Catégories
ETRE SPECTATEUR

À cet endroit.

Depuis que la culture et la communication ne font qu’un ministère, femmes et hommes de pouvoir ont pris la fâcheuse habitude de définir des éléments de langage, pour imposer leur culture de l’entre soi. Avec Nicolas Sarkozy, ministres et militants recevaient chaque jour leur lot de mots à respecter pour peser dans la conscience du citoyen. Avec Manuel Valls, cette pratique revient en force visant à nous infliger un vocabulaire basé sur la testostérone, car le combat est masculin.

L’élément de langage n’est pas redéfini tous les jours. Il s’adapte au gré de la saison qui n’a plus rien à voir avec celles de Vivaldi, encore moins avec la période scolaire. La saison se prépare en secret, s’imprime, se présente lors de grandes messes de communication. Le vocabulaire se choisit pour en imposer. L’élément de langage traine parfois dans l’éditorial de la  saison,  mais il s’expérimente surtout dans les conversations de l’entre-soi. Il y a quelques années, on entendait fréquemment employer l’expression «embarquer le public» pour signifier qu’il y avait une destination et que l’on n’y échapperait pas ! Plus tard, «traversée» ou «traverser» furent deux mots fétiches (et valises) pour nous imposer l’idée qu’il y avait un lien entre les différentes propositions et qu’il était de notre devoir de le trouver. Si «embarquer» supposait l’achat d’un seul programme, «traverser» nécessitait de débourser pour plusieurs embarcations. L’élément de langage est aussi très malin.

Mais «traversée» n’a duré qu’un temps, car l’horizontalité n’aime pas être enfermée dans un discours vertical. L’élément de langage sait aussi se révolter…

C’est alors qu’un autre mot s’est glissé…mieux élevé… «Résonance»…Cette fois-ci, nous voilà piégés…«En résonance avec l’actualité»…«En résonance avec un tel nous proposons une telle»… «Parce que ça résonne»…N’en jetez plus, cet élément-là, c’était du lourd. Il ne s’agissait  plus de célébrer les liens que nous pourrions faire, mais de ressentir au plus profond de nous-mêmes le lien que nous devions faire. Avec fracas ! Car la résonance sait faire du bruit. C’est au-delà du «j’aime», «je n’aime pas». Résonner n’est pas aimer. Résonner, c’est être sens dessus dessous…Entrer en résonance avec différentes œuvres, c’est célébrer le réseau qui a été patiemment tissé. Car si vous avez aimé un tel, vous résonnerez avec un autre…Ici, l’élément de langage est puissant : il prend en otage vos ressentis pour légitimer le  réseau…

Mais «résonance» en a eu assez d’être mise à toutes les sauces d’autant plus qu’issue du langage psychanalytique, elle n’est pas prête à résonner avec n’importe quoi, ni avec n’importe qui…

C’est alors qu’arriva… «À cet endroit» ! À ce jour, c’est l’élément de langage le plus puissant…C’est un rouleau compresseur…il emporte tout sur son passage. «À cet endroit, ça résonne»… «À cet endroit, ça traverse»… «À cet endroit, ça embarque»…. «À cet endroit» est multi tâches, multi pensée…multiple TOUT COURT. L’expression signe son  appartenance au milieu et l’attachement à la pluralité des opinions, à la liberté de la parole, à l’expression de la démocratie. Car «A cet endroit» est sans équivoque: c’est ici qu’il faut voir, penser, raisonner et nulle part ailleurs. «À cet endroit» évite que l’on se perde dans les chemins de la pensée complexe, permet de réduire le propos, de la caricaturer. «À cet endroit» fait «corps» entre celui qui profère et celui qui écoute. «À cet endroit» évite soigneusement que l’inattendu nous détourne de leur direction, que l’humain et ses fragilités déplacent l’objet du débat…à un autre endroit.

Décidément, «à cet endroit» a un bel avenir.

Mais il y a un risque…

Qu’un spectateur- blogueur bien intentionné communique sur l’élément de langage. Là, il en sera fini de sa monarchie de tabouret: il n’aime pas que l’on fouille dans ses affaires, que l’on dénonce son abus de langage et de pouvoir, que l’on alerte tous les autres mots privés de rhétorique, que l’on pointe son autoritarisme, que l’on défende la poésie. Car la poésie est du côté du sensible ; elle relie les mots sans pouvoir…elle met en puissance notre sensibilité. La poésie ne peut rien contre l’élément de langage, car il a le pouvoir. Celui que lui confère le réseau, le milieu, l’entre soi. Celui de maltraiter le mot qui ne pense pas comme lui…Celui de mettre à l’index le langage de l’insoumission là où il préfère des éléments suffisants et prétentieux.

Mais soyons des optimistes créatifs! «À cet endroit» va bientôt s’éteindre. Il va partir avec ses bagages et perdre sa couleur rose bonbon.

On ne peut rien contre le sens des mots : celui qui vous écrit sait qu’il n’est rien sans eux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Nous préparons vos journées particulières au Festival d’Avignon.

Pour préparer les Offinités du blog du Tadorne au prochain Off d’Avignon, Sylvie Lefrere de Montpellier, Sylvain Saint-Pierre de Paris, Bernard Gaurier de Bretagne et Pascal Bély d’Aix en Provence se sont dernièrement réunis à Marseille pour ressentir ce qu’ils allaient partager avec les spectateurs d’Avignon dans quelques semaines.

Cap sur deux expositions à la Friche Belle de Mai autour de l’architecte du MUCEM Rudy Ricciotti, des photos du collectif chicanos ASCO et de «Visages» à la Vieille Charité. Trois rencontres qui nous ont rassemblés autour du projet des Offinités, car nous y avons trouvé des appuis créatifs pour enrichir nos réflexions.

mucem

Nous nous sommes reconnus dans les paroles de Rudy Ricciotti, architecte du Mucem de Marseille, pour qui l’innovation repose sur le lien respectueux avec les différents acteurs (du maçon au maitre d’œuvre), socle de toute créativité. Nous nous sommes identifiés à son «combat» quand il décrit les chemins de traverse par lesquels il a contourné les rigidités institutionnelles. Nous considérons nos huit prochains rendez-vous avec les spectateurs comme une œuvre commune où nous déjouerons les voies rectilignes de la rencontre pour évoquer autrement nos ressentis sur les 3 spectacles que nous verrons chaque jour.

10174933_10203603693193373_5808249790112464336_n

La vision critique du groupe Asco, collectif d’artistes mexicains des années 70, nous a sidéré. Leur propos engagé s’appuyait sur la mise en jeu de leur corps. Nous souhaitons que l’engagement des spectateurs inscrits aux Offinités soit mis en mouvement avec la complicité du chorégraphe Philippe Lafeuille.  En fin de parcours à 17h, il leur proposera au Village du Off, de se projeter dans un imaginaire où les images de la journée formeront une chorégraphie qui englobera le public venu assister à son travail.

Le-Visage-du-genie-de-Rene-Magritte

À la Vieille Charité, l’exposition « Visages » nous a offert différentes perceptions, à l’image des parcours où vous serez invité. Il existe même une salle où sont proposés des liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur ! Au centre de la cour, il y a une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art : comment ne pas penser au Village du Off ? En quittant «Visages», nous ressentons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !

Ainsi, avons-nous relié ces trois expositions avec un plaisir jubilatoire. Comme si l’art nous permettait tous les liens possibles. Nous imaginons nos Offinités à l’image de ce week-end : explorer le théâtre à travers la dentelle de béton du Mucem ; s’engager comme ASCO dans la critique pour y dévoiler nos multiples visages.

Pascal Bély – Sylvie Lefrère – Bernard Gaurier – Sylvain Saint-Pierre.

Le programme des Offinités:

fleche-noire 10 juillet – « Le Grand OFF du tout-petit »
Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

fleche-noire 12 juillet – « Le Grand OFF des petits et grands »
Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent : « Qu’avons-nous vu ensemble ? ».

fleche-noire 14 juillet – « La critique en OFF des spectateurs Tadornes »
Les animateurs du blog « le Tadorne » et d’autres spectateurs vont au spectacle et s’interrogent : « C’est quoi être un spectateur Tadorne ? ».

fleche-noire 16 juillet – « Le vrai OFF des managers-chercheurs »
Chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent : « et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre ? ».

fleche-noire 18 juillet – « Le bel OFF du lien social »
Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent : « Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien ? ».

fleche-noire 20 juillet – « L’étrange OFF vu d’ailleurs »
Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent : « Le langage du théâtre est-il universel ? ».

fleche-noire 22 juillet – « Le grand écart du OFF »
Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : « Danse – Théâtre : un même mouvement ? ».

fleche-noire 24 juillet – « Le OFF est-il IN ? »
Un groupe de spectateurs IN-OFF fait le bilan du festival.

S’inscrire ici.

A très bientôt.

Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE

(Dé)monter à  Bruxelles.

Départ pour le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles. Depuis 2004, ce festival ouvre la longue saison où ma relation à l’art se confronte aux multiples facettes de mon contexte. Dans l’avion, j’ouvre la revue Cassandre dans laquelle la philosophe Marie-José Mondzain donne une interview passionnante à Coline Merlo. La révolution à venir n’aura plus rien à voir avec les barricades d’antan. Elle file la métaphore pour signifier « les saxifrages », « plantes minuscules…dont la particularité est de naître et de se développer dans les fissures des pierres et par leur imperceptible insistance à imposer aux matières les plus compactes et les plus résistantes l’ordre fracturant de leur présence…». Elle m’embarque dans sa vision lorsqu’elle évoque la Saxifraga Politica, « saxifrages en colères, mais ni tristes, ni découragées. Le mot « possible » n’appartient pas pour elles au vocabulaire démagogique de la promesse, mais il est habité par l’énergie active et présente de tous ceux qui ne sont pas encore morts…la Saifraga Politicia est la seule espèce qui, sans faire du bruit,  arrivera cependant irrésistiblement à se faire voir et entendre ». Après 9 ans de travail, je ressens ce blog comme une saxifrage qui cherche, bon gré mal gré, de nouvelles graines à semer dans des interstices de pierres et de bétons qui figent notre paysage culturel.

Nourri par cette vision, j’entreprends mon itinéraire bruxellois balisé par sept propositions. La performance de l’artiste néo-zélandaise Kate McIntoshWortable») ne pouvait mieux tomber pour entrer en saxifragie. À l’arrivée, je signe une «décharge de responsabilité» dans le cas où je me blesserais : le principe de précaution s’invite là où l’on ne l’attend pas. Est-ce la métaphore d’une prise de risque qui ne serait plus partagée? Un jeune homme m’invite à choisir un objet parmi ceux posés sur une étagère puis à entrer dans une pièce pour le démonter…J’entends le «détruire». Mon arlequin en tissu va perdre de sa superbe. Je veux le libérer de ce qui pourrait l’entraver et l’enfermer dans son personnage. Il se trouve qu’il fut le jouet de mon enfance…Sur ma table, je découpe, j’enlève, j’ampute. Je dois passer dans une seconde pièce. Alors que des panneaux m’invitent à le déposer pour prendre un autre objet «démonté», je comprends autrement: je saisis des pièces de différents objets pour les relier à mon arlequin en métamorphose. Je le crucifie sur la moitié d’une raquette aux cordes rompues et lui plaque un morceau de globe sur le ventre. Le voici arlequin du monde prêt à recevoir des balles de toute nature. En entrant dans la dernière pièce, je ne peux m’empêcher de l’exposer à l’intérieur de l’œuvre d’un autre spectateur. Il est maintenant saxifrage d’autant plus que la plupart des œuvres sont cassées, rafistolées, lacérées, amputées. La société moderne est en miettes sans qu’émerge la vision d’un nouveau paradigme. En quittant le Palais des Beaux-Arts, je me sens habité par un processus de création artistique: avoir un propos (l’arlequin), le démonter (déconstruire) pour le propulser à un autre niveau (l’œuvre). Cela requiert une certaine prise de risque, une mise à distance pour sortir de la fonctionnalité de l’objet, un positionnement pour relier ce qui à priori ne l’est pas et oser se confronter aux autres. Forcement pédagogique.

Étrangement, le lendemain, je ressens la même démarche avec le chorégraphe et plasticien Benjamin Verdonck qui pose son œuvre sur la table : «Notallwhowanderarelost». C’est un théâtre d’objets de bois et de rails. Mais avant d’entrer dans l’œuvre, il nous propose un étrange avant-propos: une chaise, deux boites de soda, un ballon, une gourde pour un assemblage des plus délicats. Le voici à reproduire le processus proposé par Kate McIntosh! À tout moment, son savant équilibre peut s’effondrer. Je suis avec lui, je ressens sa prise de risque. Avec humilité, cet homme expose son art…celui où le propos est fragile, en équilibre précaire, dans une économie de moyens, mais nourri d’une générosité (ce mot a-t-il encore un sens dans une époque où le cynisme domine les relations?). Place à son théâtre où c’est lui, et lui seul, qui tire les ficelles capables de déplacer des triangles aux tailles et couleurs différentes. De gauche à droite, je suis ces allers et retours où le second degré est roi, où l’artiste joue avec les évidences, où cela bifurque alors que le chemin est pourtant tout droit. Je ris quand l’inattendu déjoue mes pronostics binaires ; je m’interroge quand l’objet se détourne de mes attentes ; je lâche prise quand des phrases tombent du haut tel des surtitres sans sous-titres!

Benjamin Verdonck semble danser lorsque les ficelles libèrent son corps et nous relient à l’évolution de notre perception des objets. La dernière scène est hilarante, car surréaliste : il en perd la tête, sens dessus dessous, et je m’égare avec lui dans une autre dimension : celle d’une graine de folie qui pousse sur le béton armé recouvrant nos objets d’enfants à jamais démontés.

Pascal Bély – Le Tadorne

Le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles du 2 au 24 mai 2014.