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EN COURS DE REFORMATAGE

A ACTORAL , même loin de Demorand, les mots cognent.

Je sature. Je n’arrive plus à écouter Nicolas Demorand sur France Inter le matin. Dès qu’il parle, c’est pour m’envoyer une baffe. Ali Baddou sur France Culture à la même heure ? C’est pire : ses invités, il les choisit pour réviser ses cours de fac. Au final, la crise financière est partout et nulle part : les mots pour la décrire perdent leur sens dans la peur, la technique et le sensationnalisme. Le capitalisme financier a donc gagné : tout en s’écroulant, il arrive à s’immiscer dans notre vision du monde pour imposer ses grilles de lecture et ses mots bien calibrés. Je suis “chaos”, mais debout. Comment s’élever ?
Après mon escapade à Manosque dimanche dernier pour les “Correspondances“, j’arpente la rue Breuteuil à Marseille, direction la petite maison de Montévidéo, où se déroule une partie du Festival International ACTORAL qui offre aux mots, une ouverture suffisamment large pour qu’ils se cognent, s’accélèrent, se redéfinissent. Tel un espace de parole, ACTORAL soigne les maux des mots et donne au spectateur la compétence de les entendre dans toute leur complexité. Démonstration.
Robert Cantarella et sa performance « Auras comprises » positionne le spectateur au c?ur d’un dispositif qui n’est pas sans évoquer un espace thérapeutique où l’on soignerait notre peur à l’égard des personnes âgées atteintes d’Alzheimer. Le dispositif scénique nous permet d’entendre ce flot de paroles comme un patrimoine historique, une ?uvre artistique où l’acteur nous le donne à entendre, en décalé, avec empathie et justesse. Cette parole déconstruite est ainsi réintroduite dans notre quotidien, pourtant submergé d’informations bien plus déstructurées. Pendant trente minutes, la réalité psychique de ces hommes et femmes est passionnante. Avec Cantarella, la réalité est multiple.
Autres mots d’amour. Elle nous vient de Montréal. Renée Gagnon est debout, derrière son pupitre, à nous lire son recueil de poèmes, “Projet McQueen“, tandis que défilent sur un écran de nombreux extraits de films avec…Steve McQueen. On passe ainsi une heure à écouter tous les hommes d’une femme, incarnés par cette icône quasi religieuse ! C’est souvent drôle. Cela percute comme une relation de couple où la fusion et la séparation sont des processus si imbriqués que l’on finit par perdre son latin québécois ! Renée Gagnon a non seulement une belle plume, mais aussi un art du montage qui n’est pas sans rappeler l’esprit des dessins animés de Tex Avery.

Fanny de Chaillé
se prépare au combat. Puisqu’il faut en passer par là. Elle s’offre un plateau en forme de ring, enfile la posture de la rockeuse. Tout est prêt pour sa «Gonzo Conférence». Pendant que sa partenaire lit sur un pupitre un texte recherché sur le rock et sa différence avec le théâtre, elle danse, mime, se jette dans le public. Tout est mis en perspective pour nous expliquer ce qu’est le rock et où il va. Nous voilà propulsés dans un espace à plusieurs dimensions où le savoir, le corps, la place des spectateurs (assis par terre ou debout comme dans un concert) forment un tableau théâtral réjouissant. Alors que le rock s’assagit, le Théâtre est toujours là, plus actuel que jamais. J’ai enfin compris pourquoi je n’aime que les concerts théâtralisés ! Fanny de Chaillé vient peut-être d’inventer un concept qui dépasse de loin le cadre du concert littéraire si cher aux Correspondances de Manosque. À quand le prochain « Gonzo » ?
Elie Hay est interprète chez Gisèle Vienne et ancien élève du CDC. Il a un look sympa.

Avec « I like him and he likes me », ils provoquent la sidération du public. Pensez donc. Vingt minutes à se castagner avec Lorenzo de Angelis et nous, public, à les entourer, comme au bon vieux temps des jeux du cirque. Je ne sais plus où me mettre. J’ai peur d’en prendre une. À côté, Nicolas Demorand est un ange et le capitalisme financier, un concept bisounours. C’est une danse, sans aucun doute. Sauf que l’on ne peut se l’imaginer sur scène. Ailleurs oui, dans la rue, au cinéma, au PS, mais pas ici. Et pourtant, je n’en ai pas dormi de la nuit. Cela m’a cogné. L’art débusque toujours où on ne l’attend pas. Qu’ais-je donc pris dans la tête ?
7h. le radio-réveil s’allume. Nicolas Demorand vient de m’en mettre une autre.


Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit 1ère photo: Marc Domage

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Actoral
2007 sur le Tadorne:
Au Festival ActOral, ?Mon képi blanc?, le beau monologue du pénis d’Hubert Colas.
Au Festival Actoral, l'acte anal d'Yves-Noël Genod.
Au Festival Actoral, Martine Pisani liquéfie les mots.