute réussit à relier la musique à leur  jeu d’acteurs. Alors qu’Eduardo fuit les applaudissements nourris du public lors du salut final, il finit par nous convaincre que la commedia dell’arte peut-être aussi portugaise.


Nous aurions pu aimer « le vrai spectacle » vu la veille. Avec un nom pareil, on aurait préféré ne pas voir un bon spectacle d’amateurs !  Le collectif français « The kisses cause trouble » constitué de cinq femmes aux corps tatoués, souvent bien en chair, ne badine pas avec le rire gras, encore moins avec la provocation parfois facile, mais drôle. Inga Waffenkulo, candidate corrompue à l’élection, Miss S.Purple, Wendy Babybitch, Ghoulina et Lady Satine Capone composent ce tableau burlesque où le corps est à la fête, tantôt marchandise, dégoulinant, errant, brûlé, embourgeoisé. Les seins débordent de créativité tandis que l’énigme s’enfonce dans le trash et le mauvais goût à l’image d’une société qui ne sait plus faire la différence entre le corps publicitaire et le corps biologique ou sociétal. Avec une belle énergie, nos cinq femmes sont livrées à elles-mêmes, en l’absence d’une mise en scène capable de réguler les débordements de chairs et de mots. Dommage, mais à suivre quand même. Une élection se gagne rarement la première fois.

Nous aurions pu applaudir. Même pas. Nous n’y avons pas pensé. C’est dire l’état léthargique des spectateurs à la sortie de « la chambre de Sue Ellen » de et par Charles-Eric Petit. Munis d’un audioguide pour le texte, nous suivons les pas de Sue Ellen derrière une baie vitrée. À la fois si proche, je suis très loin. Tout  positionne à distance. La comédienne (Élisa Voisin) est bien trop jeune pour incarner un corps alcoolisé que l’ivresse des mots ne peut soutenir. La mise en scène nous oblige à l’entendre d’une autre oreille, mais ne parvient qu’à brouiller le message. En quelques minutes, on réussit à nous perdre alors que nous sommes si prêts. Belle prouesse.

Pascal Bély

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Ces trois spectacles ont été joués dans le cadre du festival Komm’n’act à Marseille (jusqu’au 21 avril).

 


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Ouverture de la saison des festivals : Acte 1.

La naissance d’un festival est souvent émouvante, surtout à Marseille, où le paysage culturel composé  d’îlots est loin de former un archipel. « Komm’n’act » est un drôle de nom et l’on ressent déjà sa filiation avec le « KunstenFestivalDesArts » de Bruxelles, manifestation pluridisciplinaire qui puise sa dynamique dans les ressorts d’un monde complexe. À Marseille, les apostrophes font office de liens tandis qu’à Bruxelles, la déclinaison linguistique de l’art en flamand et en français unit coûte que coûte. Marseille sera capitale européenne de la culture en 2013. Un pari qui nécessitera des ouvertures pour en finir avec les clans et le népotisme. Encourageons « Komm’n’act » comme un premier acte. Celui du renouveau.

On ne pouvait pas mieux commencer. Cinquante minutes de danse avec Doris Uhlich, jeune chorégraphe autrichienne. « Spitze » n’a rien de révolutionnaire ni dans le propos, ni dans la forme, mais sa programmation comme spectacle inaugural pose un acte (manqué ?). Trois danseurs y incarnent une histoire de la danse.

Il est jeune et exhibe un corps sculpté par la danse classique.

Elle est souvent assise, quelquefois danseuse et chanteuse d’opéra en play-back, un peu forte, chaussée de ballerines. Elle attend son heure. On l’a croirait échappée des Ballets C de la B du belge Alain Platel ou fille d’Isabella, célèbre héroïne du chorégraphe, plasticien et metteur en scène flamand Jan Lauwers.

Elle est plus âgée et n’a plus rien à prouver. Sûrement formée à la danse classique, elle occupe la scène sans fard (les bourrelets soutiennent un tutu noir boursouflant) et jette aux orties cette forme chorégraphique dépassée. Problème : elle ne sait plus très bien au profit de quel propos !

Ainsi, nos trois protagonistes s’amusent avec le mythe du ballet classique en l’incluant dans nos pratiques sociales quotidiennes (à croire que nous serions tous imprégnés de verticalité dans nos postures). Ils ne se gênent pas pour créer une connivence avec un public de danse contemporaine qui leur est acquis, en  jouant avec nos systèmes de représentation (les rires d’une salle composée majoritairement de professionnels de la culture l’attestent). « Spitze » est donc une ?uvre clivante, où l’interaction est un rapport de force, qui questionne à charge les codes du classique dont Doris Uhlich pense sûrement qu’ils contaminent notre regard. Elle n’a pas tort : l’expression « ce n’est pas de la danse » parce qu’il n’y a pas l’exhibition d’un corps en mouvement est largement répandue même parmi les spectateurs les plus ouverts aux courants artistiques pluridisciplinaires. La dernière scène où la danseuse « sans fard », soulagée de ses ballerines, chausse des bottines pour esquisser une chorégraphie « contemporaine » autoritaire et bruyante accentue le malaise. La danse classique en épousant nos codes « contemporains » développe une pensée verticale descendante comme si Doris Uhlich ne s’était pas débarrassée d’une vision linéaire pour proposer une reliance qui l’aurait sans doute conduite vers un propos.

« Spitze » ne métaphorise-t-il pas alors le projet de « Komm’n’act » : renouveler les formes au service d’une vision complexe et d’une relation circulaire qui permet de la promouvoir.

C’est avec cette ouverture en tête que j’accueille le lendemain, au Théâtre des Bernardines, la proposition de la Portugaise Ana Martins (« subterraneos do corpo »). Elle pose le corps comme une ?uvre d’art, musique contemporaine à l’appui. J’avais déjà fait part de mes réserves quand le corps sert un concept, au détriment d’un propos. Ici, trente minutes de visions où il se réduit à une masse complexe. C’est souvent beau. Vain, mais beau.

 

Trente minutes plus tard, en plein air, dans le minuscule espace des Bernardines, « Transmutation out of body expérience » de Benjamin Bodi. C’est souvent amusant. Vain, mais amusant.

Fin du premier acte. Komm’n’act.

Pascal Bély.

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“Spitze” de Doris Uhlich a été joué le 14 avril à la Minoterie.

« Transmutation out of body expérience » de Benjamin Bodi et « subterraneos do corpo » d’ Ana Martins  ont été joués le 15 avril au Théâtre des Bernardines.


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Sabine Tamisier joue sa « plus belle histoire d’amour ».

En entrant dans la salle, elle vous regarde pour ne perdre aucun spectateur de vue. Cette femme a l’écoute à fleur de peau. La scène est si petite qu’elle est quasiment acculée à ce mur sombre face à ce public si nombreux venu à Montevideo, espace de création contemporaine niché à Marseille. Nous l’envahissons comme si nous poussions la scène pour la réduire à une cellule de prison. Elle, c’est Sabine Tamisier. Sa robe rouge tranche avec la noirceur du lieu : « Casa nostra », monologue poétique sur l’amour, est à coup sûr un drame passionnel. Comment Héloïse peut-elle dire à Louis, qu’elle l’aime ? Comment Sabine peut-elle clamer au public, son amour du théâtre ?

Elle se lève, s’assoit, s’approche un peu, ne recule jamais. Elle joue avec les mots par le corps. Car Sabine Tamisier a le charisme d’une danseuse pour qui les mots sont mouvement.  Trois chaises (une à droite, au centre, à gauche) font office de points cardinaux pour tracer la voie de l’autonomie vis-à-vis de Louis, d’un chemin transversal pour surprendre son public. Avec Sabine Tamisier, le parcours de l’acteur est chaotique. J’ai peur pour elle. Je crains pour nous, car les mots vous prennent par surprise comme autant de lapsus qui nous feraient vaciller. Pendant quarante minutes, elle réussit à nous séduire, à nous énerver, à nous éloigner, puis à nous élever. Nous sommes Louis, elle est notre héroïne d’une société où la fragilité, l’hésitation ne sont pas encore marchandisées. À mesure qu’elle s’approche de son « Louis » pour se défaire des oripeaux de l’enfance, Sabine rejoint la tribu d’acteurs de Montevideo animée par le metteur en scène Hubert Colas. Je l’imagine déjà éponger le front d’un légionnaire incarné par Manuel Vallade dans « Mon képi blanc », « dont le corps transpirait tant comme autant d’émotions refrénées qui s’immiscaient dans le texte ». Je la ressens près de Claire Delaporte jouant une jeune femme tchétchène dans « Chto, interdit aux moins de quinze ans » où les mots épelés évitaient « soigneusement les élisions comme des balles qui passeraient au dessus de sa tête ».

«Ca ne me quitte pas ça tout en moi dans ma tête ça revient » disait Claire. Horreur de la guerre, tragédie du théâtre.

Bienvenue Sabine.

Pascal Bély

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“Casa Nostra” de et par Sabine Tamisier a été joué le 6 avril 2009 à Montévidéo à Marseille.

“Chto” et “Mon képi blanc” d’Hubert Colas seront à l’affiche du Festival d’Avignon en juillet 2009.

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PAS CONTENT

“Culture de la liberté, liberté de la culture”.

Pour sourire un peu…Ces photos sont celles de la Médiathèque du Cannet, ville UMP des Alpes-Maritimes, dont le Maire Michèle Tabarot se fait une haute idée de la culture. Merci à Evelyne Biausser pour sa promptitude à photographier l’état de nos institutions culturelles dans le sud de la France !

Pascal Bély

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François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.


François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés du Théâtre du Merlan de Marseille. Trois de leurs créations y sont présentées en moins d’une semaine. Les honneurs d’une Scène Nationale sont au mieux un beau pari sur l’avenir, au pire une stratégie de communication où la forme prime sur le fond.  La première « Pâquerette » avait fait le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs de critique. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace.

 

Leur deuxième proposition, « Sylphides », « pour adultes uniquement » (on se demande bien pourquoi), est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain). 

 

Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation par une Scène Nationale est en soi un aveu d’échec : le corps n’a donc plus rien à véhiculer ; la danse n’est plus un propos en soi.

Démission.

Pascal Bély

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« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 4 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

Photo: ©Alain Monot.


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François Chaignaud sur le Tadorne:
Je ne suis pas un artiste

L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Marie-José Malis: une hirondelle en réponse aux « faucons ».

Il nous reste le théâtre, quoiqu’il arrive.

En quittant le Théâtre Universitaire Antoine Vitez d’Aix en Provence, nous sommes sereins, sûrs d’avoir été respectés, considérés comme des sujets échappés d’une société médiatique et politique qui ne sait plus nous parler sauf à nous abreuvoir de considérations stratégiques et d’incantations à consommer toujours plus. La metteuse en scène Marie-José Malis et sa compagnie « La Llevantina » ont présenté « Le prince de Hombourg » de Heinrich von Kleist dans ce petit théâtre au coeur d’une université en grève. La représentation fera date.

Pourtant, dans la file d’attente, nous sommes quelques-uns à nous inquiéter : « Trois heures ? Allons-nous résister ? ». La durée de l’oeuvre se confronte déjà avec le temps de la société de l’information et de la consommation. Derrière cette inquiétude, s’en cachent d’autres : « Serais-je compétent?», « Suis-je encore en capacité de penser après une journée de travail? », « Le théâtre de texte peut-il encore m’émouvoir dans une société de l’image? ». Je choisis le premier rang.

Les lumières éclairent le plateau, mais aussi les gradins. La sensation d’être dans un « dedans dehors », espace du sujet autonome, est immédiate. Le décor est celui d’une salle des fêtes des années soixante incluant une petite scène de théâtre d’où je distingue sur le fronton les initiales : « RF ». Le théâtre dans le théâtre : cette mise en abyme fait le pari de la complexité. La fête, le divertissement, la patrie, s’incluent dans le  débat philosophique : Marie-José Malis relie ce que notre société clive. Mon inquiétude disparaît.

C’est alors qu’il apparaît, éclairé par une lumière hypnotique. Ce prince (stupéfiant Victor Ponomarev) est un doux rêveur. Il est juste assez rond pour vous envelopper de ses mots d’amour destinés autant au théâtre qu’à sa fiancée Nathalie (troublante Sylvia Etcheto). La couleur de ses yeux cernés propage la tension du poète. Nous sommes en guerre (les Suédois approchent) mais il est ailleurs. Le temps s’étire, les voix caressent et le spectateur poétise. La mise en scène pose un principe : les acteurs n’ont nullement besoin d’hurler pour se faire entendre. Ils incarnent avec brio le corps « institué » pour affirmer le sens (intimidant Didier Sauvegrain dans le rôle du Grand Électeur, impressionnant Claude Lévèque dans la peau du colonel Kottwitz). Le corps « biologique » personnifie l’émotion et sa fragilité diffuse une énergie vitale communicative (inoubliable Hélène Delavault). La guerre est là et notre Prince poète est rappelé à cette réalité. Il doit partir au front, quitter la petite scène de sa vie pour celle de l’Histoire. Alors que le Prince désobéit et provoque l’assaut contre l’ennemi suédois, il gagne la guerre. L’Électeur de Brandebourg le condamne alors à mort pour désobéissance à la loi.

Par un jeu subtil de lumières, Marie-José Malis nous positionne au coeur du débat. Alors que les néons symbolisent le principe absolu de respect des règles qui protège la démocratie, les lumières orangées rappellent la décision intuitive du Prince.

La mise en scène enchevêtre l’ordre et le chaos par une utilisation recherchée de l’espace de la salle des fêtes et de sa petite scène de théâtre. Car il en est ainsi des questions complexes : loin de cliver, Marie-José Malis met en abyme (la force de la loi avec en arrière plan la tragédie du Prince). A l’écart du totalitarisme ambiant de notre société, la fragilité a toute sa place ici. Elle s’entend même alors que résonne la voix d’Anthony and the Johnsons dans “Hope”. Pour affronter ce débat, Marie-José Malis s’appuie sur la force du collectif et donne au jeu des acteurs l’espace pour que le sens ne soit jamais étouffé. Elle offre au spectateur les ressources pour qu’il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l’empêcherait de réfléchir aux enjeux politiques et sociétaux d’un tel dilemme.

Cette troupe nous fait aimer passionnément le théâtre : les comédiens, en incarnant l’humilité, nous libèrent du poids de leur statut et nous permettent d’élaborer notre pensée.  Et l’on s’interroge sur la confusion du dernier acte alors qu’Heinrich von Kleist permet une issue heureuse et où viennent s’immiscer des textes du philosophe Alain Badiou.

On ne résiste décidément pas au chaos sublime de Marie-José Malis. « Yes, we can ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le Prince de Hombourg” par Marie-José Malis a été joué les 3 et 4 avril 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.

A Arles les 7 et 8 avril puis au Forum de Blanc-Ménil les 14, 15 et 16 mai 2009.

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Le sexe recyclable de Pierre Meunier au Théâtre du Merlan.


Pour le Théâtre du Merlan, situé au nord de Marseille, « comment, entre refoulement et exhibitionnisme, représenter le sexe » ? Le théâtre, espace chaotique par excellence, pourrait donc s’emparer du sujet, pour proposer une troisième voie, « lever le voile » et « aller à la rencontre de l’imprésentable ». C’est à l’auteur et metteur en scène Pierre Meunier avec « Sexamor » que revient la responsabilité de répondre aux programmateurs du Merlan lors d’un cycle sur le sexe (sic).  Leur créativité est sans limites pour attirer vers eux les spectateurs déboussolés du centre-ville de Marseille et le cas échéant, ceux des quartiers nord dont on se demande s’ils n’ont pas déserté l’endroit. Le sujet, vu sous cet angle, ne relie pas les habitants de la ville…

Pierre Meunier se tient debout, entouré de poids suspendus avec lesquels il fait tanguer ses mots. Il clame tel un navigateur et part vers sa « destinée ». Métaphore d’un spectacle qui aura bien du mal à se délester de ses lourdeurs comme en témoigne l’arrivée sur scène de la promise (Nadège Prugnard). Emprisonnée dans une bulle (symbole du préservatif ?) suspendue et actionnée par deux machinistes, la scène n’en finit pas et le sens se dilue dans les contractions du plastique. Poussif.

Les voilà maintenant réunis pour vivre une série d’épreuves, de parcours d’obstacles où l’on navigue entre fête foraine, concours Lépine pour stimuler l’amour, séances sado-maso (autant mettre à contribution l’univers mécanique du plateau et les machinistes). Les textes sont souvent de toute beauté, où les mots jonglent, étourdissent et projettent le spectateur sur l’aire de jeux du fantasme amoureux. Mais, la poésie se perd dans cette scénographie envahie d’objets mécaniques, où l’un est toujours à la commande pendant que l’autre s’exécute. Le sexe est effleuré, bien souvent cantonné au dilemme posé par le Merlan donc rarement transcendé. La relation ne prend pas corps comme s’ils jouaient côte à côte. Cela devient puéril, sans beaucoup d’intensité dramatique, où la scène est un espace de démonstration plus que d’interpellation. Certes, on ne se décourage jamais. On attend juste d’en finir d’être observateur.

Le propos, si conformiste, serait-il à l’image d’un pays qui s’ennuie, même au lit ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

A voir le reportage de France 3 sur CultureBox.

“Sexamor” de Pierre Meunier a été joué du 1er avril au 3 avril 2009 au Théâtre du Merlan de Marseille.

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