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EN COURS DE REFORMATAGE

« Here as if… » de Bock&Vicenzi au Kunsten : une bombe à retardement.

Mais que vous a-t-on fait ? Deux heures de spectacle et seulement dix minutes dansées, dix minutes d’un même enchaînement repris inlassablement – cette transe, ce tremblement compulsif que vous affectionnez tant.
Que vous a-t-on fait pour que vous nous imposiez tant de frustration? Tout y est, tout est près pour deux heures de magie : les danseurs, la jambe galbée, le muscle saillant ; une superbe scénographie, un ensemble à l’esthétique maîtrisé. Mais non, c’est la frustration encore et toujours, je m’impatiente, mon voisin ne sait plus où mettre ses jambes, où poser son coude, ma voisine se mange les doigts, je bouillonne, coincée au milieu de cette rangée…et quand bien même, si j’avais pu sortir, l’aurais-je fait ? Que dire également de ce dernier tableau poignant, impressionnant? Je n’avais jamais rien vu de tel. Et pourtant, une erreur magistrale d’enchaînement aura même eu raison de ces ultimes instants. Non, ce soir vous ne semblez pas avoir d’excuse Monsieur le chorégraphe. Et en y repensant, me voici à nouveau le ventre noué de cette étrange angoisse que vous nous avez imposé avec « Here, as if …. ».
« Here, as if they hadn’t been, as if they are not. An épilogue. The invisible dances. » Je veux revoir ce spectacle. Je ne comprends tout simplement pas ce qui s’est passé. Il y avait quelque chose d’aliénant et d’insupportable et aujourd’hui me voici en train d’écrire « je veux revoir ce spectacle », ou au moins les cinq dernières minutes où vous avez consenti à nous accorder un peu de répit.
Tout d’abord, un bourdonnement derrière le rideau, le bruit d’une tension électrique assez éloignée. Le rideau se lève. Bock&Vincenzi présentent une création dans laquelle interviennent voyants et non-voyants. La présence d’aveugles sur scène apporte une part de mystère, un silence.
Un homme, donc, se plie, se tord dans tout les sens. Soudain, l’ampoule qui pend à quelques mètres, tombe et s’explose. Noir. Une dizaine de personnes nous apparaissent alors occupant la scène, statique. Tableau magistral. L’ambiance est électrique, les couleurs métalliques hormis ce grand drap rouge pendu quasi au milieu. Trois êtres, tels des mannequins évadés d’un grand magasin, traversent la scène dans un pas mécanique, rapide, fou. Une femme, tout devant, drapée dans une toge noire, marmonne dans un micro. Bock&Vincenzi ont tout prévu pour nous rendre le tout insupportable : madame marmonne dans son micro suffisamment fort pour que l’on soit tenté d’écouter, pas assez pour que l’on puisse comprendre ; dans la sono toujours la même tension ponctuée d’explosions électriques qui traversent l’espace faisant bondir mes voisins et moi-même par intervalles réguliers ; il y a un problème avec la sono, ou peut-être ce sont les amplis …mais bon sang pourquoi ne pas partir ? Se casser tout simplement ?
Parce que les derniers instants de « Here, as if… » sont excellents. A ce jour c’est la seule réponse que j’ai pu trouver. Deux heures insupportables où je parviens toutefois à m’échapper par la pensée, pour tuer le temps, puisque je vous le rappelle ils ne dansent pas, ou très peu. Toujours les mêmes qui traversent la scène dans leur tremblement habituel ; un travesti – à la jambe qui ne demande qu’à danser – se morfond les genoux repliés, daignant tout juste sortir de cet état second. Ce manège prend fin une heure trente plus tard.
L’homme du premier tableau est adossé à un mur, une lumière verte, lueur fluorescente, lumière éblouissante qui l’enveloppe, s’empare de lui, et lui d’elle. Il baisse la tête, son torse plie et le rond de lumière diminue jusqu’à prendre la taille de son ventre. L’homme s’étire à nouveau, la lumière l’enveloppe à nouveau. Tout cela est impressionnant. J’en veux encore, j’en veux plus.
Un spectacle peut agir sur votre être comme une « bombe à retardement » pour reprendre l’expression du Tadorne. « Here, as if…. » est une « bombe à retardement ».

Bock&Vicenzi, en écrivant ces lignes je comprends à quel point votre spectacle m’a pris aux tripes. L’artiste, démiurge en son palais, tire les ficelles de nos êtres. Vous travaillez au-delà du contemporain…au-delà de la danse. C’est à croire que cette section va un jour disparaître au programme du Kunsten.

Peggy Corlin – Bruxelles.

Photo: © Michèle Rossignol

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