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EN COURS DE REFORMATAGE

« Les vivants et les morts » de Gérard Mordillat plastiqué par Julien Bouffier.

 

J’aurais tant aimé vous en dire du bien. J’aurais tant voulu quitter le Théâtre de Cavaillon, heureux, ému d’avoir retrouvé sur scène mes racines ouvrières, mon héritage familial et syndical. J’aurais pu vous écrire un joli petit papier sur « les vivants et les morts » de Julien Bouffier d’après le roman de Gérard Mordillat. J’aurais pu…
Quatre heures, deux actes, dix comédiens (dont une journaliste vidéaste) et trois musiciens d’un groupe rock. Au final, je n’ai suivi qu’un acte, fatigué de ne voir que quelques acteurs, aux silhouettes projetées sur un écran en plexiglas, grâce à l’ingéniosité d’un dispositif vidéo qui diffuse différentes images superposées. La scène se limite aux quatre murs d’une usine de plastique vouée à la fermeture, transformable en appartement d’un jeune couple d’ouvriers, lui-même en crise économique et sentimentale. On passe de la cuisine à l’usine, du bureau du DRH au lit conjugal.
« Les vivants et les morts » raconte la bataille du pot de terre (les ouvriers) contre le pot de fer (le groupe allemand). Tous les ingrédients d’une (longue) saga populaire sont réunis: histoires intimes et lutte collective, combats entre les bons et les méchants, tractations entre traîtres et fidèles, fusions entre amis – amants, empoignades entre amis-ennemis. J’assiste quelque peu surpris au tournage d’une série télévisée d’access prime time ! Le plastique est partout : dans l’histoire, entre les artistes et le public. La mise en scène est lourde, dépendante de l’outil vidéo qui se doit de produire ses effets. Les acteurs jouent pour la caméra et non pour le théâtre. Les retombées sont dévastatrices : l’histoire prend le pas, tout devient linéaire et l’on passe de case en case ; il ne manque plus que les coupures publicitaires. Les comédiens ne sont jamais convaincants, échappés d’un plateau de télévision. Le rideau de plexiglas masque la pauvreté de l’adaptation et de la mise en scène. Seule la vidéo sauve cette entreprise théâtrale malheureuse. Le vernis de la modernité ne peut cacher la vieillesse des jeux d’acteurs et la chorégraphie (genre « comédie musicale ») d’Hélène Cathala. Pourquoi de tels choix ? Pourquoi renforcer l’aspect guimauve d’un récit qui aurait mérité plus de mordant et de vraies prises de risque dans la mise en scène ?
En adoptant les techniques de la télévision, Julien Bouffier est en phase avec son époque. Il ne lui reste plus qu’à poursuivre son adaptation pour les “Zeniths” et autres « Palais des Congrès ».
Le théâtre ne peut plus rien pour lui.


Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « Les vivants et les morts» par Julien Bouffier Philippe Jamet a été joué le 29 mars au Théâtre de Cavaillon.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Avec « Elephant people », le théâtre « bling bling » de Renaud Cojo.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=dgFL5opePSk&w=425&h=355]

Peut-on confier le corps à n’importe qui, pour n’importe quoi ? « Elephant people » de Renaud Cojo est une oeuvre encore inclasssable. La liste des co-producteurs qui défilent sur l’écran est impressionnante (collectivités territoriales, scènes nationales, ministère, théâtre national, Adami, …):

Comment expliquer cette union « sacrée » pour une ?uvre aussi tragique sur la perte du sens ? Est-ce cela que l’on nous promet pour « démocratiser » le spectacle vivant ?  Et que penser de cette formule publicitaire idiote trouvée dans le programme du Théâtre du Merlan pour présenter le spectacle de ce soir :”…Allons à la rencontre du monstre, celui qui est en chacun de nous ! ” Mais pour quoi nous parle -t-on comme cela?
À défaut de diffuser le travail des chorégraphes (ils ne sont sûrement pas assez marketing), il est plus rentable de promouvoir la « pluridisciplinarité », mélange d’un groupe rock (avec tubes à la clef pour vendre la bande-son à la sortie), de vidéo , de théâtre (avec texte poétique pour rassurer l’intello de « Télérama » et des « Inrocks »), d’une « star » déchue de la télé-réalité pour faire tendance  (ici, Vincent Mc Doom, ex « célébrité » de TF1).
Par paresse (sûrement calculée), Renaud Cojo plaque au monde contemporain (la télévision) un thème porteur, « les monstres », qui soulevaient les foules dans les foires d’antan. Dans le rôle de l’animateur « monstrueux », un clone de Jean-Luc Delarue fait défiler les « monstres » d’aujourd’hui si « chers » à son émission. Quelle trouvaille ! Le tout joué et filmé façon talk-show avec vue sur les coulisses. On agite le plateau comme une bouteille d’Orangina afin de créer du désordre, un zapping dilueur de sens où les comédiens ne sont que des pantins téléguidés. À ce rythme, nous n’avons plus qu’à nous laisser porter dans cette parodie où tout est si facile à décrypter (plus c’est gros, plus ça passe !). Le plateau, sans cesse manipulé, rarement transcendé, est ramené à la portion congrue, envahi par l’orchestre et les machines, ce qui a pour effet de réduire l’effort d’une mise en scène.
Renaud Cojo s’évite tout propos politique, préférant le limiter au lien « coupable »  que nous aurions à ces monstres exhibés en longueur de journée dans les émissions de télévision. C’est de la sociologie sur scène, là où on aimerait y voir de l’art.
Cette production permet de multiplier les financements, de rassurer les mécènes sur ses aspects métaphoriques et divertissants. Elle est donc pour l’instant en phase avec son époque : tout dans l’apparence, si peu dans la construction d’une pensée.
« Elephant people » est un spectacle « monstrueux » : que l’on ose appeler cela « théâtre » est une insulte à l’intelligence du spectateur.
Je mets le cap sur le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en mai. Pour oublier tout cela. Et ranger définitivement « Elephant people » dans des bocaux de formol des laboratoires des programmateurs français qui courent après la modernité sans jamais la précéder.


Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? « Elephant people» de Renaud Cojo a été joué le 28 mars 2008 au Théâtre du Merlan de Marseille. Préférons le KunstenFestivalDesArts à Bruxelles du 9 au 31 mai 2007.


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CONCERTS

Le monde selon FIP, radio de Service Public.

FIP.jpgDepuis juillet dernier, la radio musicale de Radio France, FIP, est de retour à Marseille sur le 90.9. En octobre 2000, le sinistre PDG de l’époque, Jean-Marie Cavada, avait enlevé à ce joyau du service public plus de la moitié de ses émetteurs en France. Malgré la mobilisation sans précédent de ses auditeurs, FIP se repliait sur ses quatre fréquences restantes (Bordeaux, Paris, Nantes, Strasbourg).
C’est donc avec une certaine émotion que je réponds à l’invitation de FIP de rencontrer son équipe lors d’un forum organisé par la FNAC. Une trentaine d’auditeurs dans la salle pour écouter les explications de Dominique Pensec, directrice. Mais c’est l’animatrice Isabelle Duthil Lafrance et le programmateur Armand Pirrone qui suscitent l’attention. Leur regard ne trompe pas : ils aiment leur radio et en porte les valeurs. Ce sont de beaux artisans du Service Public, ouverts vers les richesses de ce monde global, attentif à l’égard des auditeurs. À leur façon, ils participent à la modernité d’un service public que certains oiseaux de mauvais augure voudraient réduire à la sphère marchande. A la fois remparts et passerelles, ils contribuent depuis plus de trente ans, à pérenniser une radio unique au monde. On le sait peu, mais FIP concourt à la diversité musicale dans ce pays. C’est une radio de développement durable.
Pour que la fête soit entière, FIP a offert aux auditeurs marseillais un concert gratuit au Dock des Suds dans le cadre du festival musical « Babel med music ». Trois artistes invités (la chanteuse vietnamienne Huong Thanh, l’Indienne Pura Fé et les Marseillais de Massilia Sound System), reflet de la richesse de la programmation de cette radio, ancrée dans le local pour embrasser le global, à l’image de la scène où nos deux animateurs symboliquement repliés dans un coin,  protègent, observent et commentent pour la radio les prestations des artistes.
C’est Huong Thanh qui ouvre la soirée et surprend la salle par sa musique et sa voix. La mondialisation des échanges nous permettra progressivement d’apprivoiser la complexité d’un chant que l’on pourrait comparer au jazz. FIP est donc là pour nous rappeler que nous n’en avons pas fini de découvrir ces nouveaux territoires musicaux.
Quand arrive l’Amérindienne Pura Fé, nous sommes prêts à nous laisser guider par la puissance de sa voix, par l’ingéniosité d’une partition entre blues et pop. Elle est impressionnante dans son engagement vocal, mais aussi dans sa détermination à nous  chanter un « Summertime » mixé, à l’image d’un monde ouvert qui ne renie pas les cultures locales.
En écoutant Pura Fé, je repense au Thibet et à Éric Pachet, journaliste à FIP, qui lors de ses flashs horaires de deux minutes, nous a souvent interpellés sur la situation dans cette province, bien avant le tapage médiatique actuel. Car FIP informe aussi. Autrement. Ses flashs sont autant de notes dans la partition du monde musical d’Armand Pirrone.

Pascal Bély
www.festivalier.net


Les fréquences de FIP:

Paris / Ile-de-France : 105.1 MHz
Bordeaux : 96.7 MHz
Arcachon : 96.5 MHz
Montpellier : 99.7 MHz
Marseille : 90.9 MHz
Rennes : 101.2 MHz
Nantes : 95.7 MHz
Saint-Nazaire : 97.2 MHz
Strasbourg : 92.3 MHz


Ecouter Pura Fé:

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=aGChIeeAE2o&w=425&h=373]

Ecouter Huong Thanh:

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EN COURS DE REFORMATAGE

L’enfant des « éphémères » par Joël Pommerat.

cetenfant1.jpg« Cet enfant » de Joël Pommerat ne facilite pas l’écriture. Depuis mardi dernier, je remets au jour suivant ce que d’habitude j’honore le lendemain du spectacle. Depuis, l’?uvre s’éloigne peu à peu. Ma créativité est bloquée et la mise en scène de Joël Pommerat me rend mutique.

Je revois encore cet orchestre rock, derrière un rideau flouté, composé des comédiens (ce dont j’ignore tout au long de la représentation !). Cet écran de fumée, métaphore d’un f?tus, d’où jaillit une musique maladroite entre différents tableaux (souvent pas plus de dix minutes), où sont mises en scène et en lumière les réflexions d’habitants d’un quartier. Comme Ariane Mnouchkine dans « Les éphémères », Joël Pommerat fait résonner la parole de ceux que l’on n’entend jamais. Ici, ils nous parlent de filiation, ce lien si complexe. Cette ?uvre est un « accouchement » de mots, de plaintes et de colères. Par le texte et les mouvements des acteurs, il souligne l’urgence d’écouter ces femmes et ces hommes qui souffrent dans leur fonction parentale. Il nous donne à voir cette France où tout semble décalé (des parents qui positionnent leur progéniture en adulte, un intergénarionnel bousculé par la crise économique).
Nous sommes propulsés à la frontière de l’intime et du social, de l’individuel et du collectif. Joël Pommerat joue avec cette confusion, accentuée par cet orchestre qui n’est ni dedans, ni dehors, à l’image d’un pays qui feint d’ignorer la crise que traverse les familles tout en ne cessant d’en promouvoir les valeurs de solidarité à longueur de discours médiatiques et politiques.
Quelque que soit son âge, « L’enfant » par Joël Pommerat, , ne sait plus où il doit aller. Les valeurs censées le guider sont un recyclage usé de principes judéo-chrétiens. J’observe la scène de loin comme si j’étais aussi derrière un rideau. C’est beau et lourd à la fois, comme à la fin d’une séance chez le thérapeute.

Aujourd’hui, je ne suis l’enfant de personne. Je n’ai plus envie d’en parler.


Pascal Bély.
www.festivalier.net

?????? Cet enfant” de Joël Pommerat a été joué le 18 mars 2008 au Théâtre de Cavaillon.

 

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Joël Pommerat sur le Tadorne:
Au monde“.
Les marchands

Ariane Mnouchkine et Les éphémères“.


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OEUVRES MAJEURES Vidéos

«Questo Buio Feroce» ou le «sid’amour à mort » de Pippo Delbono.

Assis au premier rang, nous sommes quatre à ne plus pouvoir nous lever. Éblouis par ce que vient de nous offrir Pippo Delbono. Apeuré et curieux de revenir vers vous, chers lecteurs, après cette épopée imaginaire entre la vie et la mort. Comment vous décrire ce que me fait cet homme à chacune de ses créations? Comment évoquer « ma plus belle histoire d’amour » théâtrale? Barbara aurait-elle traversé le plateau ce soir du Théâtre du Merlan, robe noire sur décor à fond blanc, pour nous chanter « la mort » dont le refrain me revient comme une invitation à unir ces deux artistes?

« Qui est cette femme qui marche dans les rues,

Où va-t-elle,
Dans la nuit brouillard où souffle un hiver glacé,
Que fait-elle?
Cachée par un grand foulard de soie,
À peine si l’on aperçoit la forme de son visage,
La ville est un désert blanc,
Qu’elle traverse comme une ombre,
Irréelle,»
Pippo Delbono serait-il lié à Barbara ? Elle chante, il danse. Elle clame le «sid’amour à mort», il convoque sur scène sa troupe pour «Questo Buio Feroce», fresque théâtrale inspirée du roman de Harold Brodkey, écrivain américain mort du sida. Dans mon imaginaire, elle lui chante «Mes hommes». Ce soir, il l’a rejoint, en dansant sur Aznavour,
«Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil»

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Pippo Delbono signe là sa plus belle oeuvre. Est-ce la dernière? «Questo Buio Feroce» serait-il le prologue de ses «Récits de juin» présentés au Festival d’Avignon en 2006 pour nous transmettre son patrimoine de l’humanité ? Je fais donc parti du voyage, entre obscurité et lumière, de l’épilogue au prologue. Il m’en coûte d’avoir mal aux yeux face à ce décor tout blanc. Mal au coeur, quand un homme très amaigri se lève puis se couche avec son masque de beauté. Ils défilent tous, éclopés, exclus, qui attendent leur tour, celui de baisser la garde, pour y aller.
Enfin.

Je les reconnais tous. Je m’accroche à mon siège pour ne pas chialer. Tel un thérapeute, Pippo est là, en coulisse, devant, en arrière pour nous soutenir et nous donner la bonne distance. C’est ainsi qu’il nous offre «My way», la «plus belle chanson du monde», chanté par cet homme beau et maigre comme un arbre prêt à refleurir en bouquet de roses rouges. Avec Pippo, la mort est un chemin qui se fait en marchant… C’est alors que ce blanc immaculé se teinte des couleurs de toute une vie, d’ombres et de lumières, d’histoires de sexe et de drogues, de contes et de légendes, de chansons et de danses. Pippo convoque notre imaginaire pour stimuler notre regard d’enfant, pour lâcher prise.

Enfin.
Avec Pippo, entre vie et mort, c’est la Dolce Vita où nos utopies et nos rêves les plus fous sont parés des plus beaux costumes d’un carnaval venitien, où nous jouons à cache-cache avec la mort. C’est sublime.
Il faut y aller. Elle attend, avec toute la force d’un groupe décidé à en découdre. Qu’importe ! Nous sommes au théâtre, espace de l’immortalité. Elle n’a plus qu’à reculer. L’artiste choisit, déterminé. Pippo danse, se couche religieusement puis se relève. Plus de masque, il offre son corps à la danse, à cet art de l’éphémère, pour devenir un ange.

Enfin.
Dis quand reviendras-tu?

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

Certainement que tout va me sembler fade après «Questo Buio Feroce» de Pippo Delbono, moment intime où se lie le fantasmagorique et le réel.
Même si le déclic de cette oeuvre est la lecture d’un livre de Harold Brodkey, la place que tient la vie du metteur en scène dans ce spectacle est tout simplement grandiose. J’avoue avoir peur à l’idée qu’il pourrait s’agir de sa dernière création tant son imaginaire est mis à nu.
Comme avec tous ses spectacles, Pippo nous convie à partager un moment. On ne sait pas jusqu’où il nous emmène, peut-être au pays des merveilles, où tout ce qui peuple sa vie habite la nôtre.
C’est sur le plateau baigné d’une blancheur immaculée que l’humain va se succéder, faible et vil, capable du pire comme du meilleur.
Des scènes de torture en tant de guerre, de l’appel de numéro au guichet de la mort (nous sommes peu de choses !), de la maladie qui nous frappe tous, des contes qui baignent notre enfance où l’on s’identifie au héros ou à l’héroïne, nous sommes tous avides de pouvoir, si petit soit-il, afin de vivre le mieux possible dans cette jungle.
Mais lorsque, touchés par le sceau de la mort (« Me vois-tu ? Je disparais »), nous devons faire face à l’irréversible, alors nous nous retranchons dans notre monde où l’on espère trouver des merveilles.
Pippo Delbono, le bienfaiteur, dévoile, dissèque, expose l’abject comme le subtil sous mes yeux remplis de larmes.
« La Rabbia » et « Questo Buio Feroce » programmés dans le même temps par le Théâtre du Merlan est d’une coordination parfaite avec un fil conducteur : trouver sa force pour avancer.
Pippo a trouvé la sienne, c’est sa danse majestueuse.
Laurent Bourbousson.

« Questo Buio Feroce » de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 14 mars 2008.

 

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OEUVRES MAJEURES

Le chaud et le froid de “La Rabbia”, par Pippo Delbono.

On ne peut pas rester insensible au théâtre de Pippo Delbono, ce metteur en scène est un génie.” C’est l’affirmation que j’ai réussi à formuler vingt quatre-heures après avoir vu « La Rabbia ».
Vingt quatre-heures, c’est long mais nécessaire. Plongé dans le mutisme le plus complet à la fin de la représentation, le silence et les images ont été mes seuls compagnons. “La Rabbia” (rage en français) bouleverse, émeut, fait rire, met le doigt là où ça fait mal : en résumé, elle remue les tripes.
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La vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans de nombreux rêves“. C’est avec cette phrase que Pippo Delbono nous entraîne dans son sillage où l’on croisera Pasolini, Rimbaud, Genet et Charlie Chaplin.
Entre l’onirisme et la réalité, la cruauté et la bonté, le beau et le laid, le chaud et le froid, je me laisse ensevelir, engluer dans ces contradictions.
Du personnage “enfantin” de Charlot au “Dictateur”, des séances de torture à Rafaella Carrà, de l’amour au déchirement, de la vie à la mort, Pippo Delbono sert toutes les dimensions du mot “rabbia” à travers ses souvenirs.
La rage est une canne sur laquelle on s’appuie tous. Que l’on soit bon ou mauvais, elle fait son chemin, se découvre cruauté ou bonté.
La voix de Pippo résonne à coup de “Dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimeras pour toujours“. Mais il n’y a pas que cela, il sait “les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969“, et surtout que “derrière les nuages, il y a le soleil“.
Le soleil brille quand il est question de mimer des chansons des années 60, des chanteurs à la mode de l’époque.
Cette rage de vivre qu’a Pippo, donnée au public comme un cadeau universel, est belle.
Parce que vivre est un ensemble d’antagonismes que nous côtoyons, nous finirons tous avec nos petits anges et trouverons le salut auquel nous avons droit.

Laurent Bourbousson – 
www.festivalier.net

“La rabbia” de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 11 et 12 mars 2008.

 

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CONCERTS

Claire Diterzi, théâtrale.

La chanteuse Claire Diterzi investit pour la deuxième fois la Scène Nationale de Cavaillon. À l'automne dernier, elle y était en résidence pour préparer son spectacle. Son album ?Tableau de chasse?, sorti en début d'année, est une traversée féerique au milieu d'?uvres d'art, repérées ici ou là dans les musées (de Rodin à Fragonard en passant par Allen Jones). Ce concert, très attendu, renouvelle le genre et ouvre la musique vers la vidéo où fusionne l'?uvre d'art avec l'univers loufoque et tourmenté de Claire Diterzi. Habillé en peau de vache (!), elle débarque sur scène, déterminée à en découdre, entourée de deux superbes choristes échappées d’un gospel, d'une bassiste au regard transperçant, d'une violoniste rêveuse et d'un batteur, icône d'une publicité de Jean-Paul Gaultier. Ensemble, ils forment un aréopage de féministes avec la ferme intention de moderniser un musée archéologique! Si les guitares sont brandies comme des phallus triomphants chez les hommes, elles sont ici des instruments portées comme des bijoux, à l'image d'une musique qui brille par son ingéniosité et ses sonorités inattendues.

Nous sommes dans une Scène Nationale et Claire Diterzi regrette l'apathie d’un public bien callé sur son fauteuil. Elle n'a peur de rien quand elle nous apostrophe à la limite de l'insulte. ?Cavaillon, vous êtes mous!? dit-elle, droit dans les yeux.

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LES JOURNALISTES!

A propos de danse: DOGMA, la charte des blogueurs.

Il est impossible de parler de la danse.
Ce n'est pas une raison pour en parler n'importe comment.
Ce n'est pas une raison pour en parler en employant des mots pré-pensés, qui se reproduisent  ad nauseam de textes en textes, tels des pièges à connivence, des points de repères trop rassurants, vidés depuis longtemps de toute substance.
Ecrivons autrement.
Pensons autrement.
Pensons.
Je propose donc à mes camarades blogueurs d'adhérer à la chartre suivante, et de proscrire désormais de nos textes autour du spectacle vivant les 7 termes suivants:

 

Questionner
N'écrivons plus : « en sortant de la scène, Eric Bernard-Jean questionne son rapport à l'espace fictionnel »
N'interrogeons que des êtres pourvus d'intelligence, donc susceptibles de nous répondre.
Laissons l'usage de ce terme aux professeurs et aux policiers.

 

Interroger
Même faute, Même punition

 

Champs
N'écrivons plus: « Pendant 5 heures, Eric Bernard-Jean entreprend l'épuisement des champs narratifs »
Laissons l'usage de ce terme aux agriculteurs. 

 

Mettre à nu
N'écrivons plus : « La danse met le danseur Eric Bernard-Jean à nu et révèle son être intime »
Rendons l'expression à Edgar Poe et Charles Baudelaire.

 

Produire
N'écrivons plus: « Eric Bernard-Jean parvient à produire du rire avec de la danse » ou «le corps n'est produit qu'en se produisant » 
Laissons l'usage de ces termes aux industriels. 

 

Convoquer
N'écrivons plus: «  Avec Eric Bernard-Jean, la danse convoque l'ensemble des arts de la scène »
Laissons l'usage de ces termes aux proviseurs et aux Assedics. 

 

Intime
N’écrivons plus: « La performance d'Eric Bernard-Jean  traverse la notion d'intimité et ses différents modes de représentation dans le monde contemporain. »
Laissons l'usage de ce terme aux gynécologues.

Tolérons ces termes uniquement quand employés dans leurs usages premiers.
On continuera, à regret, à user des mots « corps » et « texte », trop lus, mais difficilement substituables.
En veillant à ne pas en abuser.

 

J'engage tous mes amis spect-acteurs, et au-delà, à signer ce manifeste du 9 mars 2008.
Sont aussi les bienvenus dans cette démarche les journalistes professionnels, les artistes qui s'expriment quant à leurs travaux, les responsables de lieux, leurs porte-plumes et de manière générale tous les acteurs de ce milieu amenés à produire -pardon, à rédiger- des textes à propos du spectacle vivant.

 

Guy Un Soir Ou Un Autre

Signataire: Pascal Bély, Le Tadorne, www.festivalier.net

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

L’île de beauté par François Cervantes.

Ils sont quatre, deux hommes, deux femmes, habillés comme vous et moi. Ils nous ressembleraient avec leurs habits noirs, leur regard vague et leur démarche pesante. Seraient-ils à la recherche du sens? Leur voix, monocorde, ennuie. Seraient-ils nos contemporains?
ile01.jpgÀ la mort de leur ami peintre, ils décident de faire le voyage, en mer, pour ramener son modèle: une jeune femme silencieuse. Les voilà qui débarquent sur une île, tels des naufragés où ils font d'étranges rencontres: l'adolescente et sa mère, le fou, le soldat, le vieil homme, le kamikaze, pour ne citer que ceux qui habitent ma mémoire.  La scène est dépouillée ; ils ont deux heures pour nous inviter à faire le voyage, pour franchir la ligne qui sépare notre vision linéaire de l'existence et celle qu'ils nous proposent, plus complexe. C'est ainsi que je vais vivre, avec eux, un aller-retour permanent entre notre continent où la guerre pour survivre fait rage et l'île de notre inconscient (ce), où l'on peut regarder sa vie en face, de biais, d'un arbre, d'un rocher, d'un livre composé de toutes les lettres restées sans réponse.
ile02.Raynaud-de-Lagepetit.jpgIl faut tout le talent du metteur en scène François Cervantes et de sa troupe (impressionnante Catherine Germain) pour nous aider à lâcher, à faire le voyage dans ce théâtre d'ombres et de lumières, de visages et de masques. Magnifique ?entreprise? qui consiste à nous parler d'amour avec les masques d'une telle sincérité, modelés par nos rêves d'enfants, nos désirs d'adolescent, nos peurs de mourir, et nos fantasmes guerriers. En s'affranchissant magnifiquement des frontières entre la vie et la mort, François Cervantes répare quelque chose en nous: cette île devient progressivement la nôtre où les lumières et les morts-vivants s'allument pour s'éteindre comme dans un rêve éveillé où nous plongeons dans le bleu turquoise d'un morceau de tissu et nous y noyer.
Malgré tout, j'aurais aimé que les comédiens sans masques ne soient pas aussi détachés (intention de l'auteur ou faiblesse du texte?) pour me rassurer, me guider un peu plus.
?L'île?, c'est de l'humanité, une douce folie, une invitation à penser joliment à sa propre mort.
?L'île? est un petit bijou théâtral, très fragile. Préservons là des vents contraires qui pourraient nous empêcher d'y accoster. Ils sont particulièrement turbulents en ce moment.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Ps: lz deuxième photo est de Christophe Raynaud De Lage. A voir son book sur son site.

??????  ?Une île”, texte et mise en scène par François Cervantes a été joué le 5 mars 2008 à la Friche Belle de Mai. A voir jusqu’au 15 mars 2008.


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Philippe Jamet et la saveur pâteuse de l’autre.

Aurore est une jeune spectatrice. Tout au long de ?la saveur de l'autre? de Philippe Jamet au Théâtre du Merlan de Marseille, elle tousse. Bruyament. Aurore est malade et nous ne pouvons rien faire pour elle. Elle ne me gêne pas comme si le dispositif de Philippe Jamet dans le hall du théâtre m'avait aidé à accepter cette différence de ton… À notre arrivée à 19h30, différentes installations vidéos nous accueillent ; créées à partir d'actes quotidiens (pleurer, sauter, s'endormir, caresser, ?), ces émotions constituent un joli itinéraire, patchwork de que nous sommes capables de faire en dehors de consommer (Carrefour est à l'étage supérieur du Théâtre!). Cette mise à distance prépare la dégustation des huîtres au bar du Merlan.
installation-2-caresse.jpg À 20h45, l'oeuvre de Philippe Jamet se poursuit par un film. Enfants et personnes âgées dissertent sur la vie et la disparition. C'est magnifique, subtil, intelligent, restitué avec tact et bonne distance de la caméra. Quinze minutes suspendues. Le spectacle est là. Entre douceur, caresses, sens, saveurs marines et processus vitaux, tout aurait pu s'arrêter à ce moment précis où deux hommes arrivent sur scène. Ils se prennent la main face à nous, laissent une empreinte et s'éclipsent. Leurs corps ne peuvent aller plus loin. Folle envie d'applaudir.
Seulement, voilà, Philippe Jamet continue. Six danseurs (trois hommes, trois femmes) vont mettre en mouvement ce que nous avons vu précédemment depuis notre arrivée au théâtre. Rien ne se passe. Tout se conceptualise et se complique. Ils bougent, mais je ne perçois pas la dynamique du lien, du sens. C'est trop tard. Que peut apporter le corps après ces instants vidéo, si ce n'est d'illustrer? Que peut faire la danse de la parole de ce vieux monsieur qui, droit dans les yeux, nous affirme: ?la culture commune c'est le vivre ensemble?.
La danse n'est pas l'art de l'illustration, encore moins de l'explication. Elle n'est pas dans la sphère du réel. Philippe Jamet s'est trompé en voulant additionner les angles de vues. Cela ne peut pas faire sens, en tout cas pas dans cette linéarité-là. La part intime de chacun de nous peut se traduire par l'image, mais ne trouve, par la suite, aucun prolongement dans le corps. Ce n'est pas le même langage d'où la difficulté pour beaucoup de chorégraphes à articuler danse et vidéo.
Est-ce cela qui provoque la toux d'Aurore dès que les danseurs entrent sur scène? Est-ce pour cette raison que Philippe Jamet lui passe un savon à la sortie (?vous auriez pu sortir! ? ? Vous avez gâché la soirée?). En assistant à la scène, ?La saveur de l'autre? prend un drôle de goût, celle d’une toux partagée.  L'incohérence du spectacle est à chercher dans cet instant final, bien réel celui-là.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « La saveur de l’autre» de Philippe Jamet a été joué le 1er mars 2008 au Théâtre du Merlan de Marseille.

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