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PETITE ENFANCE

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“Ce spectacle dénonce beaucoup de choses, notamment la justice et la société dans laquelle on vit.”  

Manon Bourbousson

Comment est le Pinocchio de Pommerat? À cette question, je serais tenté d’écrire: noir, très noir. Tant pas sa mise en scène, que par le sujet abordé, nous sommes loin des images édulcorées que tout un chacun a en sa mémoire d’un Pinocchio sorti d’une célèbre firme américaine. Ce conte vieux de 127 ans de Collodi nous projette dans ce que l’on peut appeler le parcours initiatique de cette marionnette devenu enfant.

Joël Pommerat prend appui sur ce récit pour expliquer aux enfants – car n’oublions pas qu’il s’agit d’un spectacle jeune public – la difficulté de devenir un être bon. Sa réécriture fait de notre Pinocchio un enfant contemporain, avec ses propres codes, son propre langage, dénonçant les travers de notre société. Et ils sont nombreux. Invités par une sorte de Monsieur Loyal, issu des cabarets, nous sommes entraînés dans ce récit à une vitesse folle.

C’est par une succession de tableaux et de noirs que Pommerat décide de nous dévoiler sa vision de notre monde et la difficulté de garder le cap pour être une personne respectable et respectée. La solitude qui ronge l’être (Gepetto se construit un fils pour ne plus être seul), la pauvreté (Gepetto qui ne peut lui offrir à manger), la banalisation du langage violent (un Pinocchio que l’on aimerait corriger tant les paroles envers son père sont blessantes), la société de l’image (que peut-on penser de moi si je n’ai rien de neuf), le sexe (les enfants sont confrontés au monde sexuel quotidiennement : dans la rue par les devantures des presses, à la télévision, sur internet), la naïveté des enfants face aux adultes (« viens, suis-moi, je t’emmène dans un lieu où tu joueras tout le temps »), la course à l’argent, l’oisiveté et les loisirs pour ne pas penser et réfléchir, le rejet des racines familiales pour briller en société (“je ne suis pas pauvre“), le racisme (combattre l’autre pour sauver une identité), la justice punitive à l’excès et l’imbécillité de l’humain. L’ensemble de ces tableaux compose le monde capitaliste et égoïste dans lequel nous vivons.

Fort heureusement, la fée veille sur Pinocchio pour lui faire entendre que l’on ne peut être si l’on n’est rien, que se mentir à soi-même à une limite, celle d’être toujours rattrapé par ce que nous fuyons. Être, verbe indispensable dans notre langage, est la déclaration de ce Pinocchio quand il renaît et devient le petit garçon pensant, réfléchi et réaliste.

J’aimerais être un de ces enfants découvrant ce spectacle pour déjouer les pièges que l’on me tend, grâce à cette belle leçon humaine.

Laurent Bourbousson.

Pinocchio” de Joël Pommerat a été joué le 28 mai 2008 au Théâtre des Salins de Martigues.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Pour quoi le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles est LA manifestation culturelle la plus en avance sur son époque. C’est un subtil maillage entre performances, théâtres, danses, expositions si bien qu’à l’issue de vagabondages ici ou là, on en oublierait les formes pour n’en retenir que le sens. Au total, j’ai assisté à un tiers de la programmation, mais quelle excitation de s’ouvrir à tant d’artistes du monde entier ! Ils sont quelques-uns à  nous dire comment tourne notre planète et où nous allons. Le Kunsten nous guide pour changer de paradigme, pour réduire ces rationalités qui nous enferment afin d’éveiller notre imaginaire vers un futur de plus en plus proche.

« End » de Kris Verdonck ne dit rien d’autre quand il met en scène l’apocalypse pour nous inviter à interroger nos schémas répétitifs. Envoûtant. Toshiki Okada  avec « Freetime » a une nouvelle fois créé la surprise en démontrant comment nous pouvons devenir libres dans un contexte productiviste qui nous mène droit dans le mur. Beatriz Catani a étonné le public avec la lente agonie d’une blatte, métaphore de la fin d’une époque, où les individus réinventent leur vie pour se projeter autrement (délicieux passage où l’une des actrices ne veut employer que des verbes au futur !).

Où vont donc les nations dans un tel chaos ? Avec Amir Reza Koohestani, « Quartet : a journey to north » fut un moment théâtral délicat au c?ur d’un Iran déchiré entre modernité et religion. Sanglant. Michael Marmarinos avec « Dying as a contry » est resté englué dans une vision passéiste de la nation et n’a pas réussi à actualiser son propos à l’heure de la mondialisation. Pas plus d’ailleurs que la la chorégraphe turque Aydin Teker qui, avec « Hars », n’a pas compris les nouveaux liens entre l’homme et l’objet à partir d’un schéma franchement dépassé.

Mais pour changer, encore faut-il interroger notre rapport au savoir scientifique, à l’art théâtral. La performeuse américaine Rebekah Rousi a mis à mal notre désir de maîtriser les savoirs en nous proposant la plus longue présentation d’un PowerPoint du monde ! Au Kunsten, tout s’ouvre…La preuve ? Même un centre d’appel basé à Calcutta peut devenir avec le collectif Berlinois Rimini Protokoll un espace théâtral ; où quand la mondialisation crée de nouveaux territoires de l’imaginaire ! Dans le même mouvement d’ouverture, Heiner Goebbels avec « Stifters Dinge » nous a propulsés loin, très loin et si prés avec sa machine à réinventer le monde alors que les scientifiques affirment qu’il n’y a plus de territoires à découvrir ! Un pur chef d’?uvre.

Mais pour explorer ces espaces complexes de l’imaginaire, il convient de changer la relation entre l’artiste et le spectateur. Le japonais Zan Yamashita avec « It is written there » s’y est essayé en glissant entre lui et nous sa partition écrite chorégraphique, mais au final, nous avions l’impression de lire passivement un livre d’histoire. Dommage.

Pour aller sur la relation, le Kunsten nous a offert deux magnifiques espaces autour du dessin. Le premier avec Dan Perjovschi, dessinateur Roumain, présent dans la salle. Ses oeuvres poussent les murs, les frontières et remettent en mouvement ce que nous avons figé (l’idéal européen et la démocratie moderne sont ces thèmes de prédilection). Nous sommes au-delà de la caricature, au croisement de la poésie et des aspirations du citoyen déboussolé. Dan Perjovschi dessine nos désirs. C’est un artiste de l’utopie post-moderne. Fulgurant.

Avec l’artiste Valentine Kempynck, il faut accepter d’être soi-même le dessinateur. Dinant au restaurant du Kunsten où se côtoient acteurs, professionnels et public, un crayon tombe du plafond.  Instinctivement nous dessinons sur la table. Une jeune fille, habillée d’une robe tout en papier, incarne Celeste, prénom célèbre puisque domestique de Marcel Proust ! Elle tourne autour de nous, enlève les feuilles dessinées et les inclut dans un grand carnet à spirales qui sera suspendu dans l’entrée du bâtiment. Un cahier par jour de festival.

Koen est un jeune flamand. Il s’assoit face à nous et commence à nous dessiner. Celestin (un ami à moi) prend la pose inconsciemment. Koen l’interpelle : « C’est un dialogue ! ». Celestin s’empare de son crayon et à deux créent une belle ?uvre, en lien direct avec « End » de Kris Verdonck vu quelques heures auparavant:

En arrivant sur les lieux du Kunsten, le dessin de notre couple franco-néerlandais s’offre en premier au regard du spectateur. C’est cela la Belgique. C’est cela le Kunsten. Un festival de la métamorphose.

Pascal Bély

 

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Tous les articles du KunstenFestivalDesArts 2008:


??????
« Stifters Dinge » Heiner Goebbels
?????
Dan Perjovschi.

?????? « End » de Kris Verdonck
?????
« Freetime » de Toshiki Okada
??????  “Finales” de
Beatriz Catani
??????The longest lecture marathon” de
Rebekah Rousi

??????« Quartet : a journey to north » d’Amir Reza Koohestani.
??????
Call Cutta in a box” de Rimini Protokoll
??????
“Céleste” de Valentine Kempynck
??????
« It is written there » de Zan Yamashita

?????? « Hars » d’Aydin Teker
?????? 
« Dying as a contry » de Michael Marmarinos.