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Petits et grands: en corps !

Imaginons un instant que l’art soit au centre des projets éducatifs. Rêvons qu’ils permettent aux éducateurs, aux enfants et à leurs parents de se projeter dans un décloisonnement où l’art relierait les savoirs fondamentaux, l’apprentissage de la vie collective et la construction d’un socle de valeurs communes.

Imaginons que la dernière édition du Festival «Petits et Grands» de Nantes soit cet espace qui formerait ce tout dont nous avons tant besoin.

Imaginons…Fermons les yeux…Tout commencerait à la crèche, incluse dans un grand service public de la toute petite enfance. Imaginons…des artistes y seraient en résidence. Après plusieurs jours passés à observer et entrer en relation avec les tout-petits, ils présenteraient leur création, «Caban».

Ouvrons les yeux…Ils ont métamorphosé l’espace… Parents, tout-petit et éducateurs tâtonnent…Cherchent où aller…Progressivement, l’espace nourrit les relations à partir de différents chemins au croisement de plusieurs esthétiques : danse, théâtre, musique et œuvres plastiques. Peu à peu, le tout-petit se métamorphose en acteur et s’inclut dans la troupe parce qu’à cet endroit-là, émergent la scène et la dramaturgie du passage. Peu à peu, un nouveau langage se fait jour, celui de l’imaginaire tout-puissant qui étire le temps pour que l’humain prenne son temps, pour que le parent ai confiance dans son lâcher-prise au profit de rencontres inattendues entre artistes, parents, observateurs solitaires…Rosalie danse…Marylou se cache dans la cabane…C’est son théâtre où le jazz fait écho à ses cris de plaisir et de peurs. Imaginons que le Teater De Spiegel habite toutes les crèches de France pour les métamorphoser en cabane…futurs théâtres ouverts sur les projets éducatifs.

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Imaginons…nourris de cette expérience, parents, tout-petits et éducateurs iraient au théâtre pour «Plis / Sons» de Laurent Dupont. Rêvons…quelques adolescents d’un centre aéré les accompagneraient. Ils auraient la mission de traduire, à partir d’objets créatifs qu’ils confectionneraient, leurs ressentis sur cette proposition artistique pour les 10 mois-3 ans. Probablement qu’ils prendraient plaisir à observer Marie Frashina créer la rencontre entre le corps et le papier, matière de l’art. Tout y est : la musique, le cinéma, la sculpture, le théâtre, les arts plastiques.  Pris dans une spirale, tous nos sens se multiplient pour se soustraire à la raison ! Peu à peu, ce petit espace scénique dévoile ce que l’art procure : la puissance qui autorise tous les rêves, où le fond est au service de la forme…

Imaginons nos adolescents exposer leurs œuvres dans les crèches, symboles des valeurs qui relient leurs singularités revendiquées à nos utopies communes. Probablement qu’elles nous conduiraient à nouveau vers les contrées artistiques de Laurent Dupont. Avec «En corps», on en redemanderait ! Imaginez petits et grands prenant un malin plaisir à observer le jeu de cache-cache entre deux hommes et une femme avec les symboles de la tauromachie pour dessiner un paysage pictural et musical au croisement du flamenco, de Velasquez et de Picasso. Ici, l’outil numérique est au service du corps créatif, vecteur de plaisir et d’un lâcher-prise salvateur. Ici, l’énergie traverse tout le plateau…une énergie durable où le génie de l’un sert la liberté de l’autre. Ici, l’expression « univers artistique » prend tout son sens tant le désir d’ouvrir l’espace de l’imaginaire est contagieux. Laurent Dupont travaille le désir du spectateur en évitant de s’excuser d’être aussi barré. Ici, aucune culpabilité pour poser la créativité comme un combat entre pulsion de mort et anarchie du vivant.  La salle exulte…La Caban de Laurent Dupont est une orgie des arts pour une humanité confiante dans la folie créative des artistes…

Imaginons…Petits et grands sont maintenant prêts à penser autrement la culture : elle n’est  plus seulement un socle de savoirs constitués, mais elle englobe des pratiques sociales prolongées par des pratiques artistiques ! Le rock and roll peut donc faire son entrée dans l’éducation! Avec «The WackiDs», trois musiciens donnent un concert inoubliable. De leur caban, émergent des instruments de musique qui ne sont pas à leur taille : comme quoi, se mettre à la hauteur d’un plus petit que soi procure l’énergie du Rock and roll ! Avec ces trois gugusses, la culture rock se transmet dans la joie et la furie d’apprendre ! De Ray Charles, aux Beatles, en passant par les Rolling Stones, nous voilà tous reliés entre ceux qui ont connus l’époque et ceux prêts à la célébrer pour imaginer leur futur ! Ces trois-là parviennent à créer la pédagogie par le corps, par le jeu, par les valeurs du groupe, par la récompense partagée…

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Libérés par un tel concert, tout semble maintenant possible. Petits, grands, éducateurs, peuvent apprivoiser sereinement l’histoire déconstruite, sans début et sans fin, de Philippe Dorin, «Sœur, je ne sais pas quoi frère». Ensemble, nous nous projetons dans l’espace transversal d’une fratrie de 5 sœurs (de 9 à 75 ans) où l’histoire de l’une est enchevêtrée dans celle de l’autre. Tout se sépare et se relie, dans le mouvement continu du sens qui traverse chaque scène. Nous voilà tous réunis à vivre ce moment théâtral comme une allégorie de la complexité et de la relation créative au profit de l’émancipation pour une autonomie du groupe. Nous rions et tremblons parfois. Nous ressentons les tours que peut nous jouer l’art : nous prendre par surprise à cacher ce que nous peinons à révéler.

«En corps!» crions-nous lors des applaudissements ! Mais un étrange bruit de papier à nos oreilles nous invite à rejoindre nos cabans, car nous n’en n’avons pas fini d’explorer le patrimoine légué par notre toute petite enfance.

Imaginons ce projet éducatif global : avouez qu’il a l’énergie du rock and roll…

Pascal Bély – Le Tadorne.

Festival “Petits et Grands” à Nantes du 11 au 14 avril 2013.