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Avignon Off 2013 – Mes rencontres.

Le Festival d’Avignon est le lieu de toutes les circulations. Le spectateur chemine dans les rues de façon dynamique. Il explore le programme du Off, se crée un emploi du temps à son image. Il tient  du randonneur dans le cadre des longues heures de marche, et d’attention dans les salles. Mon plaisir commence dés que je file au vent sur mon vélo. Je suis en libres mouvements vers de nouvelles sensations. Une fois  assise dans le noir, le cumul de fatigue peut me plonger dans un état de veille, mais la qualité artistique agit comme une infusion. Cette semaine certains spectacles m’ont troublé et des rencontres passionnantes s’en sont suivies avec les comédiens.

Tout d’abord avec Ludor Citrik. Après «Qui sommes je ?», je suis sortie dans un intense état de mélancolie et le chapiteau était comme une source pour déposer mes sédiments. Après le spectacle, le clown est réapparu sous son habit de Cédric. J’ai reconnu la profondeur de son regard qui m’a tant  transpercé. Des yeux implorants qui ne vous quittent plus. Nous avons échangé sur le trouble suscité par son travail, les questionnements, les prises de conscience et l’énergie déployée dans sa mise à nu. Une volonté de ne rien lâcher, d’avancer et sans cesse de recommencer.

Ludor réveille notre mémoire de tout petit et délimite les cadres des espaces de mouvement de notre quotidien. Nous sommes enfant, miettes grignotées du gâteau sablé. Le miroir nous renvoie à notre propre image et fait tressaillir. Ce regard, maintenant, je le porte; cette main tendue est devenue le prolongement de la mienne, et le désir d’être sauvée pour sortir de soi m’éblouit…

Dans ma mémoire, face à moi, les yeux d’Ascanio Celestino. Un homme qui a compté tout au long de ce festival, depuis le «Nightshot» à la Manufacture où j’ai découvert son travail. Comment une ritournelle, l’air de rien, peut vous questionner sur le monde et l’Humanité ? Son écriture vive, rythmée, acide a été le vernis de mon cortex pendant ces trois semaines. Je n’ai cessé de m’y référer et garde l’image de son humilité, de sa main sur le cœur quand il vous parle. Je n’ai pas besoin de capter son image avec un écran. Il est tatoué dans mes lobes. Dans un de ses derniers textes, «Discours à la Nation», David Murgia aura été son merveilleux passeur d’histoires.

L’émerveillement  a été déclenché par la gente féminine. Introduit dés le 5 juillet par Angelica Liddell au Festival IN ou comment l’énergie donnée sur le plateau peut être une ressource vitale. La création m’atteint quand l’artiste me donne quelque chose de lui, sans faux semblant. Comme un rapport humain, qui ne nous enferme pas dans une seule représentation. Angelica reste mon ange noir. Angelica éructe tous mes démons et m’ouvre une liberté d’être et de penser sur moi-même et sur mon contexte global. Elle me positionne en matière brute et me malaxe, me pétrie, mais sans jamais me lâcher et me trahir. Je ressors de ses spectacles avec la sensation d’être passée sous les chutes du Niagara, par l’estuaire du Tage, et d’être poupée de chiffon transformée en statuette de bronze.

Anne Lefevre, cheveux roux, grosses lunettes, est une autre personnalité lumineuse rencontrée. Elle a la faculté de créer une relation instantanée avec le public. Elle offre généreusement sa pensée, ses recherches. Dans «J’ai apporté mes gravats à la déchetterie», nous suivons la confection de son repas. A travers les carottes qu’elle râpe, je redeviens le lapin gourmand d’Alice. La cuisson est une métaphore du temps octroyé à la réflexion, puis survient le plaisir de l’échange. On ne peut pas se nourrir seul. Sans l’autre, on n’est rien…Anne nous met en marche. Le chaos joyeux du plateau nous ramène à la construction de la vraie vie, celle de la pensée. Les images sur écran animent, englobent le jeu qu’elle nous livre. «Je cherche, je recommence…je cherche…j’avance». Elle me donne de la force dans les doutes que je traverse.

Je me souviens de belles personnes comme Karine Grenier, jeune artiste de «Reveil»qui dégage une nature fragile et volontaire. Spectatrice, je suis  touchée par la qualité de l’adresse que nous offre l’acteur. Nous tissons un lien de confiance pour nous rejoindre  au point de la rencontre, émerveillés

 

Comme spectatrice, toutes ces rencontres sont des rêves éveillés et me réveillent tandis que le contexte ambiant évoque une somnolence qui ne dit pas son nom.

Sylvie Lefrère –Tadorne.

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Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avignon Off 2013 – Ludor Citrik, clown explosif.

« Qui sommes-je » de Ludor Citrik  a été joué au Théâtre Le Sémaphore à Port de Bouc le 5 février 2013 dans le cadre de «Cirque en capitales ». A voir à l’Espace Vincent de Paul à 15h30 du 10 au 28 juillet 2013 au Festival Off d’Avignon.

Sans désir, peut-on être spectateur? Ce soir, j’en ai pour rejoindre le Théâtre du Sémaphore à Port-de-Bouc qui programme «Qui sommes-je ?» de Ludor Citrik, dans le cadre de «Cirque en capitale», le festival phare de la capitale culturelle. L’éclatement géographique des propositions n’est pas pour me déplaire : l’art me déplace…

Je suis allé à sa rencontre. J’ai dû l’abandonner de longues années pour le retrouver dans un tel état. Le clown déboule sur scène, et s’extirpe d’une bâche de plastique. D’où vient-il pour être à ce point apeuré et surpris d’être là ? Qu’avons-nous fait de lui au cours de ces années de Sarkozysme triomphant ? Où l’avons-nous niché ? Sommes-nous encore en mesure de le (re) trouver en nous ? «Pour trouver son clown, il faut rechercher ses faiblesses essentielles, les reconnaître, les faire ressentir, les afficher, s’en moquer publiquement…et incidemment faire rire les autres» écrivait Jacques Lecoq, metteur en scène et pédagogue. Ludor Citrik ne joue pas seulement au clown. Il nous redonne cette puissance d’interroger le nôtre…

Il est assis, en couche-culotte. Sous la pression d’un animateur argenté (sic), il doit obéir. Rester là. Puis là. Des bandes adhésives blanches lui indiquent les limites à ne pas franchir. Il a tous les pouvoirs des «chroniqueurs comiques» de tout poil qui pullulent sur nos antennes. Sa culture du cynisme et du bon mot lui donne l’assurance de celui qui veut dompter les consciences avec sa petite morale de bazar.

Ce clown, est-il jeune ou vieux ? Je ne sais plus. C’est un vieux en couche-culotte qui joue à l’enfant, ou l’inverse…à moins qu’il n’incarne notre créativité cachée, brimée de toute part par l’avalanche de normes et de mesures. Son corps ne cesse de se transformer tel un geste généreux vers le public : le clown n’a pas d’âge. Il n’a que des états de corps. Il est magnifique parce qu’il fait tout voler en éclats de rire à partir d’un imaginaire florissant. Son monde à lui devient corps céleste et nous sommes des comètes prêtes à rentrer en collision. À tout moment, tout peut exploser. Mais le clown a une arme secrète, pour ne jamais faire mal : son empathie joyeuse ! Il nous tend notre miroir à partir du sien où il dialogue avec un double complice, figure médiatrice entre lui et nous. C’est ainsi que nous jouons à imaginer sa fuite entre deux maltraitances de l’animateur.  Pour s’évader, il s’éclate…il pulvérise les codes du bien pensant pour nous inviter à voir autrement à partir de pas de côtés presque magiques. Tandis que l’animateur lui tend une galette, il crée un dialogue surréaliste à l’image de Magritte : ceci n’est pas un biscuit ! Tandis qu’il joue avec le miroir, il parvient à faire l’amour avec lui en se projetant dans une orgie avec le public : avec mon clown, l’onanisme est une fête ! Tous les éléments du décor y passent jusqu’à la bâche plastique, métamorphosée en un nuage qui aurait fait une mauvaise chute !

Ce clown accumule des souffrances (seraient-elles celles du corps social?) provoquées par les brimades de la société du spectacle qui transforme nos espaces de liberté en camp retranché.  Notre clown les déjoue en détournant les mots pour interroger notre vivre ensemble, nos dualités entre le masculin et le féminin, nos cloisons entre pensée et plaisir…Il ne cède jamais à la plainte, mais redéfinit en permanence le cadre pour interagir. Il souffre pour réveiller notre clown d’aujourd’hui, humanoïde hybride entre raison et déraison qui dépasse nos systèmes de pensée usés et normés.

Notre  clown est si fort qu’il rend l’animateur totalement dépendant. Il a toujours une longueur d’avance jusqu’à guider sa pulsion de faire mal vers l’endroit où cela pourrait lui faire du bien ! Il cherche toutes les ouvertures là où rien n’est à priori fermé ! Tenu en laisse par son gardien de tôle, il n’hésite pas à franchir la ligne blanche, vient vers nous, nous provoque dans notre confort et nous prendre à témoin pour rendre justice.

Sans dévoiler la fin, notre clown s’est offert un final dont la trace explosive a terminé dans ma poche. Je la garde précieusement pour ne rien oublier de cette soirée-là où un nuage à terre a fini par s’élever, le nez en l’air…

Pascal Bély –Le Tadorne