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«Questo Buio Feroce» ou le «sid’amour à mort » de Pippo Delbono.

Assis au premier rang, nous sommes quatre à ne plus pouvoir nous lever. Éblouis par ce que vient de nous offrir Pippo Delbono. Apeuré et curieux de revenir vers vous, chers lecteurs, après cette épopée imaginaire entre la vie et la mort. Comment vous décrire ce que me fait cet homme à chacune de ses créations? Comment évoquer « ma plus belle histoire d’amour » théâtrale? Barbara aurait-elle traversé le plateau ce soir du Théâtre du Merlan, robe noire sur décor à fond blanc, pour nous chanter « la mort » dont le refrain me revient comme une invitation à unir ces deux artistes?

« Qui est cette femme qui marche dans les rues,

Où va-t-elle,
Dans la nuit brouillard où souffle un hiver glacé,
Que fait-elle?
Cachée par un grand foulard de soie,
À peine si l’on aperçoit la forme de son visage,
La ville est un désert blanc,
Qu’elle traverse comme une ombre,
Irréelle,»
Pippo Delbono serait-il lié à Barbara ? Elle chante, il danse. Elle clame le «sid’amour à mort», il convoque sur scène sa troupe pour «Questo Buio Feroce», fresque théâtrale inspirée du roman de Harold Brodkey, écrivain américain mort du sida. Dans mon imaginaire, elle lui chante «Mes hommes». Ce soir, il l’a rejoint, en dansant sur Aznavour,
«Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil»

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Pippo Delbono signe là sa plus belle oeuvre. Est-ce la dernière? «Questo Buio Feroce» serait-il le prologue de ses «Récits de juin» présentés au Festival d’Avignon en 2006 pour nous transmettre son patrimoine de l’humanité ? Je fais donc parti du voyage, entre obscurité et lumière, de l’épilogue au prologue. Il m’en coûte d’avoir mal aux yeux face à ce décor tout blanc. Mal au coeur, quand un homme très amaigri se lève puis se couche avec son masque de beauté. Ils défilent tous, éclopés, exclus, qui attendent leur tour, celui de baisser la garde, pour y aller.
Enfin.

Je les reconnais tous. Je m’accroche à mon siège pour ne pas chialer. Tel un thérapeute, Pippo est là, en coulisse, devant, en arrière pour nous soutenir et nous donner la bonne distance. C’est ainsi qu’il nous offre «My way», la «plus belle chanson du monde», chanté par cet homme beau et maigre comme un arbre prêt à refleurir en bouquet de roses rouges. Avec Pippo, la mort est un chemin qui se fait en marchant… C’est alors que ce blanc immaculé se teinte des couleurs de toute une vie, d’ombres et de lumières, d’histoires de sexe et de drogues, de contes et de légendes, de chansons et de danses. Pippo convoque notre imaginaire pour stimuler notre regard d’enfant, pour lâcher prise.

Enfin.
Avec Pippo, entre vie et mort, c’est la Dolce Vita où nos utopies et nos rêves les plus fous sont parés des plus beaux costumes d’un carnaval venitien, où nous jouons à cache-cache avec la mort. C’est sublime.
Il faut y aller. Elle attend, avec toute la force d’un groupe décidé à en découdre. Qu’importe ! Nous sommes au théâtre, espace de l’immortalité. Elle n’a plus qu’à reculer. L’artiste choisit, déterminé. Pippo danse, se couche religieusement puis se relève. Plus de masque, il offre son corps à la danse, à cet art de l’éphémère, pour devenir un ange.

Enfin.
Dis quand reviendras-tu?

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

Certainement que tout va me sembler fade après «Questo Buio Feroce» de Pippo Delbono, moment intime où se lie le fantasmagorique et le réel.
Même si le déclic de cette oeuvre est la lecture d’un livre de Harold Brodkey, la place que tient la vie du metteur en scène dans ce spectacle est tout simplement grandiose. J’avoue avoir peur à l’idée qu’il pourrait s’agir de sa dernière création tant son imaginaire est mis à nu.
Comme avec tous ses spectacles, Pippo nous convie à partager un moment. On ne sait pas jusqu’où il nous emmène, peut-être au pays des merveilles, où tout ce qui peuple sa vie habite la nôtre.
C’est sur le plateau baigné d’une blancheur immaculée que l’humain va se succéder, faible et vil, capable du pire comme du meilleur.
Des scènes de torture en tant de guerre, de l’appel de numéro au guichet de la mort (nous sommes peu de choses !), de la maladie qui nous frappe tous, des contes qui baignent notre enfance où l’on s’identifie au héros ou à l’héroïne, nous sommes tous avides de pouvoir, si petit soit-il, afin de vivre le mieux possible dans cette jungle.
Mais lorsque, touchés par le sceau de la mort (« Me vois-tu ? Je disparais »), nous devons faire face à l’irréversible, alors nous nous retranchons dans notre monde où l’on espère trouver des merveilles.
Pippo Delbono, le bienfaiteur, dévoile, dissèque, expose l’abject comme le subtil sous mes yeux remplis de larmes.
« La Rabbia » et « Questo Buio Feroce » programmés dans le même temps par le Théâtre du Merlan est d’une coordination parfaite avec un fil conducteur : trouver sa force pour avancer.
Pippo a trouvé la sienne, c’est sa danse majestueuse.
Laurent Bourbousson.

« Questo Buio Feroce » de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 14 mars 2008.