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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL ACTORAL

L’Islam est-il soluble dans la démocratie participative?

Il y a comme une contradiction. D’un côté, le spectateur est de plus en plus sollicité lors des performances d’artistes afin de se questionner. De l’autre, on le prie de rester à sa place pour ne pas déranger les institutions dans leur organisation souvent pyramidale et s’immiscer dans le regard critique, chasse gardée des journalistes, seuls compétents.
Vendredi dernier, dans le cadre du Festival ACTORAL à Marseille, je fus sollicité, interpellé et c’est tant mieux. Mais je cherche l’espace où je pourrais donner mon retour. A qui ? Comment ? Les festivals n’ont toujours pas intégré ce processus : paresse, manque de créativité ?
À l’entrée de la salle de Montévidéo, trois hommes nous attendent. Nous sommes priés de nous déchausser, façon de créer une intimité où les trous de nos chaussettes signent notre vulnérabilité ! Yan Duyvendak est Suisse hollandais tandis qu’Omar Ghayatt est Égyptien (il est accompagné d’un traducteur). Différents fragments forment «Made in paradise» (certains sont aboutis, d’autre pas). La version définitive de l’ensemble sera présentée en 2009 à Lausanne. Ce soir, notre duo teste leur démarche sur le public marseillais. Pour que l’on ne perde pas totalement notre statut de spectateur actif, ils introduisent les thèmes des fragments pour les soumettre à notre vote ! Trois séquences de quinze à vingt minutes sont choisies par l’assemblée. Ce couple artistique, métaphore du lien entre l’Orient et l’Occident, ne va pas de soi si l’on en croit la présentation des fragments : comment communiquer, se comprendre, alors que l’Islam provoque tant de peurs ?
La première séquence revient sur les événements du 11 septembre. Les images hallucinantes des corps tombés du ciel au milieu de feuilles volantes sont inscrites dans notre imaginaire. En faisant voler des photocopies de texte (supposés) et de photos prises ce jour-là, le duo propose un moment d’une grande poésie. Le sol de la salle est ainsi parsemé de papiers tandis que la sculpture de nos corps de spectateurs, assis à terre, forme inconsciemment un paysage de guerre. C’est court, émouvant, incluant.
La suite va provoquer un certain malaise. Sans rien dévoiler ici, notre duo nous prend au piège de nos formatages, de nos représentations rigides sur l’Islam, voire de notre racisme larvé. C’est efficace même si l’on frôle la caricature : en effet, le duo interprète alors que nous n’avons rien dit ! Le deuxième fragment («Boom») nous donne l’opportunité de nous lâcher. Je ne m’en prive pas en endossant la fonction du laïc intransigeant ! Je prends goût à jouer dans ce jeu de rôles. Nos deux acteurs observent, contents de leurs effets. C’est assez contenant même s’ils ne font rien de nos paroles fragmentées.
Le dernier fragment (“Ma vie secrète“) s’étire en longueur au sujet de la vie sexuelle d’Omar. L’approche narrative et finalement assez peu symbolique finit par m’ennuyer comme si ce théâtre-réalité ne parvenait pas à transcender le propos.
Au final, un goût d’inachevé et des questionnements sur la démarche. Ne sommes-nous pas en présence d’un duo qui démontre ce qu’il sait faire ( la communication entre un Suisse et un Égyptien fonctionne) en prenant une position haute, presque donneuse de leçons ? En même temps, leur performance aide à se positionner et invite le spectateur  à réfléchir sur ses processus.
La limite vient de la difficulté d’articuler les trois fragments. Notre duo pourrait inviter les spectateurs de Lausanne à opérer cette reliance en créant une oeuvre métaphorique.  Les oeuvres des spectateurs pourraient par exemple circuler sur internet. Car comment changer les représentations à un niveau local (le théâtre) si la parole des spectateurs ne circule pas à un niveau global?  Comment faire pour que les ressentis des spectateurs marseillais rencontrent ceux de Paris, Lausanne, …?  N’est-il pas du ressort des artistes, des institutions, des spectateurs de faciliter la communication entre ces différents niveaux? La démocratie participative dans les théâtres y trouverait peut-être une forme pour le moins originale.
En quelque sorte,
un “paradis” démocratique au dessus des religions.
Chiche!
Pascal Bély, le Tadorne

 Made in paradise”  de Yan Duyvendak et Omar Ghayatt a été joué le 3 octobre 2008 dans le cadre du Festival ACTORAL de Marseille. En tournée: à Paris le 15 octobre 2008 au Théâtre de la Coline. D’autres dates: http://www.duyvendak.com/rubrique7.html.