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EN COURS DE REFORMATAGE

Le pétard mouillé de la Scène Nationale de Cavaillon.

DSC00081.JPGIl est 20h00. 16° dehors, température de 10° ressentie au vent. Je quitte prématurément le théâtre de Cavaillon: dépité, frigorifié, anesthésié par ce jeu de rôles qui semble avoir été inventé un soir de fumette entre amis. Imaginez la trouvaille: convoqué à 19h, le public poireaute pendant plus d'une heure en lui faisant croire (alarme à l'appui) que le spectacle n'aura peut-être pas lieu (le matériel est inondé). On nous abreuve d'informations rocambolesques pour finalement voir les comédiens en habit de scène, jouer leur mésentente sur des tréteaux. Des acteurs cachés dans le public alimentent le processus: la réac (?C'est encore un coup des intermittents!?), l'intello (?cela me rappelle un extrait d'une thèse?), le poivrot (un clochard qui répète ses idioties), l'administrative du théâtre (tiens, une femme) complètement dépassé par les événements. Pas besoin d'avoir fait une thèse pour deviner l'intention de la Direction du Théâtre et de la Compagnie des 26000 couverts: en créant la perturbation, les spectateurs désireux d'assister ?passivement? à du Shakeaspeare, vont se voir jouer, dans un miroir déformant. Le jeu permet de visualiser le lien artiste ? public  mais offre finalement ce que nous ne serions jamais venu voir un soir d'octobre: un spectacle de rue!
Quelle trouvaille! En d'autres termes, cette compagnie a dû s'inspirer du bouquin de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, ?la soumission librement consentie?. On y apprend comment par certaines techniques (le pied dans la porte, l'amorçage)  on peut amener les citoyens à faire des choses qu'ils n'auraient jamais faites spontanément. Le théâtre n'est donc plus à l'abri des manipulateurs, ce que nous savions depuis longtemps, sauf qu'ici, la manipulation est quasiment institutionnalisée! Pourquoi pas! Mais encore faudrait-il que le metteur en scène Philippe Péhenn soit en mesure de nous faire réfléchir sur notre lien au théâtre dans une société de consommation.
Or, que fait-il? Il utilise les grosses ficelles du marketing si bien que les spectateurs ont passivement accepté de s'asseoir dans l'herbe pour voir un Shakeaspeare revisité. Où est donc le changement? C'est toujours plus de la même chose! Sauf que la Compagnie, en promettant d'intégrer une salle dans la revue ?Chut? du Théâtre de Cavaillon, joue finalement dehors. Rien ne change pour elle aussi. Or, quand l'art ne bouge pas les lignes, à quoi sert-il si ce n'est de produire du divertissement dont nous sommes quotidiennement abreuvés dans les médias. Tout ce barnum pour ça? Débat impossible puisque la Compagnie devance le public avec un sous-titre qui coupe court la discussion (?Beaucoup de bruit pour rien?).
Je me suis souvenu d'une soirée en mars 2005. Le chorégraphe Jérôme Bel présentait ?The show must go on? au Théâtre des Salins de Martigues. En interpellant directement le spectateur sur sa place, Bel provoqua un joli chahut et des protestations véhémentes. Nous débattions dans le théâtre, dans la rue. Jamais je n'avais vu cela: nous étions inclus dans le processus artistique.
Suite à cette soirée, j'ouvrais deux mois plus tard ce blog. ?Beaucoup de bruit pour rien? répondront certains!


Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? «Shakeaspeare. Beaucoup de bruit pour rien” par la Compagnie 26000 couverts a été joué le 12 octobre 2007 à la Scène Nationale de Cavaillon..
 

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