Mois : avril 2006
Elle est là, dans le hall du Théâtre des Salins de Martigues. Elle tient un tapis à la main sous le regard des spectateurs ; ils attentent « Jeux d'intentions » de Raphaëlle Delaunay. Avec sa jolie robe blanche, elle tente de faire ses pointes sur ce tapis. Son corps se désarticule. Elle tombe, se relève, se transforme comme si nos regards métamorphosaient sa danse. Elle tombe, se relève de nouveau et se dirige tout droit?vers moi ! Elle s'appuie sur mes petites épaules, me dépasse et me fixe droit dans les yeux. Je suis raide, intimidé, pendant qu'elle me murmure quelques mots. Suis-je ce public qui la soutient sans défaillir? J'ai peur. Les regards se dirigent vers nous deux. Je tremble, elle aussi. Son corps se glisse alors parmi le public, pour disparaître. Il veut jouer avec elle car il sait que le spectacle se fera avec lui et pour lui. Elle, c'est Raphaëlle Delaunay, chorégraphe, danseuse.
Je sais d'elle qu'elle fait corps avec nous?
Le public prend place dans la « petite salle » du Théâtre des salins. Eux, ce sont deux hommes qui dansent pour nous sur des rythmes africains mélangés aux sons d'un marché venu d'ailleurs. Ils frappent dans leurs mains ; le public fait de même. Ils dansent et leur corps se désarticulent de nouveau. Ils dansent aux quatre coins de la salle. Ils nous viennent des quatre coins du monde. Avec eux, le monde est métis.
Elle arrive, toujours avec sa jolie robe blanche. Elle fait tourner la tête et les corps. Parfois ils se brisent, s'enveloppent, se jettent contre le sol. L'émotion me submerge face à ce trio qui danse si bien nos doutes, nos désirs, nos fragilités prises dans nos relations d'amour et d'amitié.
Elle est le lien entre eux car cette femme, répare, relie, là où ces hommes sont séparés par la guerre, les luttes de pouvoir, les relations de haine. Elle recolle les morceaux d'un corps, d'une vie mise à mal. C'est étourdissant de beauté et d'amour. Cela nous est donné en cadeau. Ce soir, la danse se veut réparatrice. Fragmentés nous l'étions peut-être en venant au Théâtre. Entiers nous repartons.
Elle, c'est Raphaëlle Delaunay ; eux c'est Grégory Kamoun Sonigo et Mani Asumani Mungai. Je sais qu'ils sont dorénavant à côté d'Icare.
Je m'envole de bonheur.
Pascal Bély
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A voir, le reportage d’Arte sur Raphaëlle Delaunay, dans le cadre du Journal de la Culture.
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Avec un tel scénario, une troupe de 18 comédiens et de musiciens, un auteur reconnu, « Poeub » pourrait être un très beau spectacle. Or, l'ennui gagne au fur et à mesure du périple de Globule (vu le nombre de spectateurs qui dorment autour de moi, j'ai le mérite de suivre cette troupe jusqu'au bout). Les scènes passent à une vitesse de zapping et pourtant le tout traîne en longueur. Les personnages n'ont pas le temps de s'installer. La mise en scène les enferme dans un jeu burlesque répétitif, dans un espace scénique le plus souvent réduit.
Le plus troublant reste la distance entre les comédiens et le public : ils donnent peu et je ne perçois aucune générosité dans leur jeu comme si le pouvoir de Globule provoquait cet eloignement. Le public est exclu et les messages qu’on nous transmet à coup d'allusions métaphoriques sont assemblés comme dans un inventaire. Au bout d'une heure trente, un « documentaliste » vient nous parler pour nous guider dans ce fatras. Mais il n'en est rien. Il est tout aussi dépité que nous; « Débrouillez-vous » semble-t-il nous dire comme une prise de pouvoir sur le public.
Lorsque Globule revient chez lui, il se voit contraint de donner un spectacle de marionnettes. Les clients du bar s'ennuient?comme nous. Quelle étrange sensation de voir le spectacle dans le spectacle, et les comédiens jouer le public. Cette isomorphie, troublante, est au moins réussie.Au final, les clients du bar se divisent en deux : ceux qui ont compris le spectacle et ceux qui ne l'ont pas compris (ces derniers sont invités à créer une association). Peu critique, le public du Théâtre finit par applaudir. Refusant ce manichéisme, je préfére sortir de ce jeu et retrouver le hall glacial.
Après l'inventaire de 2005, le 60ème Festival d’Avignon s'apprête à ouvrir.
Serge Valletti n'y est pas.
A lire, “Psychiatrie / Déconniatrie” par Serge Valletti.
A consulter, la réaction de Serge Valletti à un article du Tadorne!
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Je suis en avance (c’est la condition pour avoir la « before » attitude) ; une jeune femme me tend un questionnaire : « Le Théâtre du Merlan souhaite connaître son public ». Je m’efforce de remplir les cases mais une photocopie de ma carte d’identité serait plus efficace. Le Théâtre du Merlan pourrait quand même créer un partenariat avec l’Université pour proposer des questionnaires qui tiennent un peu mieux la route. Certes, les étudiants sont occupés ailleurs et cela se sent : ce questionnaire est aussi light que le programme social de l’UMP.
Tout en remplissant ce pauvre papier, j’engage la conversation avec une chargée des Relations avec le Public. Quel joli titre ! Autant être franc…Cette jeune femme est avenante ; elle m’informe des activités du Merlan et porte son projet artistique. J’évoque mon blog et l’invite à trouver l’adresse via Google et Jean-Charles Gil (la boucle est bouclée). Je suis ravi de cette rencontre et je me sens respecté comme spectateur. La pièce qui suivra (« Psychiatrie / Déconniatrie“) confirmera cette impression.
Mais là où tout ce gâte, c’est à la fin du spectacle. Nous sommes en Avril 2006, soit trois années après la crise de l’intermittence déclanché par Raffarin en juin 2003. A peine la pièce terminée (je n’ai même pas le temps de faire une ovation à Christian Mazzuchini) la Directrice du Merlan et les techniciens sont sur le plateau. Et là…nous avons droit à la lecture de jolis textes entendu mille fois sur le statut de l’artiste, sur la nécessité de sauver le Service Public de la Culture, et gnan, gnan, gnan…
Au même moment, les étudiants font alliance avec les syndicats de salariés pour faire plier en deux mois un gouvernement autocratique. Les intermittents continuent d’être inaudibles, répétant toujours les mêmes modes d’action, positionnant toujours le public dans la même posture (on écoute gentiment et on applaudit tout aussi gentiment…). Je m’en étais ému dans un précédent «After / Before » comme quoi, de Cavaillon à Marseille, rien ne change.
Alors que «Psychiatrie / Déconniatrie » posait la parole comme un acte créatif et libératoire, il semble que les intermittents se soient enfermés dans une communication à sens unique, loin du public et des salariés en situation précaire. Avec le CPE et les étudiants, il y aurait pu avoir la plage sous les pavés…
Pascal Bély – Le Tadorne
A lire, « Psychiatrie / Déconniatrie au Théâtre du Merlan: à devenir fou»
Dix spectateurs sont habillés en blouse blanche et se font face des deux côtés de la scène. Du linge pend et les draps blancs de l'hôpital psychiatrique font office de cloisons mais permettent aussi au théâtre d'ombres de faire son cinéma. De petits films y sont projetés, images de l'inconscient où se nichent nos histoires, nos rêves et nos fantasmes. En plaçant une partie du public sur scène, puis en nous offrant un petit verre de vin au cours du spectacle, Christian Mazzuchini seul acteur et metteur en scène, positionne « Psychiatrie / Déconniatrie » comme un acte créatif dont le public sera l'auteur actif. Il s'agit de nous faire rire, de nous aider à baisser la garde, à sortir de notre irrationnel pour entrer dans le monde loufoque du psychiatre catalan François Tosquelles dont on ne sait plus s'il est « le » fou, le médecin ou le double de Salvador Dali. Toute la pièce est alors une série de va et vient entre ces trois personnages ainsi qu'une alternance de textes écrit à la fois par Serge Valletti, auteur marseillais, et par François Tosquelles, pionnier en France de la psychothérapie institutionnelle.
La force de cette pièce est de faire apparaître l'inconscient par un procédé créateur, proche de la psychanalyse, à l'instar d'un Dali qui développa dans les années 30, avec le mouvement surréaliste, sa méthode paranoïa critique. Ainsi, Christian Mazzuchini associe librement des idées, multiplie les contrepéteries, et se libère des traumas de l’enfance par la parole. L’inconscient est ainsi structuré comme un langage! Christian Mazzuchini est époustouflant car il incarne ces milliers de patients qui se sont libérés par la psychanalyse (dont votre serviteur). Il n'est jamais dans l'excès mais toujours respectueux de la parole qu'il porte, comme le serait un psychanalyste à l'écoute de son patient. Sa mise en scène s'articule entre le réel et l'inconscient (le film sur le champ de coquelicots fait rêver?c'est le cas de le dire !). Le chien qui l'accompagne devient patient. Il est tellement humain que cela en devient troublant. Ainsi, plus le spectacle avance, plus je me libère par le rire. Je me sens profondément respecté. Je ressens le texte comme un cadeau offert au public, avec force et humilité. Mais surtout, je reconnais, je ressens l’espace psychanalytique tel que je le vis…je me vois sur scène, sur ce divan…Troublant!
Avec « Psychiatrie / Déconniatrie », Christian Mazzuchini et Serge Valletti signent là un magnifique manifeste pour la psychanalyse. Il résonne d'autant plus que le gouvernement UMP tente d'en limiter la portée à coup de rapports d'expertises médicales positionnant les théories comportementalistes dans le champ de la clinique.
Le Roi Ubu nous gouverne?Libérons-nous en ! Allons au Théâtre! Directeurs de Théâtre, soyez fou: programmez « Psychiatrie / Déconniatrie »!
Osons le Divan sur scène…
« Je prends constamment appui sur le sol de l'enfance, c'est là que j'avance avec le plus de certitude. Il importe de retrouver les cailloux que l'enfance a laissés, eux seuls permettent de ne pas s'égarer dans les dédales de la vie adulte »
François Tosquelles
A lire, “L’after / Before” de ce spectacle!
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?????? « Aphorismes géométriques » commence. Comme en août 2005, je suis littéralement happé par ces quatre danseuses. Le quatuor émerge tout au début ; elles se cherchent ; je les suis ; les corps se touchent, s'évitent ; je les sens. Puis une à une, elles disparaissent pour mieux nous revenir. J'assiste alors à 4 solos époustouflants. De la femme en colère à celle qui souffre, de la femme sensuelle à celle qui accouche, de la femme caresse à celle qui fait mal, de la femme masculine à celle qui s'effondre, de la femme enfant à celle qui assume, de la femme stressé à celle qui paresse?De la femme à celui qui la regarde?Elles me regardent ; m'invitent ; je résiste. Puis, elles reviennent ensemble ; se soutiennent les unes des autres avec des mouvements lents comme un lien solidaire, solide. La lumière est devenue orange comme un coucher de soleil ; les mouvements deviennent alors indestructibles ; elles me relient. Cette lenteur, cette beauté du geste donne à ce quatuor une force qui fait face à ce monde si violent, si masculin. Je baisse la garde ; je sors de mon carré pour me faire tout rond. La lumière s'éteint sur l'?uvre de Michel Kelemenis.
Avec elles, il pourrait parcourir le monde. Pour l'éclairer.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« En Sourdine » démarre. Le titre est plutôt d’actualité. Cette chorégraphie de 25 minutes d’Emilio Calcagno et Olivier Dubois s’articule avec l’univers de Stéphane Blanquet, dessinateur. Le début est plaisant : un petit bonhomme danse comme une marionnette, se métamorphose en détective, dessine sur le miroir. Une oreille en sort et se contorsionne sur scène. Notre petit homme enlève son imperméable et se transforme en œil. S’opère alors la rencontre entre l’œil et l’oreille. Mais la magie n’opère plus. Les costumes paraissent lourds a tel point que les danseurs paraissent corsetés, enfermés dans la BD alors qu’ils aimeraient tant danser ! C’est la principale limite de ce spectacle : la danse est bande dessinée. Or, la danse trouve sa place quand elle donne du sens au fond. Mis au même niveau que la forme d’une BD, elle adopte ses codes. L’oreille et l’œil sont comme côte à côte et ne se rencontrent pas. A l’image d’une danse qui passe à côté d’un nouveau concept.
Les institutions manquent décidément de créativité dans ce pays. Trop sourdes?
A lire "L’after / Before" de ce spectacle!
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Michel Kelemenis est rare. Trop peut-être. Trouver ce chorégraphe est un jeu de piste, une chasse au trésor. Il faut d’abord le repérer au cœur d’une manifestation inconnue jusqu’à présent (« Danse en Avril » à Aubagne) ; puis se perdre à force de chercher une « salle de spectacles » à la Penne sur Huveaune, près de la gare (!), où Michel Kelemenis présente une œuvre majeure : « Aphorismes géométriques ». Majeure car, me semble-t-il, cette pièce pourrait faire date dans l’histoire de la danse. Après avoir vu ce spectacle dans le cadre de « Danse à Aix » au Château de Trets (loin d’être un lieu paradisiaque…des gamins dans la rue balançaient des cailloux dans la cour du château !), je suis obligé ce soir de me rendre au bord d’une autoroute, dans une salle de spectacle toute neuve mais tellement laide que même les anciens pays de l’est n’en voudraient pas (ou alors en hommage à Staline…quoique).
Et encore, je n’ai pas tout vu, ni tout entendu. Une fois installé dans la salle, je suis aveuglé par un spot de lumière dirigé vers le public comme si nous subissions un interrogatoire. Les enfants de Trets sont revenus. Une bande d’ados est derrière moi et je sens que d’autres cailloux vont pleuvoir (tout au long du spectacle, nous subirons leur sarcasmes).
Puis, avec 15 minutes de retard, arrive un homme. Est-ce le Directeur de la salle ? Toujours est-il qu’il s’adresse à nous comme si nous avions fait du scoutisme ensemble, évoque le spectacle de ce soir, la grève des intermittents à venir et la manifestation anti-CPE de mardi, sans oublier : « Certains l’oublient…si, si, je vous assure…n’oubliez pas de rallumer vos portables à la fin du spectacle ». Bref, vous l’aurez compris, j’ai l’impression de me retrouver à la fête de l’Huma; il ne manque plus que l’odeur des merguez…C’est du lien en trompe l’oeil et je déteste cela. Et le professionnalisme dans tout cela ?
Que fait Michel Kelemenis dans un tel contexte ?
Une oeuvre majeure dans un lieu mineur…
After…
L’after est quelque peu surréaliste…L’ami qui m’accompagne cherche avec moi la signification du mot « Aphorismes » en même temps qu’un restaurant. Il est près de 22h30 et l’aventure commence …Il suffit finalement de demander aux renseignements une adresse pour dîner et la définition du mot. Je vous laisse deviner la réponse à nos deux questions. Il n’y a pas de dictionnaire, ni d’Internet près des bottins.Le cloisonnement a encore de beaux jours !
Nous finissons la soirée dans une brasserie aixoise.
Lieu mineur pour soirée majeure…
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